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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 7 avril 2022, n° 22/00785

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

La Provence (SA)

Défendeur :

L'avenir Développement (SA), BDR & Associés (SAS), BTSG (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, Mme Combrie

T. com. Marseille, du 20 déc. 2021, n° 2…

20 décembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant jugement en date du 30 avril 2020, le tribunal de commerce de BOBIGNY a placé en liquidation judiciaire la société GROUPE BERNARD T. (ci-après société GBT) et a nommé en qualité de liquidateur judiciaire la SAS BDR ET ASSOCIES représentée par maître B..

Suivant jugement en date du 20 janvier 2022, le même tribunal a désigné en qualité de coliquidateur de la société GBT la société civile professionnelle BTSG² représentée par maître S..

La société GBT est propriétaire de 49 562 actions de la société LA PROVENCE, entreprise de presse, soit 89 % du capital social. Les 11 % restant, soit 6 128 actions, sont détenus par la société de droit belge L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, filiale de la société NJJ PRESSE SUD.

Conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et prévoyant que dans le cas de sociétés éditrices par actions, toute cession est soumise à l'agrément du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, les statuts de la société LA PROVENCE prévoient en leur article 9 une clause d'agrément ainsi rédigée : ' la cession ou la mutation d'actions, même en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, de cession à un conjoint, descendants ou ascendants, de cession entre actionnaires, doit, pour devenir définitive, en conformité avec les dispositions de l'article 4 du 1er août 1986, être agréée par le Conseil d'Administration'.

L'article 13 de ces mêmes statuts prévoit que ' devront être adoptées par l'unanimité des voix exprimées par les administrateurs présents ou représentés les décisions ayant pour objet : a) l'agrément de toute cession d'actions'.

Le conseil d'administration de la société LA PROVENCE est composé de cinq membres, choisis à proportion du capital social, trois proposés par la société GBT, et deux par la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT.

Par lettre en date du 28 octobre 2021, maître B. ès qualité de liquidateur de la société GBT a adressé à la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT les modalités de remise des offres d'acquisition de la participation de la société GBT à la société LA PROVENCE, offres devant être remises au greffe du tribunal de commerce de BOBIGNY au plus tard le 30 novembre 2021.

Par lettre en date du 2 novembre 2021, maître B. a demandé au président directeur général de LA PROVENCE de convoquer sous huit jours le conseil d'administration en vue de donner par avance son agrément au candidat acquéreur devant être désigné par le juge commissaire.

Le 8 novembre 2021, le Conseil d'administration a voté à l'unanimité contre la résolution telle que proposée par le liquidateur.

Par acte en date du 3 décembre 2021, maître B. ès qualité a fait assigner la société LA PROVENCE devant le juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE afin d'obtenir en application de l'article 873 du code de procédure civile la suspension de la clause d'agrément prévue aux articles 9 et 13 des statuts et subsidiairement la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale extraordinaire des actionnaires afin de faire voter une telle suspension.

La société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT SA, le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DU JOURNAL LA PROVENCE, le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ EUROSUD PROVENCE, le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ SUD PRESSE DISTRIBUTION et monsieur Stéphane T. sont intervenus volontairement à la cause.

Par acte en date du 10 décembre 2021, maître B. ès qualité à fait assigner la société LA PROVENCE devant le juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE afin de faire désigner un mandataire ad hoc chargé de représenter la dite société dans le cadre de cette instance. Par ordonnance en date du 20 décembre 2021, le juge des référés a fait droit à la demande et a désigné la société civile professionnelle AJILINK A. B. représentée par maître A. en qualité de mandataire ad hoc.

La société LA PROVENCE a interjeté appel de cette première ordonnance par déclaration enregistrée au greffe le 23 décembre 2021. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 21/18274.

Statuant sur l'assignation délivrée le 3 décembre 2021, le juge des référés a par ordonnance en date du 11 janvier 2022 :

- déclaré irrecevables les interventions volontaires du COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DU JOURNAL LA PROVENCE, du COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ EUROSUD PROVENCE, et du COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ SUD PRESSE DISTRIBUTION.

