CA Versailles, 14e ch., 28 janvier 2021, n° 20/02124
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CMG Sports Club (SAS)
Défendeur :
Rougnon (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Igelman
Avocats :
Me Debray, Me Coppinger, Me Barre, Me de Mirbeck
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SAS CMG Sports Club a pour activité l'exploitation de clubs de sport implantés sur Paris et la petite couronne. Elle a été rachetée au printemps 2019 par la SAS Ken Group qui en a pris la présidence le 30 octobre 2019.
La SARL Rougnon qui est spécialisée dans l'ingénierie, l'installation, l'achat, la vente et l'entretien de tous équipements techniques, a réalisé entre novembre 2016 et décembre 2019 diverses prestations de maintenance multiservices auprès des 23 clubs appartenant à la SAS CMG Sports Club, les modalités d'exécution et de rémunération de ces prestations ayant été définies dans un contrat de maintenance multiservices en date du 24 avril 2018 avec effet rétroactif au 1er novembre 2016.
Ce contrat d'une durée de 12 mois était renouvelable par tacite reconduction à sa date anniversaire pour des périodes de même durée, sauf résiliation moyennant un préavis de 3 mois.
A titre de rémunération, la société Rougnon devait notamment percevoir, s'agissant de prestations dites 'au forfait', une redevance fixe sur une base de 12 mois et par club, comprenant toutes indemnités et tous frais de quelque nature que ce soit, complétée du paiement des prestations supplémentaires hors forfait à régler sur présentation de la facture et d'un ordre de service préalable émis par le client.
Des différends ont opposé les parties tant sur les prestations devant être réalisées par la société Rougnon que sur le défaut de paiement de factures par la société CMG Sports Club.
Suivant un protocole d'accord en date du 8 mars 2019, la société CMG Sports Club s'est engagée à régler une somme due de 288 776,78 euros suivant un échéancier mensuel échelonné entre mars et décembre 2019.
Suivant courrier daté du 26 juillet 2019, la société CMG Sports Club a informé la société Rougnon de sa décision de ne pas reconduire le contrat 'en procédant à sa résiliation' avec effet au 1er novembre 2019 compte tenu du préavis de 3 mois, terme reporté au 31 décembre 2019 suivant courrier recommandé du 6 décembre 2019 aux termes duquel elle lui a également notifié son intention de suspendre tout règlement 'au regard des nombreuses inexécutions dont celle-ci s'est rendue responsable'.
Par courrier daté du 19 décembre 2019, la société Rougnon, par la voix de son conseil, a contesté les griefs invoqués et a réclamé à la société CMG Sports Club le paiement de la somme de 480 381,80 euros TTC au titre des factures émises en exécution du contrat de maintenance.
Par la suite, la société Rougnon a appris que la société CMG Sports Club envisageait de subdiviser son activité en autant de clubs existants par des apports partiels d'actifs, sans solidarité entre la cédante et les cessionnaires au titre du passif afférent à la branche d'activité apportée.
C'est dans ce contexte que par acte en date du 24 décembre 2019, la société Rougnon a fait assigner la société CMG Sports Club ainsi que chacun de ses vingt clubs devenus les sociétés bénéficiaires de l'apport partiel d'actifs afin d'exercer en qualité de créancière des sociétés participantes à ce projet son droit d'opposition et de solliciter le règlement de sa créance actualisée d'un montant de 282 556,06 euros au titre de ses factures impayées au 29 novembre 2019, date de publication du projet de scission.
Cette instance est actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Nanterre.
En parallèle, la société Rougnon a été autorisée suivant ordonnance sur requête rendue le 31 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre à faire procéder à une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la société CMG Sports Club à hauteur de la somme de 480 381,80 euros.
La mesure de saisie a été pratiquée le 31 décembre 2019 sur le compte de la société CMG Sports Club ouvert auprès de la banque CIC, sise ... (9ème). La mesure a été dénoncée au saisi par acte du 6 janvier 2020.
La société Rougnon a par la suite fait assigner par acte du 29 janvier 2020 la société CMG Sports Club devant le tribunal de commerce statuant au fond afin d'obtenir sa condamnation à lui régler la somme de 508 986 euros à parfaire.
