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Décisions

Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-16.462

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Blanc

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Célice, Texidor, Périer

Grenoble, du 11 mars 2021

11 mars 2021

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. Le mémoire en demande de la Société de production de produits isolants (la société S2PI) ne contenant aucun moyen dirigé contre l'arrêt du 4 juin 2020, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi principal en ce qu'il est dirigé contre cette décision.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Grenoble, 4 juin 2020 et 11 mars 2021), soutenant que la société S2PI avait commis des pratiques commerciales trompeuses, la société Eurisol l'a assignée en paiement de dommages et intérêts, demandant en outre une mesure de publication.

Examen des moyens

Sur les moyens du pourvoi incident, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, le troisième moyen de ce pourvoi, pris en sa troisième branche, le quatrième moyen de ce pourvoi, pris en sa seconde branche, et le cinquième moyen de ce pourvoi

Enoncé des moyens

4. Par son premier moyen, pris en sa seconde branche, la société S2PI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur le point 1 de la décision (mentions inexactes sur les fiches de produits), de la condamner en conséquence à payer à cette société la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de dire n'y avoir lieu à mesures de publicité, alors « qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse et déloyale lorsqu'elle contient des informations fausses et qu'elle altère ou est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; qu'en se bornant à retenir qu'à travers les mentions inexactes sur les fiches de ses produits, soit la référence à la norme EN 13383-3 et les essais 000, et à un certificat attestant du respect des normes sans avoir obtenu avant le 19 mai 2015 une classification en matière de résistance au feu, la société S2PI apparaissait avoir anticipé sur la réalisation d'essais, ce qui était trompeur pour le client qui pouvait croire en une qualité des produits non atteintes dans la réalité et constituait un acte de concurrence déloyale, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi ces inexactitudes étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 120-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu l'article L. 121-1 de ce code. »

5. Par son troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société S2PI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur le point 2 de la décision (la conductivité thermique), de la condamner en conséquence à payer à cette société la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de dire n'y avoir lieu à mesures de publicité, alors « qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse et déloyale lorsqu'elle contient des informations fausses et qu'elle altère ou est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; qu'en se bornant à retenir que la société S2PI avait anticipé la certification de la conductivité thermique de son produit en retenant de manière erronée un taux plus favorable, ce qui était trompeur pour le client et relevait de la concurrence déloyale, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi cette anticipation était susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 120-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu l'article L. 121-1 de ce code. »

6. Par son quatrième moyen, pris en sa seconde branche, la société S2PI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur le point 3 de la décision (invocation trompeuse d'un avis technique CSTB sans valeur), de la condamner en conséquence à payer à cette société la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de dire n'y avoir lieu à mesures de publicité, alors « qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse et déloyale lorsqu'elle contient des informations fausses et qu'elle altère ou est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; qu'en se bornant à retenir que la société S2PI ne pouvait se prévaloir à la date du 3 avril 2015 de l'avis du centre scientifique et technique du bâtiment, qui n'était pas définitif, ce qui était trompeur pour ses clients, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi cette anticipation était susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 120-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu l'article L. 121-1 de ce code. »

7. Par son cinquième moyen, la société S2PI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur le point 8 de la décision (violation de l'interdiction de vente de produits sans avoir procédé aux tests de réaction au feu), de la condamner en conséquence à payer à cette société la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de dire n'y avoir lieu à mesures de publicité, alors « qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse et déloyale lorsqu'elle contient des informations fausses et qu'elle altère ou est de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement ; qu'en se bornant à retenir que la société S2PI avait anticipé la mention de la classification de réaction au feu, ce qui trompait la clientèle sur la qualité de ses produits, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi cette anticipation était susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 120-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu l'article L. 121-1 de ce code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 120-1 et L. 121-1, I et III, du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

8. Il résulte de ces textes que, pour qu'une pratique commerciale soit qualifiée de trompeuse, elle doit altérer ou être de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique des personnes, consommateurs ou professionnels, qu'elle vise.

9. Pour dire que la société S2PI a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eurisol, après avoir relevé que la société S2PI avait porté sur les fiches de produits concurrents de la société Eurisol des mentions inexactes en anticipant sur la réalisation d'essais de résistance au feu et sur la classification incendie de ces produits, qu'elle avait déclaré un taux de conductivité thermique de ces produits sous-évalué et qu'elle s'était prévalue d'un avis du Centre scientifique et technique du bâtiment avant que cet avis n'acquière un caractère définitif, l'arrêt retient que chacun de ces éléments est trompeur pour le client sur la qualité des produits en cause.

10. En se déterminant ainsi, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi ces agissements de la société S2PI étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique des personnes, consommateurs ou professionnels, visées par ces pratiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. La société S2PI fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur le point 5 de la décision (maintien des mentions inexactes sur les fiches de produits), de la condamner en conséquence à payer à cette société la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et de dire n'y avoir lieu à mesures de publicité, alors « qu'une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ; qu'en retenant que le grief pris du maintien des mentions inexactes dans les fiches de produits diffusées en juillet 2015 était constitué, au seul motif que ce point avait déjà été examiné, tandis qu'elle avait précédemment relevé que l'inexactitude de ces mentions dans les fiches de produits diffusées en février 2015 ne procédait que d'une anticipation sur la réalisation d'essais de résistance au feu, lesquels n'étaient plus contestés à compter du 19 mai 2015, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 de ce code, et l'article L. 121-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 120-1 et L. 121-1, I et III, du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

12. Pour dire que la société S2PI a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eurisol sur la réglementation (point 5 de la décision), répondant aux conclusions de cette société qui faisait valoir que les « fiches produit » de la société S2PI contenaient encore en juillet 2015 des mentions inexactes quant à la réalisation d'essais de résistance au feu, l'arrêt retient que le maintien de mentions inexactes a été examiné en son point 1, relatif à l'insertion initiale de ces mentions.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les « fiches produit » de la société S2PI présentaient encore des mentions inexactes quant à la réalisation d'essais de résistance au feu en juillet 2015, dès lors qu'elle avait relevé, au point 1 de sa décision, que cette société avait obtenu, le 19 mai 2015, une classification en matière de résistance au feu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation du chef de dispositif disant que la société S2PI a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur (points 1, 2, 3, 5 et 8 de l'arrêt) entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant la première à payer à la seconde la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ces actes et disant n'y avoir lieu à mesures de publicité, les demandes formées à ce dernier titre par les sociétés S2PI et Eurisol ayant été rejetées en raison de la réciprocité des actes de concurrence déloyale retenus contre elles, par une condamnation de la seconde devenue irrévocable.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi principal en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 4 juin 2020 ;

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il dit que la Société de production de produits isolants a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eurisol sur la réglementation en vigueur sur les points 1, 2, 3, 5 et 8, condamne la Société de production de produits isolants à payer à la société Eurisol la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi des actes de concurrence déloyale, dit n'y avoir lieu à mesures de publicité et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.