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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 3 février 2022, n° 20/16711

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ferrari Expéditions France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

T. com. Paris, du 9 oct. 2020, n° 201700…

9 octobre 2020

La société Ferrari Expéditions France est une société du groupe Ferrari, détenant 68 filiales dans le monde, et constituée pendant les faits litigieux sous forme de société anonyme. Elle exerce une activité réglementée du transport de fonds et objets de valeur dans le domaine du luxe.

Par contrat du 2 décembre 2013, M. Giovanni Battista P. et la société Ferrari SPA, une des sociétés du groupe, ont conclu un contrat de prestation d'opérations intellectuelles jusqu'à février 2014. Le 12 février 2014, M. P. est nommé directeur général de la société Ferrari Expéditions France par le conseil d'administration, à effet au 1er mars 2014 avec une rémunération mensuelle de 7 700 euros brut. Le 13 février 2014, M. P. est nommé administrateur de la société, nomination ratifiée par l'assemblée générale du 3 mars 2014.

Le 2 avril 2014, M. Corrado D. est nommé Président du Conseil d'administration de la société.

Le 23 octobre 2015 M. P. remet sa démission, ce qui est acté par le Conseil d'administration le 30 octobre 2015. Le fils de M. D. est alors nommé directeur général. Aux termes d'un protocole signé entre les parties le 1er novembre 2015, il est convenu que la société attribue à M. P. un bonus de 80 000 euros, que son logement de fonction lui est laissé à disposition jusqu'au 31 décembre 2015 ainsi que la voiture de fonction (Audi A7) qui lui était mise à disposition cédée gratuitement par la Société.

Le 18 avril 2016, la société Ferrari Expéditions France a adressé une lettre à M. P. en date du 18 avril 2016. le mettant en demeure de s'expliquer sur les anomalies découvertes, mise en demeure réitérée le 23 septembre 2016.

Par requête du 22 novembre 2016, la société Expéditions France a déposé près le tribunal de commerce une requête aux fins de saisie conservatoire, qui a été acceptée à hauteur de 228 893 euros. Le juge des référés a levé la saisie conservatoire, à la demande de M. P..

La société Ferrari Expéditions France a assigné M. P. le 4 janvier 2017 devant le tribunal de commerce aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 228 893 euros au titre des trop perçus de rémunération, la somme de 4 955,08 euros au titre des frais non justifiés, la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts, et la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

M. P. a présenté des demandes reconventionnelles, demandant la condamnation de la société Ferrrari à lui payer la somme de 80 000 euros au titre du bonus, à dire prescrite la demande de Ferrari Expéditions France en restitution de la somme de 80 000 euros par ailleurs mal fondée, la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour procédure abusive, et subsidiairement, la somme de 230 000 euros si la demande de Ferrari Expéditions France de restitution de la somme de 80 000 euros devait prospérer, ainsi que 55 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 9 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit M. P. irrecevable en son exception d'incompétence,

- débouté la société Ferrari Expéditions France de sa fin de non-recevoir et de sa demande d'écarter les pièces n°17, 32, 59 et 60 de M. P.,

- condamné M. P. à payer à la société Ferrari Expéditions France les sommes suivantes :

2 455,08 euros au titre de dépenses réglées au moyen de la carte de paiement de l'entreprise, et 15 000 euros au titre d'un abonnement à l'Opéra de Paris,

- débouté la société Ferrari Expéditions France de ses autres demandes et l'a condamnée à payer à M. P. :

La somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

- débouté M. P. de ses demandes autres et plus amples.

- ordonné l'exécution provisoire.

- condamné la société Ferrari Expéditions Fraance aux dépens.

La société Ferrari a interjeté appel par déclaration du 19 novembre 2020.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2021, la société Ferrari Expeditions France demande à la cour de :

INFIRMER l'ordonnance en ce qu'elle a jugé :

Déboute la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE de ses autres demandes,

Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe, liquidés à la somme de 115,41 euros dont 19,02 euros de TVA,

Statuant à nouveau,

DEBOUTER M. P. de sa demande d'irrecevabilité de ses demandes visant à la condamnation de M. P. au versement de la somme de 367.500 euros à la société FERRARI EXPEDITIONS France à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la société, ainsi que toute demande relative à l'usage illégal de l'autorisation préfectorale attribuée à la société FERRARI EXPEDITIONS FRANCE attribuée à la société au profit de la société MALCA AMIT par M. P.,

DEBOUTER M. P. de ses demandes « d'écarter du débat la pièce n°39' » et « d'enjoindre à la société FERRARI EXPEDITIONS France de verser aux débats l'offre de poste et la lettre de promesse d'embauche M. Giovanni Battista P. »,

DEBOUTER M. P. de l'intégralité de ces demandes incidentes,

JUGER que M. P. a indûment perçu la somme de 304 764 euros au titre de sa rémunération,

JUGER qu'elle a subi un préjudice financier s'évaluant à 822 488,81 euros,

JUGER qu'elle a subi un préjudice moral s'évaluant à 367 500 euros,

En conséquence,

CONDAMNER M. P. à lui restituer la somme de 304 764 euros,

CONDAMNER M. P. à lui verser la somme de 822 488,81 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et financier,

CONDAMNER M. P. à lui verser la somme de 367 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la société,

CONDAMNER M. P. à lui verser la somme de 85 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNER M. P. aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er décembre 2021, M. Giovanni Battista P. demande à la cour de :

Confirmer le Jugement, au besoin par ampliation de motifs, en ce qu'il déboute la société FERRARI EXPEDITIONS France de l'essentiel de ses demandes et entre en voie de condamnation à son encontre, soit en ce qu'il :

- Déboute la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE de sa fin de non-recevoir.

- Déboute la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE de sa demande d'écarter les pièces n°17, 32, 59 et 60 de M. P..

- Déboute la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE de ses autres demandes.

- Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

- Condamne la SAS FERRARI EXPEDITIONS France aux dépens.

L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau.

1- In limine litis sur l'irrecevabilité des demandes de l'appelant

Vu l'article 564 du CPC

Déclarer irrecevable en ce que pour la première fois il est demandé à la Cour de le condamner au versement de la somme de 367 500 euros à la société FERRARI EXPEDITIONS France à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la société,

De même rejeter toutes demandes relatives à 'L'usage illégal de l'autorisation préfectorale attribuée à la société FERRARI EXPEDITIONS' au profit de MALCA AMIT'

2- SUR LES PIÈCES

Ecarter des débats les pièces suivantes de l'appelant FERRARI FRANCE : n°39 comme se heurtant au secret professionnel de toute correspondance entre un avocat et son client, et toutes pièces non traduites et non assorties d'une traduction fidèle, de préférence jurée.

Vu la sommation du 4 juin 2020 et l'absence de toute réponse à celle-ci

Constater que la société FERRARI EXPEDITIONS France s'abstient de verser aux débats l'offre de poste et la lettre de promesse d'embauche de M. Giovanni Battista P. et les rémunérations des 5 personnes les mieux payées au titre de l'exercice 2015 (attestations complètes du Commissaire aux comptes sur les 5 personnes les mieux rémunérées au titre de l'exercice 2015 et notamment la deuxième page de sa pièce dite 172 en première instance)

3- Sur les sommes réclamées en appel par FERRARI EXPEDITIONS France au titre des rémunérations et fautes de gestions, et autres préjudices prétendument matériels ou financiers

Sur les sommes sollicitées à titre de dommages intérêts

Vu les fautes de gestion de FERRARI EXPEDITIONS France,

Déclarer que par son inaction pendant a minima 10 mois écoulés, à la suite du départ pourtant annoncé de longue date de M. P., la société FERRARI EXPEDITIONS France a été l'auteur de ses propres préjudices.

Déclarer sans fondement ni lien de causalité tant les fautes de gestion que les prétendues fautes relatives aux embauches ou débauchages allégués attribués à M. P. ;

Débouter de plus fort FERRARI EXPEDITIONS France de toutes ses demandes, fins et conclusions.

4- Sur les sommes réclamées en appel par FERRARI EXPEDITIONS France au titre de tous autres préjudices et d'un préjudice moral

Débouter FERRARI EXPEDITIONS France de toutes ses demandes, fins et conclusions.

5- En tout état de cause sur les APPELS INCIDENTS de M. P.

5.1- Sur l'abonnement à l'Opéra de Paris

Infirmer le Jugement en ce qu'il condamne M. P. à régler 15.000 € au titre d'un « abonnement » à l'Opéra de Paris ET débouter la société FERRARI EXPEDITIONS France de ses demandes.

Le cas échéant ordonner la compensation avec tout chef de jugement qui condamnerait M. Giovanni Battista P. à payer à la SAS FERRARI EXPEDITIONS France les sommes suivantes : 2 455,08 euros au titre de dépenses réglées au moyen de la carte de paiement de l'entreprise.

Condamner la société FERRARI EXPEDITIONS France à régler cette somme à M. P. en deniers ou quittances.

Déclarer de surcroit que FERRARI EXPEDITIONS France est l'artisan de son propre préjudice, faute de justifier avoir seulement tenté d'exercer les options ouvertes par cet abonnement.

La débouter de plus fort de toutes ses demandes.

5.2- Sur le bonus de 80 000 euros

Vu les articles 1103 et 1104 du Code civil

Déclarer que FERRARI EXPEDITIONS France, qui reconnait ne pas avoir versé ce bonus, et en reste formellement débitrice, ne peut donc en solliciter le remboursement.

Vu l'article L 3245-1 du Code du travail

Déclarer prescrite la demande de FERRARI EXPEDITIONS France en « restitution » de la somme de 80 000 euros, formée par voie de conclusions en date du 5 juin 2020.

En toute hypothèse

Déclarer en outre cette demande particulièrement mal fondée, dans la mesure où FERRARI EXPEDITIONS France ne justifie pas du règlement de cette somme ni du dol allégué.

Condamner le cas échéant de nouveau FERRARI EXPEDITIONS France à payer à M. P. au titre dudit Bonus la somme de 80.000 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 23 octobre 2015 et infirmer le Jugement entrepris et ordonner la capitalisation des intérêts légaux.

5.3- Sur les sommes allouées au titre de la procédure abusive

Vu l'article 1240 du Code civil, les différentes accusations de dol et autres accusations diffamatoires commises par FERRARI EXPEDITIONS France, à l'encontre de M. Giovanni Battista P. ;

Vu la procédure manifestement abusive poursuivie inconsidérément en cause d'appel, contre son ancien dirigeant,

Condamner FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à lui payer :

A TITRE PRINCIPAL

la somme complémentaire de 130 000 euros de dommages intérêts en compensation des causes de préjudices qu'il subit à raison de la présente procédure,

SUBSIDIAIREMENT

la somme de 210.000 euros si par extraordinaire la demande de FERRARI en restitution de la somme de 80.000 Euros prospérait d'une manière ou d'une autre,

5.4- Sur les intérêts légaux

Assortir toutes sommes allouées à M. P. des intérêts de droit à compter de la saisie du 2 décembre 2016, subsidiairement du jugement du 9 octobre 2020, ou plus subsidiairement de l'arrêt à intervenir.

Ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343 2 du Code civil.

6- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Débouter la société FERRARI France de ses demandes.

Confirmer le jugement.

Condamner la société FERRARI EXPEDITIONS FRANCE à payer à M. M. Giovanni Battista P. une indemnité totale de 85 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société FERRARI EXPEDITIONS FRANCE aux entiers dépens en ce compris ceux de la saisie et de sa mainlevée de la saisie conservatoire et tous frais d'exécution forcée éventuels.

Faire application de l'article 699 du CPC pour ceux des dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Martine L. B..

SUR CE,

Sur la recevabilité des demandes de la société Ferrari Expéditions France

M. P. fait valoir que la société Ferrari Expéditions France demande pour la première fois en cause d'appel sa condamnation à lui verser la somme de 367 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ; que la réparation de ce préjudice aurait d'abord dû être demandé aux premiers juges, puisqu'il s'appuie sur des faits déjà connus lors de la première instance.

Il expose également que les demandes relatives à l'usage illégal de l'autorisation préfectorale attribuée à la société Ferrari Expéditions France au profit de la société Malca Amit et à l'embauche de la préposée russe Mme S., sont également nouvelles en cause d'appel.

La société Ferrari Expéditions France réplique que ces demandes ne sont pas nouvelles, qu'elles ont été développées devant les premiers juges, qu'elles sont juste plus détaillées en appel ; que ces demandes sont en lien avec les fautes commises par M. P..

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les articles 565 et 566 du même code apportent toutefois deux tempéraments à ce principe :

- les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;

- les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Une demande en réparation d'un préjudice moral est recevable en cause d'appel dès lors qu'elle constitue le complément de la demande en réparation d'un préjudice matériel présentée en première instance.

La société Ferrari Expéditions France demande en appel la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral tiré du déménagement de la société dans des locaux qui n'étaient pas en conformité avec les normes légales en vigueur, 100 000 au titre du préjudice moral tiré de l'absence de certification ISO et d'agrément préalable du CNAPS, 50 000 euros au titre du préjudice moral tiré des négligences commises dans le cadre du départ des anciens locaux, 15 000 euros au titre du préjudice moral lié à l'embauche de Mme S. de nationalité étrangère non autorisée à travailler sur le territoire national, 100 000 euros au titre du préjudice moral résultant de l'emport par M. P. du listing clients pour l'exploiter dans ses nouvelles fonctions au sein de la société Malca Amit, et 2 500 euros au titre du préjudice moral tiré de l'utilisation par M. P. de son agrément auprès des clients de la société Malca Amit.

Il ressort du jugement attaqué que la société Ferrari Expéditions France avait demandé aux premiers juges la condamnation de M. P. à l'indemniser de diverses fautes qu'il aurait commises en sa qualité de directeur général de la société Ferrari Expéditions France, relatives au déménagement de la société dans des locaux inadaptés, à la mauvaise gestion du bail à résilier avec le propriétaire des anciens locaux, à l'absence de demande d'agrément CNAPS et de certification ISO, débauchage de certains salariés ayant bénéficié de formation continue financées par elle, et à diverses dépenses considérées comme réalisées dans l'intérêt personnel de M. P.. Les fautes tenant à l'embauche de Mme S., qui n'est d'ailleurs jamais citée dans le jugement, et à l'usage illégal de l'autorisation préfectorale attribuée à la société Ferrari Expéditions France au profit de la société Malca Amit n'ont pas été invoquées et débattues devant les premiers juges.

Par suite, il ne peut être demandé en appel, pour la 1ère fois, l'indemnisation de préjudices ayant trait à des fautes non évoquées et non débattues devant les premiers juges. Les demandes d'indemnisation à hauteur de 2 500 euros pour le préjudice moral tiré de l'usage illégal de l'autorisation préfectorale attribuée à la société Ferrari Expéditions France au profit de la société MALCA AMIT et à hauteur de 15 000 euros pour le préjudice moral résultant de l'embauche de Mme S., de même que les demandes de réparation des préjudices matériels liées à ces deux fautes, qui sont distinctes et ne constituent pas le complément des autres fautes invoquées en 1ère instance, seront ainsi déclarées irrecevables.

Les autres demandes tendant à l'indemnisation du préjudice moral de la société, présentée pour la première fois en cause d'appel, seront déclarées recevables, car elles se rapportent à des fautes dont l'indemnisation était déjà demandée en première instance.

Sur la recevabilité de la pièce n° 39 produite par la société Ferrari Expéditions France

M. P. indique que cette pièce est un courrier échangé entre son avocat et lui-même, correspondance qui est couverte par le secret professionnel.

La société réplique que Me F. n'était pas l'avocat de M. P. mais l'avocat de la société, qui est donc la partie protégée par le secret professionnel, et peut décider de le lever si elle le souhaite.

Il apparaît que Me F. est effectivement l'avocat de la société Ferrari Expéditions France, et non pas l'avocate de M. P. et que l'échange en question relève de l'exercice par l'avocat de son devoir de conseil envers sa cliente, à l'époque représentée par M. P..

Par suite, la société Ferrari Expéditions France, bénéficiaire du secret professionnel qui s'appliquent aux correspondances qu'elle entretient avec son avocat, peut décider de le lever. La production de ce courrier par la société, sous la pièce n° 39, n'est donc pas irrecevable.

Sur les fautes commises par M. P. et les préjudices qui en ont découlé

- Sur les fonctions de M. P. et sa rémunération

La société reproche à M. P. de s'être versé des sommes importantes non autorisées à titre de rémunération d'une double fonction de salarié et de directeur général ; qu'il a été nommé Directeur Général à durée indéterminée à compter du 1er mars 2014 pour une rémunération brute mensuelle de 7 700 euros, selon décision du conseil d'administration du 12 février 2014 qui ne mentionne aucun contrat de travail préalable ; qu'il a été nommé dès le lendemain administrateur pour une durée de 6 ans.

Elle conteste la véracité du contrat de travail produit par M. P., qui aurait été conclu après sa nomination en qualité de directeur général, qui prévoit justement l'exercice des fonctions de directeur général, qu'il est signé par la directrice administrative et financière non encore salariée de la société à cette date, qu'il mentionne M. Corrado D. comme président alors qu'il ne l'est pas encore à dette date, et qu'aucune cotisation chômage n'est prévue. Elle ajoute qu'il mentionne une prise d'effet au 1er mars 2014, et non pas une prise d'effet rétroactive au 3 février 2014, comme le soutient M. P. ; que le premier bulletin de salaire couvre la période du 1er au 31 mars 2014 et mentionne son mandat de directeur général ; que la somme perçue par M. P. en février 2014, de 10 000 euros, couvre une facture émise par lui le 24 février 2014, précisément parce qu'il n'était pas salarié

Elle ajoute que l'article L. 225-44 du code de commerce prohibe la perception par l'administrateur de toute rémunération ayant un caractère permanent ou non, prohibition dont la violation est sanctionnée par la nullité du contrat de travail et la restitution à la société des salaires indûment perçus.

Si le contrat de travail est antérieur, elle fait valoir qu'il peut être valable s'il couvre un emploi distinct du mandat social, et qu'il existe un lien de subordination avec la société, conditions non remplies en l'espèce : le contrat de travail mentionne la fonction de directeur général et non pas des fonctions salariées, que l'absence de cotisations chômage appuie le fait qu'il n'était pas salarié ; que la circonstance que le prédécesseur de M. P., M. M., ait cumulé les fonctions de directeur général et directeur commercial ne créé aucune coutume ; qu'au contraire, la société a souhaité mettre fin à cette organisation et M. P. a d'ailleurs été chargé de créer un service autonome dédié aux tâches commerciales. Elle ajoute qu'il n'existait aucun lien de subordination entre M. P. et elle, M. P. ayant toute autonomie dans la gestion quotidienne, agissant seul.

Enfin, elle fait valoir que le cumul des fonctions de directeur avec celles de salarié répond à des conditions de forme, comme l'autorisation du Conseil d'administration et un vote en assemblée générale sur rapport spécial du commissaire aux comptes, qui n'ont pas été respectées en l'espèce.

Elle reproche à M. P. d'avoir unilatéralement augmenté sa rémunération, alors que seul le conseil d'administration est compétent pour la fixer, selon l'article L. 225-53 du code de commerce et l'article 14 de ses statuts ; qu'il devait percevoir 7 700 euros brut par mois, et qu'il avait été mis à sa disposition un logement rue croix des petits champs et un véhicule de fonction.

Elle lui reproche de l'avoir augmenté à 12 617 euros dès le mois de mars 2014, maintenu ensuite pour toute l'année 2014, de l'avoir encore augmenté à 23 023 euros mensuels en 2015, et de s'être octroyé une prime de 67 783 euros. Elle estime que cette augmentation est disproportionnée par rapport à l'évolution du chiffre d'affaires et en tout état de cause non autorisées par le conseil d'administration et versée avec la complicité de Mme A., directrice administrative et financière en charge des paies, au moment où la société changeait d'expert-comptable. Elle précise que le commissaire aux comptes, le cabinet Mazars, ne l'ayant pas alertée, elle a sollicité sa démission, ce qu'il a accepté de faire par courrier du 14 juin 2016. Elle souligne que les comptes annuels présentés au conseil d'administration ne comportaient pas le détail des rémunérations des dirigeants, et que les liasses fiscales qui comportaient ces détails n'ont pas été communiqués avec les comptes annuels.

Elle demande donc la restitution de 304 764 euros perçus indûment par M. P..

M. P. réplique que le jugement parfaitement motivé doit être confirmé ; que le montant de sa rémunération était proportionnée au travail accompli ; que la somme de 7 700 euros brut mensuelle pour le directeur général d'une société de 50 personnes assumant en outre toutes les fonctions commerciales n'apparaît pas sérieuse ; que le directeur général et commercial M. M., ainsi que son adjoint ont quitté la société au moment de son arrivée, qu'il n'a recruté personne pour les remplacer et a donc assumé, comme M. M., les deux fonctions ; que sa rémunération antérieure était bien supérieure à celle de 7 700 euros, comme celle de M. M. qui a perçu en février 2014 presque 40 000 euros mensuel ; que cette rémunération n'a jamais été remise en cause.

Il ajoute qu'il a été employé par la maison mère italienne dès le 3 février 2014, même si ce contrat n'a pas été formalisé par écrit à ce moment-là ; qu'il a ensuite cumulé, à compter du 1er mars 2014, les qualités de mandataire social et salarié, ce qui est possible en vertu de l'article L. 225-21-1 du code de commerce dans les sociétés anonymes ne dépassant pas certains seuils, si le contrat de travail est antérieur au mandat social, si la personne exerce des fonctions techniques distinctes des fonctions relevant du mandat social et s'il existe un lien de subordination du salarié vis à vis de la société, conditions remplies en l'espèce, puisqu'il a commencé à travailler dès le 3 février 2014, a recruté la directrice administrative et financière courant février 2014, puis a assuré le développement commercial de la société pendant 22 mois, permettant une forte progression du chiffre d'affaires (de 7 millions à 9,5 millions d'euros).

Il indique que le 'customer service' mis en place sous sa direction n'a pas pour mission la prospection commerciale, mais prend simplement en charge l'appel ou le mail du client pour effectuer le devis ou la cotation de la prestation demandée et une assistance auprès de la clientèle.

Il souligne que s'il gérait le quotidien de la société, il devait en référer pour toute décision plus importante, comme l'achat des locaux [...], auprès de la société mère, Ferrari Genève, et il rendait compte très régulièrement de son activité auprès de M. D., par téléphone ou en se déplaçant en Italie ou en Suisse ; que la société a fait l'objet de deux audits entre mars 2014 et juillet 2015.

Il ajoute qu'en tout état de cause sa rémunération a été validée, que les comptes étaient audités tous les trimestres, les données transmises au cabinet Mazars, et les liasses fiscales communiquées au conseil d'administration avec les comptes ; que le cabinet Mazars n'a pas été limogé en raison de sa rémunération soit disant cachée ; que Mme A. n'était pas en charge de traiter les paies qui relevaient du service comptable ; que son premier bulletin de paie, du mois de mars 2014, fait passer sa rémunération de 7 700 euros bruts à 15 592 euros brut ; que la société Ferrari Expéditions France ne voulait pas que la rémunération exacte de son directeur général soit publiée et connue.

Il ajoute que de nombreux gérants ne cotisent pas à l'assurance chômage, comme M. M. avant lui. Il reproche à la société Ferrari Expéditions France de ne produire aucun compte, aucune convocation en assemblée générale, ni délibérations et ordre du jour, permettant d'apprécier si sa rémunération a été dissimulée. Il explique que la question des rémunérations a été abordée au conseil d'administration du 13 mai 2015, validé par le commissaire aux comptes le 23 juin 2015 et non contestée par l'assemblée générale du 30 juin 2015

Il est constant, et d'ailleurs non contesté, que M. P. a, antérieurement à sa nomination en qualité de directeur général puis administrateur de la société, effectué diverses prestations pour la société Ferrari SPA (autre société du groupe) jusqu'à février 2014. Si M. P. allègue qu'il aurait alors été recruté le 3 février 2014 par la société Ferrari Expéditions France en qualité de directeur commercial sans qu'un contrat de travail ne soit formalisé, comme la loi le permet, il lui appartient cependant de démontrer l'existence de ce lien contractuel. La circonstance qu'il ait établi le 7 mars 2014 un rapport de gestion sur la société Ferrari Expéditions France ne permet pas d'établir qu'il en aurait été, le mois précédent, salarié, le fait qu'il ait effectué diverses prestations entre décembre 2013 et février 2014 pour la société Ferrari SPA pouvant expliquer qu'il ait eu, dès ses nominations de directeur général et administrateur, une connaissance des problématiques des sociétés du groupe.

De même, la circonstance que M. Giorgio D. évoque, dans un courriel du 11 mai 2015, le mois de février 2014 comme le début de leur relation de travail ne peut suffire à démontrer l'existence d'un recrutement de M. P. comme directeur commercial le 3 février 2014, cette précision temporelle pouvant correspondre à la décision du conseil d'administration du 12 février 2014 de le nommer directeur général à compter du 1er mars 2014.

Il ressort d'ailleurs de ce procès-verbal de nomination qu'il n'est fait aucune allusion à l'existence d'un contrat de travail conclu préalablement, comme il n'y en a aucune dans le procès-verbal le nommant administrateur

Le contrat de travail produit par M. P., qui aurait été établi postérieurement, soit le 1er mars 2014, ne peut se voir conférer aucune force probante, au vu des multiples incohérences et inexactitudes qu'il contient concernant la fonction exercée, la date de début des fonctions, la qualité de directrice administrative et financière de la signataire, la mention de l'identité du Président etc...De même, il ne peut être tiré aucune argument dans un sens comme dans l'autre, de l'absence de cotisations à l'assurance chômage sur les bulletins de paie de M. MP..

Par suite, M. P. n'établit pas avoir, avant sa nomination en tant qu'administrateur, été recruté en tant que salarié par la société Ferrari.

Concernant sa rémunération, il ressort du procès-verbal de sa nomination en tant que directeur général du 12 février 2014 que le conseil d'administration a entendu la fixer à la somme de 7 700 euros brut par mois, à laquelle s'ajoute, sur justification, le remboursement de ses frais de représentation et de déplacement. Il était en outre convenu la mise à disposition d'un logement et d'un véhicule de fonction. Aucun procès-verbal de conseil d'administration postérieur à celui-ci, et actant une augmentation de sa rémunération, n'est produit.

Pourtant, M. P. a perçu, pour les mois de mars à décembre 2014, la somme totale de 157 066 euros, puis, pour la période allant de janvier à octobre 2015, la somme totale de 358 803 euros, selon l'attestation du nouvel expert-comptable de la société (dont 127 940 euros de salaire pour la 1ère période, et 159 427 euros pour la 2nde période).

La société Ferrari Expéditions France invoque la dissimulation de ces augmentations de rémunération, dissimulation réalisée avec la complicité de la directrice administrative et financière, Mme A., et grâce à l'absence de suivi régulier des comptes en 2015 par un expert-comptable, l'ancien cabinet ayant arrêté sa mission après la clôture des comptes 2014 et le nouveau cabinet Audexia n'ayant commencé sa mission que fin 2015, ainsi qu'à des erreurs du commissaire aux comptes, le cabinet Mazars, ce qui a conduit à sa démission le 14 juin 2016.

Il ressort des pièces produites que Mme A. a indiqué, dans un courriel du 11 mai 2015 adressé à Mme G. du cabinet Mazars, sur son interrogation relative au dépassement, pour 2014, de la rémunération fixée par le conseil d'administration pour M. P., que cette augmentation a été acceptée verbalement et qu'elle sera actée par le conseil d'administration du 13 mai 2015. Le procès-verbal de ce conseil d'administration n'étant produit par aucune des parties, il n'est pas possible pour la cour de vérifier si la rémunération de M. P. a été débattue.

Cependant, il ne ressort d'aucune des pièces produites que la société Ferrari Expéditions France aurait reproché des erreurs ou omissions quant à la rémunération de son directeur général à son commissaire aux comptes, le cabinet Mazars, et que c'est pour cette raison qu'elle lui aurait demandé de démissionner en juin 2016.

Il ressort au contraire des documents comptables produits que les comptes comprenaient bien, de manière lisible et compréhensible, le montant des rémunérations versées à M. P. ; que l'attestation du commissaire aux comptes produite par la société Ferrari pour l'exercice 2015 indique que le commissaire aux compte n'a 'pas d'observations à formuler sur la concordance du montant global des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées figurant dans le document joint et s'élevant à 597 926 euros (...)'. La cour relève que le document joint n'est pas produit, alors qu'il contient, selon l'attestation, le détail des personnes visées par ces rémunérations.

De même, il ne peut être soutenu que la société n'aurait fait l'objet d'aucun suivi par un expert-comptable en 2015 dès lors que la mission du précédent cabinet a fini au moment de l'approbation des comptes de l'exercice 2014, en juin 2015, et que le cabinet Audexia a été contacté dès juillet 2015 par M. P. pour prendre sa suite au 3ème trimestre 2015.

Il ressort des comptes annuels clos le 31 décembre 2014 et certifiés par le commissaires aux comptes, que le total des rémunérations des 5 personnes les mieux rémunérées de la société (pour un total de 412 431 euros) fait l'objet d'une attestation spéciale, et que le détail de ces rémunérations figure dans le relevé des frais généraux ; des comptes annuels clos le 31 décembre 2015 que le rapport du commissaire aux comptes mentionne le montant de la rémunération totale des membres organes de direction, soit la somme de 358 803 euros

Il ressort également du solde de tout compte demandé par M. P. le 23 octobre 2015 dans le cadre du départ de son départ qu'il demande le paiement d'un bonus de 100 000 euros négocié en janvier 2015, qui sera renégocié à 80 000 euros, ce qui conforte l'hypothèse selon laquelle la rémunération de M. P. était en réalité supérieure à celle actée par le conseil d'administration lors de sa nomination. M. Corrado D. a s'est d'ailleurs vu transmettre le 30 octobre 2015 le bulletin de paie d'octobre 2015 de M. P. par Mme A., et qu'il a ensuite donné son feu vert pour que la somme de 86 355, 91 euros comme solde de tout compte soit virée sur le compte de M. P., sans qu'il n'émette d'objections sur la rémunération de M. P. figurant sur ce bulletin de paie.

Il en résulte qu'il ne peut être reproché à M. P. aucune dissimulation administrative ou comptable de sa rémunération, qui est d'ailleurs cohérente avec celle perçue par son prédécesseur et avec la taille de la société dont la direction était assurée, et avec celle qu'il perçoit aujourd'hui pour des fonctions similaires chez une société concurrente de la société Ferrari Expéditions France.

Par suite, il parait peu probable que la société Ferrarri ait découvert, a posteriori, par le biais d'un audit, l'existence de ces rémunérations, qui ne pouvait avoir échappé à la connaissance du Président de la société et de ses administrateurs. Il y a donc lieu de considérer que ces rémunérations lui ont été valablement versées, même si elles n'ont pas fait l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration. La demande de restitution du trop-perçu présentée par la société Ferrari Expéditions France sera donc rejetée.

- Sur les fautes et négligences de M. P.

La société reproche aux premiers juges d'avoir opéré une confusion entre les pouvoirs du directeur général et ceux du conseil d'administration ; que ses statuts ne limitent pas les pouvoirs du directeur général qui a une totale liberté de gestion de la filiale ; qu'ainsi le conseil d'administration a fait entièrement confiance à M. P. et n'a jamais eu d'informations lui laissant penser que M. P. se comportait comme un mauvais dirigeant et préparait son départ dans une société concurrente.

Elle fait valoir des fautes et négligences dans la gestion de la société :

- acquisition de nouveaux locaux non conformes à l'activité de la société, au [...] ; que le compromis d'acquisition des locaux prévoyait une condition suspensive tenant à l'autorisation par la mairie de travaux visant à permettre l'entrée dans l'immeuble des véhicules transporteurs de fonds et de bijoux, et la création d'un bateau sur le trottoir ; que M. P. a indiqué au conseil d'administration que ces conditions étaient levées alors qu'il y a en réalité renoncé, comme l'indique l'acte définitif ; que cette acquisition de locaux non conformes lui cause un préjudice de 30 000 euros.

M. P. réplique que le nouveau siège a été acquis sur autorisation des administrateurs, qu'il avait pris le soin de négocier une condition suspensive de mise en conformité des locaux.

D'une part, il est constant, et non contesté, que le compromis signé le 12 mars 2015 pour l'acquisition des locaux de la [...] contenait une condition suspensive liée à l'obtention de l'autorisation de la mairie de Paris quant à la réalisation de travaux permettant le stationnement du parc automobile de la société dans l'immeuble à acquérir.

D'autre part, il ressort de l'échange intervenu le 20 juillet 2015 entre M. P. et Me F. que cette dernière a attiré l'attention de M. P. sur l'absence d'autorisation de la mairie de Paris quant aux travaux envisagés, et lui a conseillé, dans l'optique d'engager éventuellement la responsabilité de l'architecte qui aurait déposé le dossier auprès de la mairie avec du retard, de faire mentionner dans l'acte définitif cette situation de retard.

Enfin, l'acte définitif de cession, signé le 5 août 2015, mentionne que la société, représentée par M. P., renonce à la condition suspensive tenant à l'autorisation préalable de la mairie pour effectuer les travaux de mise en conformité des locaux avec l'activité, et déclare faire son affaire personnelle de l'obtention de cette autorisation. Il est également indiqué que 'l'acquéreur déclare avoir déposé le dossier de déclaration préalable de travaux à la Mairie de Paris le 5 juin 2015 (...). Le dossier étant incomplet, l'acquéreur n'a pas obtenu à ce jour l'autorisation administrative dont s'agit, et les pièces complémentaires réclamées (...) ont été adressées à la Mairie de Paris le 23 août 2015".

Par suite, il apparaît que M. P. a négocié une condition, suspensive lors de la promesse d'achat, puis a suivi les conseils de Me F. en faisant figurer dans l'acte définitif les précisions qu'elle lui suggérait. Ce comportement ne peut donc être qualifié de fautif par la société Ferrari Expéditions France.

- intégration du personnel dans les nouveaux locaux non conformes aux normes de sécurité (non-conformité électrique, absence de chauffage et de climatisation, manque d'extincteurs, ...) : elle chiffre son préjudice économique à la somme de 324 170, 35 euros, et son préjudice moral à la somme de 100 000 euros ;

Il apparaît, comme l'ont relevé les premiers juges, que les décisions d'acquisition de nouveaux locaux et de déménagement relèvent du conseil d'administration et, au-delà, de la direction du groupe ; qu'il ne ressort pas des pièces produites que le déménagement organisé le 19 octobre 2015 ait été précipité par M. P. ; que dès lors, il ne peut lui être considéré comme le seul responsable de l'emménagement dans des locaux dont la non-conformité en terme de sécurité a été relevée fin août 2016, soit près d'un an après son départ.

- exercice de l'activité sans procéder aux demandes de certifications et d'agréments nécessaires à l'exercice de l'activité : la société fait valoir qu'il appartenait au directeur général de procéder aux démarches administratives élémentaires liées à l'activité de la société, comme la certification ISO et l'agrément du CNAPS ; que cette faute lui a causé un préjudice économique de 30 000 euros et un préjudice moral de 100 000 euros ;

M. P. réplique que la certification ISO des nouveaux locaux ne pouvait être demandée qu'après la fin de travaux, et qu'il a démissionné avant ; de même pour l'agrément de la CNAPS. Il ajoute que la société n'établit en outre pas que cette certification soit obligatoire.

Il ressort des pièces produites que si la société reproche à M. P. de ne pas avoir fait les démarches en vue de l'obtention de la certification ISO avant son départ en octobre 2015, elle justifie les avoir ensuite effectuées en décembre 2017. Par suite, ce délai permet de mettre en doute le caractère essentiel de cette certification revendiquée par la société sans plus de précision.

Il ressort également de la pièce n° 46 produite par la société Ferrari Expéditions France que l'agrément obtenu le 29 septembre 2016 concerne le dirigeant de la société, comme le précise l'en-tête de la décision ('Vu la demande présentée le 23/12/2015 par le dirigeant ou gérant, pour obtenir une autorisation d'exercer, pour le compte de l'établissement Ferrari France sis [...]') ; qu'il ne peut être reproché à M. P. de ne pas avoir sollicité l'agrément de la personne appelée à le remplacer à ses fonctions de directeur général, démarche qu'il appartenait à son successeur de diligenter.

Par suite, aucune faute ne sera retenue à son encontre du fait de l'obtention tardive d'une certification ou d'un agrément.

- négligences liées au départ des anciens locaux : M. P. a procédé à un déménagement partiel des locaux, sans régler le dernier trimestre 2015 qui venait à échéance le 30 septembre 2015, ce qui a engendré un commandement de payer le 13 novembre 2015 réclamant, outre le montant des loyers de 33.096,25 euros, une clause pénale de 3.309,62 euros soit la somme de 36.405,87, puis une saisie-conservatoire sur les comptes de la société le 20 novembre 2015 ; que cela a généré un préjudice économique de 128 746, 85 euros et un préjudice moral de 50 000 euros ;

M. P. réplique qu'il avait averti le bailleur du changement de locaux à venir et que la résiliation du bail devait être formalisée en novembre 2015, soit après son départ ; que le paiement du dernier trimestre aurait également de l’être réglé après son départ.

Il ressort des pièces du dossier que M. P. a tenté, dans le cadre du départ de la société Ferrari Expéditions France de ses anciens locaux, de négocier une reprise du bail avec le cabinet d'architecte louant les locaux situés juste en dessous, en accord avec le bailleur M. F., le transfert de la jouissance des lieux étant envisagé au 1er janvier 2016 ; que les derniers échanges à ce sujet datent de fin septembre 2015. Il ne peut donc être reproché à M. P. une quelconque négligence dans le suivi de ce dossier, dès lors qu'il appartenait à son successeur de reprendre les discussions à ce sujet dès la fin octobre 2015, ce qui n'a manifestement pas été le cas.

De même, il n'appartenait pas à M. P., qui a quitté la société fin octobre 2015, d'assurer la remise en état des anciens locaux libérés à compter du 19 octobre 2015, jour du déménagement, mais à son successeur de finaliser cette tâche. Le coût du déménagement, de la remise en état des locaux et les différends survenus avec le bailleur à la suite de ce déménagement ne peuvent donc pas lui être imputés.

Enfin, comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, la société Ferrari Expéditions France avait toute latitude pour régler l'échéance de loyers de ses anciens locaux du 1er octobre 2015 après le départ de M. P.. Elle ne peut arguer de ce qu'elle ignorait que ce paiement n'avait pas eu lieu avant son départ, M. P. n'étant pas, en tant que directeur général, en charge de réaliser lui-même les paiements, la société disposant pour ce faire de services administratifs et comptables chargés de cette tâche.

Par suite, il y a lieu de confirmer le jugement qui n'a retenu aucune faute de ce chef à l'égard de M. P.;

- Sur les dépenses engagées par M. P. dans son intérêt personnel ou dans un intérêt contraire à l'intérêt social

La société Ferrari Expéditions France détaille les dépenses engagées par M. P. dans son intérêt propre :

- achat d'un tableau d'art d'Italie de 2 500 euros en avril 2015,

- charges patronales liées à sa rémunération abusive, à hauteur 208 689 euros,

- emport par M. P. lors de son départ d'un ordinateur Macbook air et d'un ipad appartenant à la société, valant respectivement 1199 euros et 924 euros,

Soit la somme totale de 213 312 euros.

Comme il l'a été précédemment indiqué, M. P. ne s'étant octroyé aucune rémunération abusive, il y a lieu de ne pas faire droit à la demande de remboursement des charges patronales déboursées en conséquence.

S'agissant du tableau, de l'ordinateur Macbook Air et de l'ipad, la société Ferrari Expéditions France a indiqué ne pas avoir récupéré ces objets lors du départ de M. P., ce que ce dernier ne conteste pas.

Par suite, et alors même que ces achats auraient été effectués conformément à l'intérêt social, il y a lieu de condamner M. P., qui en a conservé la jouissance à titre personnel après sa démission, à en rembourser le montant à la société Ferrari Expéditions France, soit la somme totale de 4 623 euros (2 500 + 1 199 + 924).

- Sur la mauvaise foi et la déloyauté de M. P.

La société reproche à M. P. de n'avoir privilégié que son intérêt ou celui de la société MALCA AMIT qu'il a ensuite rejoint. Elle soutient qu'il a fait preuve de mauvaise foi :

- dans les motifs de sa démission : M. P. a indiqué souhaiter changer de voie et cultiver des vigne, ce qui a conduit la société Ferrari Expéditions France à lui attribuer des conditions de départ très avantageuses (bonus de 80 000 euros net payé fin octobre 2015 ; bénéfice de l'appartement de fonction jusqu'au 31 décembre 2015 ; lui offrir son véhicule de fonction), dans un contexte de dol, qui lui a causé un préjudice économique de 80 000 euros ;

- dans la préparation anticipée de son départ auprès d'une société concurrente et le débauchage de salariés au bénéfice desquels la société a financé des formations professionnelles : M. P. est finalement parti avec Mme A., directrice administrative et financière, qui a procédé à une sauvegarde de son disque dur externe comportant toutes les données confidentielles auxquelles elle avait accès ; que M. C., Mme B., M. D. , M. C. , M. S. ont démissionné entre octobre et décembre 2015, après avoir suivi des formations professionnelles financées par la société Ferrari Expéditions France, pour rejoindre M. P. et la société MALCA AMIT ; ces départs lui ont causé un préjudice moral de 100 000 euros, et un préjudice économique relatif aux frais de formation engagés ( 7 297 euros).

M. P. réplique qu'à partir de mai 2015, suite au retrait de M. Giorgio D., son mentor, pour cause de maladie, et de l'arrivée de son fils, le climat s'est tendu et la confiance a été rompue ; qu'en septembre 2015 M. D. fils a évoqué son départ, ce qui était confirmé par M Corrado D. en octobre 2015 lors de sa venue à Paris.

