CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 décembre 2022, n° 20/05591
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Roularta Media Group (Sté)
Défendeur :
L'Etudiant (Sasu), Groupe l'Express (SA), SFR Presse (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Marville, Me Arock, Me Boumaiza, Me Ingold, Me Merlet, Me Parent
EXPOSE DU LITIGE
La société Roularta Media Group (la société RMG) est un éditeur et imprimeur belge spécialisé dans l'impression de magazines, journaux et revues.
Sa filiale française, la société Roularta Media France, qui possédait 100% du capital de la société Groupe Express Roularta, 100 % du capital de la société A Nous [Localité 4], et 2,5 % du capital de la société Médiakiosk, a, le 18 mai 2015, cédé ses actions à la société Altice Media France.
Le 9 juin 2015, la société Groupe Express Roularta et la société A Nous [Localité 4] ont conclu avec la société RMG un contrat d'imprimerie.
La société Groupe Express Roularta, devenue la société Groupe Altice Media, a constitué le 24 novembre 2015 la société L'Etudiant.
Par lettre du 17 mai 2017 adressée à la société RMG, la société L'Etudiant a résilié le contrat d'imprimerie conclu le 9 juin 2015.
Par actes des 31 mai et 4 juin 2018, la société RMG a assigné la société L'Etudiant, la société SFR Presse, anciennement société Altice Media France, et la société Groupe L'Express, anciennement société Groupe Altice Media, en indemnisation.
Par jugement du 20 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que le contrat d'imprimerie conclu le 9 juin 2015 entre la société de droit belge Roularta Media Group et la SA Groupe Express Roularta se poursuivait avec la SASU L'Etudiant pour la part de l'activité correspondante à compter du 1er janvier 2016 ;
- mis hors de cause la SA Groupe L'Express et la SAS SFR Presse et débouté la société de droit belge Roularta Media Group de l'ensemble de ses demandes à leur encontre ;
- constaté la résiliation par la SASU L'Etudiant du contrat d'imprimerie du 9 juin 2015 à effet du 31 décembre 2017 ;
-débouté la société de droit belge Roularta Media Group de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la SASU L'Etudiant à hauteur de 172 588,36 euros ;
- condamné la société de droit belge Roularta Media Group à payer la somme de 5 000 euros pour chacune à la SASU L'Etudiant, la SAS SFR Presse et la SA Groupe L'Express au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société de droit belge Roularta Media Group aux dépens liquidés à la somme de 116,74 euros ;
- rejeté les autres demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 20 mars 2020, la société Roularta Media Group a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- mis hors de cause la SA Groupe L'Express et la SAS SFR Presse et débouté la société de droit belge Roularta Media Group de l'ensemble de ses demandes à leur encontre ;
- constaté la résiliation par la SASU L'Etudiant du contrat d'imprimerie du 9 juin 2015 à effet du 31 décembre 2017 ;
- débouté la société de droit belge Roularta Media Group de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la SASU L'Etudiant à hauteur de 172 588,36 euros ;
- condamné la société de droit belge Roularta Media Group à payer la somme de 5 000 euros pour chacune à la SASU L'Etudiant, la SAS SFR Presse et la SA Groupe L'Express au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société de droit belge Roularta Media Group aux dépens liquidés à la somme de 116,74 euros ;
- rejeté les autres demandes, mais uniquement en ce qui concerne ses demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par ses dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2021, la société Roulatra Media Group demande, au visa des anciens articles 1134, 1142, 1147 et 1149 du code civil, de:
- infirmer le jugement en ce qu'il :
* a constaté la résiliation du contrat d'imprimerie du 9 juin 2015 à effet du 31 décembre 2017 ;
* l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société L'Etudiant à hauteur de 172 588,36 euros ;
* a mis hors de cause la société Groupe L'Express et la société SFR Presse et débouté de l'ensemble des demandes à leur encontre ;
* l'a condamnée à payer la somme de 5 000 euros pour chacune aux sociétés L'Etudiant, SFR Presse et Groupe L'Express au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* l'a condamnée aux dépens ;
* rejeté ses autres demandes en condamnation de la société L'Etudiant à lui payer la somme de 172 588,36 euros à titre de dommages et intérêts, et des sociétés Groupe L'Express et SFR Presse à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- confirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau,
- à titre principal, débouter la société L'Etudiant de toutes ses demandes formées à titre incident et la condamner à lui payer la somme de 172 588,36 euros à titre de dommages et intérêts ;
- à titre subsidiaire, condamner la société Groupe L'Express à lui payer la somme de 172 588,36 euros à titre de dommages et intérêts ;
- en tout état de cause, débouter la société Groupe L'Express et la société SFR Presse de leurs demandes ;
- condamner la société Groupe L'Express et la société SFR Presse à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner solidairement la société L'Etudiant, la société Groupe L'Express et la société SFR Presse à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement la société L'Etudiant, la société Groupe L'Express et la société SFR Presse aux entiers dépens de l'instance.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 16 août 2022, la société Groupe L'Express et la société SFR Presse demandent de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter la société Roularta Media Group de l'ensemble de ses demandes formées à leur encontre,
- condamner la société Roularta Media Group à leur verser la somme de 5 000 euros chacune en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions du 21 octobre 2020, la société L'Etudiant demande, au visa des articles 1844-4 du code civil et L. 236-1 du code de commerce, de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le contrat d'imprimerie conclu le 9 juin 2015 entre la société RMG et la société Groupe L'Express lui a été transféré à compter du 1er janvier 2016 ;
- statuant à nouveau, juger que le contrat d'imprimerie ne lui a pas été transféré ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le délai de préavis suffisant à la résiliation du contrat à durée indéterminée conclu avec la société RMG ;
- débouter la société Roularta Media Group de l'ensemble de ses demandes à son encontre ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Roularta Media Group à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
- condamner la société Roularta Media Group au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 septembre 2022.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le contrat d'imprimerie :
Il résulte des articles L. 236-3 et L. 236-22 du code de commerce que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle, de la société apporteuse à la société bénéficiaire, de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport.
