CA Paris, 3e ch. B, 17 janvier 2008, n° 06/13076
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Monin-Hersant
Conseillers :
Mme Jourdier, M. Loos
Avoués :
SCP Duboscq - Pellerin, SCP Narrat - Peytavi, SCP Oudinot et Flauraud
Avocats :
Me Martin-Besse, Me Speranza - Durand, Me Marie, Me Simon
EXPOSÉ DU LITIGE
La 'société JEAN B. et Cie ELECMO' a été constituée le 18 avril 1966 sous la forme d'une S.A.R.L. Elle a changé plusieurs fois de forme, et elle avait la forme d'une société en nom collectif lorsque le 25 juin 1992, Madame Véronique M. en est devenue associée (25 parts) et co-gérante avec Monsieur Jean B. (4975 parts). Par acte du 22 avril 1993 elle a cédé ses parts à Monsieur Jean B. qui par acte du 24 avril 1993 les a rétrocédées à son fils Philippe B.. Elle a démissionné de ses fonctions de gérante lors d'une assemblée générale, tenue le 22 avril 1993, dont le PV a été déposé au registre du commerce le 22 septembre 1993 et publié.
Par arrêt du 28 avril 1993 de la Cour d'assises de MELUN, Monsieur Jean B. était condamné à cinq ans de réclusion criminelle, ce qui, en application de la loi du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales, emportait de plein droit son interdiction légale ainsi que l'incapacité pour lui d'exercer le commerce, en sorte qu'il ne pouvait demeurer associé de la SNC JEAN B..
Le 9 juillet 1993 Madame Véronique M. obtenait en référé la nomination de Maître C. comme administrateur provisoire de la S.N.C.
Le 20 juin 1994, une assemblée générale était réunie sur convocation et sous la présidence de Maître C.. Elle donnait tous pouvoirs à celui-ci pour procéder aux formalités légales de publicité de la cession de parts intervenue le 24 avril 1993 entre Monsieur Jean B. et Monsieur Philippe B. ainsi que de la nomination à la même date de Monsieur Philippe B. aux fonctions de co-gérant. Elle donnait quitus à Maître C. et décidait de transformer la société en SARL en désignant Monsieur Pierre D. comme seul gérant.
Soutenant que la cession par elle de ses parts à Monsieur Jean B. (consentie le 22 avril 1993 'à compter du 31 mai 1993") n'était pas effective au jour de la survenue de l'incapacité de celui-ci, que de ce fait le 28 avril 1993 toutes les parts du capital social se sont trouvées réunies entre ses mains , et estimant que l'assemblée générale du 20 juin 1994, n'ayant pas été tenue dans les formes légales, est entachée de nullité, qu'en conséquence la situation née de l'incapacité de Monsieur Jean B. n'a jamais été régularisée et que la SNC JEAN B. devait être considérée comme dissoute au 28 avril 1993, Madame Véronique M. a, par exploit du 14 février 1995, fait assigner Monsieur Jean B., Monsieur Philippe B. et la SARL JEAN B. et Cie ELECMO, prise en la personne de son gérant Monsieur Pierre D., devant le Tribunal de commerce de PARIS aux fins de constater la nullité de la transformation de la SNC JEAN B. en SARL et sa dissolution de plein droit à la date du 28 avril 1993.
Par jugement rendu le 22 mai 1996, le Tribunal de commerce de PARIS a déclaré Madame Véronique M. irrecevable en son action, faute de justifier d'un intérêt légitime à agir, et l'a condamnée à payer à chacun des défendeurs une somme de 5.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une somme de 5.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par acte du 13 juin 1996, Madame Véronique M. a déclaré faire appel de ce jugement, en intimant Monsieur Jean B., Monsieur Philippe B. et la SARL JEAN B. et Cie ELECMO.
Monsieur Jean B. est décédé en cours d'instance et l'affaire a été radiée le 16 décembre 1999.L'instance d'appel a été rétablie le 27 mai 2004, avec l'intervention volontaire des deux autres héritiers de Monsieur Jean B., Messieurs Bernard et Francis B., frères de Philippe B. déjà dans la cause.
Une nouvelle radiation pour défaut de diligences des parties a été prononcée le 26 janvier 2006.
Par jugement rendu le 6 novembre 2006, le Tribunal de commerce de BAYONNE a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SARL JEAN B. et Cie ELECMO et a désigné Maître Jean-Pierre A. en qualité de liquidateur.
Par acte du 27 mars 2007 remis à personne, Madame Véronique M. et Monsieur Philippe B. ont fait assigner en intervention forcée Maître Jean-Pierre A. ès qualités, et l'affaire a été réinscrite au rôle le 12 juillet 2006.
