CA Papeete, ch. com., 19 décembre 2019, n° 18/00111
PAPEETE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
BNP Paribas Nouvelle Calédonie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ripoll
Conseillers :
Mme Degorce, M. Gelpi
Faits, procédure et demandes des parties :
Aux termes du jugement déféré :
La société Interoute Sa a obtenu de la Banque Nationale de Paris Paribas Nouvelle-Calédonie les crédits suivants :
- le 28 juin 2010, une convention d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001357,
- le 28 juin 2010, une convention d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001360,
- le 28 juin 2010, une convention d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001361,
- le 28 juin 2010, une convention d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001363,
- le 17 septembre 2010, une convention d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001963.
Chacune de ces conventions de crédit est couverte par la caution solidaire de Marius N. du 28 juin 2010 et comportant l'obligation de garantir l'ensemble des engagements de la société Interoute Sa à hauteur de 100 000 000 FCP.
La société Interoute Sa a créé une filiale, la société Interoute Nc Sas, laquelle a conclu, toujours avec la Banque Nationale de Paris Paribas Nouvelle-Calédonie :
- le 9 février 2011, une convention de compte courant n°[...],
- le 26 février 2011, une convention de compte courant n°[...].
Chacune de ces conventions de crédit est couverte par la caution solidaire de Marius N. du 9 août 2011 et comportant l'obligation de garantir l'ensemble des engagements de la société Interoute Nc Sas à hauteur de 100 000 000 FCP.
Par jugement du 4 juin 2012, la société Interoute Nc Sas a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire le 16 février 2015 devant le tribunal de Nouméa.
La Banque Nationale de Paris Sa avait entre-temps produit ses créances à cette procédure par acte du 24 août 2012 et mis en demeure Marius N. de régler les sommes dues en sa qualité de caution par acte extrajudiciaire du 30 septembre 2014. Celui-ci n'ayant pas répondu favorablement à cette demande, la Banque Nationale de Paris Sa a, d'une part, sollicité et obtenu l'autorisation d'inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur un de ses biens immobiliers et d'autre part saisi le tribunal mixte de commerce de Papeete pour demander sa condamnation ainsi que celle de la société Interoute Sa à lui payer diverses sommes selon les modalités suivantes :
Marius N. en sa qualité de caution solidaire de la société Interoute Nc Sas :
- 3 920 563 FCP au titre du solde débiteur de la convention de compte courant n° [...],
- 2 583 772 FCP au titre de la convention de compte courant n°[...] ;
Solidairement Marius N. et la société Interoute Sa en sa qualité de caution solidaire :
- 2 163 995 FCP au titre du prêt n° 10001357,
- 6 993 827 FCP au titre du prêt n° 10001360,
- 7 613 052 FCP au titre du prêt n° 10001361,
- 7 673 289 FCP au titre du prêt n° 10001363,
- 1 700 634 FCP au titre du prêt n° 10001963 ;
Marius N. en sa qualité de caution solidaire de la société Interoute Sa et de la société Interoute Nc Sas : les intérêts conventionnels sur les sommes dues à compter du 30 septembre 2014, date de la mise en demeure de payer ;
La société Interoute Sa : les intérêts conventionnels sur les sommes dues ;
Marius N. et la société Interoute Sa, solidairement, la somme de 1 000 000 FCP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.
La Banque Nationale de Paris Sa a demandé enfin que soit ordonnée la capitalisation annuelle des intérêts à compter de la présente requête en application des dispositions contractuelles et de l'article 1154 du Code civil et que soit prononcée l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
En défense, Marius N. et la société Interoute Sa ont demandé de débouter leur adversaire de l'intégralité de ses prétentions, d'ordonner la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite sur les biens immobiliers de Marius N. en application de l'ordonnance présidentielle n° 62/2015 du 27 mars 2015 et enfin de condamner leur adversaire à leur verser la somme de 500 000 FCP au titre des frais irrépétibles.
Par jugement du 17 novembre 2017, le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete a :
- Débouté la Banque Nationale de Paris Sa de sa demande ;
- Ordonné la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite sur les biens immobiliers de Marius N. par l'ordonnance présidentielle n° 62/2015 du 27 mars 2015 ;
- Condamné la Banque Nationale de Paris Sa à payer à Marius N. et à la société Interoute Sa la somme de 500 000 FCP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
La Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie Sa en a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 22 mars 2018.
Il est demandé :
1° par la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie Sa, appelante, de :
- Recevoir l'appel de la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie et le dire juste et fondé ;
- Réformer le jugement du 17 novembre 2017 en toutes ses dispositions ;
- Débouter Monsieur Marius N. de ses arguments visant à réduire la créance de Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie à son encontre ;
- Dire et juger que les demandes de M. Marius N., fondées sur les dispositions de l'article 2314, n'apparaissent pas recevables en l'état ;
- Dire et juger que Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie a régulièrement informé M. Marius N. en exécution des dispositions de l'article L313-22 du Code monétaire et financier au titre des exercices 2011, 2012, 2014 et 2015 ;
- Condamner M. Marius N. en sa qualité de caution solidaire de la Sas. Interoute N.C. au paiement des sommes suivantes :
Au titre du solde débiteur n° [...], la somme de 3.920.563 FCP,
Au titre du solde débiteur n° [...], la somme de 2.583.772 FCP ;
- Condamner solidairement la S.A Interoute et M ; Marius N. en sa qualité de caution solidaire au paiement des sommes suivantes :
- Au titre du prêt n° 10001357 de 3.518.053 FCP la somme de 2 163 995 FCP,
- Au titre du prêt n° 10001360 de 18.994.500 FCP la somme de 6 993 827 FCP,
- Au titre du prêt n° 10001361 de 20.636.000 FCP la somme de 7 613 052 FCP,
- Au titre du prêt n° 11001363 de 20.685.000 FCP la somme de 7 673 289 FCP,
- Au titre du prêt n° 10001963 de 2.641.310 FCP la somme de 1 700 634 FCP ;
- Condamner M. Marius N. en sa qualité de caution solidaire de la Sa Interoute et de la Sas Interoute Nc au paiement des intérêts conventionnels sur les sommes dues à compter du 30 septembre 2014 date de la mise en demeure de payer ;
- Ordonner la capitalisation annuelle des intérêts à compter de la présente requête en application des dispositions de l'article EXIGIBILITÉ ANTICIPÉE et de l'article 1154 du Code civil ;
À titre subsidiaire, si la Cour n'admettait pas la régularité de l'information annuelle dispensée par Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie,
- Inviter Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie, en tant que de besoin, à produire un décompte de créance modifié ;
- Condamner M. Marius N. à payer à la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie, la somme de 1.000.000 FCP sur le fondement des dispositions de l'article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française, au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de la Société d'avocats JurisCal, sur ses offres de droit ;
- Condamner M. Marius N. à payer à la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie, la somme de 1.000.000 FCP sur le fondement des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'en tous les dépens dont distraction ;
2° par Marius N. et par la société Sa Interoute, intimés, dans leurs conclusions visées le 8 mars 2019, de :
- Confirmer le jugement entrepris ;
- Débouter l'appelante de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions ;
- Ordonner la mainlevée de l'hypothèque judiciaire inscrite sur les biens immobiliers de M. N. en application de l'ordonnance présidentielle n° 62/2015 du 27 mars 2015 ;
- Condamner l'appelante à leur verser la somme de 1 000 000 FCP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 août 2019.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
Motifs de la décision :
L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n'est pas discutée.
En toutes matières, en cas d'urgence et si le recouvrement de la créance semble en péril, le président de la juridiction de première instance du domicile du débiteur peut autoriser le créancier à prendre une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, lorsque la créance paraît fondée en son principe. L'ordonnance rendue sur requête énonce la somme pour laquelle l'inscription est autorisée. Elle fixe au créancier le délai dans lequel il devra former l'action en validité de l'inscription et éventuellement la demande au fond à peine de nullité de l'inscription. L'action en validité est toujours portée devant le tribunal civil. La demande au fond est portée devant le tribunal compétent suivant la nature de la créance (C.P.C.P.F., art. 720 & 733).
