CA Dijon, 2e ch. civ., 20 mai 2021, n° 19/00436
DIJON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Bailly
M. Gérald L. et Mme Céline J., épouse J., étaient, avec M. P., associés de la société Depann'Auto.
Début 2015, des pourparlers sont intervenus entre M. L. et Mme J., qui était alors associée majoritaire, pour le rachat des parts de cette dernière.
Un projet d'acte de cession a été rédigé en juin 2015 par l'étude notariale M. Choisnet, mais cet acte n'a jamais été signé par les parties.
Le 23 janvier 2017, Mme J. a convoqué une assemblée générale de la société Depann'Auto pour la date du 16 février 2017, avec comme ordre du jour la révocation des gérants en place et sa propre désignation en qualité de nouvelle gérante.
M. L. ayant contesté la qualité de Mme J. pour convoquer l'assemblée générale, celle-ci a saisi le tribunal de commerce de Chalon sur Saône en désignation d'un administrateur provisoire, demande à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 17 mars 2017 ayant nommé Me Rémy B..
Par exploit du 15 juin 2018, M. L. a fait assigner Mme J. devant le tribunal de commerce de Chalon sur Saône, aux fins qu'il soit constaté que la défenderesse lui avait cédé l'intégralité de ses parts sociales, de sorte qu'elle n'avait plus la qualité d'associée. Il a réclamé en conséquence la condamnation de Mme J. à prendre en charge les frais et honoraires de l'administrateur provisoire, et à lui verser la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts. Le demandeur a exposé au soutien de ses prétentions que, bien que n'ayant pas donné lieu à la rédaction d'un écrit, lequel n'était nécessaire qu'en cas de cession de parts d'une valeur excédant 1 500 €, la cession était bien intervenue entre les parties, pour un prix de 1 000 €. Il a ajouté que la convocation à l'assemblée générale était irrégulière, dès lors qu'il appartenait dans un premier temps à Mme J. de solliciter le gérant, puis en cas de refus, de demander au tribunal la désignation d'un mandataire ad hoc en charge de convoquer l'assemblée. Il a affirmé qu'en violant les règles de convocation, la défenderesse avait engagé sa responsabilité civile extra contractuelle, et devait l'indemniser de l'angoisse et des difficultés que ce comportement avait générées dans la conduite de son garage.
Mme J. a réclamé le rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre. Elle a indiqué qu'aux termes des articles 1865 du code civil et L. 221-14 du code de commerce, de même qu'aux termes des statuts, la cession de parts sociales nécessitait un écrit, qui faisait défaut en l'espèce, et qu'il n'était au demeurant pas justifié du prétendu paiement d'un prix de 1 000 €. Elle a ajouté que les pourparlers en vue de la cession des parts avaient échoué, car M. L. refusait de décharger M. J., son époux, d'un engagement de caution qu'il avait fourni au profit de la société Depann'Auto, et qu'elle avait toute qualité pour convoquer une assemblée générale ainsi que pour solliciter la désignation d'un administrateur provisoire, compte tenu des oppositions systématiques de M. L..
Par jugement du 25 février 2019, le tribunal de commerce a considéré que les articles 1690 et 1865 du code civil, ainsi que l'article L. 221-14 du code de commerce, n'imposaient un écrit que pour rendre la cession de parts opposable à la société, et qu'en l'espèce ne se posait pas la question de l'opposabilité de la cession à la société Depann'Auto, mais celle de savoir si Mme J. avait ou non cédé ses parts à M. L.. Il a ensuite relevé que M. L. produisait la copie d'un mail de M. Armand M., clerc de notaire, du 16 juin 2015, par lequel il envoyait à la signature des parties l'acte de cession des parts pour la somme de 1 000 €, la copie d'un mail du même auteur, du 31 juillet 2015, par lequel il adressait les statuts de la société mis à jour, où apparaissait la mention d'une cession de parts par acte sous seing privé du 16 juin 2015, la copie d'un chèque de 1 000 € établi par M. L., daté du 26 juillet 2016, un relevé du compte personnel de M. L. faisant apparaître le débit de ce chèque à la date du 1er juillet 2015, ce qui démontrait que la date portée sur le chèque était erronée, et un mail de Mme J. dans lequel elle reconnaissait la cession.
