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Décisions

Cass. crim., 29 septembre 2020, n° 20-81.098

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Labrousse

Avocat général :

M. Lagauche

Avocats :

SCP Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié

ch. instr. Paris, du 10 févr. 2020

10 février 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 6 octobre 2015, la société [...] a déposé plainte auprès du procureur de la République contre personne non dénommée des chefs de faux et usage de faux, en exposant que, le 14 janvier précédent, M. H... O... avait signé une fausse attestation sur l'honneur relative au nombre d'actions qu'il détenait dans la société précitée.

3. Le 19 novembre 2015, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire des mêmes chefs (information n° 2444/15/12).

4. Le 13 septembre 2016, par un procès-verbal dit de jonction de pièces, le juge d'instruction a versé à son dossier la copie d'une précédente information ouverte des chefs de délit d'initié et manipulation de cours, clôturée par une ordonnance de non-lieu le 7 octobre 2015 (information n° 2444/13/3), qu'il avait instruite et relative au contentieux boursier ayant opposé la société [...] à la société LVMH.

5. Dans cette dernière procédure, le juge d'instruction avait versé des pièces relatives aux transactions effectuées en Suisse sur le titre [...], que lui avait remises l'Autorité des marchés financiers (AMF) et que celle-ci avait reçues de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse (FINMA) dans le cadre d'une demande d'entraide administrative.

6. Le 26 juin 2018, M. B... a été placé sous le statut de témoin assisté du chef de faux « pour avoir, en sa qualité de gestionnaire de fortune disposant d'un mandat général, altéré frauduleusement la vérité d'un écrit (...) en renseignant au profit de son client de manière intentionnellement mensongère les déclarations annuelles de détention d'actions au 31 décembre 2013 et 31 décembre 2014, faisant état de la détention de 6 082 615 actions [...], dont 200 inscrites au nominatif, alors même que les vérifications entreprises démontrent que l'intéressé ne détient plus cette quantité de titres depuis 2012, ce faux conduisant la société [...], faisant appel public à l'épargne, auprès de laquelle il en a été fait usage, à l'occasion de l'établissement de son document de référence, à donner, au mépris de ses obligations légales, une information inexacte au marché sur la répartition de ses actions et l'importance du capital flottant ».

7. Le 14 novembre 2018, M. B... a déposé une requête aux fins de voir prononcer la nullité de la jonction du dossier d'information et de toute pièce émanant de la FINMA.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit mal fondée la saisine opérée par M. D... B... de la chambre de l'instruction, tendant à voir juger que le juge d'instruction a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, de l'avoir rejetée et d'avoir dit n'y avoir lieu à l'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure examinée, référencée n° 2444/15/12, jusqu'à la cote D 65 alors :

« 1°/ que l'ordonnance de non-lieu définitive dessaisit le juge d'instruction ; qu'en retenant qu'« aucune disposition légale n'interdit au juge d'instruction chargé de deux informations distinctes de verser à l'une des procédures des éléments provenant de l'autre dont la production est utile à la manifestation de la vérité dès lors que les règles légales d'administration de la preuve et les droits de la défense ont été respectés, et ce même s'il s'agit du versement de pièces provenant d'une procédure qui a été close par un non-lieu ainsi que tel est le cas en l'espèce s'agissant de la procédure 2444/13/3 », quand Mme P... L..., juge d'instruction, dessaisie de la procédure d'instruction n° 2444/13/3 par l'effet de l'ordonnance de non-lieu définitive du 7 octobre 2015, ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, joindre d'elle-même l'intégralité des pièces de cette procédure à l'instruction n° 2444/15/12 dont elle a la charge, la chambre de l'instruction a violé les articles 175, 177, 178, 179, 181 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en matière correctionnelle, le juge d'instruction dessaisi d'une procédure clôturée par une ordonnance de non-lieu définitive devient un tiers à cette procédure ; qu'en application de l'article R. 156 du code de procédure pénale, un tiers ne peut se voir délivrer les pièces d'une procédure pénale clôturée par une ordonnance de non-lieu, autres que l'expédition des arrêts, jugements, ordonnances pénales définitifs et titres exécutoires, sans une autorisation du procureur de la République ou du procureur général, selon le cas, notamment en ce qui concerne les pièces d'une enquête terminée par une décision de classement sans suite ; qu'en rejetant la requête en nullité, quand Mme L..., juge d'instruction, devenue tiers à la procédure d'instruction n° 2444/13/3 à compter du 7 octobre 2015, ne pouvait, sans requérir l'autorisation du procureur général, verser l'intégralité des pièces de cette procédure clôturée au dossier d'instruction qu'elle est chargée d'instruire, la chambre de l'instruction a violé les articles 171 et R. 156 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Pour écarter le moyen de nullité pris de ce que le juge d'instruction, dessaisi par l'ordonnance de non-lieu, ne pouvait, sans autorisation du procureur de la République, joindre les pièces de la procédure n° 2444/13/3 à l'information judiciaire en cours, l'arrêt énonce que le procès-verbal du juge d'instruction s'analyse comme un procès-verbal de versement de pièces et non de jonction de procédure, nonobstant la référence erronée au critère de la « connexité » au lieu de celui de « l'utilité à la manifestation de la vérité ».