- déclaré recevable l'intervention volontaire de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT et de monsieur Stéphane T..

- dit que la clause d'agrément prévue aux articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE ' fait obstacle au processus de réalisation des actifs de la liquidation judiciaire de la société GROUPE BERNARD T. tel que prévu par l'article L 642-19 du code de commerce et constitue un trouble manifestement illicite.'

- suspendu ' l'application de la clause d'agrément prévue aux articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE SA relatifs à l'agrément de l'acquéreur de la participation de 89 % détenue par la société GROUPE BERNARD T. dans le capital de la société LA PROVENCE choisi par monsieur le juge commissaire dans le cadre de la cession de ladite participation de gré à gré en application de l'article L 642-19 du code de commerce.'

La société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 18 janvier 2022. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 22/785.

Par acte en date du 3 février 2022, les sociétés BDR ET ASSOCIES et la société BTSG ² en leur qualité de coliquidateurs de la société GBT ont fait assigner devant le juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE la société LA PROVENCE SA afin de faire désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de représenter la société LA PROVENCE devant la Cour d'appel. La société L'AVENIR DE PROVENCE est intervenue à la cause.

Suivant ordonnance en date du 15 février 2022, le juge des référés a désigné la société civile professionnelle AJILINK A. B. en la personne de maître A. pour représenter la société LA PROVENCE dans l'appel interjeté à l'encontre de la décision ayant suspendu la clause d'agrément. La société LA PROVENCE a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 1er mars 2022. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 22/3156.

Le 1er février 2022, le juge commissaire du tribunal de commerce de BOBIGNY a clos le premier processus d'appel d'offre et a ordonné la mise en oeuvre d'un nouveau processus de cession, fixant l'audience d'ouverture des offres au 15 février 2022. A cette audience, il a été constaté que le prix offert par la société CMA CGM (81 094 624 € 62) était supérieure à celui proposé par la société NJJ PRESSE SUD, société mère de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT (20 000 000 €). Par cette même ordonnance, le juge commissaire a fixé au 28 avril 2022 la date de clôture des opérations de cession.

Cette offre a été transmise par les liquidateurs à LA PROVENCE aux fins de mise en oeuvre de la procédure d'information consultation. Le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LA PROVENCE a fait assigner les liquidateurs ainsi que la société LA PROVENCE devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE afin de faire annuler l'ordre du jour du conseil économique et social portant sur l'approbation de la seule offre de la société CMA CGM. Suivant jugement en date du 24 février 2022, le tribunal a jugé que le périmètre de la consultation devait se limiter à l'offre retenue par le juge commissaire.

Le 24 mars 2022, les six comités économiques et sociaux du groupe LA PROVENCE ont émis un vote favorable à la reprise par la société CMA CGM.

1. Concernant la procédure 21/18274 (ordonnance du 20 décembre 2021)

A l'appui de son appel, par conclusions déposées par voie électronique le 14 février 2022, la société LA PROVENCE soutient que le juge des référés a fait une mauvaise application de l'article L 641-9 du Code de commerce qui prévoit la possibilité pour un débiteur placé en liquidation judiciaire d'exercer les droits propres attachés à sa personne. Elle se réfère à la jurisprudence pour soutenir qu'il y a lieu de distinguer les droits sociaux, relevant de la procédure collective, des prérogatives qui y sont attachées ou en d'autres termes des prérogatives patrimoniales et extra patrimoniales. Elle affirme qu'en l'espèce aucune circonstance ne justifie la nomination d'un administrateur ad hoc, cette mesure exceptionnelle étant réservée à l'hypothèse d'un conflit d'intérêt entre la société et ses représentants légaux, hypothèse prévue à l'article R 225-170 du Code de commerce. Elle conteste l'existence d'une situation de blocage et affirme que s'il existe un conflit d'intérêt, ce conflit ne se situe nullement au niveau du mandataire social de LA PROVENCE, mais au niveau de ses actionnaires. Elle fait observer enfin que la majorité du conseil d'administration a fait savoir au président directeur général qu'ils souhaitaient que la société s'oppose à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc. La société LA PROVENCE conclut en conséquence à l'infirmation de la décision du juge des référés en date du 20 décembre 2021.

