CA Papeete, ch. com., 26 septembre 2019, n° 19/00048
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ripoll
Conseillers :
Mme Degorce, M. Gelpi
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
La société en nom collectif A. ET CIE a pour objet la construction et l'exploitation d'un ensemble hôtelier à l'enseigne Hôtel Manureva. Par ordonnance sur requête du 3 mai 2018, le président du tribunal mixte de commerce de Papeete a nommé M. Maurice B. en qualité de mandataire ad hoc habilité à recevoir tout exploit de justice qui va être signifié à la société par la société NACC venant aux droits de la banque SOCREDO, et avec pour mission de convoquer l'assemblée générale des associés afin qu'un nouveau gérant soit désigné dans les meilleurs délais.
Exposant que la société NACC avait signifié à la SNC A. ET CIE un commandement de payer la somme de 380 296 906 FCP, et que la débitrice ne disposait pas de cette somme en trésorerie, le mandataire ad hoc a demandé sa désignation en qualité d'administrateur provisoire avec notamment pour mission de déposer une déclaration de cessation des paiements et une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire directe. Le président du tribunal mixte de commerce de Papeete a fait droit à cette requête par ordonnance du 21 décembre 2018.
La SNC A. ET CIE a été mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Papeete du 28 janvier 2019.
Andrée B. épouse A. agissant en son nom personnel et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE représentée par Andrée B. épouse A. ont présenté le 24 janvier 2019 une requête en rétractation de l'ordonnance du 21 décembre 2018.
Par ordonnance du 30 janvier 2019, le président du tribunal mixte de commerce de Papeete a :
- Déclaré irrecevable Andrée B. épouse A. ;
- Reçu la SCI PROFIL DU PACIFIQUE en son action ;
- Débouté la SCI PROFIL DU PACIFIQUE de sa requête en rétractation de l'ordonnance du 21 décembre 2018.
Andrée B. épouse A. et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE en ont relevé appel par requête enregistrée au greffe le 18 février 2019.
Il est demandé :
1° par Andrée B. épouse A. et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE, appelantes, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 26 juin 2019, de :
Vu l'ordonnance n° 201900010 du 30 janvier 2019 du Président du Tribunal mixte de commerce de Papeete,
Vu l'ordonnance rendue sur requête n° 18/189 du 21 décembre 2018 du Président du Tribunal mixte de commerce de Papeete,
Vu les pièces produites aux débats,
Vu les éléments de la cause,
EN LA FORME,
Vu l'article 298 du code de procédure civile de la Polynésie française,
- Recevoir Madame Andrée A. et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE en leur appel interjeté dans le délai de 15 jours de la réception par leur conseil de l'ordonnance entreprise ;
Si la Cour estimait que Madame Andrée A. n'a qualité pour agir,
- Recevoir en tout état de cause, la SCI PROFIL DU PACIFIQUE en son appel ;
AU FOND,
Vu l'article 9 du code de procédure civile de la Polynésie française,
Vu les dispositions du Livre 1er bis, Chapitre II « DES POUVOIRS DU PRÉSIDENT» section II «des ordonnances sur requête» articles 438 à 440 du code de procédure civile de la Polynésie française,
- Considérant que le titre III du Livre 1er bis qui régit aux articles 440-16 à 442 les dispositions particulières au tribunal mixe de commerce ne comporte aucune disposition relative aux ordonnances de référé et aux ordonnances sur requête ;
- Considérant que l'ordonnance sur requête n° 18/189 du 21 décembre 2018 a été rendue par Monsieur T. au visa des articles 438 à 440 du code de procédure civile de la Polynésie française en sa qualité de Président du Tribunal Mixte de Commerce et nullement de délégataire du Président du tribunal civil de Première instance de Papeete ;
- Considérant par ailleurs que l'ordonnance n° 18/189 du 21 décembre 2018 rendue sur la requête de M. B. par le Président du Tribunal mixte désignant M. B. en qualité d'administrateur provisoire de la SNC A. & Cie HÔTEL MANUREVA, avec notamment pour mission de saisir le Tribunal mixte de commerce de Papeete d'une déclaration de cessation des paiements et d'une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire directe, enfreint le principe du contradictoire qui doit préluder à la désignation d'un administrateur provisoire, et ce particulièrement en l'espèce au vu de la gravité de la mission requise ;
