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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 20 octobre 2022, n° 21/17363

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Institut National de Formation et d'Application

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

Avocats :

Me Guyonnet, Me Gravé, Me Chevalier

TGI Créteil, du 1er oct. 2018

1 octobre 2018

La FONDATION INFA est une fondation d'utilité publique qui a pour objet social d'assurer pour tous les niveaux de responsabilité et de qualification la mise en oeuvre et le développement d'actions de formation et de conventions aux métiers du tourisme, des loisirs, de l'hôtellerie, de l'accueil et de l'hébergement, de la restauration ou de tout autre secteur professionnel se rattachant à ses activités.

Afin de financer sa croissance, la FONDATION INFA a émis en 1987 et 1991 des titres associatifs au sens de la loi du 11 juillet 1985.

HUMANIS et MALAKOFF MEDERIC ainsi que KLESIA et AG2R ont souscrit à ces titres associatifs qui s'analysent en des valeurs mobilières s'apparentant à des obligations régies par les articles L.213-8 et suivants du Code monétaire et financier.

Le taux d'intérêt de ces titres s'élevait'à 6,75% par an pour l'émission de 1987 et 7% par an pour l'émission de 1991, puis a été ramené à 1% par an à compter du 1er décembre 2015 par la FONDATION INFA avec l'accord de leurs titulaires.

Par jugement du 1er octobre 2018, le tribunal de grande instance de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la FONDATION INFA, désigné la SELARL BARONNIE-LANGET, prise en la personne de Maître [Y] [Z] en qualité d'administrateur judiciaire et Maître [E] [C] en qualité de mandataire judiciaire.

Le 30 janvier 2020, le Président du tribunal de commerce de Créteil, saisi par Maître [E] [C] a désigné la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M], en qualité de mandataire ad hoc chargé d'assurer la représentation de la masse des titulaires de titres associatifs de lA FONDATION INFA.

C'est ainsi que la SELARL JSA a, par courrier recommandé du 5 février 2020, déclaré, pour le compte de la masse des titulaires de titres associatifs au passif de la FONDATION INFA, une créance chirographaire d'un montant de 1.398.926,25€ comprenant :

- 1.129.647,09€ à titre principal et à échoir ;

- 269.279,16€ au titre des intérêts échus.

Maître [C] a, par courrier recommandé du 21 février 2020, contesté la créance, avisant la SELARL JSA que la créance due au titre des intérêts n'était reconnue par la FONDATION INFA qu'à hauteur de 56.482,50 € et contestée à hauteur de 212.796,66€ au motif que les intérêts déclarés pour la période antérieure au 5 février 2015 étaient prescrits,

En réponse à cette contestation de créance, la SELARL JSA a, par courrier recommandé du 26 février 2020, réduit sa créance d'intérêts à 193.063,32 € correspondant, d'après elle, à la partie des intérêts non prescrits, qu'elle a fixé à compter du 1er octobre 2013.

La FONDATION INFA a maintenu sa contestation de créance formulée par Maître [C] et a sollicité du juge-commissaire qu'elle admette la créance de la masse des obligataires dans la limite de 1.185.046,36€ comprenant’ :

- 1.129.647,09€ à titre principal et chirographaire' ;

- 55.399,27€ au titre des intérêts échus.

Par ordonnance du 25 juin 2021, le juge-commissaire a admis la créance déclarée par la SELARL JSA à hauteur de 1.129.647,09 € à titre chirographaire à échoir et 193.063,32 € à titre chirographaire échu.

La FONDATION INFA et Maître [C] ès qualités de mandataire judiciaire ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 4 octobre 2021 notifiée par RPVA.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 mai 2022, la FONDATION INFA et Maître [C] ès qualités demandent à la Cour de’ :

- Infirmer l'ordonnance rendue par Madame le Juge-commissaire de la FONDATION INFA en date du 25 juin 2021 en ce qu'elle a statué de la manière suivante’ :

« Prononçons l'admission de la créance de la Selarl JSA ' pour le compte de la masse des obligataires ' au passif de la procédure collective de la fondation INFA (créance n° 1281), à hauteur de 1 129 647,09 € (un million cent vingt-neuf mille six-vent quarante-sept euros et neuf centimes) à titre chirographaire à échoir et 1 93 063,32 € (cent quatre-vingt-treize mille soixante-trois euros et trente-deux centimes) à titre chirographaire échu, sans qu'il y ait lieu à réouverture des débats ; »

Et statuant à nouveau de’ :

A titre principal’ :

- Constater que le cours de la prescription des intérêts a été interrompu par l'effet de la déclaration de créance de la SELARL JSA, pris en la personne de Maître [M], en qualité de représentant de la masse des titulaires des titres associatifs et ce en application de l'article L.622-25-1 du code de commerce’ ;

- dire et juger que la créance déclarée par la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M] au titre des intérêts est prescrite à hauteur de 213.880,04€ correspondant aux intérêts dus entre le 1er janvier 2012 et le 5 février 2015’ ;

- Admettre la créance de la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M], à hauteur de 1.185.046,36€ se décomposant de la manière suivante’ :

1.1.129.647,09€ à échoir et à titre chirographaire de dernier rang conformément aux stipulations des contrats d'émission’ ;

2.55.399,27€ échus et chirographaire au titre des intérêts.