Le tribunal a déduit de ce faisceau d'indices que, nonobstant le fait que le document préparé par le clerc de notaire n'ait pas été signé, la cession était parfaite. Il a ensuite retenu que l'administrateur avait été nommé à la seule demande de Mme J., à une date où elle ne détenait plus aucune participation dans le capital de la société, de sorte qu'elle devait supporter l'intégralité des frais et honoraires de l'administrateur.
Il a enfin considéré que l'action de Mme J., qui était doublement abusive, comme ayant été menée par une personne qui n'était plus actionnaire, et qui ne pouvait en tout état de cause convoquer une assemblée générale, avait été source d'angoisse et de difficultés pour M. L., lequel devait être indemnisé de ce préjudice. Le tribunal de commerce a en conséquence :
- dit que Mme Céline J. a cédé en juin 2015 la totalité des parts qu'elle détenait dans la société Depann'Auto à M. Gérald L. pour la somme de 1 000 € ;
- condamné Mme Céline J. à supporter l'intégralité des frais et honoraires de M. Rémy B., administrateur judiciaire provisoire ;
- condamné Mme Céline J. à payer à M. Gérald L. la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- condamné Mme Céline J. à payer à M. Gérald L. la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner 1'exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné Mme Céline J. en tous dépens de l'instance dont frais de greffe indiqués en tête des présentes auxquels devront être ajoutés le coût de l'assignation et les frais de mise à exécution de la présente décision ;
- les dépens visés à l'article 701 du CPC étant liquidés à la somme de 63,36 €.
Mme J. a relevé appel de cette décision le 19 mars 2019.
Par conclusions notifiées le 11 octobre 2019, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles 1690 et 1865 du code civil,
Vu l'article L 221-14 du code de commerce,
- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau
- de constater que des pourparlers ont été engagés entre Mme J. M. L. concernant la cession de parts sociales ;
- de constater que ces pourparlers n'ont jamais abouti suite à une opposition de M. L. aux conditions de Mme J. ;
- de constater l'inexistence de toute cession de parts sociales de Mme J. au profit de M. L. ;
Par conséquence,
- de débouter M. L. de l'ensemble de ses demandes ;
- de condamner M. L. à payer à Mme J. la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner M. L. aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Par conclusions notifiées le 16 juillet 2019, M. L. demande à la cour :
Vu l'article 1341 ancien du code civil,
Vu l'article 1347 ancien du code civil,
Vu l'article L. 110-3 du code de commerce,
- de confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné Mme J. à payer à M. L. la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Et statuant à nouveau :
- de condamner Mme J. à payer à M. L. la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- de condamner Mme J. à payer à M. L. la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner Mme J. aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 2 février 2021.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
SUR CE, LA COUR
Pour obtenir l'infirmation du jugement déféré, et faire constater qu'elle n'avait pas cédé ses parts sociales à M. L., Mme J. fait valoir qu'une telle cession ne pouvait intervenir que par écrit, lequel était inexistant en l'espèce.
Si l'article 1865 du code civil et l'article L. 221-14 du code de commerce, de même que les statuts de la société Depann'Auto disposent que la cession de parts sociales doit être constatée par écrit, il n'en demeure pas moins que l'exigence d'un tel écrit ne conditionne pas la validité de la cession, mais son opposabilité à la société elle-même et aux tiers.
Il en résulte que, dans les relations entre les cessionnaires, la preuve de la cession peut être rapportée par tous moyens lorsqu'elle porte sur un montant inférieur à 1 500 € et qu'elle concerne une société civile, et, dans le cas d'une société commerciale, comme c'est précisément le cas en l'espèce, par tous moyens, quel que soit le montant de la transaction.