Les sociétés BDR ET ASSOCIES et la société civile professionnelle BTSG², prises en la personne de maître B. et maître S., répliquent par conclusions déposées le 4 mars 2022 qu'en ce qui concerne la recevabilité de leur action, celle-ci n'a pas pour objet l'exercice du droit de vote attaché aux actions, mais repose sur l'existence d'un conflit d'intérêt dans la gouvernance de la société LA PROVENCE concernant la demande de suspension de l'agrément. Elles font observer que le juge des référés tire des dispositions générales de l'article 872 du code de procédure civile la possibilité de désigner un mandataire ad hoc et font valoir que le conflit d'intérêt entre l'actionnaire majoritaire, la société GBT, et l'actionnaire minoritaire, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, préjudicie à l'avenir de la société LA PROVENCE, par ailleurs ayant fait l'objet d'une procédure de conciliation. Ce conflit d'intérêt constituerait ainsi une circonstance justifiant la mesure exceptionnelle que constitue la désignation d'un mandataire ad hoc. Les sociétés BDR ET ASSOCIES et la société BTSG² concluent en conséquence à la confirmation de la décision et demandent à la cour de déclarer recevable l'intervention volontaire de la société BTSG².

Maître A., par conclusions déposées par voie électronique le 9 mars 2022, conteste l'interprétation faite par l'appelante des dispositions de l'article L 641-9 du Code de commerce et reposant sur la distinction entre prérogatives patrimoniales et extra patrimoniales. Il reprend à ce titre la motivation du premier juge et soutient que la nomination d'un administrateur ad hoc se justifie d'autant plus que depuis lors les offres des deux candidats repreneurs ont été rendues publiques. Maître A. rappelle que sa mission a été limitée au seul litige concernant la suspension de la clause d'agrément et affirme qu'en l'espèce le conflit d'intérêt entre actionnaires, et le blocage qu'il entraîne en conséquence, compromettent l'avenir de la société LA PROVENCE et constitue en conséquence une circonstance exceptionnelle justifiant la nomination d'un administrateur ad hoc. Maître A. indique enfin que les événements survenus après l'ordonnance confirment l'existence d'un blocage de gouvernance de la société LA PROVENCE, et en conséquence la nécessité de désigner un mandataire ad hoc. Il conclut en conséquence à la confirmation de la décision déférée.

2. Concernant la procédure 22/785 (ordonnance du 11 janvier 2022)

A l'appui de son appel dirigé contre l'ordonnance du 11 janvier 2022, par conclusions déposées par voie électronique le 24 mars 2022, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT reprend la motivation du premier juge pour demander la confirmation de la déclaration d'irrecevabilité de l'intervention volontaire des comités sociaux et économiques de LA PROVENCE, EUROSUD PROVENCE et SUD PRESSE DISTRIBUTION et soutient qu'en toute hypothèse les dits comités n'ont de fait aucun intérêt à agir.

Sur la suspension de la clause d'agrément, elle conteste que cette clause puisse être analysée comme constituant un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile. Elle rappelle à titre liminaire que la cession envisagée concerne la participation du GROUPE BERNARD T. dans la société LA PROVENCE, et non la cession de l'ensemble des moyens, biens et contrats et qu'à ce titre elle s'analyse comme une cession d'actifs isolés soumise aux dispositions de l'article L 642-19 du Code de commerce et non d'une cession d'entreprise. Elle affirme le caractère opposable des clauses statutaires d'agrément à l'égard des organes de la procédure et conteste que ces clauses puissent être considérées comme contraires aux règles d'ordre public régissant les procédures collectives. Selon elle, les seules exceptions concernant l'opposabilité de clauses d'agrément concerneraient les cessions d'entreprise, et non les cessions de gré à gré, et seraient relatives au droit de préemption de l'article L 642-5 du Code de commerce et la cession forcée des contrats nécessaires à la poursuite de l'activité de l'entreprise. Elle rappelle que la clause d'agrément est non seulement licite, mais encore prévue par l'article 4 de la loi d'ordre public du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