Il indique qu'il n'avait aucune obligation de non-concurrence dans son contrat, et qu'il était donc en droit de rejoindre la société MALCA-AMIT ; que ces deux sociétés évoluent sur un marché de niche et s'échangent souvent des collaborateurs ; que si 5 salariés mécontents ont rejoint la même société que lui, ce n'est pas à son initiative ; que la formation continue des salariés est une obligation de l'employeur qui ne peut lui être reproché.

Si la société Ferrari Expéditions France allègue un dol et une déloyauté de M. P. relatifs aux motifs de sa démission, force est de constater qu'elle ne produit aucun élément au soutien de ses affirmations.

De même, elle n'établit pas plus que le départ de plusieurs salariés dans les mois qui ont suivi le départ de M. P. ait été orchestré par celui-ci.

Enfin, elle est tenue, en tant qu'employeur, à une obligation de financement de la formation continue de ses salariés, dont elle ne peut demander réparation à M. P..

Sur les demandes reconventionnelles de M. P.

- Sur la condamnation à rembourser l'adhésion souscrite par la société Ferrari Expéditions France à l'Opéra

M. P. demande l'infirmation du jugement qui l'a condamné à rembourser l'abonnement à l'opéra, à hauteur de 15 000 euros, pris quelques jours avant son départ. Il précise que cette demande de remboursement n'a jamais été évoquée avant la procédure judiciaire, et que cette dépense a été engagée dans l'intérêt exclusif de la société Ferrari Expéditions France pour les 30 ans du groupe, qu'il s'agit d'un abonnement 'Club Entreprise' qui ouvre droit à un crédit d'impôt de 60% ; que la société ne verse aucun élément sur les places qui auraient été achetées avec cet abonnement.

La société réplique que ce contrat a été conclu quelques jours avant le départ de M. P. et que le rapport d'audit de M. Beguin V. démontre que des places ont été réservées pour des personnes inconnues de la société, ce qui démontre que cet abonnement a été pris dans l'intérêt personnel de M. P. et non pas dans l'intérêt de la société.

Il ressort de ce contrat d'adhésion conclu en septembre 2015 au nom de la société Ferrari Expéditions France qu'il donnait, moyennant une adhésion d'un montant de 15 000 euros, un droit d'accès à des tarifs préférentiels pour certains spectacles. Cependant, il ne ressort pas du rapport d'audit de M. Beguin V., contrairement à ce que prétend la société Ferrari Expéditions France, que des places auraient été réservées pour des personnes inconnues jusqu'au 9 février 2016, le rapport se contentant de mentionner, dans la rubrique 'analyses des charges externes', des frais de cotisation pour le contrat d'adhésion. Par suite, il ne peut être retenu une utilisation à titre personnel par M. P. de cette adhésion, qui ne heurte pas l'intérêt social, une société pouvant souhaiter, dans le cadre du développement de ses relations commerciales, inviter des clients à des événements de ce type;

- Sur le bonus de 80 000 euros accordé à M. P.

M. P. indique que son bonus de départ de 80 000 euros lui a été versé par une autre entité du groupe, Ferrari Expéditions à Lugano ; il s'oppose à la demande de restitution formée par la société Ferrari Expéditions France.

La société Ferrari Expéditions France indique que cette somme a été accordée dans le cadre d'un dol, et qu'elle a bien été versée par la société Expéditions Sa sise à Lugano.

La cour relève que M. P. ne conteste plus avoir perçu cette somme. Le dol ayant été écarté précédemment il n'y a donc pas lieu de faire droit aux demandes de versement ou de restitution formées par les parties à ce sujet.

- Sur la demande de condamnation de la société Ferrari Expéditions France pour procédure abusive

M. P. demande la condamnation de la société Ferrari pour procédure abusive et le versement de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts. Il fait valoir l'absence volontaire de résolution du litige à l'amiable, les communications délibérément tardives, l'intention malveillante de la société à son égard avec la volonté d'attenter à sa réputation, le doublement des prétentions entre la 1ère instance et l'appel, et l'attitude dilatoire de la société. Il demande en outre la confirmation du jugement qui a condamné la société Ferrari Expéditions France à lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts.

La société Ferrari Expéditions France conteste ce chef de demande, indiquant être la seule victime des comportements de M. P..

Il y a lieu de constater que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société Ferrari Expéditions France dans la lenteur de la procédure. Il y a lieu de constater également qu'en cause d'appel, la société a quasiment doublé le montant de ses demandes à l'encontre de M. P., alors qu'une fois encore, l'essentiel de ses demandes a été rejeté.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'un abus du droit d'agir, mais de l'infirmer quant au quantum de la réparation retenue, pour la fixer à la somme de 40 000 euros.

Sur les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Chaque partie demande sur ce fondement la somme de 85 000 euros.

Il y a lieu de condamner la société Ferrari Expéditions France, qui succombe en ses demandes, à payer à M.P. la somme de 20 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les demandes d'indemnisation formées par la société Ferrari Expéditions France relatives à l'embauche d'une salariée en situation irrégulière et à l'usage par la société Malca Amit de son autorisation préfectorale ;

Déboute M. Giovanni Battista P. de ses autres demandes d'irrecevabilité relatives à l'indemnisation du préjudice moral de la société Ferrari Expéditions France et à la production de la pièce n° 39;

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Ferrari Expéditions France de sa demande de condamnation de M. Giovanni Battista P. à lui rembourser la somme de 2 500 euros correspondant à l'achat d'un tableau et à lui rembourser l'ordinateur et la tablette qu'il a conservé après son départ ;

Statuant à nouveau,

Condamne M. Giovanni Battista P. à payer à la société Ferrari Expéditions France la somme de 4 623 euros ;

Infirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné M. Giovanni Battista P. à payer à la société Ferrari Expéditions France la somme de 15 000 euros au titre d'un abonnement à l'Opéra de Paris ;

Statuant à nouveau,

Déboute la société Ferrari Expéditions France de cette demande ;

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Ferrari Expéditions France à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 20 000 à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Ferrari Expéditions France à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal et anatocisme à compter du 9 octobre 2020 ;

Y ajoutant,

Condamne la société Ferrari Expéditions France à payer à M. Giovanni Battista P. la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la société Ferrari Expéditions France aux entiers dépens d'appel.