CA Paris, Pôle 6 ch. 6, 18 décembre 2019, n° 17/05972
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Valeo Equipements Electriques Moteur (SAS), Motorola (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Berard
Conseillers :
Mme Bossard, M. Therme
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
En 1973, Motorola Automobile S.A. a créé l'établissement d'Angers sis [...] pour la fabrication de 'première monte' d'alternateurs, de régulateurs électroniques et de modules d'allumage.
Le 19 janvier 1983, les sociétés Motorola Automobile S.A., Motorola INC., Motorola France S.A. et Valéo S.A. ont conclu un 'accord principal' prévoyant la création d'une joint-venture, nouvelle société dénommée Valéo Motorola Alternateurs S.A. et un apport partiel d'actif de l'activité de première monte par Motorola Automobile S.A. au bénéfice de cette société, ledit apport prévoyant en son article 7 le transfert des employés attachés à l'activité transférée.
Le 8 juillet 1983, le site d'Angers sis [...] et certains de ses salariés ont ainsi été repris par la société Valéo Motorola Alternateurs S.A..
Le 1er avril 1985, la société Motorola Automobile SA a été cédée à la société Valéo SA ses parts dans la société Valéo Motorola Alternateurs S.A., devenue la société Valéo Alternateurs Angers.
Le 1er janvier 1987, cette société est devenue par fusion absorption un établissement secondaire de la société Valéo Equipements Electriques Moteurs (VEEM).
Le 1er août 2001, le site 'Valéo Equipement Electriques Moteur- [...]' a fait l'objet d'un arrêté ministériel d'inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période allant de 1990 à 1996.
La période a été étendue de 1973 à 1996 par un second arrêté du 12 août 2002 visant cette fois 'Motorola Automobile, Valéo-Motorola Alternateurs, Valéo Alternateurs Angers et Valéo Equipements Electriques Moteurs, [...]'.
Le 8 juin 2013, Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C., faisant valoir être d'anciens salariés du site du [...], ont individuellement saisi le Conseil de Prud'hommes de Créteil le 8 juin 2013 d'une demande de condamnation de la société VEEM pour manquement à son obligation de sécurité de résultat.
A la demande de Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., leur affaire a été radiée le 11 mars 2014. Il en a été de même de celle de M. Jean-Bernard C., à l'audience du 18 juin 2014, puis de celle de Mme Annick G., à l'audience du 25 juin 2014.
Le 13 juin 2016, les sept salariés ont demandé la réinscription de leurs affaires et demandé que les sociétés VEEM et Motorola soient condamnées conjointement au paiement pour chacun d'eux des sommes de :
- 30 000,00 euros à titre de dommages et intérêt pour préjudice d'anxiété,
- 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêt pour remise tardive ou non conforme de l'attestation d'exposition à l'amiante sous astreinte journalière de 100 €,
- 1 200,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 6 février 2017, le conseil de prud'hommes a prononcé la jonction de toutes les procédures individuellement engagées par les demandeurs et les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes.
Le 12 avril 2017, Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. ont régulièrement interjeté appel.
Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 27 juin 2017, auxquelles il est expressément fait référence, les appelants demandent à la cour de :
- Dire et juger qu'aucune des demandes n'est prescrite,
- Condamner la société VALEO et/ ou la société MOTOROLA à verser à chacun des concluants la somme de 30 000 euros en réparation de leur préjudice d'anxiété,
En tout état de cause,
- Condamner la Société VALEO et/ ou la société MOTOROLA pour non communication ou communication tardive et/ou communication non conforme, des fiches d'expositions périodiques et individuelles, ainsi que des attestations d'exposition claires précises, individuelles et personnelles, à la somme de 15 000 euros chacun, ainsi qu'à une astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à chacun des demandeur,
- Dire que les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision à intervenir,
- Condamner en outre à la Société VALEO et/ ou la société MOTOROLA à verser à chacun des concluants la somme de 1 800 euros TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que le remboursement des entiers dépens, dont droit de timbre de 35 euros.
Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 19 juillet 2017, auxquelles il est expressément fait référence, la société Valéo Equipements Electriques Moteurs demande :
A titre principal de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré prescrites les actions des demandeurs,
en conséquence les débouter de l'ensemble de leurs demandes,
Subsidiairement,
Concernant Mmes P., V., Z., R. et G. et M. C. :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les demandeurs n'étaient pas salariés de VALEO EEM et les déclarer irrecevables en leurs demandes,
En conséquence,
- Mettre hors de cause la société VALEO EEM ;
- Débouter Mmes P., V., Z., R. et G. et M. C. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- Rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les demandeurs à verser à la société VALEO la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les demandeurs aux entiers dépens,
Concernant Mme T., dire et juger :
- que les demandes formulées relatives à l'absence de délivrance des attestations d'exposition ne reposent sur aucun fondement textuel ou factuel ;
- que les conditions de la responsabilité contractuelle de la société VALEO EEM ne sont pas réunies,
En conséquence,
- débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Subsidiairement,
- dire et juger que les demandes formulées relatives aux préjudices d'anxiété et de bouleversement dans les conditions d'existence sont mal fondées,
Plus subsidiairement,
- dire et juger que le montant des demandes relatives à la réparation du préjudice d'anxiété n'est pas justifié, et le réduire à de plus justes proportions,
A titre infiniment subsidiaire,
-condamner la société VALEO et la société MOTOROLA in solidum de toutes les condamnations éventuellement allouées aux demandeurs ;
En tout état de cause,
- Rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner les demandeurs aux entiers dépens.
Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 23 août 2017, la société Motorola demande :
A titre principal,
- de déclarer les appelants irrecevables et mal fondés en leur appel
- de confirmer le jugement du Conseil des Prud'hommes du 13 mars 2017 en ce qu'il a déclaré prescrites les actions de Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C.,
En conséquence,
- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes,
A titre subsidiaire, juger :
- que les actions des appelants à l'encontre de la société MOTOROLA sont affectées de nullité pour vice de forme,
- que les demandes de Mme R., M. C., Mme G., Mme T. à l'encontre de la société MOTOROLA sont irrecevables,
A titre infiniment subsidiaire,
- Débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la non communication ou de la communication tardive et/ou non conforme des fiches de prévention des risques et d'attestation d'exposition ;
- Débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que le montant des demandes relatives à la réparation du préjudice d'anxiété n'est pas justifié et le réduire à de plus justes proportions,
En tout état de cause,
- Rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les demandeurs aux entiers dépens.
MOTIF :
Sur l'exception de procédure
Dans ses écritures, la société Motorola soulève 'à titre subsidiaire', qu'il soit jugé que 'les actions des salariés sont affectées de nullité pour vice de forme' au motif qu'au mépris des dispositions des articles L.1411-1 et R1454-10 du Code du travail, elle aurait été convoquée directement devant le bureau de jugement et que le passage en conciliation est une formalité substantielle ayant un caractère d'ordre public qui vicie la procédure et la rend passible d'une nullité de forme.
L'article 112 du code de procédure civile dispose que 'La nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité'.
Tel est le cas en l'espèce, la société Motorola ayant conclu au fond en première instance donc postérieurement à sa convocation directe devant le bureau de jugement et soulevant pour la première fois en cause d'appel cette exception de procédure, qui plus est à titre subsidiaire, soit après des développements tendant à voir déclarer les demandes des appelants irrecevables et mal fondées.
Il n'y a pas lieu de statuer sur cette exception de procédure.
Sur les fins de non recevoir
Sur la prescription de l'action
La société Valéo demande à titre principal la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a déclaré prescrites les actions des demandeurs.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
Si l'article 2224 du code civil prévoit une prescription quinquennale et non plus trentenaire, il résulte, tant de l'article 2222 du code civil que de l'article 26-II de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, que les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de ladite loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Il est constant que le préjudice d'anxiété dont les intimés demandent réparation n'a pu naître avant la publication de l'arrêté ministériel d'inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA).
Cette publication est intervenue le 1er août 2001, pour le site Valéo Equipement Electriques Moteur » [...] pour la période allant de 1990 à 1996.