Critiquant la motivation de l'ordonnance déférée, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT réaffirme que selon la Cour de cassation, statuant dans un arrêt du 31 janvier 1995, la clause d'agrément s'applique à toute cession d'actif en liquidation, peu important qu'il s'agisse ou non d'une cession de contrôle. Sur le conflit d'intérêt invoqué par le premier juge, elle affirme que le dit conflit d'intérêt ne peut résulter que de la participation au vote par un administrateur intéressé, mais non de l'application de la clause elle-même. De manière surabondante, elle affirme que l'existence d'un tel conflit d'intérêt ne peut en soi priver l'administrateur de son droit de vote et qu'elle ne peut être examinée par le juge qu'a posteriori, si le vote ainsi effectué se révèle avoir été effectué dans un intérêt personnel et au détriment de l'intérêt des autres actionnaires. Elle conteste en toute hypothèse que la notion de conflit d'intérêt s'applique à l'espèce.

Selon la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, les conditions d'application de l'article 873 du code de procédure civile ne seraient en toute hypothèse pas remplies dès lors que la mesure ordonnée ne présente pas un caractère conservatoire, mais bien un caractère définitif, la suspension ayant été ordonnée sans limitation temporelle et sans qu'un juge ne se prononce sur l'illicéité alléguée de la clause.

Elle fait enfin observer que la demande en convocation d'une assemblée générale par le Comité Economique et Social LA PROVENCE ne repose sur aucune base textuelle.

Répondant aux conclusions des liquidateurs, elle relève que le trouble allégué est constitué non par la clause elle-même, mais par un événement hypothétique, l'éventuel abus de leur droit de vote par certains administrateurs. Ce trouble ne pourrait résulter du vote du conseil d'administration du 8 novembre 2021, vote conforme aux dispositions légales et adopté à l'unanimité du conseil. La clause relative à l'unanimité serait conforme au droit des sociétés et ne pourrait être considérée comme nulle, cette clause ayant été votée en 2015, ce qui rendrait toute action en nullité prescrite. Cette clause prévoyant l'unanimité ne serait pas contraire aux intérêts de la société LA PROVENCE comme le soutiennent les intimés, mais contraire aux seuls intérêts des liquidateurs de la société GBT consistant à retenir la meilleure offre financière. Enfin, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT conteste que l'existence d'un conflit d'intérêt ne puisse constituer en soi un trouble manifestement illicite, seul un abus de droit peut l'être, et rappellent la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle une clause d'agrément peut être opposée aux organes d'une procédure collective. La position des liquidateurs ne serait en réalité dictée que par le souci de se soustraire à la procédure d'expertise prévue par l'article 1843-4 du code civil en cas de refus d'agrément. De même, selon la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, la position de l'administrateur ad hoc serait contraire au principe selon lequel une clause d'agrément peut être opposée à une procédure collective et elle conteste que le contexte invoqué permette de soutenir que cette clause constitue une atteinte au principe de la libre concurrence.

Au terme de ses conclusions, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT conclut à l'infirmation de l'ordonnance et demande à la Cour de dire n'y avoir lieu à référé, de débouter les demanderesses de l'intégralité de leurs prétentions et de condamner la société BDR ET ASSOCIES et la société civile professionnelle BTSG² à lui verser une somme de 50 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BDR ET ASSOCIES représentée par maître B. et la société BTSG² représentée par maître S., par conclusions déposées par voie électronique le 18 mars 2022, indiquent que le débat ne porte pas comme le soutient l'appelant sur la légitimité de la clause d'agrément, mais sur l'exigence d'unanimité imposée par les statuts. Cette unanimité, eu égard à la position de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT à la fois actionnaire minoritaire candidate au rachat et disposant du pouvoir de statuer sur l'agrément, génère un conflit d'intérêt manifeste constitutif d'un trouble manifestement illicite.

