CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 17 novembre 1994, n° 7792/94
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Association de défense des porteurs d'ORA Métrologie International
Défendeur :
Métrologie International (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Magendie
Conseillers :
M. Frank, M. Boilevin
Avoués :
SCP Lissarrague & Dupuis, SCP Keime & Guttin, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Me Ohl, Me Lucheux, Me Martin, Me Prat
L'ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. "METROLOGIE INTERNATIONAL" a, en vertu d'une ordonnance de Monsieur le Président de cette Cour en date du 10 octobre 1994, assigné la Société METROLOGIE INTERNATIONAL, Monsieur René CAVARA et Monsieur Jean-Marcel FRANCOIS pour l'audience du 9 novembre 1994 à 9 heures.
FAITS ET PROCEDURE
La Société METROLOGIE INTERNATIONAL, distributeur français de matériel informatique, a émis en Mars 1989 des "obligations remboursables en action" (O.R.A.) pour un montant de 308.596.480 F correspondant à 482 182 titres d’un montant nominal de 640 F.
Ces titres étaient stipulés remboursables en totalité le 1er janvier 1997, ou antérieurement et tout moment à partir du 6 Avril 1994, au grand des titulaires en actions de METROLOGIE INTERNATIONAL, en raison d’une action pour une obligation.
A la suite de difficulté financières qui l'ont vidée de ses capitaux propres, la Société été METROLOGIE INTERNATIONAL a élaboré un plan de restructuration de son bilan qui l’a amenée à solliciter un effort de ses actionnaires, de ses banquiers, et aussi des porteurs d’obligations et des porteurs d’O.R.A.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de ce plan, METROLOGIE INIERNATIONAL a convoqué, pour le 18 juillet 1994, une assemblée des porteurs d’O.R.A. à l’effet de modifier la date d’échéance des O.R.A. et leur parité de remboursement.
En désaccord avec ces opérations, un certain nombre de porteurs d’O.R.A. ont alors constitué une ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. "METROLOGIE INTERNATIONAL", qui a demandé l’ajournement de l’assemblée générale, exprimant ses plus expresses réserves pour le cas où l’assemblée serait néanmoins tenue.
Nonobstant cette opposition, cette assemble s’est réuni. Elle a accepté le remboursement en actions au 1er aout 1994, des O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL et approuvé l’ensemble des résolutions figurant à son ordre du jour.
L’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL a alors assigné devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE, la Société METROLOGIE INTERNATIONAL ainsi que Messieurs CAVARA et FRANCOIS, es-qualité de représentants titulaires désignés de la masse des porteurs d’O.R.A. pour dire et juger que les titulaires d’obligations remboursables en actions METROLOGIE INTERNATIONAL ne peuvent être regroupés en une masse jouissant de la personnalité civile fonctionnant selon les modalités prévues aux articles 293 et suivants de la loi du 24 Juillet 1986, et constater, en conséquence, l’inexistence de la masse des titulaires d’O.R.A. et de toutes décisions et délibérations prises en son nom aussi bien, par les représentants de ladite masse, que par la prétendue assemblée générale des titulaires d’O.R.A., tenue le 18 Juillet 1994.
Subsidiairement, les demandeurs faisaient valoir qu’en toute hypothèse, à supposer les dispositions légales instituant et organisant la masse applicable, l’assemblée générale tenue le 18 juillet 1994, devrait être déclarée nulle pour violation des dispositions de l’article 308 alinéa 4 de la loi du 24 Juillet 1966.
Aux termes de ce texte, la société qui détient au moins 10 % du capital de la société débitrice ne peut voter à l’assemblée avec les obligations qu’elle détient. Cette interdiction serait tournée si l’on permettait à ladite société de prendre part au vote dans les assemblées d’obligataires, par personnes morales interposées.
En l’occurrence, les résolutions de l’assemble générale litigieuse ont été approuvées grâce aux votes des sociétés du Groupe PARIBAS, principal actionnaire et banquier de METROLOGIE INTERNATIONAL : PARIBAS, à travers ses filiales AVENIR PARTICIPATION et PARIBAS PARTICIPATION, qu’elle contrôle à hauteur de 94,7 % et 100 % détient 17,2 % du capitale de METROLOGIE INTERNATIONAL.