Elle est intervenue le 12 août 2002 pour Motorola Automobile, Valéo-Motorola Alternateurs, Valéo Alternateurs Angers et Valéo Equipements Electriques Moteurs, [...], avec extension de la période de 1973 à 1996 .
Au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et du passage à la prescription quinquennale, leurs actions n'étaient pas prescrites et ont pu bénéficier de l'application du nouveau délai de 5 ans, dès lors que la durée totale n'excédait la durée prévue par la loi antérieure.
Leur action contre la société Valéo n'était donc pas prescrite au moment de l'introduction de l'instance, le 8 juin 2013.
Sur la prescription de l'action dirigée contre Motorola
La société Motorola soutient que l'action engagée contre elle le 17 juin 2016 est prescrite dès lors que la prescription courait jusqu'au 18 juin 2013 et que l'engagement de l'action contre une société tierce n'a pas interrompu le délai à son égard.
Ni les appelants, ni la société Valéo ne concluent ce point.
La Cour constate que les appelants demandent dans le dispositif de leurs écritures la condamnation de l'une 'ou/et' l'autre des sociétés et, dans le corps de leurs écritures, une condamnation 'conjointe et indéfinie' des deux sociétés.
Dès lors que les appelants n'arguent d'aucune solidarité des sociétés, la cour ne peut que constater que la demande introduite à l'encontre de la société Motorola le 17 juin 2016 est prescrite.
Sur la qualité à agir des demandeurs
En application de l'article 32 du code de procédure civile, 'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir'.
La société Valéo ne conteste pas que Mme T. a travaillé sur le site Cevert du 5 avril 1981 au 1er novembre 2002, ce qu'elle démontre au demeurant par une attestation d'embauche, ainsi que par une attestation d'exposition établies par Valéo EEM.
La société Valéo soutient que l'absence de lien contractuel entre elle et 6 des 7 salariés (Mmes P., V., Z., R. et G. et M. C.) les rend irrecevables à agir contre elle.
Mme G. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 6 octobre 1975 au 6 juillet 1983 par une attestation d'exposition établie par Valéo EEM.
Mme P. justifie avoir travaillé pour la société Motorola puis la société Valéo Motorola Alternateurs , donc sur le site concerné, par les bulletins de paie qu'elle produit. Elle verse également des attestations conformes à l'article 202 du code de procédure civile émanant de Mme C. et de son époux, qui affirment qu'elle a travaillé au service commercial de Motorola/ Valéo du 17 septembre 1979 au mois d'août 1983.
M. C. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 1er octobre 1974 au 6 juillet 1983 par une attestation d'embauche établie par Valéo Vision.
Mme Z. justifie avoir travaillé pour la société Motorola puis la société Valéo Motorola Alternateurs, donc sur le site concerné, par les bulletins de paie qu'elle produit. Elle verse également des attestations conformes à l'article 202 du code de procédure civile émanant d'une collègue Mme R. et de son époux, qui affirment qu'elle a travaillé sur le site Cevert du 18 septembre 1978 au mois d'août 1983.
Mme V. justifie avoir travaillé pour la société Motorola puis la société Valéo Motorola Alternateurs, donc sur le site concerné, par les bulletins de paie qu'elle produit. Elle verse également des attestations conformes à l'article 202 du code de procédure civile émanant de Mme C. et de sa fille, qui affirment qu'elle a travaillé dans l'entreprise Motorola devenue Valéo de septembre 1977 au mois de novembre 1990.
Mme R. justifie avoir travaillé pour la société Motorola sur le site concerné, par les bulletins de paie qu'elle produit. Elle verse également une attestation conformes à l'article 202 du code de procédure civile émanant de Mme B. qui affirme qu'elle y a exercé du 3 novembre 1975 au mois de juillet 1983.
Il résulte de ces éléments que tous les salariés ont travaillé sur le site Cevert.
Il n'est pas discuté que ce site est bien celui concerné par l'apport partiel d'actif de l'activité de première monte de la société Motorola au bénéfice de Newco, devenue la société Valéo Alternateurs Angers, puis établissement secondaire de la société Valéo Equipements Electriques Moteurs (VEEM).
Il résulte des articles L. 236-3, L. 236-20 et L. 236-22 du code de commerce que, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport.
En l'espèce, l'apport partiel d'actif est bien placé sous le régime des scissions.
Si la société Valéo relève que les appelants fondent leur demande sur une faute contractuelle de l'employeur, résultant d'un manquement à son obligation de sécurité de résultat, il convient de constater que l'obligation dont se prévalent les salariés ayant exercé sur le site Cevert, est née de la branche d'activité apportée par la société Motorola.
Cette obligation n'ayant pas été expressément exclue par le traité d'apport, la société Valéo est tenue des droits et obligations de la société apporteuse, peu important que les contrats de travail aient été ou non transférés et peu important que la société Valéo ait eu un lien contractuel avec les anciens salariés de la société Motorola.
Les appelant sont recevables en leurs action dirigée contre la société Valéo.
Sur le préjudice d'anxiété
Aux termes de l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, 'une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :
1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ;
2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ; [...]'
sur l'obligation de la société Valéo
Si la société Valéo expose que sa responsabilité contractuelle ne saurait être engagée du seul fait qu'elle a utilisé de l'amiante, qui était autorisé jusqu'en 1996, il résulte des développements relatifs aux fins de non recevoir qu'elle est tenue, non seulement d'une obligation de sécurité envers son ancienne salariée, Mme T., mais tenue par ailleurs à réparation du préjudice de tous les anciens salariés du site par l'effet du traité d'apport partiel d'actif par lequel elle est tenue des droits et obligations de la société apporteuse.
La société Valéo inverse par ailleurs la charge de la preuve lorsqu'elle soutient que la simple inscription du site sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA ne peut constituer la preuve d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat, dès lors que c'est à elle qu'il revient de démontrer l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité.
Sur ce point, en présence d'un arrêté ministériel d'inscription du site concerné sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ( ACAATA) pour la période allant de 1973 à 1996, c'est vainement que la société Valéo fait valoir que l'activité du site d'Angers ne provoquait pas de libération de fibre d'amiante de 1973 à 1990, que de 1990 à 1996 la rénovation d'alternateurs en deuxième monte n'impliquait pas d'usinage ou d'extraction des collecteurs pouvant être amiantés et qu'enfin les résultats lors du chantier de désamiantage ont fait apparaître des résultats inférieurs à 1,1f/l.
Sur ce dernier, le rapport d'expertise sur le risque amiante établi à la demande du CHSCT le 28 février 2007 par un cabinet indépendant agréé par le ministère du travail souligne que l'entreprise doit sérieusement s'interroger sur l'obtention d'un tel résultat, ne prenant pas en compte les pics de pollution auxquels les salariés du plateau de production sont exposés.
Par ailleurs, les appelants versent aux débats des attestations d'anciens salariés qui établissent que de 1977 à 1989, l'activité de première monte nécessitait l'usage d'un four à recuit, isolé à l'extérieur par des panneaux en amiante et isolé à l'intérieur par des plaques d'amiante, qui se dégradaient à la chaleur, dégageaient de la poussière et étaient régulièrement remplacées.
Il résulte aussi des pièces produites qu'à partir de 1991, le site a remis en état des pièces d'occasion, nécessitant un démontage et un usinage de pièces amiantées. En 1997, le site a également effectué des activités de désamiantage de pièces.
La société Valéo ne peut davantage arguer de l'absence d'alerte de la CRAM et de l'inspection du travail, ainsi que de l'information du CHSCT ou de sa politique d'association des salariés aux décisions concernant l'amélioration des conditions de travail pour s'exonérer de l'obligation qui lui incombe à l'égard des anciens salariés du site.
Les appelants produisent des courriers de l'inspection du travail identifiant en 2001 et 2002 des risques liés à l'amiante au titre de l'activité de l'entreprise depuis 1973 et faisant reproche à l'employeur d'un défaut d'information et d'un défaut de mesures adaptées.
C'est aussi vainement que la société Valéo soutient que les conditions de travail des salariés étaient conformes à la réglementation et qu'elle-même a mis en place des mesures efficaces de protection des salariés, dès lors que la plupart des appelants avaient quitté le site en 1996, date de la note interne versée aux débats pour établir l'équipement des postes d'extraction des collecteurs de capotage et de systèmes d'aspiration.
Au demeurant, l'inspection du travail a constaté le jour de son enquête effectuée le 16 mars 2002 qu'un opérateur enlevait des rondelles amiantées à l'aide d'un marteau et d'un burin sans capotage ni aspiration.
La société Valéo soutient par ailleurs l'absence de lien de causalité, en faisant valoir que la responsabilité de l'Etat a été reconnue par le Conseil d'Etat en 2004 du fait de sa carence fautive dans la prévention des risque liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante et que l'employeur ne peut être tenu responsable de l'insuffisance de la réglementation de 1977.
Ce constat est cependant inopérant, dès lors que le préjudice spécifique d'anxiété des salariés remplissant les conditions de l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 résulte de l'inquiétude face au risque de déclarer à tout moment une maladie professionnelle liée à l'amiante.
C'est également vainement que la société soutient que la mise en œuvre de sa responsabilité nécessite que le préjudice lui soit imputable, étant tenue aux obligations cédées dans le cadre de l'apport partiel d'actif.
Enfin, si elle soutient que tous les salariés ayant travaillé sur un site classé ne sont pas exposés à un risque, un droit à réparation de son préjudice spécifique d'anxiété est acquis à tout salarié remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, peu important la nature de l'exposition, fonctionnelle ou environnementale.
Sur l'indemnisation
Le préjudice spécifique d'anxiété est caractérisé par la situation d'inquiétude permanente, du fait de l'employeur, face au risque de déclarer à tout moment une maladie professionnelle liée à l'amiante, pour un salarié qui a travaillé dans un établissement répertorié à l'article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités de l'amiante ou des matériaux en contenant, qu'il se soumette ou non à des examens médicaux.
La société Valéo ne peut utilement soutenir que les auteurs des attestations ne disposent d'aucune connaissance médicale leur permettant d'établir l'existence et d'évaluer l'importance du trouble psychologique dont se prévalent les appelants et arguer de ce qu'aucune attestation médicale n'est produite pour établir l'étendue de l'anxiété alléguée par des éléments objectifs, probants et distincts d'un état antérieur, le préjudice d'anxiété n'ayant nullement vocation à réparer un déficit fonctionnel, temporaire ou permanent, mais une inquiétude permanente, que toute personne proche de la victime peut appréhender.
Si aucune demande indemnitaire distincte n'est faite à ce titre, les écritures des appelants consacrent cependant des développements dans leurs écritures qui justifient de rappeler que le salarié qui a demandé le bénéfice de l'ACAATA n'est pas fondé à obtenir de l'employeur, sur le fondement des règles de responsabilité civile, réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.
Par ailleurs, l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence qui inclut le changement de situation sociale par suite de la cessation d'activité.
Mme T. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 5 avril 1981 au 1er novembre 2002 et produit une attestation d'exposition établie par Valéo EEM .
Elle remplit les conditions fixées par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et peut donc prétendre à la réparation de son préjudice spécifique d'anxiété.
Elle verse aux débats une attestation de madame D., ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'elle a travaillé sur les lignes d'assemblage, sur des machines poussiéreuses, le nettoyage s'effectuant avec des soufflettes, sans masque et sans information au sujet de l'amiante.
Elle verse une attestation de sa mère qui indique qu'elle passe régulièrement des radios, redoute qu'on lui détecte une maladie liées à l'amiante et a du mal à se projeter dans le futur.
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
Mme G. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 6 octobre 1975 au 6 juillet 1983 et produit une attestation d'exposition établie par Valéo EEM. Elle perçoit une allocation des travailleurs de l'amiante depuis le 1er septembre 2010.
Elle remplit les conditions fixées par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et peut donc prétendre à la réparation de son préjudice spécifique d'anxiété.
Elle verse aux débats une attestation de madame C., ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'elle a travaillé sur les lignes d'assemblage à proximité des machines outils qui servaient à la fabrication des rotors contenant de l'amiante, sans masque et sans consignes particulières, le nettoyage s'effectuant avec des soufflettes et des balais qui soulevaient la poussière amiantée.
Les précisions apportées par la société Valéo dans l'attestation d'exposition sur les mesures prises à compter de 1991 sont dénuées de portée dès lors qu'elle a quitté le site en 1983.
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
M. C. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 1er octobre 1974 au 6 juillet 1983 par une attestation d'embauche établie par la société Valéo Vision.
Il remplit les conditions fixées par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et peut donc prétendre à la réparation de son préjudice spécifique d'anxiété.
Il verse aux débats une attestation de madame B., ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'il a travaillé en production légère, en production lourde ainsi que dans le laboratoire ETC.
Mme B. fait par ailleurs état de l'anxiété de M. C. depuis qu'il a appris que le site était amianté ainsi que les matériaux de montage .
Sa fille confirme cette affirmation et ajoute qu'il est aujourd'hui déprimé et très angoissé par le risque de maladie.
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
Mme Z. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 18 septembre 1978 au mois d'août 1983.
Elle remplit les conditions fixées par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et peut donc prétendre à la réparation de son préjudice spécifique d'anxiété.
Elle verse aux débats une attestation de madame R. ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'elle a travaillé au service régulateurs dans lequel elle respirait des poussières d'amiante, de fumées de soudure, nettoyant leur poste de travail sans protection, à l'aide de soufflettes et de chiffons, sans information de l'employeur.
Son époux atteste qu'elle fait régulièrement des contrôles de radios pulmonaires avec l'inquiétude de déclarer une pathologie liée à l'amiante et qu'à la moindre douleur, la moindre toux, le spectre de l'amiante ressurgit et le stress s'installe, qu'elle devient irascible, se referme sur elle-même et qu'ils ne peuvent envisager aucun projet à long terme du fait de cette inquiétude.
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
Mme V. justifie avoir travaillé sur le site Cevert de septembre 1977 au mois de novembre 1990.
Elle verse aux débats une attestation de madame C., ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'elle a travaillé dans l'atelier, la soudure, au poste composantes démontage. Elle ajoute qu'elle ne disposait d'aucune protection individuelle ni collective et utilisait la soufflette et le balai pour nettoyer son poste de travail.
Sa fille atteste de son anxiété lorsqu'elle a appris qu'il y avait de l'amiante et que certaines de ses collègues ont été touchées par la maladie, voire décédées.
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
Mme R. justifie avoir travaillé sur le site Cevert du 3 novembre 1975 au mois de juillet 1983.
Elle verse aux débats une attestation de madame B., ancienne collègue, conforme à l'article 202 du code de procédure civile, qui précise qu'elle a travaillé en tant qu'opératrice et monitrice en production légère, en ligne d'assemblage sans protection, le nettoyage étant fait à la soufflette et au balai, sans aspiration aux postes de soudure.
Son époux atteste que depuis que la présence d'amiante a été découverte sur le site, elle a montré des signes d'anxiété de plus en plus forts au fur et à mesure de sa prise de conscience des conséquences d'être exposée à ce 'poison invisible' et que son état psychique s'est considérablement trouvé affecté .
Il lui sera alloué une somme de 8.000€ en réparation de son préjudice.
Mme P. verse aux débats une attestation de son époux qui indique qu'elle a travaillé de 1979 à 1983 au service commercial et fait état de son état d'anxiété lié aux risques d'exposition directe aux particules d'amiante et la crainte de développer une pathologie en rapport avec cette exposition.
Elle remplit les conditions fixées par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et peut donc prétendre à la réparation de son préjudice spécifique d'anxiété.
Il lui sera alloué une somme de 4.000€ en réparation de son préjudice.
Sur la demande en paiement de dommages intérêts pour non remise de l'attestation d'exposition à l'amiante et des fiches d'exposition à l'amiante
L'obligation pour l'employeur de remettre au salarié, à son départ de l'établissement, une attestation d'exposition à l'amiante a été créée par l'article 16 du décret numéro 96-98 du 7 février 1996, entré en vigueur le 9 février 1996, et abrogé par l'article 4 du décret du 30 juin 2006. L'article R4412-58 du code du travail prévoyait alors la remise par l'employeur, d'une attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux, dont l'amiante faisait partie, lors de son départ de l'établissement.
Ces dernières dispositions ont été abrogées par le décret numéro 2012-134 du 30 janvier 2012 applicable à compter du 1er février 2012.
Mme T. et Mme G. ont reçu une attestation d'exposition.
Mme P., M. C., Mme Z. et Mme R. ont quitté le site en 1983 et Mme V. en 1990, soit avant l'entrée en vigueur de ce texte.
M. C. a saisi l'employeur d'une demande en mars 2013 et Mme V. en mai 2013, alors que les dispositions étaient abrogées.
Ils ne justifient dès lors d'aucun préjudice ni d'aucun motif de voir produire ce document sous astreinte.
L'article R. 4412-120 du code du travail, dans sa version issue de l'article 1er du décret du 4 mai 2012, prévoit que l'employeur établit pour chaque travailleur exposé une fiche d'exposition à l'amiante comportant un certain nombre de renseignements spécifiés.
Ce document, destiné à assurer le suivi de l'exposition du travailleur, est interne à l'entreprise et a vocation à être communiqué au médecin du travail pour être versé au dossier médical.
En application de l'article L. 4121- 3-1 du code du travail seuls les salariés ayant quitté l'entreprise, après le 1er janvier 2012, et qui justifient d'un arrêt de travail d'une certaine durée ou d'une déclaration de maladie professionnelle peuvent obtenir copie de ce document.
Il n'est ni prétendu, ni démontré, que les appelants remplissent ces conditions.
Ils ne justifient dès lors d'aucun préjudice ni d'aucun motif de voir produire ce document sous astreinte.
Les appelants seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts et de production sous astreinte.
Sur l'obligation au passif de la société Motorola
Dans le cas d'un apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions, la société apporteuse reste, sauf dérogation prévue à l'article L. 236-21 du code de commerce, solidairement obligée avec la société bénéficiaire au paiement des dettes transmises à cette dernière.
L'apport partiel d'actif a été opéré le 8 juillet 1983.
Le préjudice d'anxiété dont les intimés demandent réparation n'ayant pu naître avant la publication de l'arrêté ministériel d'inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, et donc nécessairement bien après l'apport partiel d'actif, la société Valéo n'est pas fondée à soutenir que la société Motorola serait solidairement obligée au paiement des condamnations mises à sa charge en réparation du préjudice d'anxiété des anciens salariés, ni tenue de la garantir au titre du passif transmis.
Sur le cours des intérêts
Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur les frais irrépétibles
La société Valéo sera condamnée aux dépens de l'instance.
L'équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de chacun des salariés et de condamner la société Valéo à leur verser à chacun une somme de 800€ à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
DIT que Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. sont irrecevables en leur demandes contre la société Motorola SAS,
DIT que Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. sont recevables en leur demandes contre la société Valéo Equipements Electriques Moteurs ,
CONDAMNE la société Valéo Equipements Electriques Moteurs à payer à Mmes Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. une somme de 8.000€ à chacun, en réparation de leur préjudice d'anxiété,
CONDAMNE la société Valéo Equipements Electriques Moteurs à payer à Mme Marie-Anne P. une somme de 4.000€, en réparation de son préjudice d'anxiété,
DIT que les dommages et intérêts alloués sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
DÉBOUTE Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour non remise d'une attestation d'exposition à l'amiante et de fiches d'exposition ainsi que de leurs demandes de remise de ces documents sous astreinte ;
DIT que la société Motorola n'est pas tenue de garantir au titre du traité d'apport les condamnations prononcées à l'encontre de la société Valéo Equipements Electriques Moteurs;
DÉBOUTE la société Valéo Equipements Electriques Moteurs de sa demande de condamnation de la société Motorola in solidum avec elle ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Valéo Equipements Electriques Moteurs aux dépens de première instance et d'appel ;
CONDAMNE la société Valéo Equipements Electriques Moteurs à payer à Mmes Marie-Anne P., Corinne Z., Claudine V., Martine R., Christine T., Annick G. et M. Jean-Bernard C. la somme de 800€ à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.