Cass. com., 10 février 2021, n° 18-25.892
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Ponsot
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gadiou et Chevallier, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 18 octobre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 14 juin 2017, pourvoi n° 15-26.953), M. Y... et la société Evacom BV (la société Evacom) ont, par acte du 17 octobre 2008, cédé à la société LSO international (la société LSO), filiale des sociétés BCD et BCD Management, devenue Walvis services, et dirigée par M. W..., les parts qu'ils détenaient dans la Sarl C... Y... Associates (la société MMA) pour un prix payable pour moitié à la signature de l'acte, le solde devant être réglé les 31 décembre 2008 et 31 décembre 2009, selon des modalités déterminées.
2. En application du protocole d'accord signé à cette occasion, la société MMA a été absorbée par la société LSO et M. Y... a été désigné en qualité de dirigeant de cette dernière.
3. En raison de difficultés de trésorerie révélées immédiatement après la réalisation de la cession, M. Y... a déclaré la cessation des paiements de la société LSO, laquelle a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 13 février 2009 et 27 mars 2009. Un expert a été désigné aux fins de déterminer la date réelle de la cessation des paiements et les causes de celle-ci.
4. Après avoir régulièrement déclaré leur créance, M. Y... et la société Evacom ont assigné M. W..., la société [...], commissaire aux comptes de la société LSO, et la société BCD en paiement de dommages-intérêts, pour le solde impayé du prix de vente et la perte de la possibilité de percevoir un complément de prix, outre la perte de la rémunération garantie à M. Y....
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche, et le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
6. M. Y... et la société Evacom font grief à l'arrêt de dire que la preuve de la responsabilité délictuelle des sociétés BCD, Walvis services et [...] n'est pas rapportée et de les débouter, en conséquence, de leurs demandes en réparation de leurs préjudices, alors :
« 1°/ que l'expert M. F... avait été missionné notamment pour analyser la comptabilité de la société LSO International, vérifier la fiabilité des écritures comptables, relever les éventuelles fautes de gestion ainsi que les flux financiers suspects ; que c'est dans le cadre de cette mission qu'il a été amené à relever l'existence d'écritures comptables suspectes (versement de dividendes, comptabilisation de travaux en cours non justifiés, etc
) qui avaient conduit à la déconfiture de la société LSO et qui n'avaient été rendues possibles qu'avec l'assentiment conciliant du commissaire aux comptes ; que ces éléments étaient indépendants de l'opération de transformation de la SNC en SAS de sorte que la connaissance du rapport à la transformation ou du dossier de travail de la société [...] n'était d'aucune utilité pour cette mission ; que dès lors, en écartant le rapport de M. F... motif pris de ce que l'expert n'avait pas pris connaissance du rapport à la transformation de la société [...], la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 (ancien, devenu 1340) du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°/ que le soutien financier procuré par une société-mère pour faire vivre artificiellement sa filiale est un financement anormal ; qu'en l'espèce, M. Y... et la société Evacom soutenaient que la société [...] savait que la pérennité de la société LSO international ne dépendait que du soutien financier du groupe BCD matérialisé par la lettre de confort renouvelée chaque année sans lequel la procédure d'alerte et la cessation d'activité étaient inéluctables ; qu'après avoir constaté que, à la date de son rapport à la transformation, le commissaire aux comptes savait qu'il y aurait "modification des responsabilités des actionnaires ", la cour d'appel s'est bornée à relever qu'"il n'est pas démontré que la cessation du soutien financier du groupe BCD était programmée" ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si la société [...], qui avait tout à la fois connaissance de la situation obérée de la société LSO International, du soutien artificiel donné à celle-ci et de la " modification des responsabilités des actionnaires" après la transformation de la SNC en SAS, n'avait pas rendu possible une opération exposant M. Y... et la société Evacom au risque de la spoliation de leurs droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce ;
