CA Angers, ch. com. A, 15 octobre 2013, n° 12/02719
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Pharmacie du Viaduc (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mme Monge, M. Chaumont
FAITS ET PROCÉDURE
La SNC Pharmacie du viaduc ayant pour objet l'exploitation d'une officine de pharmacie sise [...] a été créée en 1999, entre M. Michel M. et Mme Odile I., chaque associé détenant la moitié des parts sociales, soit 10 parts chacun et assumant la qualité de co-gérant.
Par acte du 1er avril 2004, M. Michel M. a cédé l'intégralité de ses parts à M. Jean Luc F. qui est devenu, avec Mme Odile I., co-gérant de la société.
Le 14 juin 2012 M. Jean Luc F. a saisi le conseil de l'ordre des pharmaciens en reprochant à Mme Odile I. de ne plus se présenter à l'officine.
Faisant valoir que le 5 avril 2012, Mme Odile I. avait, à la suite d'un différend avec deux salariés, quitté l'officine pour ne plus y reparaître ensuite et qu'elle avait pourtant continué à prélever sa rémunération sur le compte de la société, M. Jean Luc F. a, par acte du 8 octobre 2012 saisi en référé, le président du tribunal de commerce du Mans, pour que, sur la constatation de justes motifs, il prononce la révocation de Mme Odile I. de ses fonctions de gérante et la condamne à lui payer une indemnité de procédure de 2 000 euros outre le remboursement du timbre fiscal de 35 euros.
Le 25 novembre 2012, M. Jean Luc F. a saisi le conseil de l'ordre d'une plainte à l'encontre de Mme Odile I., faisant valoir que cette dernière s'était présentée à nouveau sur son lieu de travail mais qu'elle refusait de servir la clientèle.
Il dénonçait une dégradation du climat de travail dans l'officine en raison de l'attitude de Mme I..
Il précisait qu'il avait saisi le juge des référés d'une demande tendant à voir Mme Odile I. révoquée de ses fonctions de gérante.
Par ordonnance de référés du 27 novembre 2012, le président du tribunal de commerce du Mans s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de M. Jean Luc F., a renvoyé les parties à se pourvoir selon ce qu'elles aviseront, devant le juge du fond et a prononcé, pour motifs réels et sérieux, la révocation de Mme Odile I. de ses fonctions de gérante de la SNC Pharmacie du viaduc à charge ensuite pour ladite société de procéder aux formalités légales.
Il a en outre alloué à M. Jean Luc F. une indemnité de procédure de 1 000 euros.
Suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 17 décembre 2012, Mme Odile I. a interjeté appel de l'ordonnance.
Le 20 décembre 2012, les parties ont signé devant le conseil de l'ordre des pharmaciens un procès-verbal de conciliation.
Mme Odile I. et M. Jean-Luc F. ont conclu.
Mme Odile I. a fait assigner la SNC Pharmacie du viaduc devant la cour par acte du 30 juillet 2013 délivré au gérant de la société.
La SNC Pharmacie du viaduc n'a pas constitué avocat.
Les autres parties ont conclu, M. Jean Luc F. ayant fait signifier ses conclusions à la SNC Pharmacie du viaduc, par acte du 13 août 2013.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 août 2013.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe
- le 16 août 2013 pour Mme Odile I.,
- le 2 août 2013 pour M. Jean Luc F.,
qui peuvent se résumer comme suit.
Mme Odile I. conclut à l'infirmation de l'ordonnance et demande à la cour de déclarer M. Jean Luc F. irrecevable et mal fondé en ses demandes et l'en débouter.
Elle sollicite en outre la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de ses frais non répétibles de première instance et celle de 3 500 euros au titre de ses frais non répétibles d'appel.
Elle soutient que son appel est parfaitement recevable pour avoir été interjeté avant la signature du procès-verbal de conciliation du 20 décembre 2012 que lui oppose l'intimé.
Elle ajoute que le procès-verbal de conciliation ne vaut, au demeurant, que dans les limites des questions qui étaient soumises à l'appréciation de la juridiction disciplinaire, soit, en l'espèce, le seul 'non-respect de la législation pharmaceutique quant à son exercice'
Pour conclure à l'infirmation de l'ordonnance entreprise, elle fait valoir que le juge des référés ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, même en cas d'urgence, dommage imminent ou trouble manifestement illicite, la révoquer purement et simplement de ses fonctions de gérante, une telle mesure touchant le fond du droit alors que le juge des référés ne peut prendre, en la matière que, des mesures provisoires.
En toute hypothèse, elle ajoute que M. Jean Luc F. ne justifie ni d'un dommage imminent ni d'un trouble manifestement illicite, dès lors que les prélèvements qu'elle a opérés sur le compte de la société ne correspondaient pas à la rémunération mensuelle à laquelle elle pouvait prétendre mais au remboursement d'une partie de son compte courant d'associé dont le quantum n'a jamais été discuté par l'intimé, étant précisé qu'elle avait fait un apport en compte courant de 40 000 euros pour renflouer la trésorerie de la société et que le solde de ce compte courant était créditeur de 86 000 euros au mois d'octobre 2012.
Elle conteste la présentation des faits à laquelle procède l'intimé et indique enfin que l'existence d'un différend entre les parties ne permet pas au juge des référés de trancher le fond, par une décision définitive ne revêtant aucun caractère conservatoire.
M. Jean Luc F. demande à la cour de constater l'irrecevabilité de l'appel et plus généralement de l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Mme Odile I. en faisant valoir qu'aux termes du procès-verbal de conciliation du 20 décembre 2012, cette dernière a renoncé à la procédure d'appel.
Subsidiairement, il conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise.
Il soutient que tout associé peut demander en justice la révocation d'un gérant et que, les associés d'une SNC ayant la qualité personnelle de commerçants, le tribunal de commerce était parfaitement compétent pour connaître de sa demande.
Il fait observer que la demande de révocation qu'il a présentée au juge des référés était fondée sur les dispositions des articles 872 et 873 du code de procédure civile et qu'en première instance l'appelante n'a pas sollicité de renvoi devant le juge du fond.
Il ajoute qu'en cas d'urgence le juge des référés peut ordonner la révocation d'un gérant, la situation d'urgence étant, en l'espèce, caractérisée au regard de la situation comptable et de la trésorerie.
En tant que de besoin, il précise que la révocation peut également être prononcée en application des dispositions de l'article 873 du code de procédure.
Il demande à la cour de constater que la demande de révocation entrait donc bien dans le champ de compétence du juge des référés.
Il expose enfin que la demande de révocation est parfaitement justifiée par une cause légitime et un juste motif dès lors que l'appelante :
- s'est désintéressée de ses fonctions puisqu'elle ne s'est plus présentée à l'officine depuis le 16 avril 2012 au mépris des règles statutaires et règlements professionnels applicables,
- a persisté à prélever une rémunération mensuelle de 4 200 euros alors qu'elle n'effectuait aucun travail effectif, qu'elle n'avait pas non plus pris en charge le coût de son remplacement et qu'elle était informée des difficultés de trésorerie que ce que comportement faisait courir à la société,
- n'a pas reversé à la pharmacie les indemnités versées par la Médicale de France du fait de son arrêt maladie pendant lequel, d'ailleurs elle a exercé une activité de sculpteur,
- a adopté à l'égard de la clientèle une attitude incompatible avec la gestion de la société.
Il ajoute que Mme Odile I. est, dans les faits, uniquement préoccupée de sa situation financière personnelle et se désintéresse du sort de la société.
Il sollicite en outre une indemnité de procédure de 6 500 euros et la condamnation de l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers comprenant le remboursement de la somme de 185 euros exposée au titre des timbres fiscaux de première instance et d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la recevabilité de l'appel et des prétentions de Mme Odile I.
Pour conclure à l'irrecevabilité de l'appel et des prétentions de Mme Odile I., M. Jean-Luc F. se prévaut des termes du procès-verbal de conciliation du 20 décembre 2012 qui relate que les conseillers ordinaux ont constaté la conciliation totale sur le différend opposant les parties et précise que :
-Monsieur F. et Madame I. s'engagent à poursuivre les démarches pour la vente de l'officine. Madame I. restera en arrêt maladie jusqu'à la vente de l'officine et sera remplacée.
