Cass. com., 8 février 2011, n° 10-10.965
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Petit
Rapporteur :
Mme Petit
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Vincent et Ohl
Donne acte à M. X... de sa renonciation aux griefs formulés par la première branche du premier moyen, la première branche du troisième moyen et les deux premières branches du quatrième moyen du mémoire ampliatif ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2009), que par décision du 20 novembre 2008, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a retenu que M. X..., président-directeur général de la société Marionnaud parfumerie (la société Marionnaud) avait commis un manquement d'initié en cédant des titres de cette société alors qu'il détenait une information privilégiée relative aux irrégularités affectant les comptes sociaux et a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 5 000 000 euros ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté les moyens tendant à l'annulation de la décision de la commission des sanctions de l'AMF et, sur le recours en réformation, d'avoir confirmé la sanction pécuniaire prononcée à son encontre, sauf à en réduire le montant à la somme de 3 000 000 euros alors, selon le moyen, que nul ne peut faire l'objet, pour les mêmes faits, de poursuites administratives, intentées par une autorité administrative indépendante, en vue de prononcer une sanction pécuniaire ayant un caractère punitif et de poursuites pénales ; que la cour d'appel a constaté que M. X... avait, pour les mêmes faits, et parallèlement à la poursuite administrative engagée par l'AMF, fait l'objet d'une poursuite pénale, laquelle avait ultérieurement donné lieu à une décision de classement sans suite ; qu'il se déduisait de ce seul constat, tiré de l'existence d'une poursuite pénale, à l'encontre de M. X..., pour les mêmes faits, l'impossibilité pour l'autorité administrative de poursuivre également à son encontre une sanction administrative ; qu'en confirmant, néanmoins, la décision de sanction prise par la commission des sanctions de l'AMF, sauf à en réduire le montant, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, en violation du principe " non bis in idem " et de l'article 4 du protocole 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'interdiction d'une double condamnation en raison des mêmes faits prévue par l'article 4 du protocole n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions administratives parallèlement aux peines infligées par le juge répressif ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, dans le respect du principe de la contradiction ; que le droit au respect du contradictoire implique la faculté pour les parties à un procès pénal ou civil de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de disposer du temps nécessaire pour la discuter ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir, dans ses conclusions à l'appui de sa demande d'annulation, que le représentant du collège avait, lors de l'audience de la commission des sanctions, fait état, dans des observations, au soutien des griefs notifiés, qui ne lui avaient pas été préalablement communiquées et auxquelles il n'avait pu, faute de disposer sur le champ des éléments de réponse et de preuve à cet égard, répondre utilement, de l'absence d'indication des dividendes perçus au titre des années 2002 et 2003 de la société Marionnaud ; qu'en rejetant le recours en annulation, pour la raison inopérante selon laquelle l'intervention du représentant du collège pour contester l'impérieuse nécessité des cessions reprochées à M. X... n'était pas sortie des limites fixées par le code monétaire et financier et qu'il appartenait à M. X..., sur qui pesait la charge de la preuve, de donner une information exhaustive et incontestable sur ses ressources, la cour d'appel a méconnu le droit de chaque justiciable de voir sa cause entendue équitablement, dans le respect du principe du contradictoire, en violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable au présent litige et 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir exposé que M. X... se plaint d'une atteinte aux droits de la défense au motif qu'il n'aurait pas été mis en mesure de répondre à l'objection du représentant du collège de l'AMF relative à la circonstance qu'il ne faisait pas état dans ses ressources des dividendes versés par la société Marionnaud, l'arrêt retient que M. X... invoquant un fait justificatif pour tenter de s'exonérer des griefs, la charge de la preuve lui incombait et relève que rien ne l'empêchait de produire d'emblée au stade