Maître B. et S. indiquent que la légitimité d'un droit n'est pas exclusive d'un trouble manifestement illicite dès lors que sont examinées les conditions de son exercice. Ils soutiennent que la jurisprudence invoquée n'est pas applicable à la situation exceptionnelle du litige et font observer notamment que si la cession en cause est bien une cession soumise à l'article L 642-19 du Code de commerce, il n'en demeure pas moins qu'en raison de l'importance des parts sociales cédées, cette même cession emportera nécessairement un changement de contrôle. Maître B. et S. invoquent les conséquences de la règle de l'unanimité sur l'appréciation de l'intérêt social de l'entreprise, intérêt social qui en matière de procédure collective doit primer. Ils font observer en outre qu'en se portant candidat à l'acquisition de la société GBT, la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT a reconnu implicitement l'impossibilité d'appliquer la clause d'agrément. L'application de cette clause constituerait en conséquence un trouble manifestement illicite et il conviendrait de confirmer la décision du juge des référés. Outre cette confirmation, maître B. et S. demandent à la cour la condamnation de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT à leur verser une somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société civile professionnelle AJILINK A. B., représentée par maître A., par conclusions déposées par voie électronique le 4 mars 2022, conclut à la confirmation de l'ordonnance. Elle soutient que la clause d'agrément génère une situation de conflits d'intérêts entre administrateurs et candidats repreneurs constitutifs d'un trouble manifestement illicite et de nature à créer un dommage imminent. Elle invoque la préservation de l'intérêt social de LA PROVENCE, rappelant le montant de la proposition faite par la société CMA CGM et ses offres d'investissement, la préservation du droit des procédures collectives ainsi que la préservation de la libre concurrence telle que prévue par l'article L 420-1 du Code de commerce. Elle demande en conséquence à la cour de confirmer la décision tant sur la recevabilité de son intervention volontaire que sur le fond.

Le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LA PROVENCE, par conclusions déposées par voie électronique le 25 mars 2022 a indiqué se désister de son appel incident.

Le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ EUROSUD et le COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ SUD PRESSE DISTRIBUTION, par conclusions déposées par voie électronique le 28 mars 2022, concluent à l'infirmation de la décision en ce qui concerne la recevabilité de leur intervention, excipant des dispositions de l'article L 2312-8 du Code du travail, et au fond à la confirmation de la décision déférée, soutenant que la clause d'agrément constitue une atteinte à l'article L 642-19 du Code du commerce, mais aussi aux droits des créanciers et des salariés. Factuellement, ils rappellent que les six comités sociaux et économiques du groupe LA PROVENCE ont émis un vote favorable à la reprise par la société CMA CGM le 24 mars 2022.

Ils contestent l'applicabilité de la jurisprudence citée par la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT au cas d'espèce, rappellent la finalité de la clause d'agrément et reprennent l'argumentaire du premier juge concernant l'existence d'un trouble illicite et la nécessité de prévenir un dommage imminent lié au conflit d'intérêt, conflit manifeste au regard des conclusions de la société elle-même et des événements survenus depuis le prononcé de l'ordonnance déférée. Ils affirment enfin que le juge peut neutraliser une clause dès lors que celle-ci, comme cela serait en l'espèce le cas, est mise en oeuvre de mauvaise foi. Ils concluent en conséquence à la confirmation de la décision sur le fond et demandent la condamnation de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT au versement d'une somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

3/ concernant la procédure 22/3156 (ordonnance du 15 février 2022)

La société LA PROVENCE, par conclusions déposées par voie électronique le 4 mars 2022, demande à la cour de déclarer maîtres B. et S. irrecevables à demander la désignation d'un administrateur ad hoc, les intéressés n'ayant qualité à agir que dans le cadre d'actions patrimoniales. Elle reprend en outre son argumentation relative aux conditions de nomination d'un administrateur ad hoc par elle développée dans le cadre de l'appel interjeté contre l'ordonnance du 20 décembre 2021.

