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Décisions

CJUE, 1re ch., 15 décembre 2022, n° C-470/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

AS Veejaam, OÜ Espo

Défendeur :

AS Elering

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

A. Arabadjiev (rapporteur)

Vice-président :

L. Bay Larsen

Juges :

P. G. Xuereb, A. Kumin, I. Ziemele

Avocat général :

A. Rantos

Avocats :

T. Laasik, H. Jürimäe, A. Sigal

CJUE n° C-470/20

14 décembre 2022

LA COUR (première chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de l’article 1er, sous c), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9), ainsi que du point 50 des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1, ci-après les « lignes directrices de 2014 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges, opposant, le premier, AS Veejaam à AS Elering, l’autorité estonienne chargée de l’octroi de l’aide aux énergies renouvelables, et, le second, OÜ Espo à Elering, au sujet de l’obtention, par lesdites sociétés, de cette aide.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement 2015/1589

3 Aux termes de l’article 1er, sous b) et c), du règlement 2015/1589 :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

b) “aide existante” :

i) sans préjudice des articles 144 et 172 de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1)], du point 3, et de l’appendice de l’annexe IV de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33), du point 2 et du point 3, [sous] b), et de l’appendice de l’annexe V de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203)], et du point 2 et du point 3, [sous] b), et de l’appendice de l’annexe IV de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2012, L 112, p. 21)], toute aide existant avant l’entrée en vigueur du [traité FUE] dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après l’entrée en vigueur du [traité FUE] dans les États membres respectifs ;

ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission [européenne] ou le Conseil [de l’Union européenne] ;

iii) toute aide qui est réputée avoir été autorisée conformément à l’article 4, paragraphe 6, du règlement (CE) no 659/1999 [du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 1999, L 83, p. 1)] ou à l’article 4, paragraphe 6, du présent règlement, ou avant le règlement [no 659/1999], mais conformément à la présente procédure ;

[...]

c) “aide nouvelle” : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;

[...] »

 Les lignes directrices de 2014

4 Les points 49 à 52 des lignes directrices de 2014 énoncent :

« (49) Les aides à l’environnement et à l’énergie ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur que si elles ont un effet incitatif. Cet effet existe dès lors que l’aide incite le bénéficiaire à modifier son comportement afin d’augmenter le niveau de protection de l’environnement ou d’améliorer le fonctionnement d’un marché européen de l’énergie sûr, abordable et durable, et que ce changement de comportement ne se produirait pas en l’absence d’aide. L’aide ne doit pas servir à subventionner les coûts d’une activité que l’entreprise aurait de toute façon supportés ni à compenser le risque commercial normal inhérent à une activité économique.

(50) La Commission considère que les aides sont dépourvues d’effet incitatif pour leur bénéficiaire dans tous les cas où ce dernier a adressé sa demande d’aide aux autorités nationales après le début des travaux liés au projet. Dans de tels cas, lorsque le bénéficiaire commence à mettre en œuvre un projet avant d’introduire sa demande d’aide, toute aide octroyée en faveur de ce projet ne sera pas considérée comme compatible avec le marché intérieur.

(51) Les États membres sont tenus d’introduire un formulaire de demande d’aide et de l’utiliser. Ce formulaire doit au moins contenir le nom du demandeur et la taille de l’entreprise concernée, une description du projet mentionnant notamment le site et les dates de début et de fin de sa réalisation, le montant de l’aide nécessaire pour le réaliser et une liste des coûts admissibles. Dans le formulaire de demande, les bénéficiaires sont tenus de décrire quelle serait la situation en l’absence d’aide, cette situation étant désignée comme le scénario contrefactuel ou comme le scénario ou projet de rechange. [...]

(52) Lorsqu’elle reçoit un formulaire de demande, l’autorité qui octroie l’aide doit vérifier la crédibilité du scénario contrefactuel et confirmer que l’aide a l’effet incitatif requis. Un scénario contrefactuel est crédible lorsqu’il est authentique et qu’il intègre les variables de décision observées au moment où le bénéficiaire prend sa décision sur l’investissement à réaliser. [...] »

 Les décisions de 2014 et de 2017

5 Par sa décision du 28 octobre 2014, concernant un régime d’aides en faveur de l’électricité produite à partir de sources renouvelables et de la cogénération efficiente (aide d’État SA.36023) (JO 2015, C 44, p. 2, ci-après la « décision de 2014 »), la Commission a constaté que le régime d’aides estonien, tout en violant l’obligation prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, remplissait les conditions prévues par l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement (JO 2001, C 37, p. 3), par les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement (JO 2008, C 82, p. 1) ainsi que par les lignes directrices de 2014, de sorte que ledit régime était compatible avec l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

6 Par sa décision du 6 décembre 2017 relative aux modifications du régime d’aides estonien en faveur des sources d’énergie renouvelable et de la cogénération (aide d’État SA.47354) (JO 2018, C 121, p. 7, ci-après la « décision de 2017 »), la Commission, tout en constatant que la République d’Estonie avait mis en œuvre les modifications apportées au régime d’aides ayant fait l’objet de la décision de 2014 en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, a décidé que le régime d’aides résultant desdites modifications était compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE.

 Le droit estonien

7 Les articles 59, 591 et 108 du elektrituruseadus (loi sur le marché de l’électricité) (RT I 2015, 43, ci-après l’« ELTS ») prévoient :

« Article 59. L’aide

(1) Le producteur a le droit d’obtenir du gestionnaire de réseau de transport une aide :

1) pour la production d’électricité à partir d’une source d’énergie renouvelable, en utilisant un équipement de production, dont la puissance nette ne dépasse pas 100 [mégawatts (MW)] ;

2) pour la production d’électricité, à compter du 1er juillet 2010, dès lors qu’il a utilisé pour cela de la biomasse en cogénération, sauf si l’électricité a été produite à partir de la biomasse dans le cadre du processus de condensation, auquel cas l’aide n’est pas octroyée. Sur proposition du ministre compétent, le gouvernement de la République d’Estonie établit, par règlement, les règles détaillées relatives à la cogénération. Le ministre compétent adresse au gouvernement de la République d’Estonie sa proposition quant aux règles détaillées relatives à la cogénération en se fondant sur la proposition formulée par l’autorité estonienne de la concurrence ;

[...]

4) pour la production d’électricité, dès lors qu’il a utilisé pour cela, dans le cadre d’un processus efficace de cogénération, un équipement de production, dont la puissance électrique ne dépasse pas 10 MW ;

[...]

Article 591. Les conditions de l’aide

(1) L’obtention de l’aide visée à l’article 59 de la présente loi est subordonnée aux conditions suivantes :

1) l’électricité est produite par un équipement de production conforme aux exigences de la présente loi et du code de réseau ;

2) le producteur remplit les obligations prévues au chapitre 4 et à l’article 58 de la présente loi.

(2) Le producteur ne bénéficie pas de l’aide :

1) dans les conditions visées à l’article 59, paragraphe 1, point [5], de la présente loi, si le prix des quotas d’émission de gaz à effet de serre est inférieur à [dix] euros par tonne de [dioxyde de carbone (CO2)] ;

2) au titre de l’article 59, paragraphe 2, point [1], de la présente loi, pour l’électricité produite par un équipement de production dont la puissance mise à disposition donne au producteur la possibilité de bénéficier de l’aide au titre de l’article 59, paragraphe 2, point [4, 5 ou 6] ;

3) si l’État a versé au producteur d’énergie éolienne l’aide à l’investissement au titre du même équipement de production ;

4) si le producteur ne dispose pas des autorisations environnementales nécessaires pour la production d’électricité ou ne respecte pas les conditions attachées à ces autorisations ;

5) pour l’électricité produite aux fins de l’approvisionnement propre de la centrale électrique.

(3) La demande visée à l’article 59, paragraphe 2, de la présente loi comprend les données des équipements de production, les mentions prévues par la législation pour l’obtention de l’aide et les renseignements imposés par le gestionnaire de réseau de transport pour retracer la provenance de l’électricité dans le cas où il n’est pas possible de déterminer sans ambiguïté cette provenance et la quantité d’électricité.

[...]

Article 108. La période d’éligibilité de l’aide

(1) L’aide visée à l’article 59, paragraphe 1, points [1 à 4], de la présente loi peut être versée dans un délai de 12 ans à compter du lancement de la production et celle visée au point [5] peut l’être dans un délai de 20 ans. L’aide, visée à l’article 59, pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable par un équipement de production mis en service avant le 1er janvier 2002 peut être versée jusqu’au 31 décembre 2012.

[...]

(3) La date correspondant au lancement de la production visée ci-dessus est la date à laquelle l’équipement de production adéquat fournit pour la première fois de l’électricité au réseau ou en ligne directe.

[...] »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

8 De l’année 2001 à l’année 2015, Veejaam a produit de l’énergie électrique dans la centrale hydroélectrique de Joaveski (Estonie), en utilisant deux équipements de production d’une puissance, respectivement, de 100 kilowatts (kW) et 200 kW. De l’année 2001 à l’année 2012, Veejaam a bénéficié de l’aide aux énergies renouvelables prévue par le régime d’aides estonien en cause. En 2015, cette société a remplacé lesdits équipements de production par un nouvel ensemble turbine-générateur d’une puissance de 200 kW, installé sur l’ancien barrage de la centrale, de sorte que, sur les équipements préexistants, seul un point de mesure subsistait. Le 21 janvier 2016, Veejaam a transmis les données du nouvel équipement à Elering, en vue de l’obtention de l’aide aux énergies renouvelables. Cette demande a été rejetée au motif que l’aide en cause ne pouvait être versée que, d’une part, en relation avec l’électricité produite par un équipement de production entièrement nouveau et, d’autre part, afin de favoriser l’entrée sur le marché de nouveaux opérateurs et non pour soutenir les producteurs d’électricité de manière permanente.

9 De l’année 2004 à l’année 2009, Espo a produit de l’énergie électrique, dans la centrale hydroélectrique de Pikru (Estonie), au moyen d’une turbine d’une puissance de 15 kW. À compter de l’année 2009, une nouvelle turbine d’une puissance de 45 kW est entrée en fonction. Espo a bénéficié de l’aide aux énergies renouvelables pendant la période comprise entre l’année 2004 et l’année 2015. La demande d’aide présentée par Espo à Elering en 2016, relative à l’énergie produite avec la nouvelle turbine, a été refusée, en substance, pour les mêmes raisons que celles exposées par cette autorité concernant la demande de Veejaam.

10 Veejaam et Espo ont chacune introduit un recours contre les décisions de Elering leur refusant l’octroi de l’aide aux énergies renouvelables devant le Tallinna Halduskohus (tribunal administratif de Tallin, Estonie). À la suite des décisions du 10 octobre 2017 et du 27 octobre 2017 par lesquelles cette juridiction a rejeté lesdits recours, ces sociétés ont interjeté appel de ces décisions devant la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallin, Estonie). Par suite du rejet desdits appels, Veejaam et Espo ont formé un pourvoi en cassation devant la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), la juridiction de renvoi.

11 Cette dernière considère que la résolution des litiges au principal dépend de la question de savoir s’il y a lieu, en vue de l’octroi de l’aide aux énergies renouvelables, de prendre en compte, en tant que « date de lancement de la production », au sens de l’article 108, paragraphe 3, de l’ELTS, uniquement la date du lancement initial de la production dans la centrale concernée ou si la simple substitution d’un « équipement de production » à un autre équipement existant permet de considérer qu’un nouveau « lancement de la production » a été réalisé.

12 La juridiction de renvoi estime également que, aux fins de la résolution des litiges au principal, il y a lieu de tenir compte de la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État.

13 À cet égard, la Riigikohus (Cour suprême) relève, en premier lieu, que les articles 59 et 591 de l’ELTS se fondent sur le principe selon lequel la demande d’aide doit être présentée après l’installation de l’équipement de production faisant l’objet de l’aide et que les opérateurs ont le droit de bénéficier de l’aide dès qu’ils remplissent les conditions prévues par la réglementation estonienne, les autorités nationales n’ayant aucune marge d’appréciation à cet égard. La juridiction de renvoi indique qu’une telle réglementation a été considérée comme compatible avec le marché intérieur par la Commission, laquelle, par sa décision de 2014 et sa décision de 2017, a validé les différents régimes estoniens d’aides aux énergies renouvelables mises en œuvre depuis l’année 2003.

14 Cela étant, la juridiction de renvoi relève que, conformément au point 50 des lignes directrices de 2014, une aide est dépourvue d’effet incitatif – cet effet étant l’une des conditions pour considérer que l’aide est compatible avec le marché intérieur – dans tous les cas où le bénéficiaire a adressé sa demande d’aide aux autorités nationales après le début des travaux liés au projet concerné. Se pose ainsi la question d’une possible tension entre la décision de 2014 et la décision de 2017, d’une part, et les lignes directrices de 2014, d’autre part, en ce qui concerne l’appréciation de l’effet incitatif de l’aide aux énergies renouvelables prévu par le régime d’aides estonien. En effet, dans ces décisions, la Commission aurait, de fait, admis la possibilité de présenter la demande d’aide également après l’installation des nouveaux équipements de production en cause.

15 Par ailleurs, ladite juridiction rappelle que, au cours de la procédure au principal, elle a sollicité de la Commission un avis, au sens de l’article 29, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, qui a été rendu par cette institution en 2020, concernant notamment la question de savoir si une aide dont la demande a été présentée en 2016 pouvait être considérée comme ayant un effet incitatif même dans le cas où l’équipement de production lié à la demande d’aide a été installé et mis en service avant la présentation de la demande d’aide. Or, dans cet avis, la Commission aurait confirmé que Veejaam et Espo ne pouvaient bénéficier de l’aide en cause au regard des lignes directrices de 2014, dans la mesure où ces sociétés avaient déposé la demande d’aide après l’installation des nouveaux équipements de production, ce qui démontrerait qu’elles étaient prêtes à réaliser le projet concerné même en l’absence de l’aide en cause.

16 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi relève que, dans ledit avis, la Commission a constaté qu’une société se trouvant dans la même situation que celle de Veejaam, qui avait entrepris les travaux d’installation des nouveaux équipements de production en vue de se conformer aux changements des conditions d’obtention de l’autorisation environnementale nécessaire pour la production d’électricité, n’aurait pas droit au versement de l’aide aux énergies renouvelables. En effet, en tout état de cause, ces travaux auraient dû être réalisés dès lors qu’ils étaient imposés par une réglementation de l’État membre concerné, de sorte que l’aide ne présenterait aucun effet incitatif.

17 Toutefois, la juridiction de renvoi estime que, sans la perspective de l’obtention de l’aide aux énergies renouvelables, Veejaam aurait été contrainte d’arrêter la production d’électricité en raison desdits changements des conditions d’obtention de l’autorisation environnementale nécessaire pour la production d’électricité et que, en conséquence, cette aide, qui a permis à cette société de remplacer son équipement de production, possèderait effectivement un effet incitatif. À cet égard, cette juridiction relève que, dans la mesure où l’ELTS prévoit que tout demandeur remplissant les conditions légales peut prétendre à l’aide, la raison qui a conduit le producteur à installer un nouvel équipement de production ne saurait être pertinente aux fins de l’octroi de l’aide.

18 En troisième lieu, la juridiction de renvoi relève, ainsi qu’il ressort de la décision de 2014, que la République d’Estonie avait prévu deux régimes d’aides aux énergies renouvelables. Conformément au premier régime (ci-après l’« ancien régime »), seuls les producteurs existants qui avaient lancé la production d’électricité au plus tard le 1er mars 2013 étaient éligibles au bénéfice de l’aide, qui était octroyée de manière automatique lorsque les conditions prévues par la loi étaient remplies. La juridiction de renvoi précise que ce régime aurait dû être appliqué jusqu’au 31 décembre 2014. Le second régime (ci-après le « nouveau régime ») prévoyait que, à partir du 1er janvier 2015, les producteurs ayant lancé leur production après le 1er mars 2013 ne pouvaient obtenir une aide que dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.

19 Or, la République d’Estonie n’a pas adopté les mesures législatives qui auraient permis de mettre en œuvre le nouveau régime et a continué à appliquer l’ancien régime jusqu’en 2017, permettant ainsi également aux producteurs qui avaient lancé la production après le 1er mars 2013 de bénéficier de l’aide. Ce serait donc à juste titre que la Commission a constaté, dans sa décision de 2017, que la République d’Estonie avait méconnu l’interdiction de mise à exécution des aides d’État prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

20 En l’occurrence, se poserait ainsi la question de déterminer, eu égard à la distinction entre « aide existante » et « aide nouvelle », établie par le règlement 2015/1589, si, dans l’hypothèse où la Commission a déclaré compatible avec le marché intérieur tant un régime d’aides existant – à savoir l’ancien régime – que ses modifications envisagées – à savoir le nouveau régime – et où l’État membre a continué à appliquer l’ancien régime après la date indiquée par cet État membre à la Commission, l’aide en cause doit être qualifiée d’« aide existante » ou d’« aide nouvelle ».

21 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi relève que, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que l’ancien régime ne pouvait être considéré comme légal, après le 31 décembre 2014, qu’en vertu de l’adoption de la décision de 2017, se poserait la question de savoir si Veejaam et Espo pourraient bénéficier de l’aide dès 2016, c’est-à-dire à partir du moment où ces sociétés ont demandé l’octroi de celle-ci. Concrètement, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans l’hypothèse où la Commission déciderait a posteriori de ne pas soulever d’objections à l’égard d’un régime d’aides mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, les sociétés qui peuvent bénéficier d’une aide au fonctionnement ont le droit de demander le versement de l’aide pour la période antérieure à la décision de la Commission, si les règles nationales le permettent.

22 Enfin, en cinquième lieu, s’agissant notamment de la situation d’Espo, la juridiction de renvoi rappelle que cette société a installé, en 2009, un nouvel équipement de production et que, en 2016, elle a demandé l’aide en cause pour l’électricité produite par cet équipement. Dans l’hypothèse où la réponse de la Cour aux questions préjudicielles serait telle qu’il conviendrait de considérer que, entre l’année 2015 et l’année 2017, l’ancien régime constituait un régime d’aides illégal en raison de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la juridiction de renvoi estime qu’il n’y aurait pas lieu pour autant de rejeter la demande d’aide d’Espo, dans la mesure où son équipement de production a été installé en 2009, à savoir à un moment où l’ancien régime aurait été validé par la déclaration de compatibilité de ce régime avec le marché intérieur contenue dans la décision de 2014. Se poserait, ainsi, la question de savoir si Espo, qui, d’une part, avait lancé la réalisation d’un projet remplissant les conditions considérées comme compatibles avec le marché intérieur au moment où un régime d’aides était légalement mis à exécution mais qui, d’autre part, avait présenté sa demande d’aide seulement en 2016, serait concernée par l’interdiction de mise à exécution des aides prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

23 C’est dans ces conditions que la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État, en particulier la condition de l’effet incitatif prévue au point 50 [des lignes directrices de 2014], peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’il convient de considérer comme compatible avec ces règles un régime d’aides d’État qui permet au producteur d’énergie renouvelable de demander le versement d’une aide après le lancement des travaux de réalisation du projet, lorsque la disposition nationale reconnaît à tout producteur remplissant les conditions légales le droit de bénéficier de l’aide et ne confère pas de pouvoir d’appréciation à l’autorité compétente sur ce point ?

2) L’effet incitatif d’une aide d’État est-il exclu en tout état de cause lorsque l’investissement justifiant une aide d’État a été réalisé en raison d’une modification des conditions de l’autorisation environnementale, y compris lorsque, comme en l’espèce, le demandeur aurait probablement cessé son activité en cas de non–obtention d’une aide d’État en raison des conditions d’autorisation plus strictes ?

3) Dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, la Commission a, par une décision relative à une aide d’État, déclaré compatible avec le marché intérieur tant un régime d’aides existant que ses modifications envisagées et que l’État a expliqué entre autres qu’il n’appliquait le régime existant que jusqu’à une certaine date, s’agit-il, en cas de poursuite de l’application du régime d’aides existant en vertu de la loi en vigueur au-delà de la date limite indiquée dans les explications fournies par l’État, d’une aide nouvelle au sens de l’article 1er, sous c), du règlement [2015/1589], compte tenu notamment des considérations de la Cour dans l’affaire [ayant donné lieu à l’arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados (C 590/14 P, EU:C:2016:797, points 49 et 50)] ?

4) Dans l’hypothèse où la Commission a décidé a posteriori de ne pas soulever d’objections à [l’égard] d’un régime d’aides appliqué en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], les personnes qui ont droit au bénéfice d’une aide au fonctionnement ont-elles également le droit de demander le versement de l’aide pour la période antérieure à la décision de la Commission, si les règles nationales en matière de procédure le permettent ?

5) Convient-il de considérer que le demandeur qui, souhaitant bénéficier d’une aide au fonctionnement dans le cadre d’un régime d’aides, a lancé la réalisation d’un projet remplissant des conditions considérées comme compatibles avec le marché intérieur à un moment où le régime d’aides était légalement mis à exécution, mais qui a demandé l’aide d’État à un moment où le régime d’aides avait été prolongé sans que la Commission en ait été informée, a, indépendamment des dispositions de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], droit au bénéfice de l’aide d’État ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

24 Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, la question de savoir si, dans le cadre des litiges au principal, Veejaam et Espo peuvent prétendre à l’aide aux énergies renouvelables en cause au principal dépend, notamment, de l’interprétation des notions d’« équipement de production » et de « lancement de production », visées respectivement à l’article 591 et à l’article 108, paragraphe 3, de l’ELTS. En particulier, selon cette juridiction, il lui incombe de déterminer si seule la date du lancement initial de la production dans une centrale hydroélectrique doit être considérée comme étant la « date de lancement de la production », au sens de cette disposition ou si la date à laquelle intervient une simple substitution d’un « équipement de production » à un équipement existant peut également être considérée comme la « date de lancement de la production », au sens des dispositions applicables.

25 À cet égard, il convient de relever, d’une part, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de la réglementation nationale (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2022, Ametic, C 263/21, EU:C:2022:644, point 64). D’autre part, il y a lieu de rappeler que la date du « lancement de la production » visée à l’article 108, paragraphe 3, de l’ELTS, a été retenue par la Commission dans la décision de 2014 et dans la décision de 2017, adoptées sur le fondement des régimes d’aides notifiés par la République d’Estonie, pour établir le point de départ de la période pendant laquelle un opérateur économique peut bénéficier d’une aide d’État dans le cadre de l’ancien régime. En particulier, ces décisions ont fixé des conditions pour l’octroi de l’aide, parmi lesquelles celle prévoyant que l’aide ne peut être versée après que s’est écoulée une période de douze années à compter du lancement de la production.

26 Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 24 de ses conclusions, il importe de souligner que, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, la juridiction de renvoi est tenue de respecter la décision de 2014 et la décision de 2017. Par ailleurs, cette juridiction devra également prendre en compte la jurisprudence de la Cour selon laquelle la portée d’une décision par laquelle la Commission ne soulève pas d’objections à l’égard d’un régime d’aides notifié par un État membre doit être déterminée non seulement en se référant au texte même de ladite décision, mais également en tenant compte du régime d’aides notifié par l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C 537/08 P, EU:C:2010:769, point 44).

 Sur la première question

27 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les points 49 et 50 des lignes directrices de 2014 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale établissant un régime d’aides aux énergies renouvelables permettant au demandeur de l’aide d’obtenir le versement de celle-ci même si la demande a été présentée après le lancement des travaux de réalisation du projet concerné.

28 Il ressort du point 49 des lignes directrices de 2014 que les aides aux énergies renouvelables ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur que si elles ont un effet incitatif. Cet effet existe dès lors que l’aide incite le bénéficiaire à modifier son comportement et que cette modification ne se produirait pas en l’absence de l’aide. Ainsi, selon le point 50 desdites lignes directrices, la Commission considère que les aides sont dépourvues d’effet incitatif pour le bénéficiaire dans tous les cas où ce dernier a présenté sa demande d’aide aux autorités nationales après le début des travaux liés au projet concerné.

29 S’agissant de la portée d’un acte tel que les lignes directrices de 2014, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’appréciation de la compatibilité des mesures d’aide avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union. À cet égard, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social. Dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, la Commission peut adopter des lignes directrices afin d’établir les critères sur la base desquels elle entend évaluer la compatibilité, avec le marché intérieur, des mesures d’aide envisagées par les États membres (arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, points 37 à 39).

30 En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice dudit pouvoir d’appréciation et ne saurait, en principe, se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime. Cela étant, la Commission ne saurait renoncer, au moyen de l’adoption de règles de conduite, à l’exercice du pouvoir d’appréciation que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE lui confère. L’adoption d’un document tel que les lignes directrices de 2014 n’affranchit donc pas la Commission de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de motiver son refus de faire droit à une demande d’aide (voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, points 40  et 41).

31 Il résulte de ce qui précède, d’une part, que l’effet de l’adoption des règles de conduite contenues dans les lignes directrices de 2014 est circonscrit à celui d’une autolimitation de la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, en ce sens que, si un État membre notifie à la Commission un projet d’aide d’État qui est conforme à ces règles, cette dernière doit, en principe, autoriser ce projet. D’autre part, les États membres conservent la faculté de notifier à la Commission des projets d’aide d’État qui ne satisfont pas aux critères prévus par ces lignes directrices et la Commission peut autoriser de tels projets dans des circonstances exceptionnelles (voir, par analogie, arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, point 43).

32 Il s’ensuit que les lignes directrices de 2014 ne sont pas susceptibles de créer des obligations autonomes à la charge des États membres mais se limitent à prévoir des conditions visant à assurer la compatibilité avec le marché intérieur des aides aux énergies renouvelables, dont la Commission doit tenir compte, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 29 à 31 du présent arrêt, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Partant, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 33 de ses conclusions, la Commission agit dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation en déclarant compatible avec le marché intérieur un régime d’aides pour lequel le respect de la condition de l’effet incitatif est assuré autrement que par l’introduction de la demande d’aide avant le lancement de travaux.

33 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que les points 49 et 50 des lignes directrices de 2014 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale établissant un régime d’aides aux énergies renouvelables permettant au demandeur de l’aide d’obtenir le versement de celle-ci même si la demande a été présentée après le lancement des travaux de réalisation du projet concerné.

 Sur la deuxième question

34 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les lignes directrices de 2014 doivent être interprétées en ce sens qu’une aide d’État est susceptible d’avoir un effet incitatif lorsque l’investissement qu’un opérateur économique a réalisé en vue de se mettre en conformité avec une modification des conditions d’obtention d’une autorisation environnementale, cette dernière étant nécessaire pour l’activité de cet opérateur, n’aurait probablement pas eu lieu en l’absence du versement de l’aide concernée.

35 À cet égard, il importe de relever que, selon les points 51 et 52 des lignes directrices de 2014, au moment de la demande de l’aide, les demandeurs doivent décrire, dans le formulaire adopté par les autorités compétentes, quelle serait leur situation en l’absence de l’aide, cette situation constituant le scénario contrefactuel. En outre, lorsque l’autorité compétente reçoit la demande, elle doit évaluer la crédibilité dudit scénario et confirmer que l’aide possède l’effet incitatif requis. Un scénario contrefactuel est crédible lorsqu’il est authentique et qu’il intègre les variables de décision observées au moment où le bénéficiaire prend sa décision sur l’investissement à réaliser.

36 Ainsi, il ne ressort pas du libellé desdits points que l’aide demandée, en vue de réaliser un investissement nécessaire pour qu’un opérateur économique remplisse les conditions, plus strictes, prévues pour l’obtention d’une autorisation environnementale, est dépourvue, dans tous les cas, d’effet incitatif. Dans ces conditions, il convient de considérer que le changement des conditions prévues pour l’obtention d’une telle autorisation, dans l’hypothèse où l’aide ne devait pas être versée, est l’un des éléments que les autorités nationales doivent prendre en considération dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité du scénario contrefactuel.

37 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que Veejaam, qui est la seule requérante au principal concernée par la deuxième question préjudicielle, d’une part, a réalisé un investissement consistant en une substitution d’un équipement de production à l’équipement existant en vue de remplir les nouvelles conditions imposées par la législation estonienne pour l’obtention de l’autorisation environnementale nécessaire pour la production de l’électricité et, d’autre part, allègue que cet investissement aurait été rendu possible uniquement par la perspective du versement de l’aide aux énergies renouvelables.

38 Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 47 de ses conclusions, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer la crédibilité du scénario contrefactuel présenté par Veejaam et, notamment, de vérifier la probabilité que cette société aurait cessé son activité en cas de non-obtention de l’aide en cause. Dans le cadre de cette appréciation, la juridiction de renvoi est tenue, ainsi qu’il a été rappelé au point 26 du présent arrêt, au respect des conditions fixées dans la décision de 2014 et la décision de 2017. Il appartient à cette juridiction, dans le cadre de l’examen de la crédibilité dudit scénario, d’analyser un faisceau d’éléments pertinents ainsi que des données tels que les recettes et les dépenses que Veejaam aurait réalisées, en l’absence de l’aide, pour produire de l’électricité en conformité avec les nouvelles conditions auxquelles est subordonnée l’obtention de l’autorisation environnementale en cause.

39 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la deuxième question que les lignes directrices de 2014 doivent être interprétées en ce sens qu’une aide d’État est susceptible d’avoir un effet incitatif lorsque l’investissement qu’un opérateur économique a réalisé en vue de se mettre en conformité avec une modification des conditions d’obtention d’une autorisation environnementale, cette dernière étant nécessaire pour l’activité de cet opérateur, n’aurait probablement pas eu lieu en l’absence du versement de l’aide concernée.

 Sur la troisième question

40 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, sous b) et c), du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens qu’un régime d’aides existant, dont la compatibilité avec le marché intérieur a été constatée par une décision de la Commission, doit être qualifié d’« aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), de ce règlement, lorsque ce régime est appliqué au-delà de la date que l’État membre concerné avait indiquée à la Commission, dans le cadre de la procédure d’évaluation de l’aide clôturée par ladite décision, comme date de fin d’application dudit régime.

41 Il convient de rappeler que l’article 1er, sous b), du règlement 2015/1589 énumère les situations dans lesquelles une aide d’État doit être qualifiée d’« aide existante ». En particulier, il ressort de l’article 1er, sous b), ii), de ce règlement que toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil, constitue une aide existante. En outre, l’article 1er, sous c), dudit règlement définit une aide nouvelle comme étant « tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ».

42 À cet égard, dans le cadre du système de contrôle des aides étatiques, instauré par les articles 107 et 108 TFUE, la procédure diffère selon que les aides sont existantes ou nouvelles. Alors que les aides existantes peuvent, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité, l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit que les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes doivent être notifiés, en temps utile, à la Commission et ne peuvent être mis à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale (arrêt du 28 octobre 2021, Eco Fox e.a., C 915/19 à C 917/19, EU:C:2021:887, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

43 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’évaluation, par la Commission, de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur se fonde sur l’appréciation des données économiques et des circonstances qui se présentent sur le marché en question à la date à laquelle la Commission prend sa décision et tient compte, notamment, de la durée pour laquelle l’octroi de cette aide est prévu. Par conséquent, la durée de validité d’une aide existante constitue un élément de nature à influencer l’évaluation, par la Commission, de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados, C 590/14 P, EU:C:2016:797, point 49).

44 Ainsi, la prolongation de la durée de validité d’une aide existante doit être considérée comme une modification d’une aide existante et constitue, dès lors, en application de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, une aide nouvelle (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados, C 590/14 P, EU:C:2016:797, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

45 En l’occurrence, il ressort des informations dont dispose la Cour, premièrement, que la République d’Estonie a indiqué, dans le cadre de la procédure concernant l’appréciation de la compatibilité de l’ancien régime avec le marché intérieur, que ce régime ne devait être mis en œuvre que jusqu’au 31 décembre 2014, deuxièmement, que c’est en tenant compte de cette date que la Commission a conduit son appréciation dans la décision de 2014 et, troisièmement, que la République d’Estonie a maintenu en vigueur ce régime au cours des années 2015 et 2016, soit après le 31 décembre 2014.

46 Ainsi, eu égard à la définition de la notion d’aide existante, rappelée au point 41 du présent arrêt, et à la jurisprudence de la Cour mentionnée aux points 43 et 44 de celui-ci, il convient de constater que l’ancien régime pouvait être qualifié, après l’adoption de la décision de 2014 et jusqu’au 31 décembre 2014, d’aide existante, dans la mesure où sa compatibilité avec le marché intérieur avait été constatée par ladite décision.

47 En revanche, pendant la période comprise entre le 1er janvier 2015 et la date d’adoption de la décision de 2017, laquelle a constaté la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur y compris après la prolongation de la durée de sa validité, celui-ci doit être qualifié d’aide nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, et aurait donc dû être notifié à la Commission conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

48 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 1er, sous b) et c), du règlement 2015/1589 doit être interprété en ce sens qu’un régime d’aides existant, dont la compatibilité avec le marché intérieur a été constatée par une décision de la Commission, doit être qualifié d’« aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), de ce règlement, lorsque ce régime est appliqué au-delà de la date que l’État membre concerné avait indiquée à la Commission, dans le cadre de la procédure d’évaluation de l’aide clôturée par ladite décision, comme date de fin d’application dudit régime.

 Sur les quatrième et cinquième questions

49 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’il soit fait droit à la demande d’un opérateur économique visant au versement d’une aide d’État, en dépit de la violation de l’obligation de notification prévue à cette disposition, d’une part, pour la période antérieure à la décision de la Commission constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur et, d’autre part, lorsque ledit opérateur a demandé l’aide à un moment où celle-ci était illégale, n’ayant pas été notifiée à cette institution, alors que l’investissement auquel l’aide était liée a été réalisé à un moment où ledit régime était légal, sa compatibilité avec le marché intérieur ayant été constatée par une décision de la Commission.

 Sur la recevabilité

50 La Commission fait valoir que les quatrième et cinquième questions sont hypothétiques et que, par conséquent, elles ne sont pas recevables, dès lors que Veejaam et Espo n’auraient droit à aucune aide dans le cadre de l’ancien régime ou du nouveau régime. En effet, ces sociétés auraient déjà bénéficié de l’aide en cause sur une période excédant douze ans à compter du lancement de la production d’énergie électrique dans leurs centrales respectives, cette période constituant, selon la législation estonienne, la durée maximale pendant laquelle les producteurs d’énergie peuvent recevoir l’aide en cause.

51 Il y a lieu de rappeler que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 2 juin 2022, SR (Frais de traduction dans une procédure civile), C 196/21, EU:C:2022:427, point 25].

52 En l’occurrence, il suffit de constater que la réponse à la question de savoir si Veejaam et Espo sont éligibles au bénéfice d’une aide d’État, sur la base de l’appréciation du contexte factuel et des dispositions de droit national devant être effectuée par le juge national, requiert l’interprétation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En outre, il n’apparaît pas de manière manifeste que cette question n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

53 Il s’ensuit que les quatrième et cinquième questions sont recevables.

 Sur le fond

54 À titre liminaire, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort de la réponse à la troisième question, que l’ancien régime peut être qualifié, entre le 1er janvier 2015 et la date d’adoption de la décision de 2017, d’« aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, et que cette aide, ayant été mise en œuvre en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, peut être considérée comme étant illégale pendant cette période. Ce n’est qu’après la constatation, par la décision de 2017, de la compatibilité de ce régime avec le marché intérieur que ledit régime peut être qualifié d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), dudit règlement.

55 Ensuite, l’interdiction prévue par le paragraphe 3 de l’article 108 TFUE vise à garantir que les effets d’une aide ne se produisent pas avant que la Commission n’ait eu un délai raisonnable pour examiner le projet concerné en détail et, le cas échéant, entamer la procédure prévue au paragraphe 2 de cet article. L’article 108, paragraphe 3, TFUE institue ainsi un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles (arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C 199/06, EU:C:2008:79, points 36 et 37).

56 Dans une situation dans laquelle la Commission a, au sujet d’une aide mise à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, adopté une décision finale concluant à la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur en vertu de l’article 107 TFUE, la Cour a jugé que la décision finale de la Commission n’avait pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction de mise à exécution énoncée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de cette disposition et la priverait de son effet utile (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, point 21 et jurisprudence citée).

57 Dans une telle situation, le droit de l’Union impose aux juridictions nationales d’ordonner les mesures propres à remédier effectivement aux effets de l’illégalité. En effet, si, dans le cadre d’un projet d’aide, compatible ou non avec le marché intérieur, le fait de ne pas respecter l’article 108, paragraphe 3, TFUE n’entraînait pas davantage de risques ou de sanctions que le respect de cette disposition, l’incitation des États membres à notifier et à attendre une décision relative à la compatibilité serait considérablement réduite, et il en irait de même de l’étendue du contrôle de la Commission par voie de conséquence (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée).

58 Cela étant, il convient d’opérer une distinction, quant aux effets de la mise à exécution d’une aide en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, entre la récupération de l’aide illégale et le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, point 24 et jurisprudence citée).

59 D’une part, s’agissant de la récupération de l’aide illégale, l’objectif de garantir qu’une aide incompatible ne sera jamais mise à exécution, sur lequel l’article 108, paragraphe 3, TFUE est fondé, n’est pas contredit par le versement prématuré de l’aide qui n’a pas été notifiée, lorsque la Commission adopte une décision finale concluant à la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur. Par conséquent, le juge national n’est pas tenu d’ordonner la récupération de ladite aide (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, point 25 et jurisprudence citée).

60 D’autre part, le juge national est tenu, en application du droit de l’Union, d’ordonner au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide. Cette obligation incombant au juge national résulte du fait que la mise à exécution d’une aide en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE procure au bénéficiaire de celle-ci un avantage indu consistant, premièrement, dans le non-versement des intérêts qu’il aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de l’adoption de la décision finale de la Commission, et, deuxièmement, dans l’amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la période d’illégalité de l’aide concernée. En effet, l’illégalité de cette aide aura eu pour effet, d’une part, d’exposer ces opérateurs au risque, en définitive non réalisé, d’une mise en œuvre d’une aide incompatible et, d’autre part, de leur faire subir plus tôt qu’ils ne l’auraient dû, en termes de concurrence, les effets de celle-ci (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C 445/19, EU:C:2020:952, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).

61 Dans la mesure où, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 59 et 60 du présent arrêt, il n’est pas exclu qu’un opérateur économique puisse bénéficier du versement prématuré de l’aide mise en œuvre en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lorsque la Commission adopte une décision finale concluant à la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur, cette disposition ne s’oppose pas non plus à ce que ledit opérateur obtienne cette aide pour la période antérieure à une telle décision de la Commission, à compter du moment où cet opérateur a demandé le versement de l’aide.

62 De même, lorsque, d’une part, la Commission a constaté a posteriori la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur et, d’autre part, aucune aide n’a été versée à un opérateur économique au cours de la période pendant laquelle ladite aide devrait être considérée comme étant illégale en raison de la violation de l’obligation prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, cet opérateur ne saurait être tenu au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette même aide, tels que visés par la jurisprudence citée au point 60 du présent arrêt. En effet, dans une telle situation, il n’y aurait pas lieu de remédier aux effets de l’illégalité, au sens de la jurisprudence rappelée au point 57 du présent arrêt.

63 En l’occurrence, premièrement, s’agissant de la situation sous-jacente à la quatrième question préjudicielle, qui ne concerne que Veejaam, il ressort de la décision de renvoi qu’aucune aide n’a été versée à cette société pendant la période comprise entre le 1er janvier 2015 et la date d’adoption de la décision de 2017.

64 Partant, s’agissant de Veejaam, il incombe à la juridiction de renvoi de tirer les conséquences des considérations exposées aux points 61 et 62 du présent arrêt en ce qui concerne la possibilité pour cette société d’obtenir l’aide concernée dans le cadre de l’ancien régime, pour la période comprise entre le 1er décembre 2015 et la date d’adoption de la décision de 2017, à compter de la présentation de la demande d’aide.

65 Deuxièmement, s’agissant de la cinquième question préjudicielle, qui concerne la situation d’Espo, eu égard à la jurisprudence mentionnée au point 60 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, notamment, si cette société a perçu des aides en vue de l’installation, en 2009, de l’équipement de production concerné, au cours d’une période durant laquelle l’ancien régime n’avait pas été déclaré compatible avec le marché intérieur par la décision de 2014, aux fins de l’éventuelle récupération des intérêts sur les sommes perçues par cette société au titre dudit régime d’aides.

66 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait droit à la demande d’un opérateur économique visant au versement d’une aide d’État, mise en œuvre en violation de l’obligation de notification prévue à cette disposition, d’une part, pour la période antérieure à la décision de la Commission constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur, et, d’autre part, lorsque ledit opérateur a demandé l’aide à un moment où celle-ci était illégale, n’ayant pas été notifiée à cette institution, alors que l’investissement auquel l’aide était liée a été réalisé à un moment où ledit régime était légal, sa compatibilité avec le marché intérieur ayant été constaté par une décision de la Commission, pour autant que, dans ces deux situations, le bénéficiaire de l’aide paie les intérêts sur les sommes éventuellement reçues, au titre de la période au cours de laquelle l’aide est considérée comme illégale.

 Sur les dépens

67 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) Les points 49 et 50 des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014 – 2020

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale établissant un régime d’aides aux énergies renouvelables permettant au demandeur de l’aide d’obtenir le versement de celle-ci même si la demande a été présentée après le lancement des travaux de réalisation du projet concerné.

2) Les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014 – 2020

doivent être interprétées en ce sens que :

une aide d’État est susceptible d’avoir un effet incitatif lorsque l’investissement qu’un opérateur économique a réalisé en vue de se mettre en conformité avec une modification des conditions d’obtention d’une autorisation environnementale, cette dernière étant nécessaire pour l’activité de cet opérateur, n’aurait probablement pas eu lieu en l’absence du versement de l’aide concernée.

3) L’article 1er, sous b) et c), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

un régime d’aides existant, dont la compatibilité avec le marché intérieur a été constatée par une décision de la Commission européenne, doit être qualifié d’« aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), de ce règlement, lorsque ce régime est appliqué au-delà de la date que l’État membre concerné avait indiquée à la Commission, dans le cadre de la procédure d’évaluation de l’aide clôturée par ladite décision, comme date de fin d’application dudit régime.

4) L’article 108, paragraphe 3, TFUE

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait droit à la demande d’un opérateur économique visant au versement d’une aide d’État, mise en œuvre en violation de l’obligation de notification prévue à cette disposition, d’une part, pour la période antérieure à la décision de la Commission constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur, et, d’autre part, lorsque ledit opérateur a demandé l’aide à un moment où celle-ci était illégale, n’ayant pas été notifiée à cette institution, alors que l’investissement auquel l’aide était liée a été réalisé à un moment où ledit régime était légal, sa compatibilité avec le marché intérieur ayant été constaté par une décision de la Commission, pour autant que, dans ces deux situations, le bénéficiaire de l’aide paie les intérêts sur les sommes éventuellement reçues, au titre de la période au cours de laquelle l’aide est considérée comme illégale.