CA Lyon, ch. de la protection soc., 26 février 2021, n° 18/07863
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Urssaf Rhône-Alpes
Défendeur :
Adiate Evolution (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Lecharny, Mme Chatelain
Avocat :
Me Randoux
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Créé en 2006, le groupe Adiate offre des prestations de transport aux particuliers, aux professionnels et aux personnes à mobilité réduite.
À l'été 2013, le groupe a fait l'objet d'une restructuration. Par voie d'apport partiel d'actif, trois filiales opérationnelles ont été créées : la société Adiate nord ouest, la société Adiate nord est, la société Adiate sud est.
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de la région Ile de France agissant sur délégation de différentes unions régionales a réalisé un contrôle de Ia société Adiate SAS, devenue la société Adiate Evolution portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 et concernant notamment l'établissement situé à Limonest (métropole de Lyon, anciennement département du Rhône).
Le 27 janvier et le 11 février 2015, l'URSSAF de la région Ile de France a notifié à la société deux lettres d'observations portant sur cinq chefs de redressement concernant l'établissement de Limonest pour un montant global de 95 685 euros, outre majorations de retard, ramené à 20 727 euros à l'issue de la phase contradictoire du contrôle.
Le 29 octobre 2015, l'URSSAF Rhône Alpes (l'URSSAF) a fait signifier à Ia société Adiate Evolution une contrainte du 24 septembre 2015 d'un montant de 20 014,54 euros, soit 16 662,54 euros en cotisations et 3 352 euros en majorations de retard.
La société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry le 12 novembre 2015 d'une opposition à contrainte.
Par ordonnance du 4 février 2016, le président de ce tribunal s'est déclaré incompétent territorialement et s'est dessaisi au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon.
Par jugement du 8 octobre 2018, ce tribunal a :
- annulé la mise en demeure du 17 août 2015 et la contrainte du 24 octobre 2015 signifiée le 29 octobre 2015
- condamné l'URSSAF à verser à la société la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement lui ayant été notifié le 12 octobre 2018, l'URSSAF en a interjeté appel le 8 novembre 2018.
A l'audience du 15 décembre 2020, à laquelle l'affaire a été renvoyée, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- valider la contrainte pour son entier montant, outre frais de signification
- à titre subsidiaire, valider la contrainte pour la partie du redressement du 16 janvier 2012 au 29 juillet 2013, outre frais de signification.
A l'appui de ses demandes, l'URSSAF fait valoir que :
- en application des dispositions des articles L. 236-1 et L. 236-3 du code de commerce, Ia transmission universelle du patrimoine de la société apporteuse n'intervient automatiquement qu'en cas de disparition de cette dernière ; or, en l'espèce, il n'y a eu ni absorption ni fusion de la société Adiate ; les documents produits attestent d'un apport partiel d'actif, c'est-à- dire d'un « découpage » de la société dont une partie seulement a été transférée à la société Adiate sud est ; la société Adiate contrôlée n'a pas fait l'objet d'une radiation car elle n'a pas été vidée de ses actifs ; elle existe toujours, a continué de fonctionner et d'employer du personnel salarié et a assuré sa défense pendant le contrôle et devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ; par conséquent, la société Adiate ayant conservé une partie de ses actifs après les scissions réalisées au terme des apports partiel d'actif, elle reste débitrice de ses dettes
- en cas d'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions, la société apporteuse reste solidairement obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette dernière, sauf application de l'article L. 236-21 du code précité ; en l'espèce, la société Adiate a établi, le 29 juillet 2013, une convention d'apport partiel d'actif aux termes de laquelle la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif ne doit supporter que le passif transmis et listé en page 6, sans solidarité de la société apporteuse ; or, il n'appartient ni à l'URSSAF ni aux juridictions de sécurité sociale de répartir entre les sociétés apporteuse et bénéficiaire les cotisations restant dues ; de plus, la convention ne mentionne aucune disposition concernant le passif n'existant pas à la date de l'opération
- il ressort de la lecture des pièces relatives à la convention d'apport partiel d'actif que la société Adiate n'a apporté à la société Adiate sud est que « l'activité de transport de personnes rattachée aux établissements Adiate de Chamelet et de Toulon » ; l'apport partiel d'actif ne concerne donc pas toute l'activité de transport de personnes de la société Adiate mais uniquement celle exercée dans les établissements de Chamelet et de Toulon ; dès lors, la jurisprudence relative à la transmission universelle du patrimoine est inopérante car il n'y a pas eu transmission d'une branche complète d'activité mais uniquement transmission de l'activité de transport de deux établissements de la société
- en tout état de cause, l'apport partiel d'actif ne vise nullement l'établissement de Limonest, objet du présent litige, de sorte que l'intimée ne saurait en aucun cas prétendre qu'il y a eu une transmission universelle du patrimoine de l'établissement de Limonest à la société Adiate sud est
- il ressort de la lecture des annonces légales que la société Adiate a poursuivi une activité de transport routier et services de transport public routier de personnes, de sorte que la branche d'activité relative au transport de personnes n'a pas été entièrement transmise
- à titre subsidiaire, si la cour retenait que la société Adiate n'est plus la débitrice des cotisations suite à la convention d'apport partiel d'actif signée le 29 juillet 2013, elle n'en demeure pas moins redevable de la partie du redressement portant sur les périodes antérieures à la restructuration, puisque la société Adiate, en sa qualité d'apporteuse, n'a pas été dissoute après ladite opération.
La société poursuit la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions et demande à la cour de condamner l'URSSAF à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Elle fait valoir que :
- en cas d'apport partiel d'actif d'une société à une autre, l'article L. 236-22 du code de commerce prévoit que « la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21 » relatives aux scissions et que, dans ce cas, conformément à l'article L. 236-3, l'intégralité du patrimoine de la société apporteuse est transférée à la société bénéficiaire, de sorte que la société bénéficiaire de l'apport devient, à la date d'effet de l'opération, responsable de l'ensemble des dettes afférentes à la branche d'activité apportée
- en l'espèce, la société Adiate Evolution a transmis l'ensemble du patrimoine attaché à l'activité transport de personnes à la société Adiate sud est, tant activement que passivement ; elle n'est dès lors plus débitrice des cotisations dues sur la période concernée par le redressement
- si la société existe toujours, elle a uniquement conservé une activité de support opérationnel au profit des filiales régionales du groupe ; tous les salariés de l'établissement de Chamelet ont été transférés à la société Adiate sud est en février 2014; elle a cessé d'exploiter une activité de transport de personnes après février 2014; par conséquent, la totalité des cotisations litigieuses (2012-2013) est effectivement afférente à l'activité de transport dont les dettes ont été transférées à la société Adiate sud est
- le fait que la société ait assuré sa défense pendant le contrôle et devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ne fait en rien disparaître l'irrégularité dont la mise en demeure est entachée et dont elle n'est pas débitrice
- les arrêts de Cour de cassation cités par l'URSSAF n'ont aucun rapport avec le cas présent puisqu'ils ne mentionnent pas l'existence d'une clause du traité d'apport partiel d'actif excluant toute solidarité entre la société apporteuse et la société bénéficiaire, ce qui est le cas en l'espèce.
SUR CE :
En application de l'article L. 236-1 du code de commerce, une société peut, par voie de scission, transmettre son patrimoine à plusieurs sociétés existantes ou à plusieurs sociétés nouvelles.
Selon l'article L. 236-3 du même code, la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération.
L'article L. 236-22 de ce code énonce que la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21 relatives à la scission.
Sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport.
En vertu des dispositions des articles L. 236-20 et L. 236-21, les sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission sont débitrices solidaires des obligations et des créanciers non obligataires de la société scindée au lieu et place de celle-ci sans que cette substitution emporte novation à leur égard, mais par dérogation, il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mise à la charge respective et sans solidarité entre elles.
Aux termes de la convention d'apport partiel d'actif en date du 29 juillet 2013, la société ADIATE, dont le siège social se situe à SAINT PIERRE DU PERRAY (Essonne), apporte à la société ADIATE SUD EST en formation, dont le siège social est à CHAMELET ( Rhône), l'ensemble des éléments d'actifs et de passifs relatifs à l'activité de transport de personnes rattachées aux établissements ADIATE de Chamelet et de Toulon, à savoir les baux commerciaux des locaux occupés, le mobilier, le matériel technique et les fournitures, les contrats de travail attachés à l'exploitation de l'activité sur lesdits sites, la jouissance des véhicules nécessaires à l'activité, l'exécution des contrats de transport en cours en vertu d'une convention de sous traitance.
Il a été convenu dans l'acte que l'opération serait placée sous le régime des scissions, conformément aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-22 du code de commerce
La convention contient la clause suivante en ce qui concerne le passif transmis :
ADIATE SUD EST prendra en charge et acquittera au lieu et place de la société apporteuse la part de passif de cette dernière attaché, au 31 mai 2013, à l'activité de transport de personnes rattachée aux établissements ADIATE de Chamelet et Toulon.
Il est expressément convenu que le passif transmis sera supporté par la société bénéficiaire seule, sans solidarité de la société apporteuse.
Cette convention stipule par ailleurs au chapitre charges et conditions que la société ADIATE SUD EST supportera et acquittera à compter du jour de son entrée en jouissance tous les impôts, contributions, droits, taxes etc... ainsi que toutes autres charges de toute nature, ordinaires ou extraordinaires, qui sont ou seront inhérents à l'exploitation des biens et droits objet des apports et que les contrats de travail en cours avec les membres du personnel d'ADIATE affectés à l'exploitation de la branche d'activité apportée se poursuivront avec la société bénéficiaire.
La scission a été publiée au BODACC du 20 août 2013 et se trouve opposable aux créanciers.
La convention définitive d'apport partiel d'actif signée le 8 novembre 2013 et enregistrée le 27 novembre 2013 arrête au 30 juin 2013 la date à compter de laquelle la société bénéficiaire acquittera au lieu et place de la société apporteuse le passif de cette dernière attaché à l'activité de transport exercée dans les établissements de CHAMELET et de TOULON.
La société ADIATE EVOLUTION justifie du transfert des contrats de travail de ses conducteurs scolaires rattachés à l'établissement du Rhône au profit de la société ADIATE SUD EST au mois de février 2014 et produit le bail commercial qu'elle avait souscrit le 4 mai 2012 pour des locaux à usage professionnel situés à CHAMELET.
L'expert-comptable de la société ADIATE EVOLUTION atteste, le 30 septembre 2019, que les motifs et buts des apports partiels d'actif tels que réalisés en 2013 entre la société ADIATE EVOLUTION et les sociétés ANE, ASE et ANO étaient de confier les activités opérationnelles à ces nouvelles structures filialisées tout en maintenant une activité de support juridique, financier et comptable au niveau d'ADIATE EVOLUTION qui n'a plus désormais d'activité opérationnelle, le transport de personnes étant effectué par les filiales.
Il résulte ainsi de cette convention d'apport partiel d'actif que la société ADIATE EVOLUTION a transmis à la société ADIATE SUD EST la totalité de son patrimoine relatif à la branche d'activité de transport des personnes qu'elle exploitait sur les établissements de CHAMELET (son seul établissement situé dans le Rhône) et de TOULON à compter de l'entrée en jouissance et qu'en raison de la clause excluant la solidarité entre les deux sociétés en ce qui concerne le passif transmis antérieur au 30 juin 2013 et de celle stipulant la prise en charge à compter de cette date par la société bénéficiaire de tous impôts, droits et taxes, le redressement afférent à des cotisations sociales dûes pour les années 2012 et 2013, même si le principe et le montant de celles qui étaient antérieures au 30 juin 2013 n'étaient pas connus à la date de l'apport partiel d'actif, le redressement lui étant postérieur, constitue une dette de la société bénéficiaire.
S'agissant de l'apport partiel d'une branche d'activité, cette opération ne devait pas nécessairement entraîner la dissolution de la société ADIATE EVOLUTION laquelle, à la suite de la scission, n'a conservé que des fonctions support comme en atteste la liste de ses salariés et des fonctions exercées par eux à la date du 22 juin 2018.
L'URSSAF a délivré à l'encontre de la SARL ADIATE TRANSPORT DE PERSONNES à SAINT PIERRE DU PERRAY (Essonne) le 17 août 2015 qui n'était pas la débitrice de la somme litigieuse une mise en demeure d'avoir à payer la somme de 24.057,04 euros au titre des chefs de redressement notifiés le 11 février 2015 portant sur des cotisations du régime général des années 2012 et 2013 pour l'établissement du RHONE, puis, le 24 septembre 2015, une contrainte portant sur la même somme.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal dont le jugement sera confirmé a prononcé l'annulation de la mise en demeure et de la contrainte au motif qu'elles n'avaient pas été adressées à la société débitrice.
L'URSSAF dont le recours est rejeté sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société ADIATE EVOLUTION la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement
CONDAMNE l'URSSAF aux dépens d'appel
CONDAMNE l'URSSAF à payer à la société ADIATE EVOLUTION la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.