Enfin Bernard B. étant décédé le 13 février 2007, Philippe et Francis ses seuls héritiers sont intervenus pour reprendre l'instance en son nom.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées le 2 novembre 2007 par Madame Véronique M., appelante,
Vu les conclusions déposées les 29 mai 1997 et 10 juin 1998 par la SARL ELECMO, intimée,
Vu les dernières conclusions déposées le 8 novembre 2007 par Monsieur Francis B., intimé en sa qualité d'héritier de Messieurs Jean et Bernard B.,
Vu les dernières conclusions déposées le 23 octobre 2007 par Monsieur Philippe B., en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Messieurs Jean et Bernard B., intimé et appelant incidemment,
SUR CE,
Considérant que Madame Véronique M. demande à la Cour d'infirmer le jugement frappé d'appel, de la dire recevable en ses demandes, de constater la dissolution de plein droit de la S.N.C. JEAN B. et Cie ELECMO à compter du 28 avril 1993, de prononcer l'annulation de tous les actes postérieurs qui ne relèveraient pas de sa survie, et notamment de la délibération du 20 juin 1994 transformant la S.N.C. en S.A.R.L. ; que Messieurs Philippe et Francis B. se sont associés aux demandes de Madame M. ;
Considérant que dans ses dernières conclusions antérieures à sa mise en liquidation judiciaire, la S.A.R.L. ELECMO demande la confirmation du jugement frappé d'appel, soutenant que Madame M. ne possède aucun intérêt légitime à agir, ni le moindre préjudice à faire valoir ;
Considérant que pour déclarer irrecevable l'action de Madame Véronique M., le tribunal de commerce de PARIS a retenu qu'elle ne démontrait aucun intérêt à agir, relevant qu'à la date de son assignation, elle n'était plus gérante, ni même associée de la société JEAN B. ; que spécialement le tribunal a estimé que cet intérêt ne pouvait pas résider dans le risque de voir sa responsabilité recherchée pour sa gestion de la S.N.C. , ni à raison de la transformation de la S.N.C. en S.A.R.L. ;
Considérant qu'effectivement la responsabilité d'un dirigeant de société ne peut être recherchée que pour des actes commis pendant sa période de gérance ; qu'en l'espèce la démission de Madame Véronique M. a été constatée par l'assemblée générale du 22 avril 1993 ; que n'aurait aucune influence sur cette démission l'existence ou non d'une dissolution de plein droit de la S.N.C. au 28 avril 1993 ; que concernant les tiers, ils ne peuvent pas rechercher sa responsabilité pour des actes commis après la publication de sa démission au registre du commerce et des sociétés ; qu'en l'espèce la publicité a été faite après dépôt au greffe le 6 septembre 1993 de l'acte constatant la démission ; que Madame M., qui reconnaît avoir été radiée du registre du commerce et des sociétés et du registre des métiers le 16 novembre 1993, ne justifie à ce jour (plus de 14 ans après) d'aucune mise en oeuvre effective de sa responsabilité en tant qu'ancienne gérante ; que par ailleurs la transformation de la S.N.C. en S.A.R.L., intervenue après la publication de sa démission, ne peut en aucune manière lui être reprochée ;
Que l'existence d'un risque hypothétique de future mise en oeuvre de sa responsabilité de gérante ne constitue pas un intérêt né et actuel à l'exercice par Madame Véronique M. de la présente action ;
Considérant qu'en cause d'appel, Madame Véronique M., pour justifier la recevabilité de son action, se fonde en outre sur sa responsabilité d'associée ; qu'elle fait valoir que les héritiers de Monsieur Jean B. pourraient lui réclamer, en tant qu'associée de la S.N.C. tenue indéfiniment du passif social, le remboursement du compte courant que celui-ci avait dans la société en nom collectif ; qu'elle fait état d'une assignation de la S.A.R.L. Jean B. ELECMO par les consorts B. au cours de l'année 2000 à cette fin ;
Que cependant Madame Véronique M. ne justifie pas de la suite donnée à cette assignation, qu'en tout cas aucune poursuite contre elle n'est démontrée ;
Considérant qu'ainsi Madame Véronique M. ne justifie pas de l'intérêt légitime né et actuel, nécessaire à la recevabilité de son action au regard de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ; que Messieurs Philippe et Francis B., qui se sont associés à son action, ne soutiennent même pas avoir un intérêt propre à son succès ;
Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré Madame Véronique M. irrecevable dans son action ;
Considérant qu'il est équitable de mettre les dépens d'appel à la charge de la seule appelante principale, partie perdante ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Constate l'intervention de Messieurs Philippe et Francis B., ès qualités d'héritiers de de Messieurs Jean et Bernard B. ;
Confirme le jugement frappé d'appel ;
Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne Madame Véronique M. aux dépens ;
Accorde aux avoués qui l'ont demandé et qui peuvent y prétendre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.