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Décisions

Cass. com., 28 septembre 2022, n° 20-16.874

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bessaud

Avocats :

SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Cass. com. n° 20-16.874

27 septembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2020), la société Laboratoires Choisy (la société Choisy) est titulaire d'un brevet européen n° EP 0 935 640 désignant la France, portant sur une composition de revêtement ou d'étanchéité, délivré le 5 décembre 2007 et issu d'une demande déposée le 1er novembre 1996, qui mentionne, notamment, M. [N] en qualité d'inventeur.

2. Elle est également titulaire d'une marque communautaire complexe « VMS Visual Monitoring System » sous laquelle elle distribue ses produits.

3. M. [N], employé par la société Choisy le 6 janvier 1992, d'abord, en qualité de chimiste puis, à compter du 17 août 1993, en tant que directeur recherche et développement, a démissionné le 9 février 2005 pour exercer une activité de consultant, notamment pour la société Tri-Texco de 2005 à 2009 et, depuis 2006, pour la société Copak, laquelle, spécialisée dans la fabrication de produits d'entretien, avait été rachetée le 30 novembre 2000 à hauteur de 50 % de son capital par le groupe Argos.

4. La société Argos hygiène, devenue la société Orapi hygiène (la société Argos), qui avait conclu le 18 mars 1994 avec la société Choisy un contrat d'approvisionnement non exclusif de produits chimiques fabriqués et/ou commercialisés sous la marque « Argos », a résilié ce contrat le 21 octobre 2005 à effet du 30 avril 2006.

5. La société Tri-Texco, qui réalise et commercialise des composants chimiques, a fourni à la société Copak des matières premières.

6. Estimant que postérieurement à la fin de leurs relations contractuelles, la société Argos commercialisait une nouvelle gamme de produits d'hygiène des sols, notamment sous la marque « Takteo » associée au sigle « VCE » (« Visual Control Express »),contrefaisant des revendications de son brevet européen et constituant une copie servile de ses produits, la société Choisy, autorisée par ordonnances des 15 février et 22 mars 2011, a fait procéder, le 23 février 2011, à une saisie-contrefaçon au sein d'une agence de la société Argos et au siège de la société Copak puis, le 31 mars 2011, dans les locaux de la société Quality service France, auprès de laquelle était commercialisé le produit « Takteo protection VCE ».

7. Par actes des 15 mars, 13 et 17 avril 2011, elle a ensuite assigné en contrefaçon de brevet et en concurrence déloyale et parasitaire les sociétés Argos, Copak et Tri-Texco ainsi que M. [N], qui ont, notamment, soulevé la nullité du brevet et formé une demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

8. Une expertise judiciaire a été ordonnée le 22 juin 2012 sur un lot de produits « Takteo Protection » saisis dans les locaux des sociétés Argos et Quality service France aux fins, notamment, de comparer leur composition avec les revendications 1, 2, 4, 5 et 6 du brevet opposé. L'expert a déposé son rapport le 30 novembre 2013.

9. Mme [P] est intervenue à l'instance en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Copak.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et cinquième à quatorzième branches, et sur le moyen des pourvois incidents, ci-après annexés

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La société Choisy fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes reconventionnelles en nullité de brevet, et par voie de conséquence, en nullité des procès-verbaux de saisies-contrefaçon et du rapport d'expertise judiciaire, ainsi que de restitution des objets saisis et, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré nulles pour insuffisance de description les revendications de produits 1 à 15 de la partie française du brevet européen n° 0 935 640 dont elle est titulaire, dit que la décision sera inscrite au registre national des brevets à l'initiative de la partie la plus diligente, une fois la décision devenue définitive, déclaré la société Choisy irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon des revendications n° 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 et 14 du brevet n° 0 935 640, déclaré nuls les procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés les 23 février et 31 mars 2011, et le rapport d'expertise judiciaire rendu le 13 novembre 2013 et, en conséquence, de la débouter de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme pour partie fondées sur ces saisies et sur ce rapport d'expertise judiciaire, alors « que la demande reconventionnelle en nullité du brevet, en l'état du droit antérieur à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, est soumise à la prescription quinquennale ; qu'en jugeant que "l'action principale en contrefaçon intentée à leur encontre par la société Choisy n'est (?) pas soumise au délai de droit commun de prescription de l'article 2224 du code civil qui leur est opposé" pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait non seulement rejeté les demandes de la société Choisy, mais également accueilli les demandes en nullité de brevet des défendeurs, en nullité des saisies effectuées et de l'expertise judiciaire et en restitution des éléments saisis, a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir énoncé que l'action en nullité du brevet, qui constitue en la cause un moyen de défense au fond à l'action principale en contrefaçon, peut être « proposée » en tout état de cause et, notamment, pour la première fois au stade de l'appel, l'arrêt retient que cette action, formée « à titre reconventionnel », n'est pas soumise au délai de droit commun de prescription de l'article 2224 du code civil.