- Considérant par ailleurs que si l'article 38 du Décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales donne compétence au Président du tribunal de commerce saisi par un associé d'une société et statuant en référé, pour nommer un mandataire pour convoquer l'assemblée générale des associés, ce texte est inapplicable en Polynésie française qui ne connaît pas de référé commercial ;
- Considérant au demeurant que ce texte est en l'espèce inopérant puisque le Président du tribunal mixte de commerce n'a pas été saisi d'une telle demande par un associé de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA, mais par un créancier, la NACC ;
- Considérant que c'est fort de sa désignation en qualité de mandataire AD HOC désigné par ordonnance n° 2018 00044 du 3 mai 2018 du Président du tribunal mixte de commerce statuant sur la requête de la NACC et de sa qualité de liquidateur judiciaire de trois des cinq associés détenant ensemble 130.720 parts sociales sur les 143.215 parts sociales composant le capital social de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA, que M. B., saisissant le Président du tribunal mixte de commerce, a obtenu par ordonnance sur requête n° 18/189 du 21 décembre 2018 d'être désigné en qualité d'administrateur provisoire de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA, avec notamment pour mission de saisir le Tribunal mixte de commerce de Papeete d'une déclaration de cessation des paiements et d'une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire directe ;
- Considérant que l'ordonnance présentement querellée concerne le rejet de la requête en rétractation de ladite ordonnance enregistrée le 24 janvier 2019 au greffe par Madame A. et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE, associées de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA ;
- Considérant de surcroît que la requête en rétractation de l'ordonnance n° 18/189 du 21 décembre 2018 n'a nullement fait l'objet d'un débat contradictoire, du simple fait que dès le premier appel de cause, le tribunal mixte de commerce, saisi par M. B., fort de sa qualité d'administrateur provisoire, a le 28 janvier 2019 prononcé la liquidation judiciaire de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA ;
Par suite,
- Considérant que les ordonnances sur requête et en référé sont en Polynésie française de la seule compétence du Président du tribunal civil de première instance de Papeete ;
- Considérant qu'en l'espèce, les ordonnances querellées ont été rendues par le Président du tribunal mixte de commerce ;
Considérant de surcroît que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ;
EN CONSÉQUENCE,
- Infirmer l'ordonnance n° 201900010 du 30 janvier 2019 du Président du tribunal mixte de commerce en toutes ses dispositions ;
- L'infirmer en tout état de cause en ce qu'elle a débouté la SCI PROFIL DU PACIFIQUE de sa requête en rétractation de l'ordonnance n° 18/189 du 21 décembre 2018 rendue sur requête de M. B. par le Président du Tribunal mixte de commerce ;
Statuant à nouveau du chef de la requête en rétractation de l'ordonnance n° 18/189 du 21 décembre 2018 rendue sur requête de M. B. par le Président du Tribunal mixte de commerce,
- Mettre à néant l'ordonnance n° 18/189 du 21 décembre 2018 rendue par le Président du Tribunal mixte de commerce ;
- Débouter M. Maurice B., ès qualités d'administrateur provisoire de la SNC A. & CIE à l'enseigne HÔTEL MANUREVA et M. Jean-Christophe T., ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNC A. & Cie à l'enseigne HÔTEL MANUREVA, de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamner M. Maurice B., par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française à payer aux appelants la somme de 300.000 FCP ;
- Le condamner aux entiers dépens ;
2° par M. Maurice B. ès qualités d'administrateur provisoire de la SNC A. ET CIE HÔTEL MANUREVA, intimé, et par M. Jean- Christophe T. ès qualités de liquidateur judiciaire de la SNC A. ET CIE HÔTEL MANUREVA, intervenant, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 22 mai 2019, de :
- Débouter les appelants ;
- Confirmer l'ordonnance entreprise ;
- Condamner les appelants in solidum à leur payer la somme de 169 500 F CFP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ainsi qu'aux dépens.
La clôture est intervenue le 5 juillet 2019 au terme d'un calendrier de procédure.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Il est recevable.
L'ordonnance du 21 décembre 2018 dont la rétractation est demandée a été rendue sur requête avec faculté pour tout intéressé d'en référer en cas de difficulté. Cette procédure est ouverte lorsque des mesures urgentes doivent être ordonnées et que les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ou rendent impossible l'identification de la partie adverse (C.P.C.P.F., art. 438).
La procédure sur requête est applicable devant le tribunal mixte de commerce dans l'exercice de la compétence matérielle de cette juridiction (C.P.C.P.F., art. 440-16 ; COJ, art. R552-5). Le magistrat compétent est le président du tribunal de première instance en sa qualité de président du tribunal mixte de commerce (C. com., art. L947-1 applicable en Polynésie française). Celui-ci peut déléguer à un ou plusieurs magistrats tout ou partie de ses pouvoirs comme juge des référés ou des requêtes (C.P.C.P.F., art. 436). L'ordonnance entreprise a exactement retenu que le magistrat qui a rendu cette décision a reçu délégation du président du tribunal de première instance aux termes de l'ordonnance prise le 27 août 2018 relative aux audiences et services de cette juridiction.
Il n'y a donc pas matière à annulation de l'ordonnance déférée.
L'ouverture d'une procédure collective doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quinze jours qui suivent la cessation des paiements (C. com., art. L621-1 applicable en Polynésie française). La liquidation judiciaire peut être prononcée sans période d'observation en cas de cessation d'activité ou d'impossibilité manifeste de redressement (art. L 622-1).
Dans sa requête du 18 décembre 2018, Me B. a demandé la conversion de sa mission de mandataire ad hoc en celle d'administrateur provisoire, afin de déposer une déclaration de cessation des paiements et de demander l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire directe. Il a exposé notamment que trois des cinq associés de la SNC A. ET CIE, représentant la majorité des détenteurs du capital social (société A. ET CIE BUT DISTRIBUTION DU PACIFIQUE, Andrée B. épouse A. et SARL ETCP), étaient en liquidation judiciaire, et que le gérant Daniel A. était décédé.
Andrée B. épouse A. et la SCI PROFIL DU PACIFIQUE agissent en rétractation en qualité d'associés de la SNC A. ET COMPAGNIE. Il résulte d'une jurisprudence de la Cour de cassation que le liquidateur judiciaire ne peut exercer que les pouvoirs concernant le patrimoine du débiteur dessaisi, et qu'il n'a pas qualité pour exercer les actions liées à sa qualité d'associé et concernant le patrimoine de la personne morale. En l'espèce, contrairement à ce qu'a retenu l'ordonnance déférée, Andrée A. épouse B., bien qu'étant dessaisie par l'effet de sa liquidation judiciaire personnelle, est recevable à exercer seule une voie de rétractation d'une décision rendue non contradictoirement qui a donné mission à un mandataire judiciaire d'exercer les pouvoirs d'un associé pour déposer le bilan de la SNC dans laquelle Andrée A. épouse B. est associée.
L'action en référé exercée par la SCI PROFIL DU PACIFIQUE, dont la qualité à agir n'a pas été contestée, et par Andrée A. épouse B. a permis un débat contradictoire sur cette mesure.
Au terme de celui-ci, qui s'est poursuivi devant la cour, il est établi qu'il existe une défaillance dans la gérance qui rend impossible le fonctionnement régulier de la société. Le gérant statutaire, Daniel A., est décédé et n'a pas été remplacé. Trois des cinq associés sont personnellement en liquidation judiciaire. Aucun élément ne permet de démentir que M. B., comme il l'a exposé dans sa requête du 18 décembre 2018, s'est trouvé dans l'impossibilité de remplir intégralement sa mission de mandataire ad hoc, du fait en particulier de l'absence de réponse des associés à ses demandes d'information, et de l'impossibilité de tenir l'assemblée générale envisagée pour le 3 octobre 2018. Même si M. B. ne pouvait pas déclarer la cessation des paiements en qualité de liquidateur judiciaire de trois des associés (ce pourquoi il expose s'être désisté d'une première demande d'ouverture d'une liquidation judiciaire), il fait valoir à bon droit que sa responsabilité de mandataire de justice était engagée dès lors qu'il constatait que la SNC A. ET COMPAGNIE se trouvait en état de cessation des paiements. Le fait qu'il a pu tenir une assemblée générale de la SNC le 16 janvier 2019 ne contredit pas la constatation qu'il n'avait pu y procéder auparavant. Au demeurant, plusieurs associés ne s'y sont pas présentés.
Les appelants contestent l'état de cessation des paiements en faisant valoir que la SNC dispose toujours de l'hôtel qui est son actif, qu'elle ne génère aucun passif, et que son créancier principal ne demande pas sa liquidation judiciaire. Mais l'ordonnance déférée a exactement et à bon droit retenu, après un débat contradictoire, que la déclaration de cessation des paiements est une obligation légale qui conditionne la saisine du tribunal de commerce afin de prendre toutes mesures nécessaires notamment pour préserver les intérêts des créanciers, l'ordre public économique et les actifs du débiteur.
Il n'est pas justifié qu'une mesure autre que la désignation d'un administrateur provisoire judiciaire aurait permis de respecter l'obligation légale de procéder à une déclaration de cessation des paiements, ni de tirer les conséquences de l'exigibilité apparente de la créance de la société NACC au regard de l'insuffisance apparente des actifs disponibles de la SNC A. ET COMPAGNIE.
En sa qualité de mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale des associés afin qu'un nouveau gérant soit désigné dans les meilleurs délais, M. B. devait saisir la juridiction de la difficulté résultant de l'impossibilité d'accomplir sa mission alors que la cessation des paiements lui paraissait être manifeste. Il était urgent de régulariser une déclaration de cessation des paiements, et aucun élément concernant la situation de la SNC A. ET COMPAGNIE ne permet de constater que cette urgence n'existerait plus. Au contraire, même s'il n'est pas définitif, le jugement du tribunal mixte de commerce du 28 janvier 2019, qui a été rendu contradictoirement à l'égard d'Andrée B. épouse A. et de la SCI PROFIL DU PACIFIQUE, a retenu que cette société n'a plus aucune activité économique et que sa gouvernance est inexistante.
En définitive, M. B. a justifié de sa qualité, comme mandataire ad hoc, à demander la nomination d'un administrateur provisoire de la société. Il a également justifié d'un motif sérieux, à savoir le décès du gérant qui compromet le fonctionnement de la société, aucune assemblée générale n'ayant pu être convoquée en sept mois, et la créance poursuivie par la société NACC dont le montant apparemment exigible excède la trésorerie de la SNC A. ET CIE.
L'ordonnance déférée sera par conséquent confirmée, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable Andrée B. épouse A. en son action en rétractation d'une ordonnance sur requête.
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Dit n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance déférée ;
Confirme l'ordonnance rendue le 30 janvier 2019 par le vice-président du tribunal de première instance de Papeete délégué par le président du tribunal de première instance de Papeete pour exercer les pouvoirs du président du tribunal mixte de commerce en matière d'ordonnances de référé et sur requête, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable Andrée B. épouse A. en son action ;
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déclare Andrée B. épouse A. recevable, mais mal fondée en son action en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 21 décembre 2018, et l'en déboute ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Rejette toute autre demande ;
Met les dépens à la charge d'Andrée B. épouse A. et de la SCI PROFIL DU PACIFIQUE.