11. Les juges relèvent que cet acte n'a pas eu pour effet de permettre au juge d'instruction de se saisir des faits poursuivis dans la procédure jointe et ne nécessitait pas de solliciter l'avis préalable du procureur de la République dès lors que la saisine in rem du magistrat instructeur n'était pas affectée.

12. Ils ajoutent qu'aucune disposition légale n'interdit au juge d'instruction chargé de deux informations distinctes de verser à l'une des procédures des éléments provenant de l'autre dont la production est utile à la manifestation de la vérité dès lors que les règles légales d'administration de la preuve et les droits de la défense ont été respectés, et ce même s'il s'agit du versement de pièces provenant d'une procédure qui a été close par un non-lieu.

13. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

14. En effet, d'une part, si le juge d'instruction dessaisi de la procédure qu'il a instruite par une ordonnance de non-lieu ne peut plus procéder dans celle-ci à aucun acte d'instruction, sauf délégation, il tient de l'article 81 du code de procédure pénale le droit de verser, à titre de renseignements, des pièces de cette procédure dans une information judiciaire en cours dès lors que cette production a un caractère contradictoire et est de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité.

15. D'autre part, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que le juge d'instruction n'a pas sollicité l'autorisation du procureur général pour se faire communiquer la procédure jointe dès lors que les dispositions de l'article R. 156 du code de procédure pénale ne lui sont pas opposables.

16. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit mal fondée la saisine opérée par M. D... B... de la chambre de l'instruction, tendant à voir constater la violation du principe de spécialité, de l'avoir rejetée et d'avoir dit n'y avoir lieu à l'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure examinée, référencée n° 2444/15/12, jusqu'à la cote D 65 alors :

« 1°/ que selon l'article L. 632-7 III, devenu l'article L. 632-7 II bis du code monétaire et financier, lorsqu'elles proviennent d'une autorité d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'espace économique européen ou d'un pays tiers, les informations ne peuvent être divulguées sans l'accord exprès de l'autorité qui les a communiquées et, le cas échéant, aux seules fins pour lesquelles elle a donné son accord ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand le versement dans la procédure d'instruction n° 2444/15/12 en cours des pièces communiquées à l'AMF par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) en 2012, annexées à la procédure n° 2444/13/3 clôturée par une ordonnance de non-lieu le 7 octobre 2015, ne pouvait intervenir sans l'accord exprès de cette autorité, la chambre de l'instruction a violé l'article L. 632-7 III, devenu l'article L. 632-7 II bis du code monétaire et financier, ensemble le principe de spécialité et le principe de loyauté de la preuve ;

2°/ que selon l'article L. 632-7 III, devenu l'article L. 632-7 II bis du code monétaire et financier, lorsqu'elles proviennent d'une autorité d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'espace économique européen ou d'un pays tiers, les informations ne peuvent être divulguées sans l'accord exprès de l'autorité qui les a communiquées et, le cas échéant, aux seules fins pour lesquelles elle a donné son accord ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que les procédures n° 2444/13/3 et n° 2444/15/12 avaient la même finalité, motif pris qu'elles concernaient « le respect des règles afférentes aux marchés financiers, et ce relativement à la participation au capital de la même société [...] », quand l'instruction n° 2444/15/12 concernait les chefs de faux et usage, infractions étrangères à « la mise en oeuvre de la réglementation sur les bourses, le commerce des valeurs mobilières et les négociants en valeur mobilière », la chambre de l'instruction a violé l'article L. 632-7 III, devenu l'article L. 632-7 II bis du code monétaire et financier, ensemble le principe de spécialité et le principe de loyauté de la preuve ;

