CA Nancy, ch. soc. sect. 1, 3 juillet 2019, n° 18/00085
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cegelec Lorraine Alsace Nord (Sté)
Défendeur :
URSSAF de Lorraine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Henon
Conseillers :
M. Bruneau, M. Noubel
Avocats :
Me Welter, Me Keyser
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
La société anonyme CEGELEC Nord & Est a fait l'objet d'un contrôle de l'URSSAF portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011, clôturé le 17 septembre 2012 par lettre d'observations du même jour, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception également du même jour.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 6 décembre 2012, reçue le 7 décembre 2012, l'URSSAF des Vosges a mis en demeure la société par action simplifiée CEGELEC Lorraine Alsace venant aux droits de la société anonyme CEGELEC Nord & Est de lui payer la somme de 2 424 408 euros en cotisations et majorations de retard à la suite du contrôle ci-dessus.
Par courrier du 3 janvier 2013, la société par actions simplifiée CEGELEC Lorraine Alsace a contesté cette mise en demeure devant la Commission de recours amiable (CRA) de l'URSSAF des Vosges.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 28 mars 2013, la SAS CEGELEC Lorraine Alsace Nord a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) des Vosges.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 17 janvier 2014, la SAS CEGELEC Lorraine Alsace a apporté des précisions sur le point 10 du redressement relatif à l'actionnariat : attributions d'actions et plans d'options sur actions.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 4 mars 2014, reçue le 5 mars 2014, la CRA de l'URSSAF Nord Pas de Calais a notifié sa décision du 28 janvier 2014 à la société par actions simplifiée CEGELEC Services Nord venant aux droits de la société anonyme CEGELEC Nord & Est.
Par jugement du 6 décembre 2017, le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale des Vosges a :
- reçu la société par actions simplifiée CEGELEC Lorraine Alsace Nord en son recours régulier en la forme ;
- constaté l'absence de conciliation des parties ;
- rejeté l'exception de nullité de la mise en demeure du 6 décembre 2012 ;
- réformé la décision de rejet implicite de la Commission de Recours Amiable de l'URSSAF de Lorraine ;
- fixé à 1 241 635 euros le montant en cotisations du redressement portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 ;
- condamné la société par actions simplifiée CEGELEC Lorraine Alsace Nord à payer à l'URSSAF de Lorraine 1 241 635 euros en cotisations, outre les majorations de retard dues jusqu'à complet paiement des cotisations ;
- débouté la société par actions simplifiée CEGELEC Lorraine Alsace Nord de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 9 janvier 2018, la Société CEGELEC Lorraine Alsace Nord a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 14 juin 2018, la cour d'appel de Nancy, a ordonné la jonction des procédures numéros 18/00085 et 18/00203 qui sont enregistrées sous le numéro unique 18/00085.
A l'audience du 28 novembre 2018, l'affaire a été renvoyée au 15 mai 2019.
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions enregistrées au greffe le 30 avril 2018 aux termes desquelles la SAS CEGELEC Lorraine Alsace Nord demande à la cour :
À titre principal : sur la forme, de constater, dire et juger :
- l'absence de communication d'une lettre d'observations à l'employeur,
- le non-respect du principe du contradictoire,
- l'impossibilité pour le cotisant de connaître la cause, la nature et l'étendue de son obligation au regard de la mise en demeure adressée.
En conséquence,
- infirmer le jugement du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges,
- annuler la mise en demeure du 6 décembre 2012.
