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Décisions

CA Besançon, ch. soc., 17 décembre 2021, n° 21/00052

BESANÇON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Von Roll Isola France (SA), Delle Fil (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Esteve

Conseillers :

M. Bourquin, M. Marcel

Avocats :

Me Lhomet, Me Bon, Me Frezard, Me Janin

CA Besançon n° 21/00052

17 décembre 2021

Statuant sur l'appel interjeté le 8 janvier 2021 par Mme F I née Z, M. G M I et M. X I du jugement rendu le 17 décembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Belfort, qui dans le cadre du litige les opposant à la société VON ROLL ISOLA FRANCE, la société B C « anciennement VON ROLL FRANCE », l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire de la société B C, la société VON ROLL FRANCE et la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort a :

- déclaré recevable l'intervention de la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort,

- déclaré irrecevable la demande de M. G I en ce qu'elle est orientée contre la SA VON ROLL ISOLA FRANCE,

- déclaré irrecevable car prescrite l'action de Mme F I, M. G M I et M. X I à l'encontre de la SAS DELLE FIL venant aux droits de la SA VON ROLL FRANCE,

- condamné Mme F I, M. G M I et M. X I à payer à la SAS DELLE FIL venant aux droits de la SAS VON ROLL FRANCE et la SAS VON ROLL ISOLA FRANCE la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

Vu les conclusions visées par le greffe le 18 mars 2021 aux termes desquelles Mme F I née Z, M. G M I et M. X I (ci-après dénommés les consorts I), appelants, demandent à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- dire que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est recevable,

- juger que la maladie professionnelle dont est décédé M. G I est la conséquence de la faute inexcusable, à titre principal, de la société DELLE FIL SAS, venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE SA et, à titre subsidiaire, de la société VON ROLL ISOLA FRANCE, en conséquence,

AU TITRE DE L'ACTION SUCCESSORALE :

- allouer aux consorts I l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

- fixer, au titre de l'action successorale aux consorts I, les indemnisations suivantes :

- réparation du préjudice fonctionnel temporaire : 9 000 €

- réparation de la souffrance physique : 80 000 €

- réparation de la souffrance morale : 80 000 €

- réparation du préjudice d'agrément : 25 000 €

- réparation du préjudice esthétique : 15 000 €

AU TITRE DE LEURS PREJUDICES PERSONNELS :

- fixer, au taux maximum, la majoration de la rente de conjoint survivant perçue par Mme F Z veuve I,

- fixer les indemnisations suivantes :

- réparation du préjudice moral de Mme F Z veuve I : 55 000 €

- réparation du préjudice moral de M. G M I : 25 000 €

- réparation du préjudice moral de M. X I : 15 000 €,

- dire, conformément aux dispositions de l'article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, que cette somme sera avancée par la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort, à charge de recours par elle vis à vis de l'employeur,

- condamner la société DELLE FIL SAS venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE SA à payer aux consorts I la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société VON ROLL ISOLA FRANCE à payer aux consorts I la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'assignation aux fins d'appel provoqué et dénoncé d'actes et de pièces de procédure délivrée le 6 mai 2021 à la société VON ROLL FRANCE à la requête de la société B C,

Vu les conclusions visées par le greffe le 7 mai 2021 aux termes desquelles la société anonyme VON ROLL ISOLA FRANCE, devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE, intimée, Maître E J et la SELARL AJRS prise en la personne de Maître M H, respectivement en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de cette société, intervenants volontaires, demandent à la cour de :

- déclarer l'appel interjeté par les ayants droit de M. I irrecevable et mal fondé,

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter Mme F I, M. G M I et M. X I intervenant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. G I de l'intégralité de leurs prétentions dirigées à l'encontre de la SA VON ROLL ISOLA FRANCE devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE SA,

- déclarer la SELARL AJRS administrateurs judiciaires es qualités de commissaires à l 'exécution du plan de la SA VON ROLL ISOLA FRANCE devenue SA ISOLA COMPOSITE FRANCE ' 28, rue de la République ' 25019 Besançon hors de cause,

- rappeler que s'agissant d'une créance dont le fait générateur est antérieur à l'ouverture de la procédure collective, seule une fixation au passif peut être envisagée,

A TITRE SUBSIDIAIRE

- ordonner une expertise médicale désignant tel expert qu'il plaira à la cour de choisir, avec pour mission :

1°) se faire communiquer par les ayants droit de la victime tous documents médicaux relatifs à la maladie professionnelle de M. I,

2°) à partir des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature et le nom de l'établissement, le ou les services concernés et la nature des soins,

3°) indiquer la nature de tous les soins et traitements prescrits imputables à la maladie,

4°) décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur la nécessité et son imputabilité,

5°) retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l'évolution,

6°) prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits,

7°) décrire un éventuel état antérieur et en ne citant que les antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles, dans cette hypothèse :

au cas où il aurait entraîné un déficit fonctionnel antérieur, fixer la part imputable à l'état antérieur et la part imputable au fait dommageable, au cas où il n'y aurait pas de déficit fonctionnel antérieur, dire si le traumatisme a été la cause déclenchante du déficit fonctionnel ou si celui ci se serait de toute façon manifesté spontanément,

8°) analyser dans une discussion précise et synthétique l'imputabilité entre la maladie les lésions initiales et les séquelles invoquées en se prononçant sur :

- la réalité des lésions initiales,

- la réalité de l'état séquellaire,

- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales, et ce en précisant l'incidence éventuelle d'un état antérieur,

9°) déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et exclusive avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou ses activités habituelles, si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux, préciser la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux au vu des justificatifs produits ; si cette durée est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont liés au fait dommageable,

10°) fixer la date de consolidation, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation,

11°) chiffrer, par référence au « Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun » le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (incapacité permanente) imputable à la maladie, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation ; dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi la maladie a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation,

12°) évaluer une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances, les analyser, les confronter avec les séquelles retenues, en précisant les gestes professionnels rendus plus difficiles ou impossibles,

13°) décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des blessures subies. Les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés,

14°) donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique en précisant s'il est temporaire (avant consolidation) ou définitif. L'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit,

15°) évaluer l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de sports et de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation,

16°) dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement, la libido, l'acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction),

17°) indiquer, le cas échéant :

- si l'assistance d'une tierce personne constante ou occasionnelle a été nécessaire, en décrivant avec précision les besoins (niveau de compétence technique, durée d'intervention quotidienne),

- si des appareillages, des fournitures complémentaires et si des soins postérieurs à la consolidation ont été nécessaires,

18°) si le cas le justifie, procéder selon la méthode du pré rapport afin de provoquer les dires écrits des parties dans tel délai de rigueur déterminé de manière raisonnable et y répondre avec précision,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- condamner Mme F I, M. G M I et M. X I intervenant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. G I, à verser à la société VON ROLL ISOLA FRANCE la somme de 1.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme F I, M. G M I et M. X I intervenant en leur nom propre et en leur qualité d'ayants droit de M. G I aux entiers frais et dépens,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 12 mai 2021 aux termes desquelles la société par actions simplifiée B C, autre intimée, demande à la cour de :

- lui donner acte de l'appel provoqué signifié à l'encontre de la société VON ROLL FRANCE, avant toute chose,

- la mettre hors de cause, constatant que la société VON ROLL FRANCE est le dernier employeur de M. I, sur la prescription :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- subsidiairement, laisser à la caisse l'intégralité des condamnations qui pourraient être prononcées si la prescription n'était pas confirmée, si la prescription devait ne pas être retenue, avant dire droit,

- désigner un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation aux fins d'aborder la question de l'origine professionnelle de la pathologie, avant dire droit encore,

- mettre en oeuvre une mesure d'expertise aux fins de reconnaître l'origine de la pathologie, confiée à l'expert près la cour qu'il lui plaira de désigner, avec pour mission de :

- se faire remettre l'entier dossier médical de M. I,

- se faire remettre les pièces établissant la nature des substances employées,

- prendre connaissance des pièces du dossier permettant d'établir les méthodes de travail,

- se prononcer sur le risque de développement de cancer dont M. I a été atteint,

- prendre en considération l'existence d'antécédents médicaux avérés, en l'occurrence le décès du père de l'assuré des suites d'un cancer du côlon,

- dire que les parties pourront mandater leur médecin afin d'assister aux mesures d'expertise afin de lui conférer un caractère contradictoire,

- restituer son rapport aux parties afin qu'elles puissent en débattre, ce rapport permettant en effet d'être éclairés sur les effets potentiels des matières utilisées, sur la faute inexcusable,

- dire et juger que la société B C n'était pas l'employeur de M. I en conséquence de quoi il appartient à la société VON ROLL FRANCE d'assumer les conséquences économiques de la faute inexcusable, subsidiairement,

- dire l'arrêt à intervenir opposable à l'assureur de la société VON ROLL FRANCE, plus subsidiairement encore,

- considérer qu'au regard des éléments produits par la société B C que les éléments constitutifs de la faute inexcusable ne sont pas réunis,

- en conséquence, débouter les demandeurs de leur demande en reconnaissance de faute inexcusable, plus subsidiairement encore, sur les dommages et intérêts i) sur les préjudices subis par le défunt avant son décès :

- rejeter ces demandes en l'absence d'expertise,

- subsidiairement, avant dire droit, ordonner une expertise aux conditions habituelles en application des dispositions du code de procédure civile (273 et suivants) en se réservant la liquidation des préjudices postérieurement à la restitution du rapport et après échanges des parties, avec pour mission de :

- se faire communiquer l'entier dossier médical de M. I et toutes pièces qu'il jugerait utile à sa mission afin d'évaluer selon la méthodologie reconnue par la jurisprudence, en invitant les parties et en leur communiquant un pré rapport, pour les postes suivants :

- évaluer, s'il y lieu, l'existence d'un préjudice fonctionnel temporaire,

- évaluer, s'il y lieu, l'existence d'un préjudice souffrances endurées tant physiques que morales,

- dire s'il y a lieu à réparation du préjudice d'agrément et l'exposer,

- dire s'il y a lieu à réparation du préjudice esthétique et l'évaluer,

- dire qu'il appartiendra aux demandeurs d'établir le bénéficiaire de ces éventuelles condamnations en tenant compte des droits de chacun au titre de la dévolution successorale, ii) sur la réparation des préjudices des ayants droit :

- dire que la majoration de la rente n'a pas lieu d'être prononcée, la rente étant fixée à 100%,

- sur les préjudices moraux, débouter les parties de leurs demandes comme étant mal fondées,

- sur les préjudices d'affection, constater que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'un préjudice spécifique, en conséquence de quoi la cour pourra appliquer les minima du Barème indicatif du conseiller L, à savoir pour Mme F Z, épouse du défunt, la somme de 20.000 €, pour M. G M I celle de 11.000 € et pour M. X I celle de 3.000 €,

- débouter les demandeurs et autres parties de toutes autres demandes qui pourraient être formulées à l'encontre de la société B C,

- en tout état de cause, laisser les condamnations à la charge de la CPAM, cette dernière faisant une obstruction à la révélation de la réalité sur un point clé, en violation de ses obligations,

Vu les conclusions visées par le greffe le 17 mai 2021 aux termes desquelles la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort, autre intimée, s'en remet à la cour quant à l'existence d'une faute inexcusable et dans le cas où celle-ci serait reconnue lui demande de :

- fixer le montant des réparations complémentaires conformément aux dispositions des articles L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale,

- dire qu'elle versera le montant de ces réparations aux consorts I,

- dire qu'en application des articles L. 452-2 alinéa 6 et L. 452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, elle récupérera le montant de ces réparations auprès de l'employeur de M. I,

Vu les conclusions visées par le greffe le 25 mai 2021 aux termes desquelles la société anonyme VON ROLL FRANCE, intimée sur appel provoqué, demande à la cour de :

- constater l'absence de demandes formées à son encontre,

- constater que la tentative de la société B C de se décharger de sa responsabilité sur la société VON ROLL FRANCE se heurte à l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui en application du principe dit de l'estoppel,

- constater que l'ensemble de l'activité « 'l métallique '' au sein de laquelle M. I a exercé ses fonctions auprès de la société VON ROLL FRANCE a fait l'objet d'un apport partiel d'actif à la société NEWCO DELLE devenue B C,