Cette assignation, enrôlée le 31 janvier 2020 par le greffe du tribunal, a été dénoncée par acte du 3 février 2020 au tiers saisi.
Suivant acte en date du 29 janvier 2020, la société CMG Sports Club a pour sa part fait assigner en référé la société Rougnon aux fins de rétractation de l'ordonnance rendue le 31 décembre 2019 et de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée.
Elle a en outre sollicité sa condamnation à lui verser une indemnité de 50 000 euros sur le fondement de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution en réparation du préjudice causé par la mesure conservatoire litigieuse ainsi que sa condamnation au versement du montant des intérêts à un taux de 3 % par an ayant couru sur la somme de 480 381,80 euros à compter du 31 décembre 2019 jusqu'à la mainlevée de la saisie conservatoire.
La société CMG Sports Club a notamment soutenu que l'existence de l'assignation au fond délivrée le 24 décembre 2019 devant le tribunal de commerce de Nanterre rendait le juge sur requête de ce même tribunal incompétent en application de l'article L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution pour autoriser la mesure de saisie.
Par ordonnance contradictoire rendue le 20 avril 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit la société CMG Sports Club recevable mais mal fondée en sa demande de dessaisissement au profit du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre, et s'est déclaré compétent,
- débouté la société CMG Sports Club de sa demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 31 décembre 2019,
- débouté la société CMG Sports Club de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire diligentée le 31 décembre 2019 par la société Rougnon en application de l'ordonnance susvisée sur le compte bancaire ouvert sur les livres de la banque CIC,
- débouté la société CMG Sports Club de l'ensemble de ses autres demandes à l'encontre de société Rougnon,
- condamné la société CMG Sports Club à payer à la société Rougnon la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société CMG Sports Club aux dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration reçue au greffe le 6 mai 2020, la société CMG Sports Club a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 16 août 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société CMG Sports Club demande à la cour, au visa des articles 496 et 497 du code de procédure civile, des articles L. 511-1 et suivants, L. 511-3, R. 512-1 et R. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, 1353 et 1103 du code civil, de :
- la recevoir en son appel et ses prétentions, fins et moyens ;
- infirmer l'ordonnance rendue le 20 avril 2020 en l'ensemble de ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- constater qu'une assignation au fond lui a été délivrée le 24 décembre 2019 devant le tribunal de commerce de Nanterre à la requête de la société Rougnon ;
- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue le 31 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre compte tenu de l'existence d'un procès au fond et de son incompétence en application de l'article L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution, avec toutes les conséquences de droit et de fait ;
- déclarer que la créance dont se prévaut la société Rougnon n'est ni fondée en son principe et son quantum, ni liquide et ni exigible ;
- déclarer que la société Rougnon ne démontre ni posséder une créance certaine en son principe envers elle, ni de l'existence de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;
- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue le 31 décembre 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre avec toutes les conséquences de droit et de fait ;
- ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire diligentée le 31 décembre 2019 par la société Rougnon envers elle sur le compte bancaire qu'elle détient auprès de la banque CIC ;
- condamner la société Rougnon aux frais relatifs à la réalisation de la saisie conservatoire ainsi qu'à leur mainlevée en application de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamner la société Rougnon à lui verser une indemnité de 50 000 euros sur le fondement de l'article L. 512-2 en réparation du préjudice causé par la mesure conservatoire litigieuse ;
- condamner la société Rougnon à verser le montant des intérêts à un taux de 3 % par an ayant couru sur la somme de 480 381,80 euros à compter du 31 décembre 2019 jusqu'à la mainlevée de la mesure conservatoire litigieuse ;
- condamner la société Rougnon à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Christophe Debray en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
En tout état de cause,
- débouter la société Rougnon de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter la société Rougnon de sa demande au titre des frais irrépétibles et dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 26 juillet 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Rougnon demande à la cour, au visa des articles L. 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, 74 et 700 du code de procédure civile, de :
- recevoir l'intégralité de ses moyens et prétentions ;
- débouter la société CMG Sports Club de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- confirmer en tous points l'ordonnance rendue le 20 avril 2020 ;
Ce faisant,
- dire que l'exception d'incompétence est mal fondée ;
- rejeter la demande de mainlevée de la saisie conservatoire de créances pratiquée sur ses comptes bancaires de la société CMG Sports Club le 31 décembre 2019 ;
- débouter celle-ci de sa demande de dommages intérêts et d'intérêts ;
- y ajoutant, condamner la société CMG Sports Club à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société CMG Sports Club aux dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 novembre 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de "constatation", 'déclaration' ou de 'dire' qui ne est pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
- sur le pouvoir du président du tribunal de commerce à ordonner la mesure de saisie conservatoire :
Selon la société CMG Sport Club, seul le juge de l'exécution avait compétence pour ordonner la mesure conservatoire conformément aux dispositions de l'article L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution.
L'appelante soutient que le président du tribunal de commerce saisi le 31 décembre 2019 de la requête initiale de la société Rougnon aux fins de saisie conservatoire n'avait pas le pouvoir de l'autoriser dès lors que par assignation du 24 décembre 2019, cette dernière avait préalablement saisi le juge du fond de son action en opposition au projet d'apport partiel d'actifs et en règlement de sa créance, et ce peu importe le fait que l'acte d'assignation n'ait été remis au greffe de la juridiction commerciale que le 31 décembre 2019.
En réponse au moyen de rétractation soulevé, la société Rougnon fait valoir que d'une part, l'assignation au fond a principalement pour objet de préserver ses droits dans le cadre du projet d'apport partiel d'actifs de la partie adverse et que d'autre part, ainsi que l'a relevé le juge des référés, elle n'a été mise au rôle de la juridiction que le 31 décembre 2019 à 10h59, soit postérieurement à l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire rendue le même jour à 10h45.
Sur ce,
L'article L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'l'autorisation est donnée par le juge de l'exécution. Toutefois, elle peut être accordée par le président du tribunal de commerce lorsque, demandée avant tout procès, elle tend à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale'.
Selon l'article 857 du code de procédure civile, le tribunal de commerce est saisi, à la diligence de l'une ou l'autre partie, par la remise au greffe d'une copie de l'assignation.
Il est en l'espèce constant que la société Rougnon a fait délivrer à la société CMG Sport Club une assignation à comparaître devant le tribunal de commerce de Nanterre suivant acte du 24 décembre 2019 aux termes de laquelle elle sollicite notamment le remboursement par la partie adverse d'une somme de 282 556,06 euros.
Il n'est pas discuté par la société CMG Sport Club que cette assignation n'a été reçue par le greffe du tribunal de commerce en vue de sa mise au rôle que le 31 décembre 2019 à 10h59, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le premier juge.
Si la date d'introduction d'une instance doit effectivement s'entendre de la date à laquelle l'assignation a été délivrée, et ce quelle que soit la date de sa remise effective au greffe, la saisine de la juridiction n'a lieu en revanche qu'au moment de cette remise en vue de l'enrôlement de l'affaire.
Avant la saisine de la juridiction, le procès ne peut pas être considéré comme étant en cours.
Aussi, le président du tribunal de commerce avait en l'espèce compétence pour examiner la requête de la société Rougnon aux fins d'autorisation à pratiquer la mesure conservatoire litigieuse dès lors qu'il a statué le 31 décembre 2019 à 10h45, soit préalablement à la saisine de cette même juridiction en vue du procès au fond intervenue le même jour à 10h59.
Le moyen de rétractation tenant à l'incompétence du juge ayant autorisé la mesure conservatoire ne peut dès lors prospérer.
- sur la mesure de saisie conservatoire :
La société CMG Sport Club sollicite la rétractation de l'ordonnance du 31 décembre 2019, motifs pris que la société Rougnon ne justifierait pas d'une créance certaine en son principe et en son quantum, ni de l'existence de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Elle fait valoir que la communication de factures et d'un décompte, éléments de preuve que la société Rougnon s'est établie à elle-même, est insuffisante à justifier de la réalité des prestations effectuées et donc à établir l'existence de la créance alléguée, soulignant par ailleurs que dans le cadre de l'instance au fond introduite le 24 décembre 2019, l'intimée avait limité sa demande en paiement à la somme de 282 556,06 euros.
