CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 25 novembre 2009, n° 07/20103
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mode Information (SAS)
Défendeur :
Fédération Française des Dentelles et des Broderies (és qual.), Dentelles (SAS), Solstiss (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mme Chokron, Mme Gaber
Avoués :
Me Olivier, SCP Oudinot Et Flauraud
Avocats :
Me Brosemer, Me Chaminade
LA COUR,
Vu l'appel formé par la SAS mode information et par la société de droit allemand mode...information Heinz Kramer Gmbh (ci-après : Heinz Kramer) du jugement du tribunal de commerce de Paris (15ème chambre, n° RG : 2006022188) rendu le 8 novembre 2007 ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 28 septembre 2009 par les sociétés appelantes et par MM [N] et [L], intervenant volontairement ès qualités, respectivement, d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société mode information ;
Vu les dernières conclusions (11 septembre 2009) signifiées par a Fédération française des dentelles et des broderies, la SAS établissements [H] [G], la SAS dentelle [T] [O], la SAS Solstiss, la SA [X] [I] et la SAS Établissements [D] [Localité 22] et Cie venant aux droits de la société Dentelles [R], intimées ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 29 septembre 2009 ;
SUR QUOI,
Considérant qu'il est constant que, lors du salon « Première vision » qui s'est tenu du 20 au 23 septembre 2005 au parc des expositions de [Localité 24], la société Heinz Kramer a exposé au public un livre intitulé «Mystique» présentant 260 modèles de dentelles ; que la Fédération française des dentelles et des broderies (la Fédération) et les sociétés Dentelles [R], établissements [H] [G], dentelle [T] [O], Solstiss et [X] [I], estimant que cet ouvrage contenait la reproduction à l'identique de certaines de leurs créations originales, ont assigné les sociétés Heinz Kramer et mode information sur le fondement de la contrefaçon en invoquant les dispositions des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle ; que le tribunal, par le jugement dont appel, ayant écarté la fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir de la Fédération et retenu l'originalité des modèles de dentelles exploités par les personnes morales demanderesses en l'absence de toute revendication d'auteurs personnes physique, a condamné les défenderesses à leur payer des dommages-intérêts et autorisé la publication de la décision ;
1. Sur la procédure :
Considérant, en préliminaire, qu'il y a lieu d'observer que les appelantes, qui dénoncent (pages 7 et 8 de leurs dernières écritures) de prétendues «irrégularités procédurales graves commises par le jugement attaqué» n'en tirent aucune conséquence quant à leurs demandes et s'abstiennent de conclure à la nullité du jugement déféré ; que, tout en affirmant que le tribunal n'aurait pas tenu compte de certaines pièces ou conclusions, elles ne prétendent pas expressément et il ne ressort pas de leurs explications qu'il aurait été porté atteinte aux droits de la défense ou au principe du contradictoire ;
2. Sur la mise hors de cause de la société mode information :
Considérant qu'il est établi par le catalogue du salon « Première vision » annexé au procès-verbal de constat dressé le 21 septembre 2005 par l'huissier requis pour faire constater l'achat du livre intitulé «Mystique» que la S.A.S mode information ayant son siège [Adresse 14] était présente à côté de la société Heinz Kramer sur le stand 5N36-5P35 où l'ouvrage litigieux était exposé ; que la circonstance que le prix de la location de ce stand ait été payé par la seule société Heinz Kramer est sans incidence sur la participation de la société mode information aux faits de contrefaçon qui lui sont reprochés par les intimées ; que la demande de mise hors de cause de la société mode information ne peut donc être accueillie ;
3. Sur l'intérêt à agir de la Fédération française des dentelles et broderies :
Considérant que l'article 5 des statuts de la Fédération prévoit que cet organisme a notamment pour objet «la défense des intérêts moraux et matériels de ses adhérents » et la « lutte contre le pillage industriel et culturel dans les secteurs des dentelles et broderies ainsi que l'utilisation frauduleuse ou de mauvaise foi de droits de propriété littéraire ou artistique, tant en France qu'à l’étranger » ;
Considérant que l'action de la Fédération dans la présente instance, fondée sur la contrefaçon de droits d'auteur de ses membres, entre dans le champ des dispositions statutaires ci-dessus mentionnées puisqu'elle tend à obtenir réparation du dommage causé par la reproduction et l'exploitation, sans le consentement de leurs créateurs, de modèles de dentelles ; que les appelantes ne sont pas fondées à soutenir que les statuts de la Fédération ne viseraient que la défense de droits attachés à la protection de modèles déposés à l'INPI ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée d'un prétendu défaut d'intérêt à agir de la Fédération à raison de prétendues limites de son objet statutaire ;
4. Sur l'intérêt à agir des sociétés intimées :
Considérant en droit, qu'en vertu de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ;