de l'instruction tous les éléments nécessaires pour établir l'impérieuse nécessité ayant présidé aux cessions litigieuses et par conséquent de donner une information exhaustive et incontestable sur ses ressources ; que l'arrêt relève encore qu'il n'incombait pas au rapporteur de se substituer à lui sur ce point et que M. X... est donc seul à l'origine de l'objection dont il se plaint ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que c'était à tort que M. X... se plaignait d'une atteinte aux droits de la défense ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir retenu à son encontre un manquement d'initié et de l'avoir en conséquence condamné à une sanction pécuniaire de 3 000 000 euros alors, selon le moyen :
1°/ que l'existence d'un manquement d'initié suppose, outre une opération sur un marché par une personne disposant d'une information privilégiée, que la détention de l'information privilégiée ait déterminé la décision d'effectuer l'opération de marché en cause ; que si l'intention de l'auteur du manquement d'initié d'exploiter l'information privilégiée peut se déduire implicitement des éléments matériels constitutifs de l'infraction, cette présomption n'est qu'une présomption simple, qui peut être renversée par la preuve de ce que l'opération de marché a été décidée par son auteur pour d'autres motifs, et ce, quels que soient ces motifs, dès lors qu'ils sont établis ; qu'en énonçant, pour retenir l'existence d'un manquement d'initié, à l'encontre de M. X..., que seules les opérations motivées par une impérieuse nécessité peuvent échapper à une sanction et que même en admettant, en l'espèce, que, dans l'esprit de M. X..., les cessions litigieuses étaient motivées par le souci de régler ses dettes, cette situation ne saurait l'exonérer de ses obligations au regard de la réglementation des marchés financiers, tandis qu'elle était la conséquence de ses choix personnels dans la gestion de ses affaires et qu'aucune des cessions critiquées, réalisées entre juin 2003 et mai 2004, ne lui a été imposée par une impérieuse nécessité, la cour d'appel, qui a ajouté au texte, a violé les dispositions des articles 2 § 1 de la directive 89/ 592/ CEE et 2 du règlement COB n° 90-08, applicable au présent litige ;
2°/ que si le principe de la présomption d'innocence ne s'oppose pas à ce que l'intention de l'auteur du manquement d'initié d'exploiter l'information privilégiée puisse se déduire implicitement des éléments matériels constitutifs de l'infraction, ce n'est qu'à la condition que cette présomption soit effectivement réfragable et que les droits de la défense soient assurés ; qu'en l'espèce, M. X... démontrait, et la cour d'appel l'a elle-même constaté, qu'il devait faire face, à l'époque, à des réclamations fiscales, à des échéances d'ouverture de crédit de la Banque de gestion privée Indosuez et à des factures de travaux pour des montants considérables ; qu'il établissait, preuves à l'appui, d'une part, qu'il ne pouvait remettre le paiement de ces dettes et, d'autre part, que les biens et revenus dont il disposait ne lui permettaient pas, en 2003 et 2004, de faire face à ses obligations sans céder des actions de la société Marionnaud ; qu'en retenant, néanmoins, pour dire que M. X... s'était rendu coupable d'un manquement d'initié, qu'aucune des cessions critiquées, réalisées entre juin 2003 et mai 2004, ne lui avait été imposée par une impérieuse nécessité, la cour d'appel, qui a exigé de M. X..., une preuve, en réalité impossible, a fait peser sur ce dernier une présomption irréfragable de culpabilité, en violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 § 1 de la directive 89/ 592/ CEE et 2 du règlement COB n° 90-08 ;
Mais attendu que, dès lors qu'est établie la matérialité des faits constitutifs du manquement d'initié, il appartient à la personne mise en cause à ce titre de démontrer qu'elle n'a pas fait une exploitation indue de l'avantage que lui procurait la détention de l'information privilégiée ; qu'en l'espèce, après avoir exposé que M. X... soutenait que des circonstances insurmontables justifiaient les cessions qui lui étaient reprochées, l'arrêt retient que si M. X... démontre qu'il devait faire face à l'époque à des réclamations fiscales, à des échéances d'ouverture de crédit de la banque de gestion privée Indosuez et à des factures de travaux pour des montants considérables, cette situation était le résultat de ses choix personnels dans la gestion de ses affaires et qu'aucune des cessions critiquées réalisées entre juin 2003 et mai 2004 n'a été imposée par une impérieuse nécessité, telle que par