En l'espèce, il est suffisamment rapporté la preuve de la réalité de la cession par le mail adressé le 12 octobre 2016 par Mme J. à la SCP D. dans le cadre d'une contestation de facture, qu'elle conclut de la manière suivante : 'Dans tous les cas, je suis au courant des contrats de la société Depann'Auto jusqu'au 1er avril 2015, jour où j'ai vendu mes parts et cédé ma place de gérante'. L'aveu de la cession qui résulte de ce document est en outre corroboré par la justification du paiement par M. L. à Mme J. du prix de vente, soit 1 000 €, par la production d'une copie du chèque et de son encaissement. Si, certes, la date figurant sur ce chèque, soit le 26 juillet 2016, n'apparaît pas cohérente avec celle de la cession, intervenue plus d'un an auparavant, il résulte cependant de l'extrait de compte produit par ailleurs que la date portée sur le chèque est manifestement erronée, puisque ce chèque, dont le numéro est clairement identifié, a en réalité été débité du compte de M. L. le 1er juillet 2015. C'est vainement qu'à cet égard Mme J. fait valoir que ce paiement correspondrait à des prestations effectuées par la société de carrosserie dont elle était gérante au profit de la société Depann'Auto, rien ne justifiant en effet, dans une telle hypothèse, que le chèque ait été émis du compte personnel de M. L. au profit du compte personnel de Mme J..
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a constaté la cession des parts.
Il ne peut cependant, comme l'a fait le tribunal, en être tiré la conséquence que Mme J. avait perdu la qualité d'associée de la société Depann'Auto, et que, partant, elle n'avait plus aucune qualité pour solliciter la convocation d'une assemblée générale. En effet, comme il l'a été rappelé précédemment, l'absence d'écrit rend la cession inopposable à la société, aux yeux de laquelle Mme J. n'avait donc pas perdu sa qualité d'associée.
L'associé ne dispose cependant pas du pouvoir de convoquer de sa propre initiative une assemblée générale, mais doit solliciter cette convocation du gérant, et, en cas de refus, saisir le tribunal aux fins de désignation d'un administrateur provisoire. A cet égard, Mme J. n'a pas agi régulièrement.
Il n'en demeure pas moins que, sur sa demande, le tribunal a désigné, en la personne de Me B., un administrateur provisoire à la société Depann'Auto, étant relevé que cette désignation n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de cette dernière, les explications fournies sur ce point par M. L. pour justifier cette carence, à savoir qu'il avait été mis devant le fait accompli, étant dépourvues de tout emport, comme ne révélant aucun motif pertinent l'empêchant, en sa qualité de gérant, de contester la décision rendue.
C'est dès lors à tort que les premiers juges ont mis à la charge de Mme J. les frais et honoraires de la mission de Me B., alors au demeurant que ni ce dernier, ni la société Depann'Auto, ne se trouvent appelés à la cause.
L'infirmation s'impose sur ce point, la demande correspondante de M. L. étant rejetée.
Il en sera de même s'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par M. L., qui, en acquérant des parts sociales sans établir d'écrit, a permis que cette cession soit inopposable à la société, circonstance qui est directement à l'origine de la situation dont il se plaint qu'elle lui ait été préjudiciable au plan moral.
Il sera fait masse des entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront supportés par moitié par chacune des parties, les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 25 février 2019 par le tribunal de commerce de Chalon sur Saône en ce qu'il a dit que Mme Céline J. a cédé en juin 2015 la totalité des parts qu'elle détenait dans la société Depann'Auto à M. Gérald L. pour la somme de 1 000 € ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau, et ajoutant :
Rejette la demande de M. L. tendant à la prise en charge par Mme J. des frais et honoraires de Me B., ès qualités d'administrateur provisoire de la société Depann'Auto ;
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par M. L. ;
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fait masse des entiers dépens de première instance et d'appel, et dit qu'ils seront supportés par Mme J. et M. L., chacun pour moitié.