Pour contester le principe et le montant de la créance de la société Rougnon, l'appelante soutient en substance que :
- certaines des factures produites ne lui étaient pas parvenues au jour où l'intimée lui en a réclamé le paiement par son courrier de mise en demeure du 19 décembre 2019, évoquant notamment les factures du mois de décembre 2019 pour un montant global de 48 104,46 euros,
- le décompte présenté est inexact dans la mesure où il ne ferait pas apparaître tous ses versements, notamment les sommes versées en exécution du protocole transactionnel (dernier versement de 24 876,78 euros non pris en compte), ni les pénalités à déduire dont le principe n'a jamais été contesté par l'intimée et qu'elle chiffre à 42 000 euros,
- la mesure conservatoire vise à tort des factures non échues à la date de la requête, en particulier celles de novembre et décembre 2019 pour un montant global de 167 456,53 euros,
- l'intimée ne produit pas l'intégralité des bons de commande, ni les procès-verbaux de réception à l'appui des factures relatives aux prestations complémentaires dites 'hors forfait', et ce en dépit des stipulations de l'article 5.1.2 du contrat de maintenance qui conditionne le paiement à leur présentation,
- les prestations incluses dans le forfait n'ont été que partiellement exécutées sur plusieurs sites, ce qui suffit selon elle à remettre en cause le principe de la créance au titre de la redevance mensuelle fixe, de nombreux courriers ayant été adressés à la société Rougnon pour se plaindre de ces défaillances qui ont notamment entraîné la fermeture administrative du Club Italie en raison d'un dysfonctionnement du système sécurité incendie.
La société CMG Sport Club affirme également qu'il n'existe aucune menace de recouvrement de la créance alléguée, soutenant qu'il est faux de prétendre que les incidents de paiement remontent à septembre 2018.
Elle souligne que sa solvabilité est pérenne, eu égard à son faible état d'endettement et à l'importance de son capital social, et que l'absence de publication de ses comptes annuels ne saurait démontrer son intention de dissimuler son insolvabilité.
Enfin, s'agissant de l'opération d'apport partiel d'actifs, la société CMG Sport Club affirme qu'elle ne constitue pas une menace dans la mesure où le contrat de maintenance qui a pris fin le 31 décembre 2019 n'a pas été transféré à ses filiales et que par voie de conséquence, l'éventuelle créance de la société Rougnon ne leur a donc pas été cédée au titre du passif.
En réponse, la société Rougnon expose en premier lieu que sa créance arrêtée au 31 décembre 2019 à la somme de 508 986 euros se décompose comme suit :
- 23 400 euros au titre du solde à payer résultant du protocole après pris en compte du dernier versement de 24 876 euros en décembre 2019,
- 353 578,05 euros au titre de la rémunération fixe mensuelle des mois de mai à décembre 2019 suivant factures qu'elle produit,
- 132 007,95 euros au titre des travaux supplémentaires hors forfait.
Pour justifier de sa créance, elle produit le contrat de maintenance, le bon de commande de la société CMG Sport Club détaillant la redevance fixe annuelle et mensuelle par site ainsi que les bons de commandes et factures relatifs aux prestations hors forfait, précisant que ces facturations n'avaient jamais auparavant été contestées à leur réception et que les parties s'étaient entendues pour se dispenser de l'établissement d'un procès-verbal de réception après chaque prestation.
Elle conteste par ailleurs l'application des pénalités et rappelle qu'une mesure conservatoire peut valablement porter sur des créances non encore exigibles.
La société Rougnon conteste également toute défaillance dans l'exécution des prestations incluses dans le forfait, faisant observer que la société CMG Sport Club n'a pas résilié le contrat pour manquement contractuel et l'a même invitée à participer à un nouvel appel d'offre pour un nouveau contrat à compter du 1er janvier 2020.