Par ordonnance du 27 mars 2015, le président du tribunal de première instance a autorisé la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie à prendre une inscription provisoire d'hypothèque sur plusieurs immeubles apparte-nant à Marius N. pour garantie de la somme de 60 000 000 FCP. L'ordonnance a fixé le délai de saisine de la juridiction compétente à au moins quinze jours après la signification et au plus tard deux mois à compter de celle-ci. L'ordonnance a été signifiée à Marius N. le 2 avril 2015. Le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete a été saisi de la demande au fond par requête du 15 mai 2015.
L'action est par conséquent recevable.
Pour rejeter les demandes de la Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie Sa, le jugement déféré a retenu que :
- La Société Interoute Sa a apporté à la Société Interoute Nc Sas l'intégralité des éléments d'actif et passif de sa succursale par traité d'apport partiel d'actifs du 13 octobre 2010, en qualifiant l'opération de scission.
- L'article 4-8 de cette convention stipule que la société apporteuse ne sera en aucune façon tenue solidairement des dettes prises en charge par la société bénéficiaire.
- L'article L 236-21 du code de commerce permet aux créanciers des sociétés participantes de former opposition à la scission, mais la Bnp Paribas Nc ne l'a pas fait.
- La scission est opposable à la Bnp Paribas Nc pour avoir été régulièrement publiée dans les journaux d'annonces légales de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Le fait qu'elle n'a pas été dénoncée à la banque par la société Interoute Sa, s'il constitue un manquement à son obligation d'information au titre des contrats de prêt, n'est sanctionnée contractuellement que par l'exigibilité anticipée, et non par l'inopposabilité de l'opération d'apport partiel d'actif.
- Marius N. doit être déchargé de son engagement de caution en application de l'article 2314 du code civil. En effet, en cas de paiement, il ne peut plus être subrogé aux droits de la Bnp Paribas Nc, car les matériels garantis par des sûretés pour l'acquisition desquels les prêts ont été faits ont été réalisés dans le cadre des opérations de liquidation de la société Interoute Nc Sas : la Bnp Paribas Nc a reçu la somme de 14 754 131 FCP sur le produit de ces ventes en sa qualité de créancière privilégiée.
- Ni la circonstance que Mario N. se soit engagé successivement comme caution le 28 juin 2010 puis le 9 août 2011, ni celle qu'il ne s'est pas exécuté ne l'ont privé du droit de subrogation qui assortit toute caution. Il est paradoxal de faire grief à la caution de ne pas avoir entrepris de désintéresser le créancier, tout en l'empêchant de faire jouer de fait son droit de subrogation, du fait de la disparition des matériels supports de la garantie.
- La Bnp Paribas Nc a incomplètement satisfait à son obligation d'information annuelle de la caution (défaut d'adresse, année 2013 manquante).
La Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie fait valoir que :
- L'ensemble des concours consentis à la Sa Interoute ont été transmis à la Sas Interoute Nc par acte d'apport partiel d'actif du 13 octobre 2010. Postérieurement, par acte du 9 août 2011, Marius N. s'est porté caution solidaire de l'ensemble des engagements dus par la Sas Interoute Nc dans la limite de 100 MF CFP. La caution du 9 août 2011 a eu pour effet de couvrir la totalité des concours et dettes transférées à la Sas Interoute Nc.
- Marius N. n'est pas fondé à invoquer la disparition de son engagement de caution par la perte de son action subrogatoire contre le débiteur du fait du créancier car, n'ayant pas payé ce dernier, il ne dispose pas d'un recours contre le débiteur principal.
- Et il n'est pas établi que Marius N. ait été empêché d'exercer son droit de subrogation en raison d'une action ou d'une omission imputable à la banque. La sûreté a été réalisée dans le cadre de la vente des biens nantis, ce qui a permis de désintéresser partiellement la banque, à laquelle aucune faute ne peut être reprochée.
- La Bnp Paribas Nc a produit les lettres d'information annuelles adressées à Marius N. au titre des exercices 2011, 2012, 2014 et 2015. Chaque cautionnement (28 juin 2010 et 9 août 2011) a fait l'objet d'une information individuelle. Des accusés de réception ont aussi été produits, notamment pour l'année 2013. Le non-respect de l'obligation d'information de la caution n'est sanctionné que par la perte du droit aux intérêts contractuels.
- La totalité des remboursements (échéances payées en capital et intérêts, sommes encaissées en exécution de la vente des biens gagés) a été déduite du capital de chaque créance.
Marius N. conclut que :
- L'apport partiel d'actif fait par la Société Interoute à la Société Interoute Nc le 13 octobre 2010 exclut que la société apporteuse soit tenue solidairement des dettes prises en charge par la société bénéficiaire. La Sa Bnp Paribas Nc n'a pas exercé son droit d'opposition à la scission ouvert par l'article L 236-21 du code de commerce. La Sa Interoute a par suite perdu la qualité de débitrice de la banque.
- Cet apport partiel d'actif est opposable à la Bnp Paribas Nc pour avoir fait l'objet des publicités légales. La banque n'en ignorait rien puisqu'elle a produit sa créance à la procédure collective ouverte à l'égard d'Interoute Nc. Le fait qu'il ne lui ait pas été notifié n'est sanctionné contractuellement que par l'exigibilité anticipée du prêt.
- Les prêts étaient garantis par la caution personnelle de Marius N. et par des gages ou nantissements sur le matériel acquis. Ces sûretés ont été réalisées et le matériel a été vendu dans le cadre de la liquidation de la Société Interoute Nc. Marius N. est maintenant déchargé de son engagement de caution à la fois par la perte des sûretés qu'il pouvait invoquer à titre subrogatoire, et par la disparition du matériel lui-même, le tout du fait de la banque.
- La présente instance constitue une demande en paiement qui ouvre à la caution un recours subrogatoire contre le débiteur principal en cas de condamnation.
- Les correspondances produites par l'établissement bancaire pour justifier de l'accomplissement de son obligation annuelle de la caution n'ont pas été envoyées à l'adresse figurant dans l'acte de cautionnement du 9 août 2011. La seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi. La décharge des intérêts contractuels est acquise.
Cela étant exposé :
Sur l'obligation de la caution :
La société par actions simplifiée (Sas) Interoute Nc a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nouméa le 14 août 2007. Son président était Marius N.. Elle avait pour objet la construction de chaussées.
La Sas Interoute Nc (ci-après Interoute Nc) a initialement été immatriculée comme étant un établissement secondaire de la Sa Interoute (ci-après Interoute Sa) exerçant une activité de travaux publics dont le siège est en Polynésie française et dont le président du conseil d'administration est également Marius N..
Interoute Sa détenait 100 % du capital social d'Interoute Nc.
Ces sociétés, toutes deux représentées par Marius N., ont contracté le 13 octobre 2010 un traité d'apport partiel d'actif aux termes duquel, notamment :
- Interoute Sa entend restructurer ses activités en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie en transférant ces dernières à Interoute Nc.
- Interoute Sa fait apport à Interoute Nc de la branche d'activité complète et autonome de travaux terrassements spécialisés connus sous le nom d'Interoute qu'elle exploite à Nouméa.
- Cette opération est placée sous le régime des scissions en application de l'article L.236-22 du code de commerce.
- Les éléments d'actifs apportés sont les éléments incorporels (nom, clientèle, contrats en cours, propriété intellectuelle, frais de développement, droits aux murs), les immobilisations corporelles (terrains, installations) et financières, les stocks, les créances et les disponibilités financières, pour un montant total de 764 679 236 FCP.
- Comme conséquence de l'apport partiel d'actif, Interoute Nc prend en charge le passif afférent à la branche d'activité apportée (dettes financières, fournisseurs, fiscales et sociales) pour un montant total de 568 224 984 FCP. Le montant des emprunts et dettes auprès des établissements de crédit est de 111 581 925 FCP.
- Interoute Nc est substituée à compter du 1er juillet 2010 dans les charges et conditions inhérentes aux biens et droits apportés. Il est expressément stipulé qu'Interoute Sa ne sera pas tenue solidairement des dettes prises en charge par Interoute Nc (art. 4-8).
- L'apport est rémunéré par l'attribution d'actions d'Interoute Nc à Interoute Sa après augmentation du capital d'Interoute Nc.
- Les biens apportés ne sont grevés d'aucune inscription et en particulier d'aucune inscription de privilège de vendeur ou de créancier nanti (9-2).
Un avis de réalisation d'apport partiel d'actif et d'augmentation de capital a été publié dans le journal d'annonces légales Les Nouvelles Calédoniennes du 4 février 2011.
L'article L.236-22 du code de commerce dispose que la société anonyme qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21.
L'article L.236-21 dispose que : Par dérogation aux dispositions de l'article L. 236-20, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mise à la charge respective et sans solidarité entre elles. En ce cas, les créanciers non obligataires des sociétés participantes peuvent former opposition à la scission dans les conditions et sous les effets prévus aux alinéas deuxième et suivants de l'article L. 236-14.
L'apport partiel d'actif est l'opération par laquelle une société apporte à une autre société un ensemble de biens en contrepartie de titres émis par cette dernière. Les parties à l'apport partiel d'actif ont la possibilité de soumettre cette opération, d'un commun accord, au régime des scissions. Le bénéficiaire de l'apport est automatiquement substitué aux droits et obligations de l'apporteur, pour la branche d'activité faisant objet de l'apport.
Le droit d'opposition reconnu aux créanciers sociaux ne peut être exercé que si leur créance est certaine, liquide et exigible avant la publication du projet d'apport partiel d'actif (Cass. com., 16 juill. 1985 : Bull. civ. IV, n° 218). L'admission de l'opposition a pour effet l'exigibilité immédiate de la créance ou la constitution de garanties supplémentaires ; si la société n'exécute pas cette décision, l'apport partiel d'actif est inopposable aux créanciers concernés (L.236-14).
Un apport partiel d'actif soumis au régime des scissions et portant sur une branche d'activité entraîne la transmission universelle du patrimoine de la branche apportée. Les créances apportées sont transmises à la société bénéficiaire sans qu'il y ait lieu de respecter les formalités de l'article 1690 du Code civil (Cass. com., 15 mars 1994 : Bull. civ. IV, n°117).
L'apport se traduit par la simple substitution de la société bénéficiaire à la société apporteuse en qualité de créancier et non par la novation de la créance (C. com. art. L.236-14 & L.236-20). Les garanties et accessoires de la créance sont donc transmis avec celle-ci (Cass. com., 22 janv. 2002, inédit, pourvoi n° 98-15.899). Les garanties et accessoires suivent les créances existantes au moment de l'apport mais elles ne s'étendent pas aux créances consenties à la société bénéficiaire après l'apport. Dès lors, si l'obligation de couverture par la caution est éteinte en raison de son caractère intuitu personae, son obligation de règlement perdure à l'égard de la société bénéficiaire de l'apport (CA Paris, 24 sept. 1992 : JCP E 1993, pan. rap. n° 57. ' CA Versailles, 17 sept. 1998 : JCP E 1999, p. 624, note C. Varin ; Bull. Joly 1998, n° 378, p. 1259, note P. Scholer. ' Cass. com., 16 févr. 2000 : JCP E 2000, n° 36, p. 1386, note Th. Bonneau. ' Cass. com., 29 mai 2001, inédit, pourvoi n° 97-21.214) cités in Hagège & de Kondserovsky Jcl. Commercial Fasc. 1604).
Interoute Sa a apporté, sous le régime des scissions, à Interoute Nc sa branche d'activité complète et autonome de travaux publics en Nouvelle-Calédonie. La charge du remboursement des emprunts contractés par Interoute Sa afférents à cette branche d'activité a également été apportée, sans solidarité entre les deux sociétés. Interoute Nc est devenue débitrice du remboursement de ces emprunts à compter du 1er juillet 2010, date fixée par le traité. La caution personnelle de ces emprunts est restée tenue de son obligation de règlement, c'est-à-dire de payer le créancier au fur et à mesure que les dettes garanties naissent.
L'exclusion par le traité d'apport partiel d'actif de la solidarité entre les deux sociétés est par conséquent sans effet sur le cautionnement solidaire donné par Marius N. par acte du 28 juin 2010. L'absence d'opposition à la scission du créancier est sans emport sur le maintien du cautionnement.
Au demeurant, par acte sous seing privé du 9 août 2011, Marius N. a réitéré son engagement de caution à l'égard de la société Interoute Nc.
Dans l'acte du 28 juin 2010, Marius N. a écrit : En me portant caution de la Société Interoute Sa (') dans la limite de 100 000 000 FCP couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 10 ans, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la Société Interoute Sa n'y satisfait pas elle-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil, et en m'obligeant solidairement avec la société Interoute Sa, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la Société Interoute Sa.
L'acte de cautionnement du 9 août 2011 stipule que : La caution solidaire s'est portée caution pour garantir à la Banque le rembourse-ment de tous les engagements de la société Interoute Sa par acte sous seing privé en date du 28 juin 2010, à hauteur de 100 000 000 FCP. Les engagements de la Société Interoute Sa envers la Banque augmentant de manière significative, il a été convenu que la caution solidaire fournisse un engagement de cautionnement s'ajoutant au précédent. L'objet du présent acte est en conséquence de formaliser un cautionnement personnel et solidaire s'ajoutant à l'engagement de cautionnement solidaire précité.
Dans cet acte du 9 août 2011, Marius N. a écrit : En me portant caution de la Société Interoute Nc Sas (') dans la limite de 100 000 000 FCP couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 10 ans, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si la Société Interoute Nc Sas n'y satisfait pas elle-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil, et en m'obligeant solidairement avec la Société Interoute Nc Sas, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement la Société Interoute Nc Sas.
Ces conventions obligent Marius N. qui doit les exécuter de bonne foi. Leurs stipulations claires et précises, qui sont conformes aux dispositions légales et contractuelles dans lesquelles a été réalisé le transfert d'une branche d'activité d'Interoute Sa à Interoute Nc, ont pour effet de le constituer caution personnelle et solidaire des concours consentis par Bnp Paribas Nc à Interoute Sa qui ont été transférés à Interoute Nc, comme de ceux souscrits par cette dernière après la scission.
La Société Interoute Nc a été placée en redressement judiciaire le 4 juin 2012. La Bnp Paribas Nc a produit ses créances le 24 août 2012. Un plan de redressement a été adopté le 25 avril 2014. Il n'est pas contesté qu'il a été résolu, ni que la société Interoute Nc a été mise en liquidation judiciaire le 16 février 2015. Par exploit du 30 septembre 2014, la Bnp Paribas Nc a mis en demeure Marius N. de régler la somme de 52 765 241 FCP en sa qualité de caution des sommes dues par Interoute Sa.
L'action contre la caution a été régulièrement engagée après le jugement arrêtant le plan de redressement. Les intérêts ont continué à courir contre elle (C. com., art. L621-48).
Sur l'obligation de la Sa Interoute :
La Sa Bnp Paribas Nc n'est pas bien fondée à demander la condamnation de la Sa Interoute, solidairement avec Marius N., à lui payer les sommes dues au titre des cinq prêts souscrits, car, comme il a été dit, la charge de ceux-ci a été transférée à la Sas Interoute Nc, maintenant en liquidation judiciaire, par l'effet du traité d'apport partiel d'actif du 13 octobre 2010. Cette convention a exclu la solidarité des dettes transférées entre les deux sociétés, sans que la Bnp Paribas Nc ait exercé son droit d'opposition.
Sur la décharge de la caution :
La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution (C. civ., art. 2314).
Les crédits précités étaient assortis de garanties outre la caution personnelle de Marius N. : gage des véhicules et matériels acquis en défiscalisation et délégation d'assurance des biens financés. Il n'est pas contesté que ces sûretés ont été réalisées au profit de la Bnp Paribas Nc lors des opérations de liquidation judiciaire de la société Interoute Nc, pour un montant de 14 754 131 FCP.
Pour l'application de l'article 2314 du code civil, le fait du créancier doit être exclusif : par exemple, la caution n'est pas déchargée lorsqu'une banque donne mainlevée d'une sûreté en exécution d'un plan de redressement (Com. 13 oct. 2015 n° 14-16.264).
Or, les sûretés ont été exécutées au profit de la banque par l'effet de la procédure collective dont a fait l'objet la société Interoute Nc, qui a été en état de cessation des paiements, et dont le plan de redressement a été résolu, et non par le fait ou par la faute de la Bnp Paribas Nc, dont il n'est pas démontré qu'elle ait manqué à son devoir de vigilance et de prudence dans l'inscription et dans la conservation des sûretés dans l'exercice desquelles Mario N. aurait été subrogé s'il avait exécuté son engagement de caution. Et, en sa double qualité de dirigeant actionnaire des sociétés Interoute Sa et Interoute Nc et de caution personnelle de cette dernière, Marius N. n'est pas bien fondé à se prévaloir de sa propre défaillance dans l'exécution de ses engagements contractuels.
Le décompte établi par la Bnp Paribas Nc actualisé au 9 février 2017 déduit du montant de ses créances celui des sommes qui lui ont été versées par le mandataire judiciaire et par le commissaire-priseur.
Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de Marius N. d'être déchargé de ses engagements de caution en application de l'article 2314 du code civil.
Sur la déchéance du droit aux intérêts conventionnels :
L’article L. 313-22 du Code monétaire et financier (L. n° 84-148, 1er mars 1984), impose aux établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise sous la condition du cautionnement par une personne physique de faire connaître à celle-ci, avant le 31 mars de chaque année, le montant des encours, en capital et intérêts, et de lui rappeler, sa faculté de résiliation ou le terme de son engagement.
Les actes de cautionnement des 28 juin 2010 et 9 août 2011 stipulent que, conformément aux dispositions légales, la Banque s'engage à faire connaître, chaque année, à la caution le montant et le terme des engagements garantis par elle.
Ces actes domicilient Marius N.[...].
La lettre d'information datée du 25 février 2011 a été adressée au [...].
La lettre d'information datée du 29 février 2012 a été adressée à la [...]. Mais Papeete (Tahiti, Îles-du-Vent) et Tahaa (Îles-sous-le-Vent) sont des îles et des communes distinctes et éloignées l'une de l'autre.
La lettre d'information datée du 29 février 2012 a été adressée [...].
La lettre d'information devant être envoyée avant le 31 mars 2013 n'est pas produite.
Les lettres d'information datées du 6 mars 2014 et du 26 février 2015 ont été adressées [...]. Marius N. a accusé réception le 2 avril 2014 de la lettre du 6 mars 2014. Elles ont aussi été adressées [...]. Ces dernières ont été retournées avec la mention n'habite pas à l'adresse indiquée.
À l'exception des lettres du 6 mars 2014 et du 26 février 2015, il n'est pas justifié d'un envoi effectif de ces courriers par la banque. La seule lettre dont la réception par Marius N. est établie est celle du 6 mars 2014.
Il en résulte que la Bnp Paribas Nc ne justifie d'une information de la caution par une lettre effectivement envoyée avant le 31 mars de chaque année à bonne adresse qu'à l'occasion de la lettre du 6 mars 2014 relative à l'encours au 31 décembre 2013 et de la lettre du 26 février 2015 relative à l'encours au 31 décembre 2014.
En application des dispositions d'ordre public précitées, la Bnp Paribas Nc est par conséquent déchue de son droit aux intérêts conventionnels échus entre le 28 juin 2010 et le 2 avril 2014.
Sur le solde débiteur des comptes courants :
Le jugement de liquidation judiciaire a rendu exigible le solde débiteur des comptes courants (C. com., art. L.622-22). La caution peut donc être poursuivie de ce chef.
Sur le décompte de la créance :
Le décompte actualisé que produit la Bnp Paribas Nc est établi à la date du 9 février 2017. Il n'est pas suffisamment détaillé pour permettre à la caution de vérifier si les taux d'intérêts appliqués par la banque correspondent, pour chaque période, aux engagements auxquels est tenu le débiteur principal au titre des prêts et des comptes courants. Il doit être amendé pour appliquer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels à l'égard de la caution des prêts comme il a été dit.
Il échet donc de faire droit à la demande subsidiaire de la Bnp Paribas Nc de produire un nouveau décompte de sa créance. Celui-ci sera établi dans les termes du dispositif de l'arrêt statuant avant dire droit à cet égard, c'est-à-dire en tenant compte :
- de la mise hors de cause de la Sa Interoute ;
- de la déchéance du droit aux intérêts conventionnels à l'égard de Marius N. pour la période du 28 juin 2010 au 2 avril 2014 ;
- de la nécessité de produire un calcul détaillé des intérêts sur le solde débiteur des comptes courants en expliquant chronologiquement les taux d'intérêts appliqué ;
- de la déduction du montant des sommes reçues par la Ss Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie au titre de la liquidation judiciaire de la Sas Interoute Nc ;
- des dispositions de l'article L.312-22 du code monétaire et financier aux termes desquelles les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ;
- de l'arrêt du cours des intérêts légaux, conventionnels non déchus, de retard et des majorations, à la date du jugement de liquidation de la Sas Interoute Nc du 16 février 2015 (art.L.621-48 & L.622-3).
La demande de capitalisation des intérêts formée par la Sa Bnp Paribas Nc est conforme aux dispositions légales et contractuelles. Il échet d'y faire droit.
Les frais irrépétibles et les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et avant dire droit ;
Confirme le jugement rendu le 17 novembre 2017 par le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete en ce qu'il a débouté la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie de ses demandes à l'encontre de la Sa Interoute ;
Infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
Déboute Marius N. de ses demandes de décharge de ses engagements de caution personnelle et solidaire à l'égard des actes d'ouverture de crédit en défiscalisation n° 10001357, 10001360, 10001361, 10001363 et 10001963 des 28 juin et 17 septembre 2010 ;
Dit et juge que la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie est déchue à l'égard de Marius N. de son droit aux intérêts conventionnels sur lesdits prêts échus entre le 28 juin 2010 et le 2 avril 2014 ;
Dit et juge que les paiements effectués par la Sas Interoute Nc en liquidation judiciaire, débitrice principale, sont affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ;
Dit et juge que le cours des intérêts légaux, des intérêts conventionnels non déchus à l'égard de Marius N. et des intérêts de retard et des majorations contractuelles a été arrêté par le jugement de liquidation judiciaire de la Sas Interoute Nc du 16 février 2015 ;
Fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus sur une année formée par la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie ;
Avant dire droit, enjoint à la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie de produire un nouveau décompte de sa créance conforme au dispositif du présent arrêt, et tenant compte :
- de la mise hors de cause de là Sa Interoute ;
- de la déchéance du droit aux intérêts conventionnels à l'égard de Marius N. pour la période du 28 juin 2010 au 2 avril 2014 ;
- de la nécessité de produire un calcul détaillé des intérêts sur le solde débiteur des comptes courants en expliquant chronologiquement les taux d'intérêts appliqué ;
- de la déduction du montant des sommes reçues par la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie au titre de la liquidation judiciaire de la Sas Interoute Nc ;
- des dispositions de l'article L.312-22 du code monétaire et financier aux termes desquelles les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ;
- de l'arrêt du cours des intérêts légaux, conventionnels non déchus, de retard et des majorations, à la date du jugement de liquidation de la Sas Interoute Nc du 16 février 2015 ;
Sursoit à statuer jusqu'à la production dudit décompte sur le quantum des demandes de la Sa Bnp Paribas Nouvelle-Calédonie au titre du cautionnement des prêts n° 10001357, 10001360, 10001361, 10001363 et 10001963 des 28 juin et 17 septembre 2010 et au titre du remboursement des soldes débiteurs des comptes courants n°[...] et [...] ;
Sursoit à statuer jusqu'à la production dudit décompte sur la demande de Marius N. de mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite sur ses biens immobiliers en application de l'ordonnance du président du tribunal de première instance de Papeete n° 62/2015 du 27 mars 2015 ;
Sursoit à statuer jusqu'à la production dudit décompte sur les demandes faites en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Rejette toute autre demande ;
Renvoie l'affaire à l'audience des mises en état du 17 avril 2020 à 8 h 30 ;
Réserve les dépens.
Prononcé à Papeete, le 19 décembre 2019.