Cass. 3e civ., 16 novembre 2022, n° 21-23.505
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Zedda
Avocat général :
M. Brun
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP L. Poulet-Odent
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 15 septembre 2021), la société Giovellina a confié la réalisation de la charpente métallique et du revêtement d'un bâtiment à usage commercial à la société Bastia charpentes armatures (la société BCA), assurée auprès de la SMABTP.
2. La société Giovellina a formé opposition à une ordonnance portant injonction de payer le solde du prix du marché à la société BCA et elle a formé des demandes reconventionnelles aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
3. La société BCA a appelé la SMABTP en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société Giovellina fait grief à l'arrêt de refuser d'homologuer le rapport de l'expert sur les préjudices subis, de la renvoyer à assigner si elle l'estime nécessaire, concernant le montant de ces préjudices, de la condamner à payer à la société BCA une certaine somme au titre du solde du marché et de rejeter l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société BCA et la SMABTP, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la Cour d'appel a violé les articles 578 et 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. L'usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d'usufruitier, l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance.
7. C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé que la société Giovellina reconnaissait être usufruitière de l'ouvrage et devant laquelle elle ne prétendait pas avoir été mandatée par le nu-propriétaire, a retenu que cette société ne pouvait agir contre le constructeur et son assureur sur le fondement de la garantie décennale.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Giovellina fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, comme le constate l'arrêt attaqué, la société Giovellina fondait expressément ses demandes sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l'article 1147 ancien du code civil ; qu'en la déclarant sans qualité pour agir contre sa cocontractante, la Cour d'appel a violé les articles 578 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
11. Aux termes du second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
12. Il en résulte que l'usufruitier, qui n'a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu'il a conclus pour la construction de l'ouvrage, y compris les dommages affectant l'ouvrage.
13. Pour rejeter les demandes de la société Giovellina, l'arrêt retient que les demandes reconventionnelles présentées par cette société, sous couvert d'être fondées sur la responsabilité contractuelle de la société BCA, s'avèrent être la conséquence des désordres allégués pour lesquels, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, est recherchée la garantie décennale du constructeur.
14. Il retient que l'usufruitière n'a pas qualité pour agir en garantie décennale contre le constructeur, pas plus que pour les dommages immatériels en découlant, à charge pour elle d'assumer son intervention en qualité de maître de l'ouvrage dans une construction sans préexistant pour laquelle elle s'est substituée à la nue-propriétaire.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les travaux avaient été exécutés pour le compte de la société Giovellina, qui avait conclu le contrat d'entreprise et qui demandait la réparation des dommages résultant de la mauvaise exécution de ce contrat sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée porte sur le rejet des demandes formées tant contre la société BCA que contre la SMABTP, dont la responsabilité était recherchée, notamment, sur le fondement d'une assurance de responsabilité civile.
17. Il n'est pas nécessaire, dès lors, de statuer sur le troisième moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Giovellina à payer à la société Bastia charpentes armatures la somme de 30 113,81 euros au titre du solde du marché avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en ce qu'il renvoie la société Giovellina à assigner si elle l'estime nécessaire concernant les préjudices subis et en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes de la société Giovellina, l'arrêt rendu le 15 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia.