Cass. crim., 29 février 1988, n° 80-90.331
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ledoux
Rapporteur :
M. Souppe
Avocat général :
M. Rabut
Avocat :
SCP Riche, Blondel et Thomas-Raquin
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 431 de la loi du 24 juillet 1966, ensemble, méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que Dominique Y... avait été gérant de fait de la société " Renov-Inter " créée en avril 1982 et avait en cette qualité, fait, de mauvaise foi, des biens de ladite société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci ; " aux motifs que l'enquête diligentée par le SRPJ de Reims, sur réquisition du procureur de la République, au vu du rapport du syndic, a établi que la société, créée à l'initiative de Michel C..., entrepreneur de menuiserie à Château-Porcien, et Dominique Y..., alors comptable salarié de plusieurs entreprises dont celle de C..., avait à l'origine un capital de 20 000 francs et pour associés, outre Michel C... et ses trois enfants, sa concubine Mme X... ; que le capital social fut porté à 75 000 francs le 12 novembre 1982, date à laquelle Y..., initialement salarié de la nouvelle entreprise, y prit une participation de 20 000 francs, et réduit à 55 000 francs lorsque Y... se fit rembourser son apport, le 4 mai 1983, conformément au procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du même jour ; " et aux motifs encore que la société, dont Mme X... était la gérante statutaire, a employé deux salariés, Mme D..., secrétaire, et Dominique Y... engagé comme comptable et agent technico-commercial, et aussi à partir du 1er novembre 1982, Michel C..., qui jusqu'à cette date exécutait les travaux confiés à Renov-Inter en sous-traitance, en qualité de conducteur de travaux, et certains de ses ouvriers ;
" qu'il ressort des déclarations recueillies au cours de l'enquête, y compris de celles des prévenus que Mme X..., gérante en titre, se bornait à signer les chèques-certains en blanc-sous le contrôle de Dominique Y... et qu'elle ne se rendait au siège social à Reims qu'une heure ou deux par semaine ; " qu'en revanche, Dominique Y... tenait la comptabilité, établissait les devis et chiffrait les travaux, assurait les relations avec les clients, les fournisseurs, les organismes sociaux et l'administration fiscale, et qu'il recevait les règlements ; " que Michel C... se bornait à travailler sur les chantiers ; que toutefois, selon Dominique Y..., il a participé à l'élaboration des devis à son arrivée dans l'entreprise comme salarié ; " que Dominique Y... devait quitter la société en octobre 1983, à la demande de Michel C... et de Mme X... ; " qu'il résulte de l'ensemble de ces données, qu'en dépit de ses dénégations, Dominique Y... s'est effectivement comporté comme le gérant de fait de la SARL ; " et aux motifs adoptés que la doctrine et la jurisprudence, notamment de la Cour de Cassation, définissent très clairement le dirigeant de fait comme étant un individu qui, n'étant pas le gérant légal d'une SARL, dirige seul à son gré cette société, traite personnellement avec les fournisseurs et les clients, oriente son activité et décide de son sort ; " que tel est bien le cas de Dominique Y..., contrairement à ses allégations, ainsi qu'il résulte non seulement des constatations des services de police et des déclarations tant de la gérante de droit, Mme X..., de la secrétaire Mme D..., que de l'expert-comptable E... et du syndic de la liquidation des biens, Me Z..., mais encore des propres déclarations de Dominique Y... dont le tribunal ne saurait admettre l'interprétation spécieuse de dernière heure ; " alors que le simple fait de remplir certains chèques signés en blanc par la gérante de droit, de tenir la comptabilité, d'établir des devis et chiffrer les travaux, d'assurer les relations avec les clients, les fournisseurs, les organismes sociaux et l'administration fiscale et de recevoir des règlements ne peut caractériser la gestion de fait de la SARL car ces attributions étaient au nombre de celles d'un employé supérieur qui reste subordonné à la direction de l'entreprise ; " qu'en l'état des constatations de l'arrêt, la Cour Suprême ne peut valablement exercer son contrôle sur l'existence d'une véritable gestion de fait, si bien que l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard de l'article 431 de la loi du 24 juillet 1966 ;
" et alors que les juges du fond ne pouvaient sans se contredire et donc méconnaître les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale, décider que Dominique Y... devait quitter la société en octobre 1983, à la demande de Dominique C... et de Mme X..., et décider qu'il résulte notamment de cette donnée que Dominique Y... s'est effectivement comporté comme le gérant de fait de la SARL ; " et alors enfin qu'il ne résulte ni des motifs de l'arrêt, ni des motifs du jugement, que Dominique Y... avait tous les pouvoirs de décision au sein de la SARL, étant observé qu'il est constant qu'il n'avait pas la signature sociale ; qu'ainsi c'est encore à tort qu'il a été retenu dans les liens de la prévention en qualité de gérant de fait " ; Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 425 alinéa 4 et 431 de la loi du 24 juillet 1966, ensemble méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt attaqué a décidé que Dominique Y... avait, de mauvaise foi, fait des biens de la société Renov-Inter un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci et ce à des fins personnelles, si bien que le prévenu a été retenu dans les liens de la prévention et condamné à une amende de 10 000 francs et à quatre mois d'emprisonnement avec sursis ; " aux motifs qu'aucune décision de l'assemblée générale ne l'autorisant à le faire, Dominique Y... a fait supporter à la société des frais d'hôtel, de restaurant et d'essence, qu'il avait engagés à titre personnel, ainsi que le coût de l'assurance de la remorque porte-bâteau lui appartenant ; que c'est à son initiative que le procès-verbal de l'assemblée générale du 4 mai 1983 qui devait permettre le remboursement de sa part de capital social a été préparé ; qu'il a lui-même précisé qu'il avait voulu récupérer son apport " un peu à titre de protestation " contre C... et Mme X... pour marquer son mécontentement sur la manière dont ils suivaient les chantiers ; qu'il apparaît cependant qu'à cette époque, le résultat de l'entreprise était déjà déficitaire ; " alors que d'une part dans ses conclusions laissées sans réponse sur ce point, Dominique Y... a fait valoir que certaines notes de frais extrêmement modiques avaient été payées volontairement par Mme X... ce qui était de nature à établir la bonne foi du prévenu ; qu'en ne s'exprimant pas sur cette articulation essentielle du mémoire, la Cour méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors que d'autre part, en ce qui concerne l'assurance de la remorque, Dominique Y... avait soutenu que ladite assurance couvrait également le véhicule utilisé par le prévenu pour ses déplacements professionnels, véhicule qui appartenait à la société si bien qu'il n'était pas possible de prendre une assurance distincte pour le véhicule et la remorque qu'il tractait ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen également péremptoire, la Cour méconnaît derechef les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ; " alors que de troisième part, la réduction du capital d'une société à responsabilité peut toujours intervenir en cas de retrait d'un associé lorsqu'à la suite du refus d'agrément de l'héritier, du conjoint ou du cessionnaire proposé, la société a elle-même acheté les parts de l'associé sortant ; que Dominique Y... se fondait sur ce principe pour démontrer qu'on ne pouvait lui reprocher d'avoir voulu recouvrer le montant de son apport initial ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen décisif, la Cour méconnaît encore les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ; " et alors enfin que Dominique Y... avait mis en évidence qu'il n'était nullement démontré que le 4 mai 1983, date de la réduction du capital, la société ait connu des protêts et des poursuites ; qu'en l'état de ces allégations, la Cour ne pouvait pour retenir le prévenu dans les liens de la prévention se borner à affirmer " qu'il apparaît (...) qu'à cette époque (mai 1983), le résultat de l'entreprise était déjà déficitaire " ; qu'ainsi l'arrêt se trouve insuffisamment motivé au regard des exigences des articles cités au moyen " ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires, que la société à responsabilité limitée " Renov-Inter " a été constituée en avril 1982 entre C..., ses trois enfants et sa concubine, Monique A..., veuve X..., cette dernière étant nommée gérante ; que le 12 novembre 1982 le capital initialement fixé à 20 000 francs a été porté à 75 000 francs grâce notamment à la participation d'un montant de 20 000 francs de Y..., salarié de l'entreprise, puis a été ramené à 55 000 francs par le remboursement de l'apport de ce dernier le 4 mai 1983 ; que la société a déposé son bilan le 8 mars 1984 et que le tribunal de commerce de Reims par jugement du 13 mars 1984 a prononcé sa liquidation des biens fixant provisoirement au 7 mars la date de cessation des paiements ; Attendu que Monique A..., veuve X..., en sa qualité de gérante, et Y... en qualité de dirigeant de fait de la société Renov-Inter ont été poursuivis pour abus de biens sociaux ;
Attendu que pour déclarer Y... coupable du délit visé à la prévention, l'arrêt attaqué relève que Monique X..., gérante en titre, " se bornait à signer les chèques, certains en blanc, sous le contrôle de Y... et qu'elle ne se rendait au siège social qu'une heure ou deux par semaine " ; que Y... au contraire tenait la comptabilité, établissait les devis et chiffrait les travaux, assurait les relations avec les clients, les fournisseurs, les organismes sociaux et l'administration fiscale ; qu'enfin, il recevait les règlements ; qu'ils en déduisent " qu'en dépit de ses dénégations Y... s'est effectivement comporté comme le gérant de fait de la société Renov-Inter " ; que les juges observent en outre que Y..., sans autorisation de l'assemblée générale, a fait supporter à la société des frais d'hôtel, de restaurant et d'essence qu'il avait engagés à titre personnel, ainsi que le coût de l'assurance d'une remorque porte-bâteau lui appartenant ; que c'est à son initiative qu'a été établi le procès-verbal de l'assemblée générale du 4 mai 1983 qui devait lui permettre de recouvrer sa part de capital social ; Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations qui caractérisent notamment la qualité de dirigeant de fait reconnue au prévenu Y... ainsi que sa mauvaise foi, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre autrement qu'elle l'a fait aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance, justifié sa décision ; que dès lors les moyens réunis ne sauraient être accueillis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi.