CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 29 janvier 2013, n° 12/18298
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Playmedia (SAS)
Défendeur :
Société France Télévisions (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourquard
Conseillers :
Mme Taillandier-Thomas, Mme Maunand
Avocats :
Me Bernheim, Me Kamina
FRANCE TELEVISIONS PUBLICITE (FTP) est la régie publicitaire du groupe audiovisuel FRANCE TELEVISIONS et gère à ce titre la vente des espaces publicitaires associés aux chaînes de télévision du service public.
La SAS PLAYMEDIA a pour activité la réalisation, la création, l'exploitation de plate formes de diffusion de contenus audiovisuels et de toutes catégories de vidéogrammes de chaînes de télévision sur internet.
Reprochant à la société PLAYMEDIA la commercialisation de 'pre-rolls' associés aux chaînes de service public et estimant être la seule autorisée à le faire, FTP l'a assignée devant le tribunal de commerce de Paris.
Parallèlement, la société PLAYMEDIA a appelé en intervention forcée la société FRANCE TELEVISIONS (FTV) en vue de la mise en cause de sa responsabilité et l'obtention de dommages intérêts, sollicitant la jonction de cette procédure avec celle engagée par FTP.
Par jugement du 24 septembre 2012, le tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à jonction et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris en application de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle.
La société PLAYMEDIA a formé contredit le 4 octobre 2012 et demandé à la cour de dire que la compétence s'apprécie au jour de l'assignation, de réformer le jugement et de dire le tribunal de commerce de Paris compétent, de renvoyer l'instance à celui-ci et d'enjoindre en application des dispositions des articles 132 et suivants de lui communiquer si cela n'a pas été fait spontanément les contrats de FTV avec les diffuseurs et les fournisseurs d'accès internet sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir. Elle sollicite la condamnation de son adversaire à lui régler la somme de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par écritures déposées et soutenues à l'audience, la société FRANCE TELEVISIONS sollicite la confirmation du jugement et le renvoi de l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris, de débouter la société adverse de sa demande de communication de pièces et de la condamner à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société PLAYMEDIA a, à l'audience, remis des écritures qu'elle a soutenues, demandant de réformer le jugement, de dire le tribunal de commerce de Paris compétent, d'enjoindre à la société FRANCE TELEVISIONS de communiquer les pièces non spontanément remises à savoir les contrats de FTV avec les diffuseurs et les fournisseurs d'accès internet sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir outre le paiement de la somme de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle a aussi déposé des écritures d'incident de communication de pièces demandant de déclarer irrecevables les pièces 24-1 à 24-4 produites par FRANCE TELEVISIONS et de la condamner à lui payer la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles du chef de l'incident.
L'incident a été joint au principal.
SUR CE, LA COUR
Sur l'incident de communication de pièces :
Considérant que les pièces dont la société PLAYMEDIA demande qu'elles soient écartées du fait qu'elles sont partiellement occultées, sont des contrats passés par la société FRANCE TELEVISION avec divers opérateurs ; que ces pièces ne concernent pas la procédure de contredit dont la cour est seule saisie ; que dès lors ces pièces qui sont indifférentes à la solution du litige portant uniquement sur la compétence de la juridiction saisie, n'ont pas lieu d'être écartées à raison de leur caractère incomplet ;
Sur la compétence :
Considérant que la société PLAYMEDIA reproche au jugement de ne pas avoir recherché si ses prétentions relevaient du droit d'auteur et ne pas avoir examiné son assignation ;
Considérant que la société FRANCE TELEVISION soutient que l'action engagée par la société PLAYMEDIA tend à faire reconnaître sa responsabilité au titre d'un prétendu refus abusif de conclure un contrat avec elle l'autorisant à reprendre ses programmes et que la détermination de cette responsabilité pour refus de contracter requiert une analyse des règles du droit d'auteur et des droits voisins applicables ;
Considérant que l'assignation en intervention forcée a été délivrée le 25 mai 2012 soit après l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 modifiée par la loi du 17 mai 2011 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle ' les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire...' ;
Considérant que les sociétés en cause sont toutes des sociétés commerciales et à ce titre, ont toutes la qualité de commerçante ; que le contentieux les opposant relève en principe de la compétence du tribunal de commerce ;
Considérant que pour déterminer la compétence de la juridiction susceptible de statuer sur l'instance engagée par la société PLAYMEDIA, il convient de rechercher si les prétentions de cette dernière portent ou non sur des dispositions relevant de la propriété littéraire et artistique ou supposent qu'il soit fait application de telles dispositions ;
Considérant que la compétence s'apprécie au jour où l'instance est introduite et donc au regard de l'assignation qui a été délivrée par la société PLAYMEDIA ; que les conclusions ultérieures déposées par son adversaire sont indifférentes quant à la détermination de la juridiction compétente ;
Considérant que la société PLAYMEDIA demande aux termes de l'assignation délivrée à la société FRANCE TELEVISION, au tribunal de commerce de :
-lui donner acte de ce qu'elle met en cause la responsabilité de FTV à raison du refus qui lui a été opposé de lui donner un accord pour la reprise des chaînes de FTV ;
- lui donner acte qu'elle se réserve de produire toutes pièces utiles à l'appui de ses demandes qui, au jour de la délivrance de la présente assignation, compte tenu du délai écoulé depuis l'assignation par FTP n'ont pas pu être encore toutes réunies ;
- s'entendre condamner FTV à payer à la société PLAYMEDIA la somme de 75.000 euros à titre de dommages intérêts sauf à parfaire, les publications qui seront demandées et la somme de 17.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Considérant que cette assignation est la conséquence de l'action engagée par la société FTP à l'encontre de la société PLAYMEDIA lui reprochant de vendre sans autorisation préalable de la société FTP des espaces publicitaires associés aux programmes des chaînes de télévision éditées par la société nationale et considérant que le régime de must carry prévu à l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 ;
Considérant que la société PLAYMEDIA a donc engagé une action en responsabilité à l'encontre de FTV ;
Considérant qu'il résulte des motifs développés au soutien de ce dispositif et exposés dans l'objet de la demande que la responsabilité de FTV est engagée sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour n'avoir pas délibérément respecté les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ;
Considérant que la loi du 30 septembre 1986 est relative à la liberté de communication ; qu'elle vise la communication au public par voie électronique et tend à réglementer les services de communication audiovisuelle à savoir la communication au public de services de radio et de télévision ;
Considérant que ce texte prévoit dans son article 34-2-1 que tout distributeur de services audiovisuels n'utilisant pas de fréquences hertziennes doit mettre gratuitement à disposition de ses abonnés les chaînes de l'audiovisuel public diffusées par voie hertzienne ;
Considérant que la société PLAYMEDIA estime que cette obligation pour elle de diffusion a pour corollaire l'impossibilité pour FTV de refuser de contracter ce qui explique son action en responsabilité ;
Considérant, toutefois, que cette action vise la société FRANCE TELEVISION qui diffuse des programmes contenant des oeuvres audiovisuelles qu'elle produit ou qui sont produites par des tiers et qui, à ce titre, sont protégées par le droit d'auteur et par le droit voisin des producteurs de vidéogrammes ;
Considérant que les articles L. 122-1 et L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle concernent le droit d'exploitation et notamment la représentation par télédiffusion ;
Considérant en outre que l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que sont soumises à l'autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage, échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée ;
Considérant qu'il convient donc d'apprécier comment s'articulent les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 avec celles du code de la propriété intellectuelle relatives aux droit d'auteur et droits voisins et si la loi du 30 septembre 1986, loi spéciale, déroge aux dispositions générales relatives à la propriété intellectuelle ;
Considérant que le caractère abusif du refus de la société FTV de contracter avec la société PLAYMEDIA suppose donc, outre l'appréciation des dispositions de la loi du 30 septembre 1986, celle des dispositions relatives à la propriété intellectuelle et aux droits d'auteur ;
Considérant dès lors que, conformément aux dispositions de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle précité, le tribunal de grande instance de Paris est compétent et le contredit doit être déclaré mal fondé ;
Considérant que dès lors la cour n'a pas à statuer sur la demande de communication de pièces présentée par la société PLAYMEDIA ;
Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de la société FRANCE TELEVISIONS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société PLAYMEDIA à lui verser la somme visée de ce chef au dispositif de la présente décision ;
Considérant que la société PLAYMEDIA, succombant, ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les frais du contredit ;
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu à écarter les pièces communiquées par la société FRANCE TELEVISIONS ;
Déclare le contredit mal fondé ;
Condamne la société PLAYMEDIA à payer à la société FRANCE TELEVISIONS la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes les demandes de la société PLAYMEDIA ;
Condamne la société PLAYMEDIA aux frais du contredit.