CA Rouen, ch. soc. et des affaires de securite soc., 27 février 2019, n° 18/02525
ROUEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe - Seine Maritime, CGG (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poupet
Conseillers :
Mme Roger Minne, Mme De Surirey
Avocats :
Me Lemaire, Me Flechelle Lefevre, Me Bourdon, Me Guillon, Me Thibaud
M. Jean Yves B. a été salarié de la société anonyme Compagnie générale de géophysique (la CGG SA) du 2 juin 1982 au 18 juin 1986, en qualité de prospecteur gestionnaire.
Il a déclaré une maladie professionnelle le 17 avril 2012 au titre du tableau n°45 des maladies professionnelles. Le certificat médical joint à la déclaration, établi le 2 février 2012, faisait état d'une 'hépatite virale chronique C' avec comme date de première constatation de la maladie le 17 décembre 1984.
Le 12 décembre 2012, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle. L'état de santé de M. B. a été considéré comme consolidé au 6 mars 2013 et un taux d'IPP de 25 % lui a été attribué.
M. B. a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société dans la réalisation de sa maladie, en mettant également en cause la société CGG services SA. La caisse primaire d'assurance maladie de Paris avait également été appelée en la cause.
Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal a :
- mis hors de cause la société CGG SA,
- dit n'y avoir lieu à constater la prescription de l'action,
- constaté que la maladie déclarée par M. B. n'avait pas une origine professionnelle,
- débouté M. B. de ses demandes.
Par conclusions remises le 20 septembre 2018, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé de ses moyens, M. B., qui a relevé appel du jugement à l'encontre de la seule société CGG SA et de la seule caisse primaire d'assurance maladie de Rouen, demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes,
- juger que la société a commis une faute inexcusable et a manqué à son obligation de sécurité de résultat,
- ordonner la désignation d'un expert,
- déclarer opposable à la caisse l'arrêt à intervenir,
- condamner la société CGG au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 19 octobre 2018, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé de ses moyens, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen Elbeuf Dieppe Seine Maritime (la caisse) demande à la cour de :
- mettre en cause la caisse primaire d'assurance maladie de Paris,
- lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne l'existence d'une faute inexcusable,
- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne la majoration de la rente avancée, qu'elle s'oppose à faire l'avance des sommes éventuellement allouées au titre des préjudices subis par M. B.,
- constater que la caisse de Paris doit faire l'avance des préjudices éventuellement alloués,
- condamner l'employeur à lui rembourser les sommes avancées.
Par conclusions remises le 2 octobre 2018, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé de ses moyens, la société demande à la cour de confirmer le jugement.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la mise hors de cause de la société CGG SA :
La société fait valoir que c'est la société CGG services qui, en vertu d'un traité d'apport partiel d'actif, a repris ses obligations en matière sociale s'agissant de l'activité de « services » au sein de laquelle M. B. travaillait, de sorte que celui-ci aurait dû rechercher la faute inexcusable de la société CGG services avant l'expiration du délai de prescription de deux années.
Il résulte des pièces produites aux débats que le salarié a été embauché par la société anonyme Compagnie générale de géophysique, immatriculée au registre du commerce sous le n° 969 202 241, qui est devenue début 2007 la Compagnie générale de géophysique Véritas laquelle a cédé en 2007 son activité de « services » à la société anonyme CGG services, immatriculée au RCS sous le n° 403 256 944. À compter de 2013 la société CGG Véritas est devenue la société CGG SA, n'ayant plus qu'une simple activité de siège social.
Le traité d'apport partiel régulièrement publié prévoit, conformément à l'article L. 236-21 du code du commerce, que les parties écartent toute solidarité entre elle en ce qui concerne le passif de la société apporteuse transférée, la société bénéficiaire étant seule tenue de la fraction du passif compris dans l'apport partiel d'actif.
Toutefois, l'opération de cession partielle d'actif n'ayant pas fait disparaître la personne morale qui avait été l'employeur, lequel demeure responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de sa faute inexcusable en application des dispositions de l'article L. 452-4 du code de la sécurité sociale le salarié peut agir en reconnaissance d'une faute inexcusable contre l'employeur qu'il estime auteur de cette dernière, peu important les conventions passées entre ses employeurs successifs.
C'est en conséquence à tort que le tribunal des affaires de sécurité sociale a mis hors de cause la société CGG SA (la société).
Sur la faute inexcusable :
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles et le manquement de l'employeur à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. La preuve de la faute inexcusable incombe au salarié.
Le caractère définitif de la prise en charge de l'accident du travail n'a pas pour effet de priver l'employeur dont la faute inexcusable est recherchée de la possibilité de contester le caractère professionnel de la maladie.
Il résulte des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
La société, qui reconnaît que l'hépatite C contractée par le salarié figure dans le tableau n° 45 des maladies professionnelles, fait valoir que celui-ci avait un poste administratif sédentaire et qu'il n'exerçait aucun des travaux limitativement énumérés au tableau, de sorte qu'il ne peut se prévaloir de la présomption d'imputabilité. Elle indique que si le salarié a pu effectuer des déplacements, sa mission se limitait à assurer un support administratif aux prospecteurs et qu'il n'était pas amené à effectuer des opérations de réfaction terrestre ; qu'en tout état de cause le contact récurrent avec des eaux usées ne permet pas de contracter l'hépatite C.
M. B. soutient avoir contracté sa pathologie lors d'une mission effectuée au Gabon, précisant que les travaux de prospection qu'il a effectués l'ont nécessairement et régulièrement exposé à un contact direct avec des eaux usées et qu'il a par ailleurs fait l'objet d'injection.
Il ressort du tableau n° 45 que la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer une hépatite à virus C’est la même que celle susceptible de provoquer les hépatites à virus B au nombre desquels figurent les travaux exposant aux produits biologiques d'origine humaine et aux objets contaminés par eux effectués dans les établissements médicaux, les services de secours et de sécurité, les services de ramassage, traitement et récupération de déchets médicaux et d'ordures ménagères et les services de soins funéraires et morgues. Comme le soutient à juste titre la société les travaux exposant au contact des eaux usées concernent les hépatites à virus A et E.
Il en résulte que la condition du tableau tenant à la liste des travaux effectués par le salarié n'est pas remplie, de sorte qu'en principe le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles devrait être saisi afin de donner son avis en application de l'article L. 461-1 alinéas 3 et 5.
Cependant, quoiqu'il en soit de l'origine professionnelle de la maladie, il ressort du document établi par l'Inserm, produit aux débats par la société, que le virus de l'hépatite C a été découvert en 1989. En outre la pathologie de l'hépatite C n'a été inscrite dans le tableau n° 45 des maladies professionnelles que par le décret n° 99-645 du 26 juillet 1999. Or M. B. a été en mission au Gabon entre juin 1982 et août 1986, de sorte qu'en tout état de cause l'employeur ne pouvait avoir connaissance d'un risque le concernant à cette époque.
C'est en conséquence à juste titre que le tribunal des affaires de sécurité sociale a débouté M. B. de ses demandes.
Sur les autres demandes :
Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris au regard de la solution du litige.
M. B. qui succombe sera condamné aux dépens et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. B. de ses demandes relatives à la faute inexcusable de l'employeur ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Déboute la société CGG SA de sa demande de mise hors de cause ;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ;
Déboute M. B. de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Le condamne aux dépens d'appel.