- À titre subsidiaire : sur le fond,
- confirmer la minoration de l'assiette de redressement à hauteur des calculs de la société en ce qui concerne le point n° 11 (plafond annuel : congés indemnisés par une caisse de congés payés et salariés en forfait jours) et donc l'annulation partielle de ce point de redressement,
- confirmer l'annulation du point de redressement n° 10 (actionnariat : attributions d'actions et plans d'options sur actions),
- confirmer l'annulation du point de redressement n° 24 (gratifications versées à des stagiaires),
- confirmer l'annulation du point de redressement n° 30 (participation), de constater, dire et juger qu'il convient d'annuler les redressements :
- n° 6 (retraite supplémentaire : mise en place des dispositifs éligibles - X),
- n° 12 (cotisations - rupture conventionnelle du contrat de travail - salariés entre 55 et 59 ans),
- n° 15 (indemnités de rupture forcée - préavis à la suite de licenciement pour faute grave)
En conséquence,
- infirmer le jugement du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges en ce qu'il a maintenu ces redressements,
- condamner l'URSSAF à payer à la société la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées par l'intermédiaire du RPVA le 14 mai 2019 aux termes desquelles l'URSSAF de Lorraine demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- réformé la décision implicite de rejet de la Commission de recours amiable ;
- annulé le chef de redressement relatif aux gratifications versées à des stagiaires (point n° 24 de la lettre d'observation en date du 17 septembre 2012) ;
- annulé le chef de redressement relatif à la participation (point n° 30 de la lettre d'observation en date du 17 septembre 2012) ;
- fixé à 1 241 635 euros le montant en cotisations du redressement ;
- et faisant ce que les premiers juges auraient dû faire de ce chef :
- sur la participation (point 30 de la lettre d'observation) : de confirmer ce point de redressement s'élevant en cotisations à 50 6358 euros ;
- sur les gratifications versées à des stagiaires (point 24 de la lettre d'observations) : de confirmer ce point de redressement s'élevant à la somme de 3 604 euros ;
- en tout état de cause :
- statuant sur l'appel relevé par la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord à l'encontre du jugement rendu le 6 décembre 2017 ;
- de le déclarer infondé ;
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- rejeté l'exception de nullité de la mise en demeure du 6 décembre 2012 et validé cette dernière ;
- sur la retraite supplémentaire (point 6 de la lettre d'observation), confirmé le redressement s'élevant en cotisations à 25 359 euros ;
- sur la rupture conventionnelle du contrat de travail salariés entre 55 et 59 ans (point 12 de la lettre d'observation) confirmé ce point de redressement s'élevant en cotisations à la somme de 78 310 euros ;
- sur les indemnités de rupture forcée préavis par suite de licenciement pour faute grave (point n° 15 de la lettre d'observation), confirmé ce point de redressement s'élevant en cotisations à 128 778 euros ;
- de condamner en conséquence la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord au paiement de la somme totale de 242 4408 euros (1 442 069 euros de cotisation er 274 625 euros de majorations de retard) au titre des sommes restant dues au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles à hauteur d'appel.
La cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions déposées par les parties et soutenues à l'audience du 15 mai 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la nullité de la mise en demeure :
Il ressort du dossier que la société CEGELEC Nord & Est a fait l'objet d'une réorganisation ayant conduit à la création de 8 nouvelles entités dont, aux termes d'un traité d'apport partiel d'actif du 31 août 2012, la SAS CEGELEC Lorraine Alsace Nord ; que la société CEGELEC Nord & Est a été radiée du registre du commerce le 15 octobre 2012.
Par courrier du 17 septembre 2012, l'URSSAF du Nord a dressé à la société CEGELEC Nord & Est une lettre d'observation aux termes de laquelle elle envisageait un redressement pour un montant de 2 653 793 euros.
Par lettre du 6 décembre 2012, une mise en demeure correspondant à l'intégralité du redressement a été adressée à la SAS CEGELEC Lorraine Alsace Nord par l'URSSAF des Vosges aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Lorraine.
En liminaire, il convient de rappeler qu'en application de l'article R 244-1 du code de la sécurité sociale pris dans sa rédaction applicable au litige, l'envoi par l'organisme de recouvrement ou par le service mentionné à l'article R. 155-1 de l'avertissement ou de la mise en demeure prévus à l'article L. 244-2, est effectué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; l'avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent.