Maîtres B. et S., par conclusions déposées par voie électronique le 21 mars 2022, soutiennent être recevables à agir dès lors qu'il existe un conflit d'intérêt majeur concernant les administrateurs de la société LA PROVENCE désignés par la société GBT. Sur le fond, ils invoquent les conséquences de ce conflit d'intérêt pour demander la confirmation de la décision ayant désigné un mandataire ad hoc pour représenter la société LA PROVENCE dans le cadre de la procédure d'appel.

La société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, par conclusions déposées par voie électronique le 24 mars 2022, soulève l'irrecevabilité des conclusions de maître A. ès qualité devant la cour en contestant sa qualité à agir, ne pouvant être considéré comme intimé dans une instance relative à sa propre nomination. Elle soulève par ailleurs l'irrecevabilité à agir des liquidateurs de la société GBT, l'action relevant des droits propres de la société en liquidation. Subsidiairement, elle estime la demande non fondée, les conditions pour la nomination d'un administrateur ad hoc n'étant pas en l'espèce réunies. Sur ce point, notamment, elle conteste l'existence même d'un conflit d'intérêt tel que visé par le premier juge et une situation de blocage dans le fonctionnement de la société et fait observer que le conflit tel que caractérisé par le juge des référés ne concerne pas le dirigeant de la société, mais l'actionnaire majoritaire et minoritaire. Elle conclut en conséquence à l'infirmation de la décision, demande à la cour de déclarer irrecevables les prétentions tant de maître A. que de maîtres B. et S. et subsidiairement de les déclarer non fondées et sollicite leur condamnation in solidum au paiement d'une somme de 50 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Stéphane T. n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la jonction des procédures

Les trois décisions querellées étant manifestement liées, il y a lieu dans le souci d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des appels.

Sur le désistement du Comité social et économique de la société LA PROVENCE.

Aucune autre partie ne s'étant opposée au désistement d'instance du comité social et économique de la société LA PROVENCE, ce désistement a été tacitement accepté et en conséquence il sera jugé parfait.

Sur la nomination d'un administrateur ad hoc chargé de représenter la société LA PROVENCE dans la procédure en suspension de la clause d'agrément et dans la procédure d'appel

Maître B. et maître S. ont été tous deux désignés par le tribunal de commerce de BOBIGNY en qualité de liquidateurs de la société GBT, et en conséquence pour exercer en application de l'article L 641-9 du Code de commerce tous les droits et actions de cette société concernant son patrimoine.

Maître B. et maître S. justifient leur saisine du juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE en désignation d'un administrateur ad hoc de la société LA PROVENCE par l'existence d'un conflit d'intérêt au sein de cette société, conflit de nature à compromettre par le jeu de la clause d'agrément la cession aux meilleures conditions de l'actif de la société GBT qu'ils représentent ; en ce faisant, maître B. et maître S. exercent une action permettant selon eux de permettre une meilleure valorisation du patrimoine cédé ; leur action apparaît dès lors recevable en application de l'article L 641-9 déjà cité.

En application de l'article 872 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut prendre toute mesure que justifie l'existence d'un différend ; il peut à ce titre nommer un mandataire ad hoc, en dehors du cas spécifique prévu par l'article R 225-170 du code de commerce en matière de responsabilité civile des organes dirigeants invoqué par la société LA PROVENCE ; il ne peut être contesté en l'espèce qu'il existe un conflit d'intérêt entre les représentants de la société GBT et ceux de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT concernant la reprise des actifs détenus par la société GBT dans la société LA PROVENCE, et ce alors que cette même société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT est à la fois actionnaire minoritaire représenté au conseil d'administration de la société LA PROVENCE, et candidate à la reprise des actifs de la société GBT ; ce conflit impose, comme l'a constaté le juge des référés, de nommer un administrateur ad hoc pour représenter la société LA PROVENCE dans un litige concernant l'application d'une clause statutaire de nature à permettre à l'un des associés minoritaires de cette société de presse de s'opposer à la cession des parts de l'actionnaire majoritaire ; il convient dès lors de confirmer cette nomination d'un administrateur ad hoc, tant dans la procédure de première instance que dans la procédure d'appel.