De leur côté, la SOCIETE GENERALE COMMERCIALE & FINANCIERE (S.G.C.F.), les Société PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT et AVEPAR, toutes trois détenues à près de 100 % de leur capital social par la Compagnie Financière PARIBAS, sont respectivement titulaires de 90 625, 9 290 et 8000 O.R.A. MÉTROLOGIE INTERNATIONALE.
Ces sociétés, d’ailleurs représentés par le même mandataire, Monsieur CAVARA, salarié du Groupe PARIBAS, ayant participé au vote, l’assemble générale n’a pu délibérer valablement.
Par le jugement entrepris, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a débouté l’ASSOCIATION DE DEFENSE et Monsieur COLLIN de toutes leurs demandes aux motifs, d’une part, que rien dans la loi ni dans les principes fondamentaux du droit, n’interdisait d’adopter contractuellement le régime juridique des obligations, et d’autre part, que le principe d’autonomie des personnes morales s’opposait à l’extension d’une interdiction de vote à la filiale de l’interdit du vote.
L’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. et Monsieur COLLIN ont interjeté l’appel.
Analysant les différentes valeurs mobilières, ils font valoir que chacune d’elles, dont les O.R.A. apparues avec la loi du 14 Décembre 1985, se trouve régie par des dispositions distinctes et autonomes par rapport aux autres. Dès lors, cette spécificité interdit, à défaut de renvoi exprès, de soumettre les O.R.A. aux dispositions applicables aux obligations simples.
Le Législateur n’ayant pas voulu étendre aux "autres valeurs mobilières" de la section IV le régime applicable aux obligations et concernant notamment l'organisation de la collectivité des porteurs et les groupements en une masse prévu à l’article 293 de la loi du 24 Juillet 1966, force est d’admettre que les porteurs d’O.R.A. restent inorganisés et conservent l’exercice individuel de leurs droits à I’encontre de la société émettrice.
Inorganisés Iégalement, il leur est impossible de se soumettre volontairement aux dispositions de l’article précité. En effet, la masse, institution spécialisée spécifique aux seuls porteurs de valeurs mobilières représentatives d’un emprunt obligataire ne saurait être étendue par voie conventionnelle hors de son domaine propre et exclusif d’application.
Enfin, la notion de mandat ne peut être utilement invoquée en l’espèce : le contrat d’émission ne stipule en effet à aucun moment que le groupement délibérant à la majorité puisse donner mandat aux représentants pour accepter une modification du contrat d’émission.
Subsidiairement, les décisions de l’assemblée générale du 18 Juillet 1994, devraient être déclarées nulles comme ayant été prises en violation des dispositions de l’article 308 alinéa 4 de la loi du 24 Juillet 1966, et en tout cas, au terme d’un abus de majorité, en méconnaissance des dispositions de l’article 317 de ladite loi.
L’interdiction faite par l’article 308 à la société qui détient au moins 10 % du capital de la société débitrice de voter à l’assemblée avec les obligations qu’elle détient doit trouver à s’appliquer dans l’hypothèse où la société titulaire des obligations, n’est pas celle qui détient une fraction significative du capital de la société débitrice, mais une ou plusieurs filiales appartenant au même groupe qu’elle, dès lors que les liens de capital unissant les sociétés, sont tels que l’une est en mesure de dicter sa volonté et son vote à I’autre. A défaut, l’interdiction de vote serait trop facilement tournée si les sociétés pouvaient, par personnes morales interposés, prendre part au vote dans les assemblées d’obligataires.
La Compagnie Financière PARIBAS qui détient directement plus de 10 % du capital de METROLOGIE INTERNATIONAL et 17,2 % avec ses filiales ne pouvait être dès lors exercer le moindre droit de vote aux assemblées de porteurs d’O.R.A.
S’agissant de l’abus de majorité, il résulte de la rupture d’égalité entre obligataires opérées par les résolutions prises :
Certains obligataires trouvent, grâce au groupe de société auquel ils appartiennent, des avantages substantiels extérieurs en qualité d’actionnaires ou de créanciers de la Société METROLOGIE INTERNATIONAL que ne peuvent obtenir les autres, qui ne sont que porteurs d’O. R.A.
Les appelants demandent il la Cour :
- d’infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau,
- de dire et juger que les porteurs d’obligations remboursables en actions METROLOGIE INTERNATIONAL ne peuvent être regroupés en une masse jouissant de la personnalité civile et fonctionnant selon les modalités prévues aux articles 293 et suivants de la loi du 24 Juillet 1966,
- de constater en conséquence l’inexistence de la masse des titulaires d’obligations remboursables en actions METROLOGIE INTERNATIONAL et de toutes les décisions et délibérations prises en son nom aussi bien par les soi-disant représentants de la masse, que par la prétendue assemblée générale des titulaires d’obligations remboursables en actions et notamment celle en date du 18 Juillet 1994,
- subsidiairement,
- vu les dispositions de I’article 308 alinéa 4 de la loi du 24 Juillet 1966,
- de dire et juger que la Société GENERALE & FINANCIERE et les Sociétés PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT et AVENIR PARTICIPATION ne pouvaient pas participer au vote sur les résolutions soumises à l’assemble générale des titulaires d’obligations remboursables en actions qui s’est tenue le 18 juillet 1994,
- de constater que l’exercice illicite par elles de leurs votes a faussé le sens des délibérations soumises à ladite assemblée et que cette circonstance entraine la nullité de celles-ci.
- de prononcer la nullité de l’assemblée générale des titulaires d’obligations remboursables en actions en date du 18 Juillet 1994,
- encore plus subsidiairement,
- vu les dispositions de I‘article 317 de la loi du 24 Juillet 1966 et en application de la théorie de l’abus de majorité, prononcer la nullité de l’assemblée générale du 18 Juillet 1994,
- de constater, enfin, que les premiers Juges ont statué ultra petita sur la condamnation des requérants, au profit de la Société METROLOGIE INTERNATIONAL, au titre de I ‘article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- de débouter la Société METROLOGIE INTERNATIONAL et Messieurs CAVARA et FRANCOIS de leurs demandes, fins et conclusions,
- de condamner in solidum, la société METROLOGIE INTERNATIONAL, Monsieur Rend CAVARA et Monsieur Jean-Marcel FRANCOIS à porter et payer aux requérants, ensemble, la somme de 40.000 F au titre de I ‘article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- de les condamner en tous les dépens,
- de dire que ceux d’appel pourront être recouvrés directement par la SCP LISSARRAGUE & DUPUIS, titulaire d’un office d’Avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Messieurs CAVARA et FRANCOIS, ès-qualité de repentants de la masse des porteurs d’O.R.A. prennent le contre-pied de l’argumentation développé par les appelants.
Ils s’attachent à démontrer, tout d’abord, que les O.R.A. remplissent les entiers des obligations énoncés par l’article L 284, et que le fait que l’émission d’O.R.A. soit prévue par les articles L 339-1 et suivants, qui n’opèrent pas de renvoi aux articles consacrés aux obligations en général, ne permet pas d’exclure ces titres du champ d’application des autres dispositions de la loi du 24 Juillet 1966 régissant les obligations.
Ils font valoir, ensuite, que la validité de l’assemblée générale ne peut être contestée quant à sa composition, l’article 308 ne trouvant pas à s’appliquer en I‘espèce puisqu’aucune des sociétés citées ne cumule la qualité de porteur d’O.R.A. avec une participation supérieure à 10 %, et que la prétention des appelants de voir étendre le domaine de l’article précité à toutes les sociétés filiales de celles qu’il vise, ne peut être accueillie dès lors qu’elle se heurte tant au principe de l’autonomie de la personne morale, qu’à celui de l’interprétation stricte des exceptions.
Ils indiquent enfin, que la validité de l’assemblée ne peut être contestée sur le fondement de l’abus de majorité. Celui-ci suppose, outre la preuve de l’avantage obtenu par les majoritaires, celle d’une atteinte portée à l’intérêt social.
Or en l’espèce, l’adoption des décisions querellées, conditionne la survie même de la Société METROLOGIE INTERNATIONAL.
Messieurs CAVARA et FRANCOIS demandent à la Cour :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 septembre 1994 par la 1re Chambre du Tribunal de Commerce de NANTERRE,
- de dire et juger que la validité de l’assemblée des porteurs d’obligations remboursables en actions émises par la Société METROLOGIE INTERNATIONAL, réunie le 18 juillet 1994, ne peut être contestée au motif que ces titres ne seraient pas des obligations au sens de l’article 284 de la loi du 24 Juillet 1966,
- de dire et juger que la validité de l’assemblée des porteurs d’obligations remboursables en actions émises par la société METROLOGIE INTERNATIONAL, réunie le 18 juillet 1994 ne peut être contestée en raison de la participation des sociétés S.C.G.F., AVENIR PARTICIPATIONS et PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT,
- de dire et juger que la validité de l’assemblée des porteurs d’obligations remboursables en actions émises par la société METROLOGIE INTERNATIONAL, réunie le 18 juillet 1994, ne peut être contestée sur le fondement d’un abus de majorité imputé aux Sociétés S.G.C.F., AVENIR PARTICIPATIONS et PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT,
- de débouter l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL et Monsieur Jean-Louis COLLIN de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- de condamner l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL et Monsieur Jean-Louis COLLIN, in solidum, au paiement de la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile,
- de condamner l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL et Monsieur Jean-Louis COLLIN, in solidum, en tous les dépens de première instance et d’appel, dont distraction est requise pour ceux le concernant au profit de l’avoué constitué.
La Société METROLOGIE INTERNATIONAL s’attache pour sa part, à démontrer que les porteurs d’O.R.A., réunis en masse, ont pu valablement prendre des décisions en assemble générale s’imposant à tous les porteurs et que les décisions ainsi adoptées ne sont viciées ni par la composition de l’assemblée générale, ni par un prétendu abus de majorité. Elle estime que l’action menée par les appelants est abusive et lui a causé un préjudice important, qu’elle évalue à 500.000 F. Elle sollicite enfin, la condamnation in solidum de l’ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS d’O.R.A. et de Monsieur COLLIN, à lui payer 100.000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce, la cour
Sur la nature juridique et le régime des O.R.A.
Considérant que la loi du 24 Juillet 1966, sous le chapitre V du titre 1er traite des "valeurs mobilières émises par les sociétés par actions et plus précisément des actions (section II), des certificats d’investissements (section II bis), des titres participatifs (section II ter) et des obligations (section III) ;
Considérant que la loi n° 85-1321 du 14 décembre 1985 a ajouté aux dispositions précitées une section IV intitulée : "Autres valeurs mobilières donnant droit à l’attribution de titres représentant une quotité du capital" ;
Considérant que l’article 339-1 issu de cette loi, dispose qu’”une société par action peut émettre des valeurs mobilières donnant droit par conversion, échange, remboursement, présentation d’un bon ou de toute autre manière, à I‘attribution à tout moment ou à date fixe de titres qui, à cet effet, sont ou seront émis en représentation d’une quotité du capital de la société émettrice" ;
Considérant que c’est dans ce cadre qu’ont été émises "les obligations remboursables en action", objet du présent litige qui porte sur la nature de celles-ci et sur la possibilité de leurs porteurs de se regrouper en une masse comme le prévoit l’article 293 de la loi du 24 Juillet 1966 pour les porteurs d’obligations ;
Considérant que la nature de ces valeurs mobilières et le régime juridique qui en découle ont fait l’objet d’appréciations divergentes dans les milieux professionnels concernés ; qu’il a été notamment souligné que les souscripteurs d’O.R.A. n’avaient d’autre choix au jour du remboursement, que de recevoir des actions, c’est-à-dire une quote-part du capital; que si ces difficultés d’interprétation, pouvaient laisser penser que les porteurs d’O.R.A. bénéficieraient d’une information renforcée et sur les conséquences réelles de leurs engagements, il est apparu que l’initiative de la société des Bourses Françaises tendant à mettre en place une nouvelle formule de la cote officielle conduisant à distinguer les obligations convertibles des O.R.A. n’a été prise qu’au mois d’Aout 1992, soit plus de sept ans après la création de cette valeur mobilière et plusieurs années après la souscription litigieuse, tandis que la C.O.B. elle-même, dans son bulletin n° 262 paru en Octobre 1992 a relevé l’intérêt des ces dispositions prises par la S.B.D.F. ;
Considérant cependant qu’en prévoyant l’émission de valeurs mobilières, - qui constitue le titre primaire -, donnant droit par remboursement à des titres de capital - le titre secondaire -, le législateur a envisagé implicitement mais nécessairement l'émission d’obligations, les autres titres, tels que les actions, les certificats d’investissement et les titres participatifs s’accommodant mal de la notion de remboursement; que les travaux parlementaires de la loi du 14 démembre 1985 confirment la volonté du législateur de permettre l’émission, d'obligations remboursables en titres de capital, et notamment en actions, sans s’attacher au fait, que leurs porteurs recevraient à I’échéance, uniquement un titre de capital et non des sommes d’argent; que ce faisant, l’article 339-1 précité dérogé à l’article 1902 du Code Civil, selon lequel l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu" ;
Considérant que le "titre primaire" de l’article 339-1, apparait parfaitement conforme à la définition de l’obligation résultant de l’article 284 de la loi du 24 Juillet 1966, à savoir "des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale" ; que ce dernier texte ne pose aucune limite ou interdiction quant à la nature de la créance de l’obligataire, étant précisé que le fait que les porteurs de obligation soient titulaires d’une créance sur la société émettrice, ne signifie pas qu’il est forcément titulaire d’une créance monétaire, la notion de droit de créance englobant celle de prêt d’argent sans pour autant se confondre avec elle ;
Que dans le cadre de la définition donnée par l’article 284, le législateur n’a ainsi fait qu’user de la liberté que lui donne cette disposition, de créer une obligation qui déroge à l’article 1902 du Code Civil, par l’adoption d’un mode de remboursement différent de celui que prévoit ce dernier texte ;
Considérant, en résumé, que dans les obligations remboursables en actions, l’obligataire n’est actionnaire qu’à terme, ce qui signifie que les valeurs mobilières dont s’agit, ont les caractéristiques majeures des obligations et conservent cette nature jusqu’à leur remboursement ;
Considérant, par voie de conséquence, que les porteurs d’O.R.A. jouissent des droits liés à la propriété d’obligations, et notamment de celui d’être groupés de plein droit dans une masse, conformément aux dispositions de l’article 293 de la loi du 24 Juillet 1966 ;
Qu’ainsi, c’est valablement que les porteurs d’O.R.A., regroupés en une masse, ont pu statuer sur les modifications du contrat d’émission qui étaient soumises à l’assemblée générale du 18 Juillet 1994 ;
Sur l’interdiction de l’article 308 de la loi du 24 Juillet 1966
Considérant que l’article 308-4 de la loi du 24 Juillet 1966 interdit à la société qui détient au moins 10 % du capital de la société débitrice de voter à I’assemblée avec les obligations qu’elle détient ;
Considérant qu’en édictant cette disposition, le législateur a eu pour objectif de protéger l’épargne publique et d’assurer la transparence et la sécurité du marché financier en empêchant qu’un actionnaire significatif de la société débitrice - et donc intéressé au premier chef à l’allègement de son endettement - puisse utiliser les droits de vote attachés aux obligations qu’il détiendrait pour imposer une modification substantielle du contrat d’émission au détriment des autres titulaires d’obligations qui ne sont que des obligataires ;
Considérant qu’il est constant que la Compagnie Financière PARIBAS, qui est le banquier de METROLOGIE INTERNATIONAL, détient directement 11,37 % du capital de celle-ci, qu’elle contrôle à hauteur de 21,6 % à travers les Sociétés AVENIR PARTICIPATIONS, PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT et S.G.C.F. et associés qu’elle contrôle à 100 % les deux premières dont les dirigeants sont ses salariés, et à 31,5 % la dernière ; que de plus, trois sociétés, filiales à 100 % de la Compagnie Financière de PARIBAS, à savoir les Sociétés AVENIR PARTICIPATIONS, PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT et S.G.C.F., ayant toutes trois leur siège 41 avenue de l’Opéra, détiennent respectivement 8 000, 9 290 et 90 625 O.R.A., soit 22,36 % du montant total de I ’émission, en sorte que sans le vote de celles-ci, favorable au remboursement anticipé des O.R.A., la résolution en ce sens n’auraient pu être adoptée, puisque tous les autres porteurs présents ou représentés l’assemblée générale du 18 Juillet 1994 ont voté contre ;
Considérant ainsi, qu’au travers du vote exprimé par un mandataire unique, Monsieur CAVARA, par ailleurs salarié du Groupe PARIBAS, ce sont bien les intérêts et la volonté de I’actionnaire principal de METROLOGIE INTERNATIONAL qui ont prévalu à l’assemblée générale des porteurs d’O.R.A. du 18 Juillet 1994 ;
Considérant que le résultat interdit par le législateur et l’article 308 alinéa 4 de la loi du 24 Juillet 1966, a par la même, été obtenu, ce qui justifie l’annulation de l’assemblée générale litigieuse ;
Considérant à cet égard, que I’argument tiré de l’autonomie de la personnalité morale pour s’opposer à l’application de la disposition précitée ne saurait être accueilli; que la règle de l’autonomie ne saurait en effet, s’opposer à l’extension d’une interdiction de vote exercée indirectement dès lors qu’il existe une absence évidente d’indépendance des organes de la filiale ainsi qu’il découle d’une lettre comminatoire adressée par PARIBAS le 21 Juin 1994 à l’administrateur judiciaire de la Société R.H. et associés, sa filiale, au sujet du comportement que devrait adopter cette dernière en ce qui concerne le plan de redressement financier, dans le cadre duquel les titulaires d’O.R.A. devaient se prononcer le 18 Juillet suivant; que si I’écran de la personne morale peut être opposé aux tiers, dès lors que celle-ci poursuit des intérêts légitimes, il en va autrement lorsqu’il sert, par son interposition, à tourner la loi en imposant comme en l’espèce, la volonté des dirigeants de la société mère ;
Considérant encore, que I‘argument tiré du droit fondamental que constituerait le droit de vote de l’obligataire, par analogie avec la situation de I‘actionnaire, principe fondamental auquel porterait atteinte I‘interprétation extensive de l’article 308 alinéa 4, ne peut davantage être reçu; que la situation juridique des actionnaires apparait en effet très différente de celle des obligataires, les premiers étant soumis aux risques et aléas de la gestion sociale des mandataires qu’ils se sont donnés, tandis que les autres ont pour seule préoccupation, d’être payés selon les conditions prévues au contrat d'émission, l’appréciation de la qualité de la gestion, voire même sa licité leur échappant ; que l’interprétation stricte des exclusions de vote en droit des sociétés, essentielle pour que la volonté sociale ne soit pas contrariée, ne se justifie nullement pour le vote des obligataires, conçu seulement comme une protection supplémentaire destinée à leur permettre de décider des mesures les plus opportunes pour favoriser la parfaite exécution du contrat d’émission ; que l’on doit ici admettre, qu’un porteur d’obligations soit écarté du vote, dès lors qu’il n’exprime pas sa propre volonté mais celle d’une autre personne à laquelle la loi interdit précisément de participer au vote, pour l’empêcher d’influencer celui-ci dans un sens désavantageux aux créanciers ;
