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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 12 octobre 2022, n° 18/19819

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SPW France (SARL)

Défendeur :

Passeraile (Association), OVE (Fondation)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Sentucq

Conseillers :

Mme Morlet, M. Roulaud

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Martin, Me Meurin

TGI Meaux, du 5 juill. 2018, n° 15/04814

5 juillet 2018

FAITS ET PROCEDURE

La société SPW FRANCE exerçant sous l'enseigne ERGOSOLUTIONS a pour activité le négoce de mobilier de cuisine destiné aux collectivités.

L'Association PASSERAILE a pour objet l'assistance aux personnes handicapées et a, en qualité de maître de l'ouvrage, confié à la société COLAS, entreprise principale, la construction d'un centre de vie à [Localité 7] (95) dans le courant de l'année 2011.

Par courriel du 12 décembre 2012 la société TECH THERM, sous-traitante de rang 1 pour la réalisation du lot n°14 Plomberie-Sanitaire a sollicité la société ERGOSOLUTIONS pour un chiffrage de 19 kitchenettes selon le CCTP.

Un devis a été établi le 7 janvier 2013 par la société ERGOSOLUTIONS et accepté le 14 mai 2013 par la société TECH THERM en ces termes :

«  Kitchenette 130 cm,

10 + 8 unités, 1 piètement pour réglage hauteur manivelle plan de travail, 1 plan de travail contreplaqué multiplis 130 x 60 cm stratifié, 1 dosseret hauteur 10 cm derrière plan de travail, 1 habillage sous tout le plan de travail bandeau mélaminé, 1 évier bac inox avec égouttoir ETX 611, 1 plateau pour plinthe hauteur 50,

Appareils ménagers

1 plaque de cuisson Fagor IFF2OR 2 feux induction, 1 hotte 60 cm inox Bosch DWW061451 400 m3/H murale pyramide. »

La TECH THERM a passé commande à la société SPW FRANCE le 6 septembre 2013 de 8 kitchnettes de 130 cm et 1 kitchnette de 400 cm, sans référence au devis, prévoyant « une livraison sur ordre fin d'année avec déblocage d'une dizaine sans doute en novembre » à hauteur de la somme de 61 605,95 euros.

Une facture à hauteur de la somme de 30 060 euros TTC a été émise par la société ERGOSOLUTIONS le 28 janvier 2014 à l'adresse de la société TECH TERM.

La société TECH TERM a été placée en liquidation judiciaire le 3 mars 2014 et la société ERGOSOLUTIONS a déclaré sa créance au passif par courrier recommandé adressé le 20 mars 2014 au mandataire liquidateur.

Par lettre recommandée du 8 avril 2014 la société SPW FRANCE ERGOSOLTIONS sollicitait de l'Association PASSERAILE le règlement de la somme de 30 060 euros pour la réalisation et la pose des kitchnettes réglables en hauteur prévues au CCTP.

L'Association PASSERAILE répondait le 9 avril 2014 avoir pu constater l'exécution de la prestation dans son intégralité et sans qu'à sa connaissance celle-ci ait fait l'objet de réserve, avoir réglé 100 % des sommes demandées à ce titre à l'entreprise COLAS estimant n'avoir aucune somme à régler n'ayant été destinataire d'aucune facture ou situation à régulariser de la part d'ERGOSOLUTIONS.

La société ERGOSOLUTIONS répondait par lettre du 5 mai 2014 que l'Association PASSERAILE en sa qualité de maître de l'Ouvrage ne pouvait méconnaître son intervention sur le chantier ayant accepté sans équivoque l'intervention de la société pour la fourniture et la pose des kitchenettes.

Suivant acte d'huissier du 23 septembre 2015 la société SPW FRANCE a fait assigner l'Association PASSERAILE devant le Tribunal de Grande Instance de Meaux en paiement de la somme de 30 060 euros à titre de dommages et intérêts outre 5 000 euros pour résistance abusive et 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le jugement prononcé le 5 juillet 2017 a débouté la société SPW FRANCE de ses demandes et l'a condamnée à régler à l'Association PASSERAILE une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

La société SPW FRANCE a interjeté appel selon déclaration reçue au greffe de la cour le 7 août 2018 intimant l'Association PASSERAILE (RG n° 18/19819).

Par une seconde déclaration d'appel déposée au greffe de la cour le 26 octobre 2018, la SARL SPW FRANCE a intimé l'organisme FONDATION OVE disant venir aux droits et obligations de l'Association PASSERAILE.

Les deux procédures ont été jointes pas le Magistrat de la Mise en Etat sous le n° RG 18/19819.

Par ses conclusions d'appel signifiées le 4 février 2020, la société SPW FRANCE demande à la cour,

Au visa de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance

Aux visas des articles 1153 et 1382 du Code civil dans leur version applicable aux faits litigieux antérieurs au 1er octobre 2016

Aux visas des articles 272 du Code général des impôts, 202, 699, 700 et 954 du Code de procédure civile

Au rappel du principe que nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui ;

demande à la cour de :

De juger recevable et bien fondée la société SPW FRANCE en son appel formé tant à l'encontre de l'Association PASSERAILE que de la Fondation OVE disant venir aux lieux et place de l'Association PASSERAILE à la suite d'un traité d'apport partiel d'actif du 29 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2007 tendant à l'annulation ou, à tout le moins à la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Infirmer ledit jugement ;

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la relation contractuelle entre la société SPW FRANCE et la société TECH THERM relevait de la sous-traitance et que par suite, la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 est applicable au litige ;

Dire et juger que la responsabilité civile délictuelle de l'Association PASSERAILE qui a manqué à l'obligation édictée par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 est engagée à l'égard de la société SPW FRANCE ;

Déclarer irrecevable la demande de mise hors de cause de la Fondation OVE disant venir aux lieux et place de l'Association PASSERAILE à la suite d'un traité d'apport partiel d'actif du 29 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2007 en application du principe selon lequel nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui ;

Rejeter, à défaut, la demande de mise hors de cause de la Fondation OVE disant venir aux lieux et place de l'Association PASSERAILE à la suite d'un traité d'apport partiel d'actif du 29 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2007 ;

Condamner l'Association PASSERAILE et/ou la Fondation OVE venant en lieu et place de l'Association PASSERAILE à verser à la société SPW FRANCE une somme de 30 060 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 juillet 2014 ou, à défaut, de l'assignation du 23 septembre 2015 ;

Condamner in solidum l'Association PASSERAILE et/ou la Fondation OVE venant en lieu et place de l'Association PASSERAILE à verser à la société SPW FRANCE les sommes de :

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive

- 5 000 euros au titre des frais irrépétibles

Débouter l'Association PASSERAILE et la Fondation OVE venant en lieu et place de l'Association PASSERAILE de toutes leurs demandes ;

Condamner in solidum l'Association PASSERAILE et la Fondation OVE venant en lieu et place de l'Association PASSERAILE aux entiers dépens.

Par ses conclusions n°5 signifiées le 1er février 2020, l'Association PASSERAILE demande à la cour :

Aux visas des articles 2 et 14-1 de la lo n°75-1334 du 31 décembre 1975

Aux visas des articles 695, 696 et 700 du Code de procédure civile,

Mettre hors de cause la Fondation OVE,

Confirmer le jugement entrepris,

En conséquence, débouter la société SPW FRANCE de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 20 050 euros,

En tout état de cause,

Condamner la société SPW FRANCE à payer à l'Association PASSERAILE la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture était prononcée le 18 janvier 2022 et l'affaire fixée au 10 mai 2022.

SUR QUOI,

LA COUR

1- La recevabilité des demandes à l'égard de la Fondation OVE

La Fondation OVE n'était pas attraite en première instance.

Au soutien de ses demandes l'appelante fait valoir que le jugement entrepris a été signifié à la requête de la Fondation OVE venant au lieu et place de l'Association PASSERAILE le 5 octobre 2018 de sorte que l'appelante a régularisé une seconde déclaration d'appel en intimant la Fondation OVE laquelle se contredit selon l'appelante en demandant sa mise hors de cause tout en se prévalant des droits issus du traité d'apport partiel d'actif.

L'Association PASSERAILE oppose que la Fondation OVE n'est pas partie à l'instance ayant abouti au jugement rendu de sorte qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre l'appel étant irrecevable.

Réponse de la cour :

La recevabilité des demandes dirigées par la société SPW FRANCE à l'encontre de l'Association PASSERAILE n’est pas discutée tandis qu'en première instance la Fondation OVE n'a pas été attraite à la cause.

Il résulte de l'article L. 236-3 I du code de commerce que 'la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Elle entraîne simultanément l'acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d'associés des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou de scission'.

L'article L. 236-24 du code de commerce énonce que 'la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions applicables en cas de scission par apports à des sociétés à responsabilité limitée existantes'.

Cependant la société appelante relève avec raison que la signification du jugement effectuée le 5 octobre 2018 à la requête de l'Association PASSERAILE à la Fondation OVE, au motif du traité d'apport partiel d'actifs du 29 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2017, contredit la position procédurale de l'Association PASSERAILE dans les suites du marché passé avec l'entreprise principale COLAS, quand il résulte des dispositions précitées que l'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions opère une transmission universelle de tous les droits, biens et obligations de la société apporteuse à la société bénéficiaire, pour la branche d'activité faisant l'objet de l'apport, sans disparition de la personne de l'apporteur ce dont l'intimée a tiré les conséquences en faisant signifier le jugement auquel elle était partie à la Fondation OVE bénéficiaire de l'apport..

Cette transmission a lieu de plein droit s'agissant des créances détenues par la société apporteuse à l'encontre des tiers, à moins que les parties aient expressément exclu dans leurs conventions certaines des créances attachées à la branche d'activité considérée ce qui n'est pas allégué en l'espèce.

Il s'ensuit que la Fondation OVE bénéficiaire de l'apport acquiert de plein droit la qualité de partie aux instances précédemment engagées par la société apporteuse à laquelle elle se trouve ainsi substituée.

Ayant ainsi de plein droit qualité de partie à ces instances, la société bénéficiaire de l'apport partiel d'actif est donc valablement attraite en cause d'appel d'où il suit que la société SPW FRANCE doit être déclarée recevable en son appel dirigé à l'encontre de la Fondation OVE.

2- Le bien-fondé de l'action au regard de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance

Le tribunal a retenu que l'action de la société SPW FRANCE ne relevait pas de la loi sur la sous-traitance puisque rien ne permet d'établir que la fabrication des éléments des kitchnettes aurait été spécifiquement conçue pour la réalisation du centre de vie à Herblay rendant impossible la substitution aux produits commandés d'un autre équivalent et permettant en conséquence d'assimiler la prestation de la société SPW FRANCE à un contrat d'entreprise.

La société SPW FRANCE soutient que sa compétence spécifique est reconnue dans le domaine de l'adaptation des kitchenettes aux besoins des personnes handicapées, que la relation entre ERGOSOLUTIONS et TECH TERM n'est pas assimilable à un contrat de vente où la pose ne serait que l'accesoire de la livraison, que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) renvoie bien à des spécificités, au demeurant visées dans le bon de commande et non à la vente d'un produit standard. Elle souligne que le paiement de l'acompte a été sollicité dans le but d'investir et non de déstocker une marchandise, qu'elle a adapté la commande électronique de la hotte sur le bandeau du plan de travail et élaboré le plan de pose à la suite d'une réunion de travail en date du 19 septembre 2013 validée par le maître d'oeuvre le 25 septembre 2013. Selon l'appelante cela démontre la succession de contrats d'entreprise avec accomplissement d'un travail spécifique ouvrant droit à la demande indemnitaire fondée sur l'article 1er de la loi du 31 décembre 1975.

La société PASSERAILE et la Fondation OVE font valoir que les kitchenettes commandées, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas fabriquées sur mesure, que la commande renvoie au CCTP qui fait état des kitchenettes ERGOSOLUTIONS, que la facture émise ne mentionne aucune prestation spécifique et qu'ainsi les dispositions des articles 2 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne sont donc pas applicables.

Réponse de la cour :

Les dispositions de l'article 1er de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 définissent la sous-traitance comme : « l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage. »

Le contrat d'entreprise ou de louage d'ouvrage, selon les dispositions de l'article 1710 du Code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'Ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, est un contrat par lequel une partie s'engage à délivrer une prestation au profit de l'autre moyennant un prix convenu entre elles. Il suppose donc l'exécution d'un travail spécifique pour les besoins particuliers exprimés par le maître de l'ouvrage.

Ce contrat se distingue du contrat de vente ou de fourniture par lequel le vendeur ou le fournisseur s'oblige à transférer la propriété d'une chose et à la livrer.

En l'espèce, la société ERGOSOLUTIONS est une société de négoce et non un fabricant qui a pour spécialité la commercialisation de kitchenettes réglables en hauteur pour les personnes souffrant de handicap.

Le devis et le bon de commande portent sur la livraison et l'installation d'équipements standardisés : plan de travail contreplaqué et dosseret aux dimensions pré-définies, habillage sous le plan de travail, évier et panneau pour plinthes, appareils ménagers de marques pré-définies dont le schéma validé par l'architecte le 25 septembre 2013 est intitulé « schéma de principe ».

Ce schéma, ensuite de la réunion du 19 septembre 2013 à laquelle il fait référence par une mention manuscrite, indique que « l'évier sera décalé vers la gauche, la plaque vers la droite et la plaque (de cuisson) centrée sur le plan libre », la prise de courant figurant entre l'évier et la plaque.

Le CCTP évoqué par les parties n'est pas produit tandis que que ces mentions font la preuve de la livraison et de la pose des équipements composant les kitchenettes en sorte de répondre aux conditions de sécurité relatives au positionnement de la prise de courant située entre l'évier et la plaque mais ne caractérisent pas des adaptations spécifiques répondant à des demandes particulières du maître de l'ouvrage, la circonstance que la hauteur de la cuisine soit réglable étant propre au concept commercialisé prévoyant que toutes les kitchenettes livrées sont à hauteur réglable, prêtes à être installées dans les chambres pour être utilisées par des personnes à mobilité réduite.

Par conséquent c'est avec raison que le tribunal a retenu que la circonstance que la cuisine ait été livrée en deux tailles ou que la société SPW ait procédé elle-même à la pose des éléments commandés est, en l'absence de travail spécifique, insuffisante à caractériser l'existence d'un contrat d'entreprise.

La société ERGOSOLUTIONS ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 s'agissant du contrat de fourniture et de pose des équipements standardisés de kitchenettes réglables en hauteur pour les personnes à mobilité réduites.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la relation contractuelle entre la société TECH THERM et la société SPW FRANCE ne relevant pas de la sous-traitance, la loi du 31 décembre 1975 précitée est sans application au présent litige.

3- La résistance abusive

L'issue du litige établit la légitimité de la résistance de l'Association PASSERAILE aux demandes de l'appelante. Il ne saurait donc être fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée au titre de la résistance abusive. Le jugement sera confirmé de ce chef.

4- Les frais irrépétibles

La société SPW FRANCE sera condamnée à régler à l'Association PASSERAILE une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ainsi qu'aux entiers dépens, le jugement étant confirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE recevable la société SPW FRANCE en son appel dirigé à l'encontre de la Fondation OVE ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

CONDAMNE la société SPW FRANCE aux entiers dépens ainsi qu'au règlement à l'Association PASSERAILE d'une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.