Que ce droit est conféré, selon l'article L 112-1 du même Code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ;
Que se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale ;
Qu'il incombe toutefois, à celui qui se prétend investi des droits de l'auteur, de rapporter la preuve d'une création déterminée à une date certaine, condition de la recevabilité de son action ;
Considérant, au contraire de ce qu'affirment vainement les appelantes, que les pièces versées au débat démontrent que les sociétés intimées ont été à l'origine des modèles de dentelles objet de leurs réclamations, qu'elles les ont fait réaliser sous leur contrôle et en ont assuré l'exploitation commerciale ;
Considérant en effet que ces dernières produisent au débat, sous forme de dossiers constitués de manière systématique, et visés au bordereau des pièces communiquées sous les nos 31, 32, 33, 34 et 35, les documents justifiant des droits, respectivement, des sociétés Établissements [D] [Localité 22] et Cie, venant aux droits de la société Dentelles [R], de la société Dentelle [T] [O], de la société Solstiss et de la société [X] [I] ; que chacune des pièces ainsi produites est individualisée au bordereau des pièces communiquées par une numérotation spécifique qui permet de la relier au modèle de dentelle concerné ;
Que l'examen de ces documents - qui consistent, suivants les cas, en dessins originaux, extraits de registres internes, fiches techniques, 'Robracks', consignes aux employés, extraits de sites internet, attestations ou factures - démontre, pour tous les modèles de dentelle en cause, que ceux-ci ont bien été créés au sein des sociétés qui revendiquent les droits d'auteur qui les concernent, exécutés sous leur contrôle et qu'elles en ont assuré l'exploitation commerciale avant la publication du livre litigieux qui en contient la reproduction ; qu'il est au demeurant constant que les droits d'auteur dont se prévalent les sociétés intimées ne sont enfin revendiqués par aucune personne physique ;
Considérant, par ailleurs, que les appelantes n'invoquent aucune antériorité ; que, pour prétendre démontrer la prétendue banalité des modèles en cause, elles se bornent à produire (pièces 10 à 13) des documents se rapportant à la création de lingerie et à la tendance textile pour 2008, 2009, en tout cas postérieures à la création des modèles en cause, donc inopérantes ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la contestation de l'intérêt à agir des sociétés intimées n'est pas fondée ;
5. Sur la contrefaçon :
Considérant que la cour, ayant procédé à un examen comparatif des différentes planches du livre litigieux et des échantillons et pièces communiquées par les sociétés intimées, estime que c'est par une exacte appréciation des faits soumis à leur appréciation que les premiers juges ont retenu «que la comparaison des 154 modèles de dentelles propriété des sociétés demanderesses avec ceux de l'ouvrage ayant pour titre «Mystique» montre que ces derniers sont la reproduction à l'identique des premiers» ;
Considérant, tout particulièrement, que l'affirmation des appelantes (pages 20 et 21 de leurs dernières écritures) selon laquelle il n'y aurait aucune similitude entre les dessins nos 27274, 78974, 73964 et 71104 et les planches du livre mises en rapport avec ces dessins, respectivement pages 15, 6, 30 et 22, est manifestement controuvée, tant la ressemblance est évidente ;
Considérant que les appelantes invoquent vainement leur expérience, leur probité et leur bonne foi supposée, l'élément moral ou intentionnel n'étant pas une condition de la responsabilité qui leur incombe à raison des faits de contrefaçon établis à leur charge ; que la circonstance qu'elles n'ont pas édité le livre « Mystique » est inopérante dès lors qu'elles en ont assuré la diffusion dans le public ;
6. Sur les mesures réparatrices :
Considérant que c'est par des motifs pertinents, que la cour fait siens, que le tribunal a analysé et évalué les conséquences dommageables des faits de contrefaçon commis par les appelantes au détriment des intimées, prenant notamment en compte le nombre de modèles de dentelles reproduits et livrés au public, l'incitation à la contrefaçon qui est l'objet même du livre, dont le nombre réduit d'exemplaires vendus en France tel qu'allégué par les appelantes n'est pas un facteur d'atténuation du dommage au regard du public spécialisé auquel s'adresse l'ouvrage ;
Considérant, en définitive, que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf à préciser que les condamnations au paiement de sommes prononcées par le tribunal, en ce qu'elles concernent la société mode information, doivent être inscrites au passif de la liquidation judiciaire de ladite société ;
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la société MODE INFORMATION,
CONFIRME le jugement entrepris,
DIT toutefois que les condamnations au paiement de sommes, en ce qu'elles concernent la société mode information, doivent être admises au passif de la liquidation judiciaire de ladite société,
CONDAMNE les sociétés appelantes aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile et à payer aux intimées 45.000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.