Considérant enfin, que l’objection tirée de l’interprétation stricte des exceptions à un principe Iégal ne peut pas plus être retenue ; que le principe d’interprétation stricte ne saurait conduire supprimer l’exception elle-même, ou lui conférer un contenu purement symbolique ; que la prohibition de vote entendue strictement, perdrait toute portée pratique dans le cadre banal d’un groupe de sociétés et viderait la règle de droit de sa substance, en perdant de vue sa finalité ;
Considérant qu’il convient de souligner enfin, que l’application des principes sus-énoncés fondés sur une exigence de rigueur et de transparence se justifie d’autant plus en l’espèce, que dans le contexte global de I‘émission d’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL, la Cour d’Appel de PARIS a confirmé la décision de la C.O.B. et a condamné l’ancien Président Directeur Généeral de cette société, pour des agissements l’ayant conduit à sauvegarder par avance ses intérêts en qualité de porteur de ces valeurs mobilières, alors que les autres porteurs non "initiés" ont vu leurs droits atteints en conséquence de l’assemblée du 18 Juillet 1966 ;
Considérant que les arguments juridiques sus-indiqués ne peuvent être atteints par les considérations contenues dans le "rapport d’équité" déposé par le Cabinet MAZARS, chargé par METROLOGIE INTERNATIONAL à la demande de la C.O.B., d’émettre un avis sur les opérations envisagées et qui a conclu que "dans le contexte actuel, il apparait que... les contributions des actionnaires, des porteurs d'obligations remboursables en action et en obligations simples apparaissent équitables au regard de leur situation juridique, et de la prise de risque que chacun des partenaires avait initialement pris vis-à-vis de la société" ;
Considérant que par sa nature même ledit rapport - non soumis il faut le rappeler au principe du contradictoire - demeure étranger aux considérations juridiques résultant de la volonté du législateur exprimées à l’article 308 précité ; que les affirmations du "rapport d’équité" peuvent d’autant moins être reçues, qu’elles reposent sur le postulat erroné d’une égalité de statuts juridique et économique entre les actionnaires et les obligataires, la contribution de ces deniers ne pouvant s’analyser comme l’a fait audacieusement la rapport en termes de risques équivalents à celui des actionnaires ;
Considérant qu’il convient dès lors d’annuler, sur le fondement des dispositions de l’article 308 alinéa 4, l’assemblée générale des porteurs d’O.R.A. du 18 Juillet 1994 ; que le jugement entrepris doit être réformé en toutes ses dispositions ;
Sur l’article 700 du nouveau code de procédure civil
Considérant que l’équité justifie de ne pas laisser à la charge des appelants les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ; qu’il convient de condamner in solidum, la Société METROLOGIE INTERNATIONAL, Monsieur CAVARA et Monsieur Jean-Marcel FRANCOIS à leur payer 40.000 F au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement ;
DIT l'ASSOCIATION DE DEFENSE DES PORTEURS D’O.R.A. et Monsieur COLLIN recevables et fondés en leur appel ;
INFIRME le jugement entrepris et statuant à nouveau :
DIT que les porteurs d’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL peuvent être regroupés en une masse ;
DIT que les porteurs d’O.R.A. METROLOGIE INTERNATIONAL peuvent être regroupés en une masse ;
DIT que la SOCIETE GENERALE COMMERCIALE & FINANCIERE et les Société PARIBAS ELECTRONIQUE DEVELOPPEMENT et AVENIR PARTICIPATION ne pouvaient participer au vote sur les résolutions soumises à I ’assemblée général des titulaires d’O.R.A., qui s’est tenue le 18 juillet 1994 ;
Annule en conséquence cette assemblée générale par application des dispositions de l’article 308 alinéa 4 de la loi du 24 Juillet 1966 ;
CONDAMNE les intimes à payer in solidum aux appelants, la somme de QUARANTE MILLE FRANCS (40.000 F) au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Les CONDAMNE également aux dépens, lesquels pourront être recouvrés par la SCP LISSARRAGUE & DUPUIS, Avoués, conformément aux dispositions de l’article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.