Cass. com., 21 septembre 2022, n° 20-16.994
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Rapporteur :
Mme de Cabarrus
Avocats :
SCP Richard, SCP Ohl et Vexliard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2020), par acte daté du 10 juillet 2013, M. [S], salarié de la société [M] Deutschland, filiale de la société [M] gestion Luxembourg, elle-même filiale de la société [M] gestion, a acquis 500 actions de la société [M] gestion et a adhéré au pacte d'actionnaires du 9 mai 2006. Ce pacte stipule, en son article 4.2, intitulé « promesse de vente I », qu'en cas de rupture du contrat de travail de l'actionnaire salarié, ce dernier s'engage à céder ses actions à M. [M] ou toute personne qu'il se sera substituée, lequel, aux termes de l'article 4.1, intitulé « promesse d'achat I », promet de les acquérir. Le pacte prévoit qu'en cas de rupture résultant d'un licenciement, le prix des actions cédées par le salarié ne pourra excéder leur prix d'acquisition si le salarié les a acquises dans les vingt-quatre mois précédant la rupture.
2. Considérant que M. [S] avait été licencié par la société [M] Deutschland le 5 février 2014 et invoquant les stipulations du pacte en cas de licenciement, M. [M] s'est substitué la société [M] gestion Luxembourg, qui a exercé la promesse portant sur les 500 actions acquises en 2013 par M. [S]. Ce dernier s'étant opposé au transfert des titres, M. [M] et la société [M] gestion Luxembourg l'ont assigné en exécution forcée du pacte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième et septième branches, et le second moyen, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'exécution forcée du pacte d'actionnaires de la société [M] gestion du 9 mai 2006, de dire que la vente des 500 titres de classe A de la société [M] gestion détenus par M. [S] est parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la promesse de vente I par M. [M], de dire que l'article 6.2 du pacte est applicable, de dire en conséquence que le prix de cession s'élève à la somme de 1 501 745 euros, de dire que le transfert de propriété est intervenu le 31 août 2015, de dire que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d'octobre 2015 auraient dû être distribués à la société [M] gestion Luxembourg et d'ordonner la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière, alors « que présente un caractère perpétuel et est à ce titre entaché de nullité, l'engagement dont la durée est telle qu'elle ne respecte pas la liberté individuelle de celui qui l'a souscrit ; qu'en déboutant M. [S] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du pacte d'actionnaires de la société [M] gestion pour vice de perpétuité, en ce qu'il le liait jusqu'en 2088, motif pris qu'entre temps, il pouvait mettre fin à ses obligations résultant du pacte en faisant jouer la garantie de liquidité, après avoir cependant constaté qu'avant cette échéance, M. [S] n'était en droit de céder ses actions qu'à M. [M] ou l'un de ses substitués, à un prix qu'il ne pouvait fixer lui-même, puisque déterminé selon des modalités de calcul prédéfinies, ce dont il résultait que M. [S] ne pouvait librement mettre fin à ses obligations résultant du pacte avant 2088 et que celui-ci était en conséquence affecté d'un vice de perpétuité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1780 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.
6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [S] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même l'indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ses clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; qu'en se bornant à énoncer, pour s'abstenir de rechercher si le prix de base de cession des actions, fixé par l'article 6.1 du pacte d'actionnaires, n'était pas déterminé ou déterminable, que le prix des actions de M. [S] devait en toute hypothèse être plafonné en application de l'article 6.2 dudit pacte, la cour d'appel, qui ne s'est pas placée à la date de la signature du pacte d'actionnaires pour en apprécier la validité au regard de la détermination du prix, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code ;
3°/ que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ces clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; que l'article 6.1 du pacte d'actionnaires fixe le prix de base de cession des actions de la société [M] gestion, dans la limite du plafond fixé par l'article 6.2 en cas de licenciement de l'actionnaire cédant ; qu'en affirmant, pour refuser d'annuler la promesse de vente I et la promesse d'achat I, que le prix était déterminable en ce qu'il avait été plafonné, bien que la détermination du prix de cession ait supposé de déterminer préalablement le prix de base, puis de le comparer avec le prix plafonné, de sorte que ce prix de base devait être déterminable, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1591 du même code :
8. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Il résulte du second que si le contrat de vente peut ne pas porter en lui-même l'indication du prix, ce prix doit être déterminable et ne pas dépendre de la seule volonté d'une des parties ni d'un accord ultérieur entre elles.
9. Pour rejeter la demande d'annulation des « promesse de vente I » et « promesse d'achat I » fondée sur l'application de l'article 6.2 relatif au plafonnement du prix, ordonner l'exécution forcée du pacte d'actionnaires, dire que la vente des 500 titres de classe A de la société [M] gestion détenus par M. [S] est parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la promesse de vente I par M. [M], dire que l'article 6.2 du pacte est applicable, dire en conséquence que le prix de cession s'élève à la somme de 1 501 745 euros, dire que le transfert de propriété est intervenu le 31 août 2015, dire que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d'octobre 2015 auraient dû être distribués à la société [M] gestion Luxembourg et ordonner la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires stipule qu' « en cas de rupture résultant d'un licenciement, d'une révocation ou d'une démission pour quelque cause que ce soit, le prix de cession des titres acquis par le salarié dans les 24 mois précédant la rupture ne pourra excéder le prix d'acquisition des titres en question », retient que M. [S] ayant été licencié, sa situation entre dans le cas prévu à l'article 6.2 du pacte et en déduit qu'il est inutile d'examiner si le prix fixé par l'article 6.1 était déterminable.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prix fixé par l'article 6.1 du pacte d'actionnaire, dont l'article 6.2 ne faisait que plafonner le montant dans certaines hypothèses, était déterminable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
11. Dans les motifs de sa décision, l'arrêt confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, et dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S]. Ce n'est que par une erreur manifestement matérielle, que la Cour est en mesure de réparer, en application de l'article 462 du code de procédure civile, qu'il omet de reprendre ces rejets dans le dispositif de sa décision. La cassation ne sera donc pas étendue à ces chefs de dispositif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Rectifie le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en ce sens que, en page 17, après les mots « PAR CES MOTIFS », il y a lieu de lire « Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, et dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S] » ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, en ce qu'il dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S], dit recevables les demandes reconventionnelles de M. [S] en lien avec les options, et déboute M. [S] de ses demandes reconventionnelles relatives aux options, l'arrêt rendu le 22 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.