-Monsieur F. lui versera une somme mensuelle, en remboursement anticipé de son compte courant, sans mettre en difficulté la trésorerie de la société.
-Parallèlement, il est convenu d'étudier la possibilité d'un financement bancaire pour le remboursement des comptes courants des associés.
- Par la signature du présent procès-verbal, les parties déclarent n'avoir plus rien à se réclamer et se désistent en conséquence mutuellement de toutes actions relatives aux faits susmentionnés devant la juridiction disciplinaire. L'appel qui a saisi la cour a été interjeté par Mme Odile I. avant la signature du procès-verbal de conciliation du 20 décembre 2012.
Il ne saurait dès lors être déclaré irrecevable.
L'intimé soutient ensuite que, les parties ayant convenu le 20 décembre 2012, de se désister de leurs demandes réciproques, Mme Odile I. n'est plus recevable à soutenir ses prétentions.
Cependant, en application de l'article 2049, les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé.
Le procès-verbal de conciliation ne comporte aucune mention spéciale concernant l'appel interjeté par Mme Odile I..
La rédaction de la clause apparaît ambiguë en ce qu'elle pourrait s'interpréter en un désistement de toute action uniquement devant la juridiction disciplinaire, il reste, en toute hypothèse que l'engagement de désistement ne porte que sur les actions relatives aux faits mentionnés dans le procès-verbal de conciliation.
Or ce procès-verbal ne fait nulle mention de l'action en révocation de gérant engagé par M. Jean Luc F..
Par ailleurs l'accord, tel que rédigé, qui ne portait que sur le projet de vente de l'officine, l'arrêt maladie de Mme Odile I. et les modalités de remboursement des comptes courants d'associé, ne permet pas de retenir que la renonciation de Mme Odile I. à poursuivre l'infirmation de la décision l'ayant révoquée de ses fonctions de gérante en serait la suite nécessaire.
Le courrier du 23 avril 2013 que le conseil de Mme Odile I. a adressé à M. Jean Louis F. aux termes duquel il précise que cette dernière n'entend pas revenir sur les termes du procès-verbal ni réactiver le contentieux 'qui n'est plus d'actualité' ne fait pas plus preuve de cette renonciation ou de son acquiescement à la décision entreprise.
Il sera enfin relevé qu'aux termes du procès-verbal M. Jean Luc F. s'était lui aussi engagé à désistement et que si l'accord devait avoir la portée qu'il lui prête, il aurait dû le conduire à se désister de sa demande de révocation, ce qu'il ne fait nullement.
En conséquence de ce qui précède, il sera débouté de sa demande tendant à voir déclarer Mme Odile I. irrecevable en son appel et ses prétentions.
- sur la demande de révocation de Mme Odile I.
Aux termes des statuts de la société la révocation d'un gérant ayant la qualité d'associé est prise par décision unanime des associés.
Il n'est pas contestable que la révocation d'un gérant de société peut également être ordonnée judiciairement à la demande d'un associé lorsqu'il existe un motif légitime.
La discussion installée devant la cour porte sur le point de savoir si une telle mesure entre, au regard des faits allégués, dans les pouvoirs du juge des référés tels qu'ils résultent des dispositions des articles 872 et 873 du code de procédure civile.
Statuant au visa de l'article 872 qui dispose que le juge des référés du tribunal de commerce peut ordonner, en cas d'urgence, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend, le juge des référés du tribunal de commerce du Mans a prononcé la révocation de Mme Odile I. pour motifs réels et sérieux caractérisés en retenant :
- que l'appelante s'était désintéressée de ses fonctions, ce que ne pouvaient justifier ses arrêts maladie et absences,
- qu'elle avait prélevé des honoraires alors qu'elle ne travaillait pas en raison d'arrêt maladie importants,
-qu'elle aurait dû demander à M. Jean Luc F., co-gérant, son accord pour opérer des prélèvements en compte courant,
- que par ses prélèvements, elle avait mis en péril la trésorerie de la société et qu'elle avait été, par sa longue absence, responsable de la désorganisation de l'officine.