S'agissant des menaces de recouvrement, la société Rougnon fait valoir que :
- les factures impayées remontent pour la plus ancienne à septembre 2018,
- la société CMG Sport Club n'a pas publié ses comptes annuels depuis 2016, ce qui laisse présager une nouvelle diminution de son chiffre d'affaires,
- l'état d'endettement publié sur le site du tribunal de commerce révèle au 18 décembre 2019, 22 inscriptions réalisées entre le 7 février 2019 et le 12 août 2019 au titre du privilège de la sécurité sociale et des régime complémentaires à hauteur de la somme de 334 763,11 euros,
- les actes de cession entre la société CMG Sport Club et ses filiales portent également sur un passif lié à la branche d'activité cédée sans pour autant que la liste des fournisseurs impayés concernés ne soit nominative, de sorte qu'il est à craindre que sa créance soit ainsi répartie entre plusieurs filiales, ce qui en compliquerait le recouvrement,
- la société CMG Sport Club apparaît connaître d'importantes difficultés de trésorerie, un de ses actionnaires ayant dû abonder son compte bancaire pour faire face aux dépenses courantes, l'appelante ayant elle-même indiqué au président du tribunal de commerce le 7 avril 2020 que 'la situation actuelle interdit toute recette dès lors que ses établissements sont fermés depuis le 15 mars 2020".
Sur ce,
L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.
La mesure de saisie conservatoire sollicitée par la société Rougnon ne peut donc être légitime qu'à la double condition que la créance invoquée par la requérante apparaisse fondée en son principe et qu'il soit en outre établi que son recouvrement est susceptible d'être menacé, étant précisé qu'il incombe au créancier saisissant de démontrer que les conditions posées par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution sont réunies.
* sur le principe de la créance de la société Rougnon :
Il sera rappelé que le juge statuant sur le fondement de l'article L. 511-1 précité doit uniquement apprécier si la créance invoquée au soutien de sa demande de saisie conservatoire apparaît fondée et vraisemblable en son principe, sans avoir à statuer sur son montant ou sa réalité qu'il appartiendra au seul juge du fond de trancher. Le créancier n'est en effet pas tenu de justifier d'une créance liquide et exigible.
Pour justifier du principe de sa créance, la société Rougnon produit :
- le contrat de maintenance qui définit en son chapitre 5 les modalités de règlement de la société Rougnon au titre des différentes prestations,
- le courrier de la société CMG Sport Club du 7 octobre 2019 aux termes duquel elle prolonge le contrat jusqu'au 31 décembre 2019,
- le protocole transactionnel signé par les parties le 8 mars 2019 portant mise en place d'un échéancier de paiement entre le 15 mars 2019 et le 15 décembre 2019 pour le règlement par la société CMG Sport Club d'une somme globale de 288 776,78 euros arrêtée au 28 février 2019, celle-ci s'engageant à 'régler outre la redevance en cours et les nouvelles facturations de prestations complémentaires, l'arriéré de la redevance et des factures liées aux prestations supplémentaires',
- de nombreux bons de commandes dûment signés et acceptés et les factures y afférentes pour des travaux supplémentaires postérieurs au protocole, (pièce 18 de la société Rougnon )
- les factures relatives à la redevance fixe mensuelle pour les mois de mai à décembre 2019 (pièce 18 de la société Rougnon),
- un extrait de compte arrêté au 19 février 2020 concernant son client la société CMG Sport Club reprenant l'historique depuis le 14 décembre 2016 des factures, des avoirs et des règlements effectués par l'appelante, le dernier étant celui du 19 décembre 2019 d'un montant de 24 876, 78 euros dans le cadre du protocole (pièce 18 de la société Rougnon ), le solde débiteur au 19 février 2020 étant de 508 986 euros, soit un montant supérieur à la somme saisie dans le cadre de la mesure conservatoire.
A travers ces différentes pièces, la société Rougnon rapporte la preuve suffisante du caractère vraisemblable et fondé en son principe de sa créance à l'égard de la société CMG Sport Club en exécution du contrat de maintenance.