- constater qu'en application des dispositions du traité d'apport et de l'article L 236-1 du code de commerce, la société B C a renoncé à tout recours contre la société VON ROLL FRANCE,

- déclarer la société VON ROLL FRANCE hors de cause,

- débouter l'ensemble des parties de l'ensemble de leurs demandes formulées à son encontre,

- condamner la société B C à lui verser la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles de l'instance,

- condamner les parties succombantes aux entiers frais et dépens de l'instance,

La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées soutenues à l'audience, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,

SUR CE,

EXPOSE DU LITIGE :

M. G I a été employé du 4 mai 1959 au 29 février 2000 par la société VON ROLL FRANCE (« ex UDD FIM ») à la fabrication de fils de bobinage.

Le 13 mars 2015, il a établi une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer de la vessie, en indiquant le 12 juin 2014 comme étant la date de la première constatation médicale.

Le certificat médical initial établi le 25 mars 2015 par le Docteur O Y fait état d'un carcinome urothélial de vessie de haut grade.

Cette maladie n'étant pas répertoriée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles, la caisse primaire d'assurance maladie du Territoire de Belfort a transmis le dossier de M. G I au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de Bourgogne - Franche Comté.

Par avis du 10 mars 2016, le CRRMP a retenu l'existence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et les activités professionnelles habituelles de la victime.

Le 16 mars 2016, la caisse a informé la société VON ROLL ISOLA FRANCE et M. Jean LALEVEE de sa décision de prendre en charge la maladie au titre de la législation professionnelle.

L'état de santé de M. G I a été déclaré consolidé à la date du 4 mai 2016 avec séquelles indemnisables.

Un taux d'IPP de 80 % lui a été notifié par courrier du 19 juillet 2016, qui sera porté à 85 % à compter du 8 septembre 2016, puis à 100 % à compter du 4 mai 2018.

Par lettre du 20 avril 2018 reçue le 23 avril, M. G I a sollicité auprès de la caisse l'ouverture d'une procédure en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur.

La caisse a dressé un procès-verbal de non-conciliation le 6 juin 2018.

M. G I est décédé le 16 juin 2018 des suites de sa maladie.

Ses ayants droit, Mme F I née Z son épouse, M. G M I son fils et M. X I son petit-fils ont saisi le 23 octobre 2018 le tribunal des affaires de sécurité sociale du Territoire de Belfort d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en sollicitant la convocation de la société VON ROLL ISOLA FRANCE et de la caisse.

Par courrier du 25 juin 2019, les consorts I ont sollicité la mise en cause de la société VON ROLL FRANCE SA (RCS 424 598 043).

Celle-ci a régulièrement été convoquée à l'audience du 10 octobre 2019 par courrier reçu le 2 juillet 2019.

Par courriel du 22 mai 2020, les consorts I ont ensuite sollicité la mise en cause de la société B C, venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE à la suite d'un traité d'apport partiel d'actifs en date du 31 octobre 2019 approuvé lors d'une assemblée générale extraordinaire du 20 décembre 2019.

La société B C ainsi que son administrateur judiciaire et son mandataire judiciaire ont été convoqués par le greffe de la juridiction de première instance à l'audience du 16 juillet 2020 par courrier du 26 juin 2020.

C'est dans ces conditions que le pôle social du tribunal judiciaire du Territoire de Belfort a rendu le jugement entrepris le 17 décembre 2020.

Les consorts I ont dirigé leur appel du 8 janvier 2021 contre la société B C « (anciennement VON ROLL FRANCE) », Maître E J et la SELARL AJRS prise en la personne de Maître M H, respectivement en leur qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur judiciaire de la société B C, contre la société VON ROLL ISOLA FRANCE, Maître E J et la SELARL AJRS prise en la personne de Maître M H, respectivement en leur qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur judiciaire de la société VON ROLL ISOLA FRANCE, et contre la caisse.

Par jugement du 26 février 2021, le tribunal de commerce de Belfort a arrêté le plan de redressement présenté par la société VON ROLL ISOLA FRANCE, l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire datant du 28 mai 2020.

Par jugement du 26 février 2021, le tribunal de commerce de Belfort a arrêté le plan de redressement de la société B C par voie de continuation avec cession de contrôle au profit de la société TORNS ENTREPRISES S. L., l 'ouverture de la procédure de redressement judiciaire datant du 28 mai 2020.

MOTIFS

A titre liminaire, il doit être rappelé que les consorts I dirigent leurs demandes à titre principal contre la société B C venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE et à titre subsidiaire contre la société VON ROLL ISOLA FRANCE, de sorte qu'il appartient à la cour de statuer d'abord sur la qualité d'employeur de la société B C, en ce qu'elle viendrait aux droits de la société VON ROLL FRANCE, puis dans le cas où cette qualité lui serait reconnue, sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.

Sur la fin de non-recevoir relative à la qualité d'employeur de la société B C :

Il ressort des productions que M. G I a effectué toute sa carrière au sein de la société VON ROLL FRANCE, au sein de l'établissement Fils de bobinage sis ... (90100).

En effet, l'intéressé a lui-même indiqué qu'il avait été employé par la société VON ROLL FRANCE de 1959 à 1999, notamment dans sa déclaration de maladie professionnelle et dans le questionnaire à l'intention de la caisse.

Il a été affecté au bobinage jusqu'à son départ au service militaire en 1960, effectué en Algérie. A son retour en 1962 et jusqu'en 1979, il a occupé un poste de chauffeur poids lourd. Puis il a été affecté à l'émaillage jusqu'en décembre 1999.

La société VON ROLL FRANCE (établissement Fils de bobinage) a d'ailleurs délivré au salarié une attestation de travail pour la période du 4 mai 1959 au 29 février 2000.

A l'examen de l'extrait K bis la concernant, il apparaît que la société VON ROLL FRANCE n'a été immatriculée que le 15 octobre 1999, mais qu'elle a acquis l'établissement Fils de bobinage par fusion absorption de la société VON ROLL ISOLA FRANCE division fils de bobinage, étant précisé qu'elle a également acquis de la même manière les établissements de ... et de ..., spécialisés respectivement dans l'activité résines et dans l'activité papier de mica, par fusion absorption des sociétés VON ROLL ISOLA FRANCE division résines et VON ROLL ISOLA FRANCE division Samica.

Venant dès lors aux droits de la société VON ROLL ISOLA FRANCE division fils de bobinage, il n'est pas étonnant que la société VON ROLL FRANCE ait délivré à M. G I une attestation de travail pour la totalité de la période d'emploi.

Il ressort notamment du projet d'apport partiel d'actif communiqué par la société VON ROLL FRANCE et il n'est pas contesté qu'à effet au 1er janvier 2020, cette dernière a apporté sa branche complète et autonome d'activité « fils métalliques » exploitée à B à la société NEWCO DELLE.

Par décision du 9 décembre 2019 de son associé unique (la société de droit suisse VON ROLL INSULATION & COMPOSITES HOLDING AG), la société NEWCO DELLE a changé de dénomination sociale pour devenir la société B D

Il a été expressément prévu que cet apport d'une branche complète et autonome d'activité était soumis au régime des scissions, de sorte que la société bénéficiaire de l'apport s'est engagée à prendre en charge, seule et sans solidarité, le passif de la société apporteuse se rattachant à la branche d'activité apportée à la date d'effet.

Il en résulte que dans les limites de ce périmètre de la scission, la société B C vient aux droits de la société VON ROLL FRANCE.

En tout état de cause, dans ses conclusions de première instance, la société B C s'est présentée comme venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE. Il est ainsi indiqué dans l'exposé des faits et de la procédure (page 5) :

« Par ailleurs la Société VON ROLL FRANCE a transféré, par traité d'apport partiel d'actif sous le régime de la scission, sa branche d'activité fil métallique à la Société NEWCO DELLE SAS nouvellement dénommée B C N

En conséquence dans le cadre de la présente procédure il y a lieu de considérer que la Société DELLE FIL SAS vient aux droits de la Société VON ROLL FRANCE et de s'assurer que sa mise en cause, sollicitée par les demandeurs selon courrier électronique adressé au Tribunal Judiciaire le 22 mai 2020 est régulière. ».

Or, en vertu du principe de l'estoppel, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui.

La société B C n'est dès lors pas recevable à prétendre désormais le contraire en cause d'appel.

Elle est ainsi tenue à la dette que, le cas échéant, la société VON ROLL FRANCE (ou la société aux droits de laquelle celle-ci vient) a contractée envers M. G I et ses ayants droit au titre d'un manquement à son obligation de sécurité et de sa faute inexcusable.

Il s'ensuit que les demandes des consorts I sont recevables en ce qu'elles sont dirigées contre la société B C venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE.

La société B C sera en conséquence déboutée de sa demande de mise hors de cause et il sera au contraire fait droit à la demande de la société VON ROLL FRANCE tendant à sa mise hors de cause.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action :

L'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale dispose :

Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 et à l'article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3°) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l'article L. 443-1 ;

4°) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l'éducation surveillée dans le cas où la victime n'a pas droit aux indemnités journalières.

L'action des praticiens, pharmaciens, auxiliaires médicaux, fournisseurs et établissements pour les prestations mentionnées à l'article L. 431-1 se prescrit par deux ans à compter soit de l'exécution de l'acte, soit de la délivrance de la fourniture, soit de la date à laquelle la victime a quitté l'établissement.

Cette prescription est également applicable, à compter du paiement des prestations entre les mains du bénéficiaire, à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

Les prescriptions prévues aux trois alinéas précédents sont soumises aux règles de droit commun.

Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.

Aux termes des dispositions de l'article L. 461-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige, « en ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident ».

Mais selon une jurisprudence constante (Cass. Civ. 2, 3 avril 2003, n° 01-20.872), le délai de prescription de l'action du salarié en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne commence à courir qu'à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

Au cas présent, à la suite de l'avis en ce sens émis le 10 mars 2016 par le CRRMP de Bourgogne - Franche Comté, la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. G I et a notifié sa décision le 16 mars 2016, par lettre simple à celui-ci (pièce n° 13 de la caisse) et par lettre recommandée avec avis de réception à la société VON ROLL ISOLA FRANCE dont celle-ci a accusé réception le 18 mars 2016 (pièce n° 111 des appelants).

C'est à compter de cette date que la prescription biennale a commencé à courir.

Or, M. G I n'a saisi la caisse d'une demande d'ouverture d'une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur que par lettre du 20 avril 2018 reçue le 23 avril, soit après l'expiration du délai de prescription.

Pour faire échec à la prescription, les consorts I soutiennent désormais en cause d'appel que M. G I a eu connaissance de la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle lorsque la caisse l'a informé le 19 juillet 2016, par courrier recommandé avec avis de réception, de l'attribution d'une rente.

Ils rappellent à cet égard la jurisprudence de la deuxième chambre civile (17 mars 2011 n° 10-14.898) dont il résulte que dans le cas où la caisse n'a pu apporter la preuve de l'envoi de la notification de sa décision de prise en charge à l'assuré, le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter du jour où elle l'a informé de l'attribution d'une rente.

Cependant, en vertu du principe de l'estoppel déjà cité, ils ne peuvent soutenir en appel le contraire de ce qu'ils ont soutenu en première instance.

Or, dans leurs conclusions reçues le 21 mars 2019 par le tribunal judiciaire, ils ont indiqué page 3 : « Le 16 mars 2016, la CPAM a informé Monsieur G I que la maladie dont il souffrait était prise en charge au titre de la législation professionnelle. »

Dans leurs conclusions additionnelles reçues le 25 juin 2019, la même mention figure dans le rappel des faits (page 5).

La même indication figure encore dans leurs conclusions additionnelles n° 2 reçues le 2 janvier 2020, toujours dans le rappel des faits (page 9), alors qu'il est soutenu par ailleurs, sur la base d'autres arguments, que l'action n'est pas prescrite.

Il en est de même dans leurs dernières conclusions de première instance, intitulées « conclusions additionnelles n° 3 » (page 9).

Ainsi, les consorts I ont expressément exposé en première instance et par là même reconnu que M. G I avait été informé le 16 mars 2016 par la caisse de la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle, ce qui a légitimement conduit les premiers juges à indiquer, dans leur exposé du litige : « Le 16 mars 2016, la caisse informait Monsieur G I que sa maladie serait prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ».

Les consorts I ne sont dès lors plus recevables à se prévaloir de l'absence de preuve de la réception de la lettre simple de notification de prise en charge adressée par la caisse le 16 mars 2016 à M. G I.

Par ailleurs, en vertu d'une jurisprudence constante (Cass. Civ. 2, 29 juin 2004 n° 03-10.789 et Cass. Civ. 2, 14 mars 2013 n° 12-11.856), le décès de la victime d'une maladie professionnelle ne fait pas courir un nouveau délai de prescription au profit des ayants droit de celle-ci, la détermination du point de départ de la prescription s'imposant, y compris pour l'ouverture, postérieurement au décès de la victime, des droits des ayants droit de celle-ci.

En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré l'action prescrite, leur décision étant confirmée de ce chef.

Sur la demande subsidiaire des consorts I en ce qu'elle est dirigée contre la société VON ROLL ISOLA FRANCE devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE :

Ainsi qu'il a été dit, M. G I a effectué toute sa carrière au sein de la société VON ROLL FRANCE, au sein de l'établissement Fils de bobinage sis ... (90100), dans la mesure où postérieurement celle-ci a acquis cet établissement par fusion absorption de la société VON ROLL ISOLA FRANCE division fils de bobinage.

Cette dernière société n'a pas le même numéro d'immatriculation au RCS que la société intimée VON ROLL ISOLA FRANCE au regard des extraits K bis produits.

Immatriculée le 7 février 1966, la société VON ROLL ISOLA FRANCE, société intimée, exploitait dans un établissement sis ... une activité de production et de transformation de produits d'isolation et de composites industriels divers, notamment d'isolation électrique.

Si la caisse a instruit le dossier du salarié au contradictoire de la société VON ROLL ISOLA FRANCE sans d'ailleurs que cette dernière ne réagisse, pour autant M. G I n'a jamais mentionné que son employeur était cette entité.

Il n'est dès lors pas établi que la société intimée ait été l'un des employeurs de M. G I, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des consorts I en ce qu'elles sont dirigées contre la société VON ROLL ISOLA FRANCE, étant rappelé qu'en tout état de cause l'action est prescrite.

Par ailleurs, la société VON ROLL ISOLA FRANCE, devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE, bénéficie d'un plan de redressement et il n'y a pas lieu de maintenir son commissaire à l'exécution du plan dans la cause. celui-ci sera mis hors de cause ainsi qu'il le sollicite.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La décision attaquée sera également confirmée en ce qu'elle a statué sur les dépens de première instance.

Elle sera en revanche infirmée en ce qu'elle a condamné les consorts I à payer une indemnité de procédure et statuant à nouveau, la cour dira n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, pour des raisons tirées de considérations d'équité.

En cause d'appel, il n'y a pas davantage lieu, en équité, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société VON ROLL ISOLA FRANCE, devenue

ISOLA COMPOSITE FRANCE.

En revanche, il apparaît équitable que la société B C contribue à hauteur de la somme de 1.500 euros aux frais irrépétibles que sur son appel provoqué elle a contraint la société VON ROLL FRANCE à exposer.

Les consorts I, qui succombent, n'obtiendront aucune indemnité sur ce fondement et supporteront les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare recevables les demandes des consorts I en ce qu'elles sont dirigées contre la société B C venant aux droits de la société VON ROLL FRANCE ;

Déboute en conséquence la société B C de sa demande de mise hors de cause ;

Met hors de cause la société VON ROLL FRANCE ;

Confirme le jugement entrepris :

- en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des consorts I en ce qu'elles sont dirigées contre la société VON ROLL ISOLA FRANCE ;

- en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;

- en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance ;

L'infirme en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;

Statuant à nouveau sur ce point,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

Y ajoutant,

Met hors de cause la SELARL AJRS prise en la personne de Maître M H en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société VON ROLL ISOLA FRANCE, devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE ;

Rejette les demandes de la société VON ROLL ISOLA FRANCE devenue ISOLA COMPOSITE FRANCE et des consorts I présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société B C à payer à la société VON ROLL FRANCE la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles que celle ci a dû exposer devant la cour ;

Condamne les consorts I aux dépens d'appel.