Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 10-20.568
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Rapporteur :
M. Blatman
Avocat général :
M. Weissmann
Avocats :
SCP Monod et Colin, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 17 septembre 1999 par le syndicat Professionnel des pilotes du port de Dunkerque en qualité de patron de "pilotine", vedette assurant la conduite et le retour des pilotes à bord des navires ; qu'en application d'un accord d'entreprise du 29 juin 1998, les patrons de pilotines travaillaient en équipage avec un autre marin, selon un rythme de 24 heures de service suivies de 48 heures de repos à terre, et ce sur des cycles de trois semaines, soit 109,33 périodes de travail par an ; que l'accord prévoyait : "Une période de 10 heures de travail ininterrompu donne droit à 4 heures de repos ; 30 minutes de présence dans les locaux n'interrompt pas la période de travail. Par travail continu ininterrompu s'entend : conduite des vedettes ou des voitures ou entretien des vedettes et locaux nécessitant la présence des marins hors de leurs locaux d'habitation" ; qu'un nouvel accord d'entreprise du 10 mai 2002 portant sur la réduction du temps de travail des personnels marins de la station de pilotage a été conclu en application de la loi du 19 janvier 2000 et est entré en vigueur le 1er juin 2002 ; qu'il a ramené le nombre de journées de service (de 24 heures) à 104 par an, et autorisé les salariés à assurer leur service hors des locaux mis à disposition, en étant joignables par téléphone, le temps de travail effectif étant redéfini en conséquence ; que M. X... a démissionné le 15 juillet 2005 ; que le syndicat professionnel des pilotes du port de Dunkerque l'a assigné devant le tribunal de commerce aux fins notamment de remboursement d'une avance ; que M. X... s'est porté reconventionnellement demandeur en requalification en temps de travail effectif des périodes d'astreinte antérieures à l'accord du 10 mai 2002, en paiement de rappels d'heures supplémentaires et congés payés afférents, ainsi qu'en constat de l'absence de compensation financière pour les périodes ultérieures d'astreinte, et donc en paiement de dommages-intérêts et indemnité compensatrice de congés payés ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande en nullité de l'accord collectif d'entreprise du 10 mai 2002, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque la demande présentée par un salarié en première instance visait à obtenir le paiement d'heures supplémentaires, de congés payés, de dommages-intérêts et d'une indemnité compensatrice de congés payés, n'est pas nouvelle et tend aux mêmes fins, même si son fondement juridique est différent, sa demande présentée en appel qui vise à obtenir le paiement d'heures supplémentaires, de congés payés, de dommages-intérêts et d'une indemnité compensatrice de congés payés, fondée sur la nullité d'un accord collectif ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée par M. X..., qui invoquait expressément les dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, si ses demandes présentées en appel ne tendaient pas en réalité aux mêmes fins que celles présentées en première instance, seul le fondement reposant sur la nullité de l'accord collectif du 10 mai 2002 étant différent, ce qui lui imposait bien de se prononcer sur la validité de cet accord, même sans l'annuler, afin de trancher les prétentions dont elle était saisie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 565 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en tout état de cause, la règle selon laquelle les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel s'applique sans distinction à toutes les «juridictions statuant en matière prud'homale» c'est-à-dire statuant sur la formation, l'exécution ou la rupture d'un contrat de travail ; qu'en l'espèce, le tribunal puis la cour d'appel étaient bien amenés à statuer «en matière prud'homale», puisque le litige dont ils étaient saisis portait sur les sommes pouvant être dues à Monsieur X... au titre de l'exécution et la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée du 17 septembre 1999 ; qu'en décidant pourtant que le salarié ne pouvait pas se prévaloir du principe d'unicité de l'instance parce qu'elle ne statuait pas en matière prud'homale, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article R. 1452-7 du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel ayant écarté les demandes en paiement dont elle était saisie pour un motif de fond, tiré du défaut d'application des dispositions des articles 24 et 30 du code du travail maritime, le moyen est inopérant en sa première branche ;
Attendu, ensuite, que la règle de l'unicité d'instance prud'homale qui autorise les demandes nouvelles en cause d'appel, n'est pas applicable devant la juridiction commerciale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, qui est recevable :
Vu la Convention n° 180 de l'OIT sur la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires, ratifiée le 27 avril 2004 et publiée par décret n° 2004-1216 du 8 novembre 2004, en ses articles 3, 4, 5 et 18-3 ;
Attendu qu'il résulte des trois premiers articles, d'application directe en droit interne le 27 octobre 2004, soit six mois après l'enregistrement par le Bureau international du Travail (BIT) de la ratification de ladite Convention, que la durée du travail pour les gens de mer comme pour les autres travailleurs est en principe de huit heures par jour avec un jour de repos par semaine, plus le repos correspondant aux jours fériés ; que dans les situations où un marin est en période d'astreinte, celui-ci doit bénéficier d'une période de repos compensatoire adéquate si la durée normale de son repos est perturbée par des appels ;
Attendu que, pour débouter M. X... de ses demandes d'heures supplémentaires, repos compensateurs et congés payés, l'arrêt relève qu'en vertu des articles L. 742-1 du code du travail alors applicable, et 104 du code du travail maritime, les dispositions des articles 24 à 30 du même code relatifs à la réglementation du travail, notamment aux durées légales hebdomadaire et quotidienne du travail effectif et de l'astreinte, ne sont pas applicables au capitaine, qualité qu'avait le salarié en tant que patron de pilotine ; qu'au surplus, l'intéressé ne démontre pas qu'il n'aurait pas bénéficié des accords collectifs de 1998 et de 2002 et n'aurait pas été rempli de ses droits au regard de ces accords seuls applicables, et qu'il n'allègue ni a fortiori ne démontre ne pas avoir bénéficié des temps de repos prévus, pris dans des locaux parfaitement aménagés à cet effet puis, à compter de 2002 à son domicile, ni bénéficié du droit de vaquer à ses occupations personnelles, pendant les jours de service en dehors des périodes où un travail lui était confié, à la condition d'être joignable et de rejoindre le local de la base dans les 30 minutes de l'appel ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la Convention internationale susvisée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires, repos compensateurs, astreintes et congés payés à compter du 27 octobre 2004 date d'entrée en vigueur de la Convention n° 180 de l'OIT, l'arrêt rendu le 22 avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.