Sur l'intervention volontaire des deux comités sociaux et économiques encore à la cause.

L'article L 2312-8 du code du travail dispose que ' Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions.

«II. Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur :

1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;

2° La modification de son organisation économique ou juridique ;

(......)'

Si le comité social et économique dispose ainsi d'un droit d'information et de consultation sur les décisions intéressant la marche générale de l'entreprise, il ne peut invoquer une qualité à agir pour représenter en justice les intérêts individuels ou collectifs des salariés, cette mission étant dévolue par la loi aux organisations syndicales ; il ne peut être considéré comme disposant d'un intérêt à agir que dans le cadre d'actions en justice permettant de prévenir ou de mettre fin à des atteintes à ses prérogatives propres définies par les articles L 2312-8 et suivants du code du travail ; c'est dès lors à bon droit que le juge des référés a estimé l'action des trois comités sociaux et économiques irrecevable dans le cadre d'un litige concernant l'application d'une clause statutaire d'agrément, et ce quelles que soient par ailleurs les conséquences de cette application sur le fonctionnement de l'entreprise ; la décision sera en conséquence confirmée sur ce point.

Sur la suspension de la clause d'agrément prévue par les articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE

L'article 873 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, le juge des référés a retenu que la clause d'agrément prévue aux articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE faisait obstacle au processus de réalisation des actifs de la liquidation judiciaire de la société GROUPE BERNARD T. tel que prévu par l'article L 642-19 du Code de commerce et constituait dès lors un trouble manifestement illicite ; il a en conséquence suspendu l'application de cette clause.

La clause d'agrément proprement dite est prévue à l'article 9 des statuts de la société LA PROVENCE dans les termes suivants : ' la cession ou la mutation d'actions, même en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, de cession à un conjoint, descendants ou ascendants, de cession entre actionnaires, doit, pour devenir définitive, en conformité avec les dispositions de l'article 4 du 1er août 1986, être agréée par le Conseil d'Administration' ; cette clause est conforme à une disposition légale, à savoir l'article 4 de la loi du 1er aout 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ; elle ne peut être en conséquence jugée en soi manifestement illicite.

Pour déclarer illicite la clause d'agrément, le premier juge a relevé d'une part les dispositions de l'article 13 des statuts exigeant que l'agrément soit voté à l'unanimité par le conseil d'administration, et d'autre part la présence dans ce même conseil d'administration de deux administrateurs désignés par la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, elle-même candidate à la reprise des actifs de la société GBT ; il en a déduit que cette situation exceptionnelle ne permettait pas de garantir une impérative objectivité du vote des administrateurs représentant la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT et caractérisait un conflit entre les intérêts de celle-ci et l'ordre public des procédures collectives ; du fait de cette situation, ne seraient pas ainsi garanties la réalisation de l'actif de la société GBT dans les meilleures conditions possibles et la préservation des intérêts économiques et sociaux de la société LA PROVENCE S.A.

L'existence dans les statuts d'une société d'une condition d'unanimité du vote du conseil d'administration en cas de cession de parts sociales, quelle que soit la forme prise par celle-ci, n'est contraire à aucune disposition légale ; la régularité même des conditions d'adoption de cette clause par la société LA PROVENCE n'est par ailleurs pas discutée par les parties.

Il ne peut être contesté que cette nécessité d'un agrément par le conseil d'administration constitue pour tout détenteur de parts sociales de la société un obstacle à la cession de celles-ci, obstacle d'autant plus contraignant qu'en l'espèce l'agrément requiert l'unanimité des voix des administrateurs ; dans le cas du présent litige, cet obstacle s'oppose potentiellement à la cession de ses parts par une société en liquidation judiciaire, détenteur de 89 % du capital social ; le caractère d'ordre public de la loi sur la procédure collective ne peut cependant justifier de considérer cette clause restreignant les conditions de cession comme manifestement illicite au motif qu'elle est contraire aux intérêts de la société liquidée ; cette clause est en effet imposée par une disposition légale, l'article 4 de la loi du 1er août 1986, et par les statuts de la société elle-même ; la considérer comme manifestement illicite a priori et en suspendre l'application, avant même toute délibération des membres du conseil d'administration, aurait pour effet de porter atteinte au droit de vote de l'ensemble des administrateurs prévu par la loi et les statuts.

Le juge des référés, et les intimés, relèvent que dans le cas d'espèce la clause revêt un caractère manifestement illicite dès lors que deux des administrateurs sur cinq ont été nommés par la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT, elle-même candidate à la reprise des parts sociales détenues par la société GBT ; de manière incontestable, il existe dans cette occurrence un conflit d'intérêt pour ces deux administrateurs, chargés des intérêts de la société LA PROVENCE par leur mandat et en même temps représentants d'une société candidate au rachat des parts sociales de la société GBT, et donc ayant intérêt à évincer tout autre potentiel acquéreur ; il convient cependant de constater que cette situation très particulière, liée à la composition de l'actif de la société LA PROVENCE et à ses dispositions statutaires, est sans incidence sur la validité et le caractère licite de ces dernières ; le trouble manifestement illicite invoqué par maître B. et maître S., à savoir la contrariété aux dispositions d'ordre public de la loi sur la procédure collective, ne résulte pas de l'existence des articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE, mais pourrait être généré par l'application qui en sera faite au moment du vote par le conseil d'administration statuant sur l'acceptation du repreneur des parts sociales détenues par la société GBT désigné par le juge commissaire ; en l'état ce trouble est hypothétique ; pour les mêmes motifs, le dommage qui résulterait de cette délibération du conseil d'administration ne peut être considéré comme imminent au sens de l'article 873 du code de procédure civile, mais là encore comme hypothétique ; c'est en conséquence à tort que le juge des référés a considéré que les clauses elle-même pouvaient être suspendues en application de cet article 873 du code de procédure civile, observation étant faite qu'une telle suspension a priori porte atteinte à un droit de vote prévu par la loi et les statuts de la société ; il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée, les parties conservant la possibilité de contester en justice l'application qui pourra être faite des dispositions statutaires contestées dans le cadre du présent litige.

Sur les mesures accessoires

Les circonstances de l'espèce imposent en l'état de la procédure de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au détriment de l'une quelconque des parties.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

- ORDONNE la jonction entre les procédures enrôlées sous les numéros 21/18274, 22/785 et 22/3756.

- DÉCLARE le désistement du COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ LA PROVENCE parfait.

- CONFIRME les ordonnances du juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE en date des 20 décembre 2021 et 15 février 2022.

- INFIRME l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de MARSEILLE en date du 11 janvier 2022, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevables les interventions volontaires du comité social et économique de la société LA PROVENCE, de la société EUROSUD PROVENCE et de la société SUD PRESSE DISTRIBUTION, et recevables les interventions volontaires de la société L'AVENIR DÉVELOPPEMENT et de monsieur Stéphane T..

Statuant à nouveau,

- DÉBOUTE les sociétés BDR ET ASSOCIES et la société civile professionnelle BTSG² ainsi que la société civile professionnelle AJILINK A. B. de leur demande en suspension de la clause d'agrément prévue aux articles 9 et 13 des statuts de la société LA PROVENCE.

- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

- MET les dépens à la charge in solidum des sociétés BDR ET ASSOCIES et de la société civile professionnelle BTSG².