La méconnaissance de ces dispositions qui place le cotisant dans l'impossibilité de déterminer l'étendue exacte de son obligation entraîne la nullité de la mise en demeure.
En l'espèce, la SAS CEGELEC Lorraine Alsace Nord prétend que cette mise en demeure est nulle au motif que L'URSSAF lui aurait signifié la somme totale du redressement qu'elle réclamait initialement à la société CEGELEC SUD OUEST sans avoir au préalable subdivisé le montant de sa créance entre les différentes sociétés bénéficiaires des apports.
L'URSSAF soutient pour sa part que l'article L 236-20 du code du commerce prévoit une solidarité légale entre sociétés issues d'une opération de scission, et qu'en l'espèce les sociétés bénéficiaires et apporteuses n'apportent aucun élément permettant de répartir la dette.
Toutefois, le traité précise :
- en page 9, point IV que : "la société apporteuse... procède aux termes du présent traité d'apport partiel d'actif... à l'apport au profit de la société bénéficiaire de son agence Lorraine Alsace Nord constituant une branche complète et autonome d'activité de travaux publics ou particuliers... d'entreprise générale de tous ouvrages et travaux se rapportant à toutes techniques, d'activités de maintenance, d'assistance à la mise en service et à la conduite d'exploitation d'équipements industriels et de démontage, de transport et de remontage de sites industriels...",
- en page 10, intitulé "régime juridique de l'apport partiel d'actif", que "le présent apport porte sur une branche complète et autonome d'activité, les Parties ont déclaré vouloir faire application des dispositions de l'article L 236-22 du code de commerce. Le présent apport est ainsi soumis aux dispositions du régime juridique des scissions visé aux articles L 236-16 à L 236-21 du code du commerce permettant d'opérer la transmission à titre universel à la société bénéficiaire de l'ensemble des actifs et passifs attachés à la branche d'activité, les parties dérogeant expressément aux dispositions de l'article L 236-20 du code du commerce",
- en page 20, que "d'une manière générale, le société bénéficiaire prendra en charge l'intégralité du passif de la société apporteuse tel que ce passif existera au jour de la date de réalisation de l'apport, mais exclusivement dans la mesure où ce passif se rapportera à la branche d'activité' ; 'il est précisé ici que le montant ci-dessus indiqué du passif à prendre en charge et le détail, dûment ventilé de ce passif ne constituent pas une reconnaissance de dette au profit de prétendus créanciers qui seront tenus, dans tous les cas, d'établir leurs droits et de justifie de leurs titres" ;
- en page 23 que "la société bénéficiaire sera tenue au passif de la société apporteuse transféré à la société bénéficiaire au titre des présentes, dans les limites et les conditions fixées ci-avant, le tout dans les termes et conditions où il deviendra exigible et sans solidarité avec la société apporteuse".
Il en résulte de ces dispositions :
- une absence de solidarité légale entre les sociétés apporteuses et bénéficiaires de l'apport en application de l'article L 236-21 dudit code, parfaitement opposable à L'URSSAF qui n'a pas formé opposition à l'opération en application de l'article L236-14 alinéa 2 et suivants du code de commerce,
- une absence de solidarité entre toutes les sociétés bénéficiaires des apports de la société CEGELEC Nord & Est,
- une charge du passif limitée au périmètre des activités transférées incombant à la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord.
De ce fait, la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord ne pouvait pas être mise en demeure de supporter la totalité de la dette de la CEGELEC Nord & Est au titre des cotisations et contributions dues par cette dernière à l'URSSAF dans la mesure où le montant de la dette qui y figurait, excédait celui afférent au périmètre des activités qui lui avaient été transférées.
Il y a lieu d'ailleurs de relever que si par trois courriers successifs des 9 et 17 octobre 2012 et 20 novembre 2012, la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord avait attiré l'attention de l'URSSAF sur la nécessité de prendre en compte l'opération de restructuration et de recalculer en fonction du seul périmètre cédé le montant du redressement dont elle était personnellement redevable en qualité d'ayant droit de la société CEGELEC Nord & Est, elle n'avait pas été entendue par l'organisme social qui n'avait répondu à aucun de ses courriers clairs et explicites sur ce point et sur les difficultés qui allaient survenir.
Ainsi, le courrier du 8 octobre 2012 indique ‘... Dans le cadre de la réorganisation juridique affectant les sociétés de CEGELEC, la société CEGELEC Nord & Est a disparu, ses activités ont été apportées le 31 août 2012 à de nouvelles sociétés dont la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de retraiter les informations qui nous ont été communiquées dans le cadre d'une nouvelle lettre d'observations, circonscrite à notre périmètre ...'.
De même, celui du 17 octobre 2012 note ' ... Nous faisons suite par la présente à notre courrier du 8 octobre 2012 (sic) par lequel nous vous informions de la disparition de la société CEGELEC Nord & Est et vous demandions de retraiter l'information pour notre société CEGELEC Lorraine Alsace Nord... nous n'avons reçu aucune réponse de vos services, ni écrite ni orale. ...'
Enfin, celui du 20 novembre 2012 est encore plus explicite dans la mesure où il précise '...vous semblez avoir retenu un traitement global du contrôle de l'ensemble des sociétés CEGELEC. Pourtant, par nos différentes prises de contact (tant écrites qu'orales), nous avons tout mis en oeuvre pour vous alerter sur la spécificité de la situation soumise à votre attention...'
Le contenu de ces trois courriers est confirmé par la publication au registre du commerce et des sociétés de l'opération d'apport partiel d'actifs le 15 octobre 2012, publication qui rendait l'opération opposable à tous, y compris à l'URSSAF, qui pouvait ainsi consulter tous les documents y afférents.
Or l'URSSAF n'a tenu compte d'aucune des informations qui avaient été portées à sa connaissance et elle n'est d'ailleurs toujours pas en mesure dans la présente instance d'établir qu'avant de délivrer les mises en demeure litigieuses, elle avait mené toute recherche utile pour déterminer la quote part de la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord dans la dette ou même qu'elle avait tenté de la déterminer en lui réclamant des pièces relatives au périmètre des activités cédées.
Soutenir pour l'URSSAF qu'il appartenait à la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord de calculer le montant de la quote part qu'il lui revenait de payer au vu de l'actif et du passif qui lui avaient été transférés est totalement inopérant dans la mesure où cette argumentation méconnaît totalement les termes de l'article R 244-1 du code de sécurité sociale pré cité qui notamment met à la charge de l'organisme la détermination du montant des sommes réclamées.
En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'aller plus avant dans l'étude des moyens et des prétentions soulevés par les parties, dès lors que la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord n'a pas été en mesure d'apprécier et de vérifier l'étendue du passif qui lui était imputé, il convient de prononcer la nullité de la mise en demeure qui lui a été délivrée le 6 décembre 2012 au titre des contributions et cotisations sociales dues par la société CEGELEC Nord & Est pour la période courant de 2009 à 2011.
Il y a donc lieu d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement prononcé le 6 décembre 2017 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges.
L'URSSAF de Lorraine qui succombe sera condamnée aux dépens selon les conditions précisées au dispositif du présent arrêt par application combinée des articles 11 et 16 du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 et 696 du code de procédure civile, dans la mesure où la gratuité de la procédure qui prévalait en application de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction au moment où l'instance a été engagée ne saurait aboutir à mettre à la charge de la partie perdante de chefs de dépens qu'elle n'avait pas à supporter.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu’elles ont supportés ; les demandes sur ce point seront rejetées.
PAR CES MOTIFS,
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement prononcé le 6 décembre 2017 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
ANNULE la mise en demeure notifiée à la société CEGELEC Lorraine Alsace Nord le 6 décembre 2012 pour une somme de 2 653 793 euros ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l'URSSAF de Lorraine aux dépens dont les chefs sont nés postérieurement au 1er janvier 2019.