13. Le moyen postule que la demande d'annulation d'un brevet, opposée à une demande principale en contrefaçon, constitue une demande reconventionnelle, compte tenu de l'effet absolu qui s'attache au prononcé de la nullité du titre.

14. Toutefois, cet effet absolu résulte des dispositions spéciales prévues par l'article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle et non de la demande des défendeurs à l'action en contrefaçon.

15. Par conséquent, si c'est à tort que la cour d'appel a qualifié de reconventionnelle la demande d'annulation du brevet, cependant qu'elle avait relevé qu'elle constituait un moyen de défense au fond, c'est à bon droit qu'elle a dit que cette demande, qui tendait seulement au rejet de l'action en contrefaçon et était donc formée par voie d'exception, n'était pas soumise à la prescription quinquennale de droit commun.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

17. La société Choisy fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, alors « que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a annulé le brevet de la société Choisy entraînera sa cassation par voie de conséquence en ce qu'il a déclaré nuls les procès-verbaux de saisie-contrefaçon dressés les 23 février et 31 mars 2011 et le rapport d'expertise judiciaire rendu le 13 novembre 2013, et consécutivement sa cassation en ce qu'il a refusé d'examiner les faits de concurrence déloyale et de parasitisme dénoncés au regard de ces saisies et de cette expertise, conformément à ce que dispose l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

18. Le rejet des deux premiers moyens rend le moyen sans portée.

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

19. La société Choisy fait le même grief à l'arrêt, alors « que subsidiairement à la deuxième branche, la nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure, qui ne prévoient aucun cas de nullité du rapport d'expertise judiciaire consécutivement à l'annulation de la saisie des produits expertisés ; que la cour d'appel, en annulant le rapport d'expertise judiciaire du 13 novembre 2011 au seul motif qu'il analysait des produits dont la saisie avait été annulée, a violé les articles 112 à 125 et 175 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

20. En vertu de l'article L. 615-5, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant.

21. La procédure de saisie-contrefaçon étant dérogatoire au droit commun, l'annulation du titre sur lequel elle était fondée entraîne l'annulation du procès-verbal de saisie, ne laisse rien subsister de celui-ci et emporte, en conséquence, l'impossibilité absolue de se prévaloir du contenu du procès-verbal et des produits saisis, ainsi que l'anéantissement de toute mesure qui en est la suite.

22. Il s'ensuit que c'est à bon droit qu'après avoir annulé le brevet sur lequel était fondée l'ordonnance ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon, la cour d'appel a annulé les procès-verbaux de saisie-contrefaçon et ordonné la restitution de tous les éléments saisis, et qu'ayant relevé que la mesure d'expertise judiciaire ordonnée avait uniquement consisté en une analyse des produits saisis afin de les comparer aux revendications du brevet, elle a, par voie de conséquence, annulé le rapport d'expertise judiciaire.

23. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

24. La société Choisy fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que l'arrêt, en ce qu'il a débouté la société Choisy de ses demandes fondées sur une concurrence déloyale du fait de l'annulation du rapport d'expertise et des saisies pratiquées sera censuré par voie de conséquence de l'annulation des chefs de l'arrêt ayant annulé ledit rapport et lesdites saisies, conformément à ce que dispose l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

25. Le rejet des deuxième et troisième branches du moyen rend celui-ci sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.