exemple l'imminence d'une vente forcée de ses actions de la société Marionnaud ou d'un autre élément de son patrimoine ; que l'arrêt relève encore qu'inversement, lorsqu'en décembre 2004, la banque précitée l'a menacé de vendre les actions nanties à son profit, M. X... s'est abstenu de vendre lui-même d'autres actions et a choisi de différer le règlement de sa dette bancaire afin de ne pas perdre sur les cours ; que de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir que M. X... ne rapportait pas la preuve qu'il n'avait pas fait une exploitation indue de l'information privilégiée détenue par lui, la cour d'appel, qui n'a pas fait peser sur M. X... une présomption irréfragable de culpabilité, a déduit à bon droit que les circonstances invoquées par celui-ci n'étaient pas de nature à l'exonérer ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que M. X... fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamné à une sanction pécuniaire de 3 000 000 euros alors, selon le moyen :
1°/ que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale, lequel s'impose en matière de sanctions administratives, dès lors que celles-ci revêtent un caractère de gravité suffisante, prohibe tout raisonnement par analogie et toute application extensive des termes définissant l'infraction et la peine, dès lors que ces opérations se font au détriment de l'accusé ; que l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, applicable aux faits de l'espèce, dispose que le montant de la sanction pécuniaire à l'encontre d'un dirigeant auteur d'un délit d'initié " ne peut être supérieur à 1, 5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés " ; qu'en retenant, pour condamner M. X... à une sanction pécuniaire de trois millions d'euros, que la notion de " profit " devait s'entendre, par référence à la matière économique, de tout gain, avantage ou bénéfice, y compris la perte évitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble le principe d'interprétation stricte de la loi pénale et l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le principe de la légalité des délits et des peines interdit d'appliquer rétroactivement une loi pénale plus sévère ; que le terme " profits " auquel se réfère l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, pour en faire la condition et la mesure du dépassement de la peine maximale normalement prévue, a toujours été interprété, jusqu'à la décision rendue par l'AMF dans le présent litige, comme visant les seules plus-values éventuellement réalisées par l'initié ; qu'à supposer même que la cour d'appel ait pu interpréter ce terme, comme incluant également les moins-values évitées, l'arrêt ne pouvait, sans faire une application rétroactive de la règle de droit, prononcer une peine sur le fondement d'une interprétation imprévisible à la date de commission de l'infraction ; qu'en en jugeant autrement, la cour d'appel a, en tout état de cause, violé le principe de légalité des peines et des délits, ensemble l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le principe de la sécurité juridique impose au juge qui modifie sa jurisprudence, jusque-là constante, de motiver sa décision, à cet égard, en expliquant précisément et de manière suffisamment détaillée les raisons de ce changement ; qu'en l'espèce, le terme " profits ", auquel se réfère l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, pour en faire la condition et la mesure du dépassement de la peine maximale normalement prévue, a toujours été interprété, tant par l'AMF que par la cour d'appel de Paris, comme visant les seules plus-values éventuellement réalisées par l'initié ; qu'en retenant, pour condamner M. X... à une sanction pécuniaire de trois millions d'euros, que la notion de " profit " devait s'entendre, par référence à la matière économique, de tout gain, avantage ou bénéfice, y compris la perte évitée, sans indiquer pour quels motifs, elle estimait, dans le présent litige, devoir rompre avec sa jurisprudence antérieure, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, en premier lieu, que les termes " profits éventuellement réalisés " désignant, de manière suffisamment précise, les avantages économiques éventuellement retirés de l'opération, c'est à bon droit et sans se livrer à une interprétation extensive de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier que la cour d'appel a retenu que ces profits incluaient les pertes évitées ;
Et attendu, en second lieu, qu'en l'absence de jurisprudence contraire établie, les deux dernières branches manquent en fait ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.