CA Montpellier, 1re ch. A, 3 octobre 2019, n° 14/08868
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Mutuelles du Mans Assurances IARD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebrard
Conseillers :
Mme Deville, M. Carlier
A l'occasion de la cessation de son activité, Christian T., gérant de la SARL Le Mas Toulousain dont il était associé égalitaire avec son fils Eric T., procédait, sur le conseil de son notaire Michel T., à un montage décrit dans le jugement déféré, dont la cour s'approprie l'exposé, ayant pour objet l'optimisation fiscale de la transmission de l'entreprise, lequel montage valait aux consorts T. un redressement fiscal portant sur la taxation de la plus value issue de la cession des droits sociaux (2.755.762 Frs) et un rehaussement subséquent donnant lieu à un supplément de droits (154.280 €).
Le tribunal administratif de Toulouse par deux jugements en date du 24 mai 2011 concernant respectivement les époux Christian T. et les époux Eric T. a retenu le bien fondé de l'imposition de la plus value de cession, au motif qu'à la date des donations notariées (10 avril 2001), la cession des actions prévue par le protocole d'accord des 17 janvier et 2 février 2001 entre Christian et Eric T. d'une part et Messieurs B. et B. d'autre part, était déjà nécessairement intervenue.
Saisi, suivant assignation à jour fixe délivrée les 23 et 28 décembre 2011, par Christian et Eric T. à l'encontre du notaire Michel T., de la Scp de notaires associés L.-A.-F. et de la Mutuelle du Mans Assurance, d'une action en déclaration de responsabilité et en condamnation solidaire à la réparation des préjudices, le tribunal de grande instance de Toulouse, par jugement en date du 10 avril 2012, a débouté les demandeurs au motif que l'échec du montage juridique par ailleurs correct ne pouvait être imputé au notaire qui n'avait pas été appelé par les parties à finaliser l'opération par la rédaction prévue d'un acte authentique réitérant l'acte sous seing privé initial et mentionnant les donations litigieuses.
Par un arrêt du 9 septembre 2013, la cour d'appel de Toulouse a :
- confirmé le jugement déféré ;
- condamné in solidum les litisconsorts T. à verser à Michel T. une indemnité de procédure d'appel de 2000 € ;
- condamné les consorts T. aux dépens d'appel ;
- accordé à la SCP M. et à la SCP L., avocats, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par un arrêt du 13 novembre 2014, la Cour de cassation saisie sur le pourvoi formé par Christian et Eric T. a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 9 septembre 2013 au motif suivant :
Attendu que pour rejeter la demande de MM. T., l'arrêt relève qu'à l'insu du notaire et malgré l'absence de réitération de la cession par acte authentique, les parties à l'acte sous seing privé ont pris l'initiative, le jour de la signature des deux actes de donation, d'émettre des ordres de mouvements desdites actions au profit de la société holding du groupe Mas toulousain, valant novation de la convention, de sorte qu'elles sont seules responsables de l'échec du montage juridique destiné à assurer l'optimisation fiscale attendue ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher , comme il lui était demandé, si M. T., seul notaire à être intervenu dans l'opération et qui avait reçu les fonds en sa comptabilité, était l'auteur de la signature apposée sur ces ordres de mouvements dans le cadre réservé au donneur d'ordre, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;'.
La Cour de cassation a remis les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt en les renvoyant devant la Cour d'appel de Montpellier.
Par acte du 26 novembre 2014, Christian et Eric T. ont saisi la cour d'appel de Montpellier.
Cette dernière, par arrêt du 20 juin 2017, a :
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 13/11/2014,
Avant dire droit,
Ordonné la production en original des deux ordres de mouvements et celle de la preuve de la transcription de la vente des actions sur le registre ouvert à cette fin et de la date de cette transcription,
Dit que Messieurs T. devront aussi produire, en original, tous exemplaires de la signature de chacune des parties aux actes, soit Messieurs Eric et Christian T., Madame Christian T. et Maître T..
Maître Michel T. est décédé le 22 octobre 2015.
Vu les conclusions de Messieurs Christian et Eric T. remises au greffe le 31 juillet 2018 ;
Vu les conclusions de la SCP A.-F.-T. et de la Mutuelle du Mans Assurances Iard remises au greffe le 3 mai 2018 ;
Vu les conclusions de Madame Marie-Françoise P. et de Messieurs Guillaume et Jean-Pierre T., ès qualités d 'héritiers de Maître Michel T., remises au greffe le 24 mai 2019 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 5 juin 2019 ;
SUR CE :
Il convient de rappeler que par actes sous seing privé des 17 janvier et 2 février 2001, Messieurs Christian et Eric T. ont cédé à Messieurs B. et B. 495 parts des 500 parts qu'ils détenaient, chacun pour moitié, dans la société Le Mas Toulousain, notamment sous la condition suspensive de la signature de l'acte authentique et du paiement simultané du prix , lesquelles conditions subordonnaient le transfert de propriété par l'acquéreur.
Le 6 février 2001, une convention sous seing privé est intervenue entre Monsieur et Madame Christian T. et leur fils, Eric T., aux termes de laquelle les parties avaient prévu d'échanger la nue-propriété et l'usufruit qu'ils pourraient détenir sur les parts sociales de la Sarl Le Mas Toulousain après sa transformation en société anonyme par action simplifiée.
Par actes du 10 avril 2001, Monsieur Christian T. a donc cédé à son fils la nue propriété des actions dont il était titulaire en pleine propriété et ce dernier a cédé à ses parents l'usufruit des actions lui appartenant, et ce afin de limiter les incidences fiscales de la cession d'entreprise consentie à Messieurs B. et B..
Tous ces actes ont été établis par Maître T..
Le 10 avril 2001, deux ordres de mouvements des valeurs mobilières non admises en Sicovam ont été émis pour les actions cédées en usufruit et en nue-propriété au profit de la holding du groupe Le Mas Toulousain , ce qui a entraîné un redressement fiscal, les recours exercé par Messieurs T. devant le tribunal administratif ayant été rejeté, le tribunal considérant que les donations n'avaient pu avoir d'effet sur la réalisation de la cession, intervenue antérieurement, ce qui a généré une plus value soumise à l'impôt sur le revenu.
Les consorts T. soutiennent que Maître T. a rédigé les deux ordres de mouvements litigieux et a reçu le prix et lui reprochent en conséquence d'avoir manqué à son obligation de conseil et d'efficacité des actes reçus au regard du but poursuivi.
Les intimés font valoir d'une part que rien ne permet d'établir que Maître T. a effectivement participé aux ordres de mouvements litigieux et qu'il aurait acquiescé à la novation de l'acte sous seing privé d'origine et à la renonciation des consorts T. à réitérer cet acte par l'acte authentique qu'il prévoyait, les consorts T. ne justifiant pas d'autre part de l'inscription du transfert de propriété dans le registre des mouvements de titres de la Sas Le Mas Toulousain, aucun transfert de propriété ne pouvant être considéré comme effectif, en l'absence de cette justification.
Concernant l'intervention de Maître T. dans la réalisation des ordres de mouvements litigieux, il convient de relever que les ordres de mouvements, qui ne sont produits qu'en copie, le service de la Publicité Foncière indiquant le 31 juillet 2017 qu'il était impossible d'effectuer la recherche de ces actes, enregistrés manuellement en 2001, portent cependant le tampon de l'étude notariale et la signature de Maître T., cette signature étant identique à celle figurant sur un courrier rédigé par ce dernier le 8 décembre 1994 ( pièce 48 ), étant également relevé que le relevé de compte spécifique à ce dossier qui a été édité par la Scp notariale fait état de ce que le prix de vente est payé sur le compte des consorts T., le 10 avril 2001, pour la somme de 807 979 €.
Le prix de la cession des titres est donc payé intégralement par l'intermédiaire de l'étude notariale, l'attestation établie par Maître T. le 1er août 2003 qui indique :
Que suivant divers ordres de mouvements de titres intervenus le 10 avril 2001, le capital de la société par actions simplifiées ' Le Mas Toulousain', constituée aux termes de ses statuts dressés par Maître Michel T. le 10 avril 2001, au capital de 250 000 frs divisé en 2 500 actions de 100 frs chacune, numérotées de 1 à 2 500, s'est trouvé réparti de la manière suivante entre les associés :
- à Monsieur Christian T. : 5 actions en pleine propriété, numérotées de 246 à 250
- à la société holding du groupe Mas Toulousain : 2 495 actions numérotées de 1 à 245 et de 251 à 2500 '
Confirmant également l'intervention du notaire, étant rappelé que ce dernier a rédigé l'intégralité des actes, en sa qualité de conseil habituel de Monsieur T., et conseillé le montage juridique, rien ne permettant d'établir en tout état de cause que les consorts T., qui sont, le 10 avril 2001, date des ordres de mouvement litigieux, dans l'étude de Maître T., et qui signent les actes authentiques modifiant le capital de la société , les actes de donations croisés ainsi que tous les actes sous seing privés concernant les modifications sociales, aient signé les ordres de mouvement à l'insu du notaire.
Si l'intervention de Maître T. dans l'établissement des ordres de mouvements à l'origine de la plus-value soumise à l'impôt sur le revenu est établie en l'espèce, il n'est pas démontré en revanche que le transfert de propriété des actions ait été valablement accompli conformément aux dispositions de l'article L 228-1 du code de commerce.
En effet, comme indiqué par la cour dans son arrêt du 29 juin 2017, le transfert de propriété résulte, aux termes de l'article L 228-1 du code de commerce, de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur ou dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Sur ce point, il convient de rappeler que depuis la loi de dématérialisation du 30 décembre 1981, les exigences du formalisme ont été réhabilitées. Le transfert de propriété est conditionné à la satisfaction d'une procédure arrêtée où l'écrit et la notification s'imposent.
Il en résulte qu'à un transfert consensuel, fondé sur l'accord des parties, s'est substitué un transfert matériel, fondé sur l'inscription en compte.
Par conséquent, la signature de l'ordre de mouvement des titres est primordiale parcequ'elle est l'événement déclencheur de l'inscription en compte dont résulte le transfert de propriété, ce qui justifie que la notification de l'ordre de virement soit effectuée par le notaire ou à tout le moins contrôlée par lui et que le notaire, débiteur de l' obligation d'assurer l'efficacité de ses actes, s'assure que le virement au compte du bénéficiaire a été réellement effectué.
En l'espèce, si Maître T. est intervenu dans l'établissement des ordres de mouvements à l'origine de la plus-value litigieuse et ne s'est pas assuré de l'inscription en compte des valeurs mobilières conditionnant le transfert de propriété, manquant ainsi à son obligation d'assurer l'efficacité de ses actes, il n'est en revanche pas établi l'existence d'un lien de causalité entre ces manquements du notaire et le préjudice invoqué par les consorts T..
En effet, en l'absence de justification de l'accomplissement de la formalité obligatoire d'inscription en compte des valeurs mobilières, il appartenait aux consorts T. de faire valoir devant l'administration fiscale, puis devant le tribunal administratif et, le cas échéant, devant la cour administrative d'appel, l'absence de transfert de propriété des titres et par conséquent, l'antériorité des donations, ce qui leur aurait permis d'obtenir l'anéantissement du redressement fiscal dont ils faisaient l'objet, et ce contrairement à ce que soutiennent les appelants qui exposent que les manquements du notaire ont rendu impossible leur défense devant le tribunal administratif.
Par conséquent, en l'absence de lien de causalité entre les fautes du notaire et le préjudice invoqué par les consorts T., ces derniers seront déboutés de l'intégralité de leurs demandes, le jugement déféré étant confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré,
Condamne Messieurs Christian et Eric T. aux entiers dépens d'appel, avec autorisation de recouvrement direct au profit des avocats en la cause,
Condamne Messieurs Christian et Eric T. à payer à la Scp A.-F.-T. et à la Mutuelle du Mans Assurances Iard la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile , pour leurs frais engagés en appel,
Condamne Messieurs Christian et Eric T. à payer à Messieurs Guillaume et Jean-Pierre T. et à Madame Marie-Françoise P. la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais engagés en appel.