3°/ que le juge est tenu de répondre aux articulations essentielles du mémoire des parties ; que M. B... soutenait que nonobstant le courrier du 2 octobre 2012 émanant de l'AMF, ni la demande du parquet, ni la prétendue autorisation donnée à l'AMF par la FINMA de retransmettre les informations communiquées dans le cadre de la demande d'entraide administrative ne figuraient au dossier d'enquête préliminaire de la procédure n° 2444/13/3, ce qui établissait que cette autorité n'avait jamais donné son accord à une telle communication, et plus généralement à une quelconque utilisation des pièces communiquées à l'AMF en exécution des demandes d'entraide administrative, ajoutant que cela était confirmé par une lettre du 15 octobre 2018 dans laquelle la FINMA précisait « n'avoir jamais donné [son] autorisation à l'AMF ou à toute autre autorité, à la retransmission des informations et documents concernant votre mandant, transmis à l'AMF le 1er février 2012 en exécution de l'arrêt du TAF du 25 janvier 2012 » (mémoire n° 2, n° 57, p. 26) ; qu'en omettant de répondre aÌ cette articulation essentielle du mémoire de M. B..., tirée de la nullité de la procédure référencée n° 2444/13/3, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que M. B... se prévalait de la méconnaissance des règles de l'article 10 du Multilatéral Memorandum of Understanding de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs, relatif à l'utilisation des informations signé par la France le 19 février 2003 et par la Suisse le 15 février 2010, selon lequel « a) L'Autorité requérante pourra utiliser les informations et les documents non publics qui lui auront été fournis en réponse à sa demande d'assistance dans le cadre du présent accord uniquement pour : i) répondre aux objectifs présentés dans la demande d'assistance, y compris pour assurer le respect des lois et réglementations en rapport avec la demande (
) ; b) Si l'Autorité requérante souhaite utiliser les informations qui lui auront été fournies dans le cadre du présent Accord pour remplir un objectif autre que ceux stipulés au paragraphe 10 (a), elle doit obtenir l'accord préalable de l'Autorité requise » (mémoire n° 2, n° 36 et 37, p. 18) ; qu'en s'abstenant de répondre à cette articulation essentielle du mémoire de M. B..., la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L.632-1 A du code monétaire et financier :

18. En vertu de ce texte, les informations confidentielles reçues par l'Autorité des marchés financiers de la part d'une autorité d'un pays tiers ne peuvent être divulguées sans l'accord exprès de celle-ci et, le cas échéant, aux seules fins pour lesquelles son accord a été donné.

19. Il s'ensuit que les pièces transmises par la FINMA à l'AMF dans le cadre d'une procédure de coopération administrative ne peuvent être versées dans une procédure pénale que dans le respect du principe de spécialité, tel qu'il est prévu par la loi fédérale suisse.

20. A cet égard, il se déduit de l'article 38 alinéa 2 de la loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières applicable à la date de transmission des informations à l'AMF, et du courrier de la FINMA en date du 15 octobre 2018, versé en procédure par le demandeur, que la FINMA n'autorise la retransmission des informations par l'Autorité des marchés financiers à des autorités pénales, sans son consentement, que lorsque cette retransmission a pour fin la mise en oeuvre de la réglementation sur les bourses, le commerce de valeurs mobilières et les négociants en valeurs mobilières.

21. Pour écarter le moyen de nullité pris de la violation du principe de spécialité, l'arrêt énonce qu'il résulte des termes de la plainte et de l'audition de la société plaignante que les fausses déclarations dénoncées pouvaient consister en des manquements, voire des délits boursiers, dès lors qu'elles conduisaient à la diffusion sur le marché d'une information fausse et trompeuse sur la répartition du capital de la société et sur le montant de son flottant.

22. Ils ajoutent que ces déclarations induisaient pour leur auteur un non- respect de son obligation légale de déclaration de franchissement à la baisse du seuil de 5% du capital de la société et exposaient au manquement de non-déclaration du franchissement à la hausse de ce même seuil dans le cas où la participation en cause serait reconstituée.

23. Ils en déduisent que les deux procédures considérées avaient en réalité une même finalité, le respect des règles afférentes aux marchés financiers, et ce relativement à la participation au capital de la même société [...].

24. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

25. En effet, le juge d'instruction ne pouvait, sans violer le principe de spécialité, verser les pièces transmises par la FINMA à l'AMF dans l'information judiciaire ouverte des chefs de faux et usage, la poursuite de ces infractions de droit commun ne relevant pas de la mise en oeuvre de la réglementation sur les marchés financiers.

26. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 10 février 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.