La société RMG a conclu, le 9 juin 2015, avec la société Groupe Express Roularta et la société A Nous [Localité 4] un contrat d'imprimerie aux termes duquel ces deux sociétés ont confié à la société RMG 'la fabrication des plaques, l'impression, la finition et la préparation pour le distributeur et de l'expédition au distribueur des magazines' figurant sur la liste en annexe de la convention, et pour une durée prévue jusqu'au 31 décembre 2019.
La société Groupe Express Roularta est devenue la société Groupe Altice Media qui a constitué le 24 novembre 2015 la société L'Etudiant.
Il résulte des statuts du 16 novembre 2015 de la société L'Etudiant qu'elle a pour objet l'organisation de salons professionnels, conférences, expositions, ... l'édition de revues et périodiques ..., de livres, collections, ...
Par acte du 7 janvier 2016, la société Groupe Altice Média a consenti à la société L'Etudiant un apport partiel d'actif portant sur l'ensemble de la branche d'activité d'exploitation de L'Etudiant, dénommée la 'branche d'activité'.
Il est stipulé que 'cette opération est placée par décision des parties sous le régime juridique des scissions' et qu'ainsi, 'l'apport est soumis aux dispositions des articles L. 236-16 à L. 236-21 du code de commerce, à l'exception de celles de l'article L. 236-20 du même code'.
Il est rappelé, à l'article 1.2, que la société Groupe Altice Média détient 100% du capital de la société L'Etudiant.
Il est expliqué, à l'article 2, que l'opération 'est partie intégrante de la rationalisation juridique du groupe constitué par Groupe Altice Média et l'ensemble des activités et filiales existantes' et que 'cette rationalisation consiste à finaliser certaines branches d'activité dans le but d'avoir une meilleure visibilité de la rentabilité de chacune d'entre elles et de leur donner une existence juridique propre afin de faciliter leur développement'.
Il est précisé, à l'article 6, que l'énumération des éléments d'actif et de passif de la branche d'activité 'n'est pas exhaustive et n'a qu'un caractère indicatif et non limitatif'.
Parmi les éléments d'actif dont la transmission est prévue, il est indiqué, à l'article 6.1.1, 'le bénéfice et la charge de tous traités, conventions et engagements qui auraient pu être conclus ou pris par Groupe Altice Média et afférents à l'exploitation de la branche d'activité'.
Il est stipulé, à l'article 8.3, que 'L'Etudiant s'engage expressément à se substituer à Groupe Altice Média dans tous les droits et obligations de cette dernière découlant de l'ensemble des contrats attachés à la branche d'activité auxquels elle est partie'.
Ainsi, la société L'Etudiant est substituée à la société Groupe Altice Média dans l'exécution d'un contrat dès lors qu'il est attaché à la branche d'activité cédée, quand bien même il n'est pas mentionné expressément dans la liste des contrats concernés par la transmission.
Le contrat d'imprimerie, qui porte sur 'la fabrication des plaques, l'impression, la finition et la préparation pour le distributeur et de l'expédition au distributeur des magazines', est attachée à l'activité d'édition.
La branche d'activité cédée par l'apport partiel d'actif est la branche d'activité d'exploitation de L'Etudiant qui comprend l'activité d'édition de magazines.
Il n'est pas contesté que le contrat d'imprimerie portait sur plusieurs magazines, dont les magazines L'Etudiant mensuel et L'Etudiant supplément.
Il n'est pas démontré que ce contrat, par lequel la société Groupe Express Roularta et de la société A Nous [Localité 4] ont confié à la société RMG des travaux d'impression, aurait été conclu en considération des personnes de ces deux sociétés Groupe Express Roularta et A Nous [Localité 4], c'est à dire en considération des personnalités tenues pour essentielles en raison de leurs aptitudes particulières.
L'article 11, qui prévoit que 'tout changement à ce contrat n'est valable qu'après l'accord écrit des parties', et que 'les parties s'engagent en leur propre nom et se portent fort de la continuation de ce contrat par leurs ayants-droit', n'établit pas un caractère intuitu personae.
En conséquence, ce contrat, en ce qu'il portait sur les magazines relevant de l'activité de la société L'Etudiant, s'est poursuivi entre la société L'Etudiant et la société RMG, sans nécessité d'un accord écrit de cette dernière.
Le jugement, qui a dit que le contrat d'imprimerie s'était poursuivi avec la société L'Etudiant pour la part de l'activité correspondante à compter du 1er janvier 2016, sera confirmé.
Sur la résiliation du contrat :
L'article 2 du contrat d'imprimerie stipule que 'ce contrat prend effet ce jour et s'interrompra le 31/12/2019", qu'à 'l'issue de cette période, ce contrat se renouvellera chaque fois pour des périodes d'une année selon les mêmes modalités, sauf si une des parties... ait fait connaître à l'autre - par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée six mois au moins avant la date de terminaison du terme en cours - sa décision de ne pas renouveler ce présent contrat ou sa volonté de le renégocier'.
Le contrat d'imprimerie a été conclu à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2019, renouvelable à compter de cette date, sans possibilité de résiliation conventionnelle avant cette échéance.
La société L'Etudiant a rompu unilatéralement le contrat par lettre du 17 mai 2017 avant la survenance de son terme. Cette résiliation est fautive.
La résiliation a pris effet le 31 décembre 2017.
Le contrat d'imprimerie portait sur deux magazines, un mensuel et un supplément.
Il résulte des éléments comptables produits que la société RMG a perçu une somme de 323 551,16 euros au titre de l'année 2017, et les charges variables se sont élevées à 237 256,98 euros, laissant une marge de 86 294,18 euros, et que le chiffre d'affaires réalisé en 2016 était supérieur à celui de 2017.
La société L'Etudiant se contente d'affirmer l'existence d'une baisse significative des volumes d'impression.
Ainsi, le gain manqué subi pour les deux années 2018 et 2019 peut être évalué à un montant de 172 588,36 euros (86 294,18 x 2).
Le jugement, qui a rejeté la demande en dommages et intérêts de la société RMG, sera infirmé.
La société L'Etudiant sera condamnée à payer à la société RMG la somme de 172 588,36 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation fautive du contrat d'imprimerie.
Sur les demandes contre la société Groupe L'Express et la société SFR Presse :
A la suite de l'apport partiel d'actif et la transmission du contrat d'imprimerie, la société RMG n'a plus eu de lien contractuel avec la société Groupe Altice Media.
Le jugement, qui a mis hors de cause la société Groupe L'Express et la société SFR Presse, sera confirmé.
La société RMG ne démontre pas une violation de l'obligation de bonne foi de la société Groupe Altice Media à son égard consécutivement à l'apport partiel d'actif réalisé au profit de la société L'Etudiant, qui a exécuté le contrat d'imprimerie de janvier 2016 jusqu'à fin décembre 2017.
La résiliation du contrat est imputable à la seule société L'Etudiant.
En conséquence, le jugement, qui a débouté la société Roularta Media Group de ses demandes à l'encontre de la société Groupe L'Express et la société SFR Presse, sera confirmé.
Sur les autres demandes :
Le jugement sera infirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
La société L'Etudiant, qui succombe, sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.
Il apparaît équitable de la condamner à payer à la société RMG la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
- confirme le jugement du 20 février 2020 du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que le contrat d'imprimerie du 9 juin 2015 s'est poursuivi avec la société L'Etudiant, a mis hors de cause la société Groupe L'Express et la société SFR Presse, a rejeté les demandes de la société Roularta Media Group contre la société Groupe L'Express et la société SFR Presse ;
- infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Roularta Media Group en dommages et intérêts contre la société L'Etudiant, et en ses dispositions sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
- statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
- condamne la société L'Etudiant à payer à la société Roularta Media Group la somme de 172 588,36 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation fautive du contrat d'imprimerie ;
- condamne la société L'Etudiant à payer à la société Roularta Media Group la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile, et rejette les autres demandes ;
- condamne la société L'Etudiant aux dépens de première instance et d'appel.