3°/ que la cour d'appel a expressément constaté que la distribution de dividendes par la société LSO au profit de ses actionnaires hollandais était impossible eu égard au montant des capitaux propres mais que le commissaire aux comptes avait alors conseillé de procéder, pour éviter toute " anomalie des comptes", à deux distributions successives de dividendes, l'une au profit de LSO International puis, l'autre par LSO International au profit des actionnaires ; qu'il ressort ainsi de ces constatations que la société [...] a conseillé un montage juridico-comptable pour détourner l'interdiction de distribuer des dividendes à hauteur de 500 000 euros par la société LSO International, déjà déficitaire de plus de deux millions d'euros et pour masquer le niveau des capitaux propres ; que ce n'était donc qu'avec l'aide active du commissaire aux comptes qu'avait été rendue possible l'opération de distribution de dividendes - fictifs ou non - ayant permis d'effacer le compte-courant débiteur de BCD à l'égard de LSO ; qu'en refusant pourtant de retenir la responsabilité de la société [...], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce ;
5°/ que si la société [...] savait que les fonds perçus par les clients de LSO International servaient, non pas à régler les fournisseurs, mais à couvrir les dépenses de fonctionnement de celle-ci, elle a, dans cette hypothèse, validé des écritures comptables correspondant à une trésorerie fictive par apport de fonds clients, peu important qu'elle ait demandé "dans l'annexe à ses comptes annuels" une mention de la ventilation entre la trésorerie propre et celle détenue pour le compte de tiers ; qu'en refusant de retenir la responsabilité de la société [...], après avoir pourtant constaté que les fonds destinés au règlement des fournisseurs servaient à couvrir les frais de fonctionnement de la société LSO International, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a de nouveau violé l'article 1382 du code civil dans sa version applicable à l'espèce ;
6°/ que si le rapport du commissaire aux comptes était porté à la connaissance du groupe BCD, en sa qualité d'actionnaire de la société LSO International, qui "avait nécessairement connaissance des comptes", il n'en allait pas de même des "intimés", à savoir M. Y... et la société Evacom, sans lien avec LSO et donc pas à même de connaître les difficultés de trésorerie de celle-ci ; qu'en énonçant dès lors que "le groupe BCD et les intimés étaient informés de la situation exacte de la société LSO international dans la mesure où la société impact holding, seul actionnaire de la société LSO international BCD management avait nécessairement connaissance des comptes", la cour d'appel a statué par un motif inopérant et partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa version applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
7. En premier lieu, ayant constaté que les difficultés de trésorerie de la société LSO était constantes, qu'elles avaient donné lieu à des précisions dans l'annexe des comptes annuels et que les dividendes litigieux avaient été dûment comptabilisés, la cour d'appel, qui n'a pas ignoré les constatations factuelles du rapport d'expertise, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, estimé que ce rapport était dépourvu de valeur probante quant à la mise en cause de la société [...], dès lors que l'expert indique ne pas avoir pris connaissance du rapport du commissaire à la transformation ni du dossier de travail de cette société avant d'émettre son avis.
8. En deuxième lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'après avoir relevé que M. Y... et la société Evacom n'apportaient aucun élément de preuve de ce que le commissaire à la transformation de la société LSO aurait pu comprendre, à la date de son rapport, qu'il existait un processus débutant par la suppression de la responsabilité d'associé de la société BCD, se poursuivant par la disparition de la société MMA et se terminant par la cessation du soutien financier du groupe BCD qui ne renouvellera pas sa lettre de confort, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas démontré que la cessation du soutien financier du groupe BCD fût programmée.
9. En troisième lieu, il ressort des constatations de l'arrêt, d'une part, que les opérations de distribution de dividendes litigieuses, intervenues un an avant la cession des parts de la société MMA, ne peuvent être qualifiées de fictives et qu'elles ont donné lieu aux écritures comptables correspondantes, et, d'autre part, que les difficultés de trésorerie de la société LSO étaient connues et qu'elles avaient donné lieu à des précisions dans l'annexe des comptes annuels permettant d'en comprendre la nature et l'origine. En l'état de ces seules énonciations et constatations, dont il résulte que les comptes de la société LSO donnaient de son patrimoine, de sa situation financière et de son résultat une image fidèle, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la sixième branche, retenir que M. Y... et la société Evacom étaient informés de la situation exacte de la société LSO et que le commissaire aux comptes n'avait pas manqué à ses obligations légales.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal.