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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 6 octobre 2022, n° 21/15343

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Safedeveloppement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

Avocats :

Me Sobieraj, Me Boccon Gibod, Me Paque

T. com. Paris, du 2 juill. 2021, RG n° 2…

2 juillet 2021

Exposé des faits et de la procédure

La société SAFEDEVELOPPEMENT dont Madame [Z] [W] est l'actionnaire principale et Madame [W] à titre personnel ont constitué la SAS SPART DEVELOPPEMENT le 30 août 2017

Le 31 octobre 2017, SAFEDEVELOPPEMENT a cédé 80% du capital social de la société SPART DEVELOPPEMENT à la SAS HOLDING [Localité 7] MZ (HVZ).

Mme [W] a pour sa part cédé l'intégralité de ses parts, équivalent à 10% du capital social à la société HOLDING [Localité 7] MZ.

Au terme de cette cession, le capital de SPART DEVELOPPEMENT est réparti entre SAFEDEVELOPPEMENT (10%) et HVZ (90%) et ses actionnaires ont approuvé unanimement la transformation de la SAS en SNC.

L'objet social de SPART DEVELOPPEMENT est I ‘acquisition, l'exploitation et la cession d'un immeuble à [Localité 7]. Le 31.10.2017 la société a donc acquis un immeuble sis [Adresse 4].

Cet immeuble a été vendu le 6.12.2019.

Mme [W] a été gérante de SPART DEVELOPEMENT depuis sa création jusqu'au 5 août 2019. date de sa démission.

Le 5 septembre 2019, sur proposition de HVZ, M. [H] [D] a été désigné gérant non-associé, non-rémunéré, de SPART DEVELOPPEMENT.

Le 30 mars 2020 la société SAFEDEVELOPPEMENT et Mme [W] ont assigné HVZ et SPART DEVELOPPEMENT, pour obtenir la nullité, pour dol, de la cession de leurs actions de SPART DEVELOPPEMENT réalisée le 31 octobre 2017.

Le 3 juin 2020, le Président du tribunal de commerce a rejeté la demande de la société SAFEDEVELOPPEMENT de suspendre toute opération de distribution de dividendes de SPART DEVELOPPEMENT.

La société SAFEDEVELOPPEMENT a interjeté appel de cette ordonnance et a sollicité de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS la suspension de l'exécution provisoire. Sa demande a été rejetée par ordonnance en date du 19 juin 2020.

Le 22 juin 2020, sur convocation du gérant, les associés de SPART DEVELOPPEMENT ont donc décidé, en assemblée générale, la distribution de dividendes à hauteur de 1 039 233,60 euros, malgré l'opposition de la société SAFEDEVELOPPEMENT.

HVZ a ainsi perçu 90% de la somme totale distribuée, soit 935 301,24 euros et SAFEDEVELOPPEMENT 10%.

Le 4 novembre 2020, la cour d'appel de Paris a infirmé I ‘ordonnance de référé du 3 juin 2020 et ordonné à HVZ et SPART DEVELOPPEMENT, solidairement, de consigner la somme de 935 301,24 euros aux fins de séquestre, dans |'attente de la décision sur la nullité de la cession des titres de la société SPART DEVELOPPEMENT du 31 octobre 2017.

La société SAFEDEVELOPPEMENT a parallèlement engagé une action pour demander la révocation judiciaire de Monsieur [D] de son mandat de gérant de SPART DEVELOPPEMENT, par acte d'huissier signifié à Monsieur [D] en qualité de gérant de la société SPART DEVELOPPEMENT le 18.03.2020 en faisant valoir diverses fautes.

Par jugement du 2.07.2021 le tribunal de commerce a :

- Dit recevable la demande d'exception de nullité formulée par M. [H] [D] mais mal fondée et la rejette ;

- Rejeté la demande d'irrecevabilité formulée par M. [H] [D] et dit recevable l'action de la SAS SAFEDEVELOPPEMENT ;

- Rejeté la demande de révocation judiciaire du mandat social de gérant de la SAS SPARTDEVELOPPEMENT de M. [H] [D] formulée par la SAS SAFEDEVELOPPEMENT ;

- Rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par M. [H] [D] ;

- Condamné la SAS SAFEDEVELOPPEMENT à verser la somme de 30 000 euros à M. [H] [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

Condamné la SAS SAFEDEVELOPPEMENT aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 109,22 € dont 17,99 € de TVA.

Appel a été formé par la société SAFEDEVELOPPEMENT par déclaration d'appel en date du 5.08.2021.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 30.06.2022 la société SAFEDEVELOPPEMENT demande à la cour de :

- Recevoir la société SAFEDEVELOPPEMENT en son appel et le déclarer recevable,

- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société SAFEDEVELOPPEMENT de ses demandes

Et, statuant à nouveau,

- Prononcer la révocation du mandat social de gérant de la SNC SPARTDEVELOPPEMENT de Monsieur [D]

- Déclarer recevable Monsieur [D] en son appel incident, mais mal fondé et le débouter de sa demande de prononcé de la nullité de l'assignation, de sa demande de prononcé de l'irrecevabilité des demandes de la société SAFEDEVELOPPEMENT et de sa demande de dommages-intérêts

- Condamner Monsieur [D] au paiement d'une indemnité de 30.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et à tous les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître SOBIERAJ, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 29.06.2022 Monsieur [D] demande à la cour de :

- Déclarer recevable mais mal fondé l'appel formé par la société SAFEDEVELOPPEMENT

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par [H] [D]

- lnfirmer le jugement du 2 juillet 2021 en ce qu'il a :

- Dit recevable la demande d'exception de nullité formulée par [H] [D] mais mal fondée et l'a rejetée

- Rejeté la demande d'irrecevabilité formulée par [H] [D] et dit recevable l`action de la société SAFEDEVELOPPEMENT

Et statuant à nouveau

A titre principal

- Prononcer la nullité de l'assignation signifiée par la société SAFEDEVELOPPEMENT à [H] [D]

A titre subsidiaire

- Déclarer irrecevables les demandes formées par la société SAFEDEVELOPPEMENT

A titre très subsidiaire

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société SAFEDEVELOPPEMENT de ses demandes,

Débouter SAFEDEVELOPPEMENT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par [H] [D]

Et statuant à nouveau

- Condamner SAFEDEVELOPPEMENT à régler 100.000 euros de dommages et intérêts à [H] [D],

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné SAFEDEVELOPPEMENT à régler 30.000 euros à [H] [D] au titre de l'article 700 du CPC, outre les dépens

Y ajoutant

- Condamner SAFEDEVELOPPEMENT à régler une somme complémentaire de 30.000 euros à [H] [D] au titre de l'article 700 du CPC, outre les dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de l'assignation

Monsieur [D] réside au Luxembourg et bénéficie des dispositions de l'article 643 qui augmente de deux mois le délai d'assignation pour les personnes résidant à l'étranger.

Le tribunal a retenu que l'assignation avait été régulièrement délivré dans le respect des dispositions de l'article 643 puisque la date de l'audience était le 28.05.2020 et que l'huissier a expédié l'assignation à Monsieur [D] le 11.03.2020.

Monsieur [D] soutient que c'est la date de réception qui doit être prise en compte.

SAFEDEVELOPPEMENT demande la confirmation exposant que c'est la date d'expédition de l'acte par l'huissier qui doit être retenu en application de l'article 647-1 du code de procédure civile et qu'en l'espèce cet envoi a eu lieu le 11.03.2020 soit plus de deux mois et 15 jours avant la date d'audience.

Sur ce

Il résulte des dispositions de l'article 647-1 du code de procédure civile que la date de notification d'un acte judiciaire à l'étranger est à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou à défaut la date de réception par le parquet compétent.

En l'espèce il résulte des pièces versées aux débats que l'huissier a expédié l'assignation le 11.03.2020 soit plus de deux mois et quinze jours avant la date d'audience indiquée sur l'acte comme étant le 28 mai.

Il y a donc lieu de dire régulière l'assignation délivrée et de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité formée par Monsieur [D].

Sur la recevabilité de l'assignation

Monsieur [D] expose que la demande de révocation judiciaire du gérant est irrecevable faute d'assignation à comparaitre dans l'instance, de la société dont il est demandé la révocation du gérant, exposant que la jurisprudence impose que la société soit attraite.

La société SAFE DEVELOPPEMENT soutient en réponse que selon la doctrine l'action en révocation judiciaire est une action individuelle et non une action sociale, qu'elle n'est pas subordonnée à la consultation préalable des autres associés et n'exige pas la mise en cause de la société et que la Cour de cassation retient donc une solution contraire à celle qui est soutenue par Monsieur [D].

Sur ce

Le tribunal a retenu que Monsieur [D] avait été assigné es qualité de gérant de la SNC SPART DEVELOPPEMENT et qu'ainsi la société SPART DEVELOPPEMENT représentée par son dirigeant était dans la cause.

Cependant une seule assignation a été délivrée et celle-ci a été délivrée à Monsieur [D] en sa qualité de gérant de la SNC SPART DEVELOPPEMENT.

Aucune assignation n'a été délivrée à la SNC SPART DEVELOPPEMENT représentée par son gérant Monsieur [D].

La société SPART DEVELOPPEMENT n'a donc pas été assignée devant le tribunal de commerce contrairement à ce que celui-ci a retenu. Le fait que Monsieur [D] ait été assigné ne permet pas de retenir que par cette assignation du gérant la société était également assignée dans la procédure.

Or contrairement à ce que soutient la société SAFE DEVELOPPEMENT la demande de révocation judiciaire du gérant engagée par un des associés est de nature à affecter le fonctionnement de la société et doit en tout état de cause pouvoir lui être opposée de telle sorte que la présence de la société à la procédure est une des conditions de recevabilité de l'action engagée en révocation judiciaire du gérant.

Il en résulte que faute d'assignation de la société SPART DEVELOPPEMENT par la société SAFE DEVELOPPEMENT dans le cadre de la procédure en révocation de Monsieur [D] de son mandat de gérant, la demande de la société SAFE DEVELOPPEMENT doit être déclarée irrecevable.

Le jugement doit donc être annulée.

L'irrecevabilité concernant la régularité de l'introduction de l'instance devant les premiers juges il ne peut être fait application de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la demande de dommages et intérêts de Monsieur [D]

Monsieur [D] souligne qu'il a accepté à titre bénévole la gérance et est depuis la vente de l'immeuble harcelé judiciairement par la société SAFE DEVELOPPEMENT qui multiplie les procédures contre lui et la société dont il est le gérant, qu'il doit consacrer un temps important à l'organisation et à la préparation de sa défense et de la défense de la société, qu'il subit un préjudice moral ainsi qu'un préjudice d'image et de réputation significatif.

SAFEDEVELOPPEMENT conclut au rejet des demandes expose que Monsieur [D] ne caractérise pas la nature de son préjudice moral, qu'il n'existe aucun préjudice d'image ou de réputation puisque la demande de révocation n'a fait l'objet d'aucune publicité.

Sur ce

Dans le cadre du conflit qui l'oppose à la société HOLDING [Localité 7] MZ, la société SAFE DEVELOPPEMENT a multiplié les procédures à l'encontre de la société SPART DEVELOPPEMENT, et de la société HOLDING [Localité 7] MZ puisqu'elle a réclamé des documents, assigné en nullité de la cession, assigné pour faire bloquer la distribution des dividendes, assigné pour solliciter la mise en place d'une astreinte. Elle fait appel de certaines des décisions rendues.

Elle a dans le même temps, engagé une action pour obtenir la révocation judiciaire du gérant qui n'avait été nommé que parce que Mme [W], actionnaire principale de SAFE DEVELOPPEMENT, avait fait le choix de démissionner de ses fonctions de gérante de la société SPART DEVELOPPEMENT le 5 août 2019.

Cette assignation démontre une volonté de personnaliser le conflit qui oppose les actionnaires en mettant en cause la personne physique qui exerce les fonctions de gérant de la société au centre du litige, en arguant contre lui une série de fautes mettant en cause sa probité et ses compétences et à ce titre si l'action engagée pouvait relever du droit d'accès au juge l'appel formé constitue, au regard des éléments retenus par le tribunal de commerce pour débouter la société SAFE DEVELOPPEMENT de sa demande, un abus du droit d'agir. Il convient de souligner que Monsieur [D] exerce les fonctions de gérant gratuitement et de préciser qu'il n'est pas actionnaire de la société.

La procédure engagée a été de nature à porter préjudice à Monsieur [D]: du fait du temps nécessaire à consacrer à l'élaboration de sa défense, du fait des attaques dont il est l'objet et qui constituent une atteinte morale, du fait des critiques répétées qui sont articulées contre lui.

Il y a donc lieu d'allouer à Monsieur [D] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur l'article 700

Il est inéquitable de laisser Monsieur [D] supporter les frais irrépétibles qu'il a engagé pour assurer sa défense et il convient de lui allouer la somme de 30.000 euros à ce titre.

Les dépens sont mis à la charge de la société SAFE DEVELOPPEMENT.

PAR CES MOTIFS

Annule le jugement rendu le 2.07.2021 par le tribunal de commerce de PARIS

Dit que l'effet dévolutif de l'appel ne peut jouer en l'état d'une saisine irrégulière de la juridiction de première instance,

Condamne la société SAFE DEVELOPPEMENT à payer à Monsieur [D] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société SAFE DEVELOPPEMENT aux dépens de première instance et d'appel.