En effet, les griefs et moyens avancés par la société CMG Sport Club, qui par ailleurs ne prétend pas avoir réglé les sommes litigieuses, visent à critiquer le montant de la créance de la société Rougnon, son exigibilité partielle et à dénoncer l'exécution incomplète ou insatisfaisante des prestations dont il lui est réclamé le règlement, sans toutefois alléguer d'une créance certaine, exigible et liquide à ce titre susceptible de venir en compensation de celle de la société Rougnon en son intégralité, de sorte qu'ils sont sans portée sur l'appréciation du seul principe de la créance litigieuse.
* sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance :
Il résulte des pièces versées aux débats par la société Rougnon que l'état d'endettement de la société CMG Sport Club délivré par le greffier du tribunal de commerce de Nanterre le 18 décembre 2019 porte mention de 22 inscriptions au titre du privilèges de la sécurité sociale et des régimes complémentaires à hauteur d'un montant total de 334 763,11 euros, inscriptions faites par l'URSSAF d'Ile de France et un organisme de gestion du régime complémentaire entre le 7 février 2019 et le 12 août 2019.
Ces inscriptions tendent à démontrer les difficultés de la société CMG Sport Club à régler ses dettes fiscales et sociales, pourtant prioritaires, et confortent les craintes de la société Rougnon quant à l'insuffisance de trésorerie de l'appelante.
En outre, à défaut de publication des comptes annuels depuis 2016, étant observé que la société CMG Sport Club ne produit pas son dernier bilan annuel pour démontrer sa bonne santé financière, la société Rougnon n'a pas les moyens de vérifier que l'appelante a, dans ce contexte, la capacité financière de lui payer sa créance, étant rappelé que de précédents incidents de paiement ont donné lieu à un protocole transactionnel en mars 2019.
Par ailleurs, il résulte du projet de traité d'apport partiel d'actifs déposé au RCS le 29 novembre 2019 que la société CMG Sport Club et ses futures filiales sont convenues en application de l'article L. 236-21 du code de commerce que d'une part, 'chacune des sociétés parties à l'apport ne sera tenue que de la partie du passif mise à sa charge ou conservé par elle aux termes du traité, sans solidarité entre elle', que d'autre part 'la société apporteuse fait apport à la société bénéficiaire (...) de l'intégralité des éléments d'actif et de passif détaillés ci-après composant une branche complète et autonome d'activité de club de sport', l'article 3.2 du traité désignant et évaluant les éléments de passif transmis qui comprennent notamment des dettes 'fournisseurs et comptes rattachés' arrêtées au 30 septembre 2019.
En annexe 4 du traité figure pour chaque club le détail du passif ainsi transmis sans toutefois que soit précisé le nom des fournisseurs concernés, cette annexe étant précédée d'un avertissement rappelant qu'elle a un caractère non limitatif, 'tout élément attaché à la branche d'activité apportée étant compris dans l'Apport, quand bien même il ne serait pas expressément mentionné dans lesdites annexes'.
Au vu de ces éléments auxquels la société CMG Sport Club n'oppose aucune pièce pour démontrer que sa dette à l'égard de la société Rougnon n'a pas été transférée à ses filiales dans le cadre de cette opération, la société Rougnon peut légitimement craindre que sa créance ait fait l'objet d'un transfert aux nouvelles filiales de la société CMG Sport Club, ce qui l'obligerait à agir contre chacune de ces nouvelles sociétés sans pouvoir se prévaloir d'une quelconque solidarité à l'égard de l'appelante.
Par l'ensemble de ces éléments, la société Rougnon rapporte la preuve suffisante des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.
Il résulte de ce qui précède que sont réunies les conditions posées par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, à savoir l'existence d'une créance apparaissant fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a refusé de rétracter l'ordonnance du 31 décembre 2019 et a débouté la société CMG Sport Club de sa demande de mainlevée de la mesure de saisie conservatoire.
- sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société CMG Sport Club ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Il est en outre inéquitable de laisser à la société Rougnon la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME l'ordonnance entreprise en date du 20 avril 2020 en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE la société CMG Sport Club à payer à la société Rougnon une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que la société CMG Sport Club supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame CHERCHEVE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.