Or les absences de Mme Odile I. étaient couvertes par des arrêts maladies, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été de complaisance.
Par ailleurs, s'agissant des prélèvements opérés sur le compte de la société, l'appelante explique qu'il s'agissait de remboursement partiel de son compte courant d'associé et il n'est pas contesté que la société était effectivement débitrice de Mme Odile I..
Le fait que l'appelante ait apposé placer dans l'officine une affichette destinée à la clientèle pour l'informer de son départ, les termes de ce message n'étant pas de nature à dénigrer la société auprès de la clientèle.
Le fait que l'appelante n'aurait pas pris en charge les frais d'embauche d'un salarié pour la remplace lors de son arrêt maladie, alors que le règlement intérieur produit par M. Jean Luc F. lui-même précise qu'en cas d'arrêt maladie de plus de 15 jours le salaire du remplaçant sera pris en charge par l'assurance souscrite à cet effet et qu'il n'est pas établi que Mme Odile I. aurait directement perçu des indemnités d'assurance qu'elle aurait omis de reverser à la société.
Il existe en conséquence une contestation sérieuse quant à l'existence d'un motif légitime de révocation au sens de l'article 872.
Le différend entre les cogérants relatif aux absences de Mme Odile I. et à ses prélèvements bancaires, est en réalité bien plus large comme portant en réalité sur la suite à donner à leur association et la vente de l'officine et il ne justifiait pas plus, en référé, une mesure aussi radicale que la révocation ordonnée étant précisé que, contrairement à ce qui est soutenu, il n'est pas établi que Mme Odile I. avait d'elle-même donné sa démission de ses fonctions de co-gérante, puisque au contraire, dans un courrier du 14 septembre 2012, elle indiquait qu'elle acceptait de démissionner qu' 'à titre temporaire' suite à son arrêt maladie, pour alléger les charges.
Il résulte de ce qui précède que la demande de révocation ne saurait prospérer, en référé, sur le fondement de l'article 872 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, M. Jean Luc F. fonde sa demande sur l'article 873 du code de commerce aux termes duquel le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il résulte de ce qui a plus haut été dit que l'intimé ne rapporte pas la preuve de ce que le comportement de Mme Odile I. serait constitutif d'un trouble manifestement illicite.
Pour justifier de l'existence d'un dommage imminent, M. Jean Luc F. invoque la situation financière difficile de la pharmacie, non contestée par l'appelante, et qui ressort des relevés bancaires de la société qui font apparaître, au 30 août 2012, un solde débiteur de 51 886,71 euros.
Il résulte du décompte, produit en pièce N° 29 par l'intimé, que les prélèvements qu'il reproche à Mme Odile I. s'élevaient à la même date à la somme de 23 093 euros.
Un prélèvement supplémentaire de 4 200 euros a été opéré en octobre 2012, auquel est venu s'ajouter, si on en croit une mention manuscrite sur un relevé de compte, une somme de 5874 euros.
De tels prélèvements étaient à l'évidence de nature à aggraver le manque de trésorerie de l'officine, les salariés n'ayant pu être payés à bonne date en septembre 2012 et ils ne sont pas contesté que ces prélèvements susbtantiels, opérés alors que Mme Odile I. ne travaillait plus depuis plusieurs mois, n'avaient fait l'objet d'aucun agrément préalable du cogérant.
Cependant les mesures prises par le juge des référés doivent être proportionnées au dommage qu'il s'agit de prévenir et tel n'est pas le cas de la révocation pure et simple prononcée alors que d'autres mesures, moins radicales, auraient pu être sollicitées.
La demande de M. Jean Luc F. ne pourra donc pas plus prospérer au visa de l'article 873 du code.
En conséquence de ce qui précède l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté Mme Odile I. de sa demande au titre de ses frais non répétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire :
Déclare Mme Odile I. recevable en son appel et ses prétentions,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté Mme Odile I. de sa demande au titre de ses frais non répétibles,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. Jean Luc F. de sa demande tendant à voir ordonner en référé la révocation de Mme Odile I. de ses fonctions de co-gérante de la société Pharmacie du Viaduc,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Jean Luc F. aux dépens de première instance et d'appel, les derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.