- La rejeter pour le surplus’ ;

A titre subsidiaire' :

- Dire et juger que la créance déclarée par la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M] au titre des intérêts est prescrite à hauteur de 113.738,98€ correspondant aux intérêts dus entre le 1er janvier 2012 et le 1er octobre 2013';

- Admettre la créance de la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M], à hauteur de 1.129.647,09€, se décomposant de la manière suivante' :

. 1.1.129.647,09€ à échoir et à titre chirographaire de dernier rang conformément aux stipulations des contrats d'émission' ;

. 2.154.040,33€ échus et chirographaire au titre des intérêts.

- La rejeter pour le surplus' ;'

- Condamner la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 4 avril 2022, la SELARL JSA agissant en qualité de mandataire judiciaire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA demande à la cour de' :

- Dire et juger la SELARL JSA agissant en qualité de mandataire judiciaire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Dire et juger la société la FONFATION INFA et Maître [E] [C] es qualités mal fondées en leurs demandes, fins et conclusions,

Et, en conséquence,

- confirmer en son intégralité l'ordonnance du Juge-commissaire près le Tribunal judiciaire de Créteil en date du 25 juin 2021,

- Débouter la FONDATION INFA et Maître [C] es qualités de leurs demandes, fins et conclusions,

- Admettre la créance de la SELARL JSA, agissant en qualité de mandataire judiciaire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA, à titre chirographaire comme suit' ;

. Principal ' : 1.129.647,09€ à échoir, et

. Intérêts' : 193.063,32€ échus.

- Condamner la FONDATION INFA au paiement de la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du CPC au profit de la SELARL JSA agissant en qualité de mandataire judiciaire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA,

Et, par ces motifs

- Condamner la FONDATION INFA aux entiers dépens.'

SUR CE,

Maître [C], es qualités, soutient que c'est à tort que le juge-commissaire a considéré, qu'en l'absence de représentant de la masse des créanciers titulaires de titres associatifs avant la nomination de la SELARL JSA le 30 janvier 2020, la masse des créanciers titulaires de titres associatifs se trouvait dans l'impossibilité de déclarer sa créance au passif de la procédure collective, et qu'il fallait alors retenir la date d'ouverture du redressement judiciaire, à savoir le 5 octobre 2018, comme interrompant la prescription des intérêts échus.

Il rappelle que la prescription est interrompue par la déclaration de créance, et qu'en application de l'article 2234 du code civil le créancier qui revendique la suspension du cours de la prescription doit démontrer une impossibilité d'agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure.

Il considère que cette démonstration n'est pas faite, d'autant qu'en vertu de l'article L.228-50 du code de commerce, tout intéressé, en ce compris les obligataires (et donc les créanciers titulaires de titres associatifs), peut saisir le juge compétent afin qu'un représentant de la masse soit désigné à l'effet de déclarer les créances. Il souligne que certains souscripteurs des titres associatifs comme HUMANIS et MALAKOFF MEDERIC étaient informés de l'ouverture de la procédure, puisqu'ils ont déclaré leurs créances personnelles.

Maître [C] demande donc, à défaut d'interruption de prescription, que la cour admette la créance au titre des intérêts échus pour un montant de 55.399,27€, comprenant les intérêts des années 2015 à 2019, et non les intérêts des années antérieures, lesquels sont, selon lui, prescrits.

La SELARL JSA répond que la masse des créanciers titulaires de titres associatifs n'était pas en mesure d'agir pour déclarer sa créance avant la désignation de la SELARL JSA, c'est à dire avant le 30 janvier 2020, faute de diligences de sa part.

Elle soutient que la masse des obligataires ne pouvant agir avant sa nomination, la prescription n 'a commencé à courir que 5 ans avant le jugement d'ouverture du 1er octobre 2018, comme l'a retenu le juge-commissaire, considérant que la prescription des intérêts générés par la créance des créanciers titulaires de titres associatifs est suspendue à compter du 1er octobre 2013.

Elle fait valoir qu'il convient de pratiquer un taux d'intérêts de 7% jusqu'au 31 décembre 2014 puis 1% pour les périodes postérieures conformément à l'avenant du 1er décembre 2015, soit un montant final de 193.063,32€, et demande donc à la cour de confirmer l'ordonnance.

Selon l'article L.228-84 du code de commerce : «'Les représentants de la masse déclarent au passif du redressement ou de la liquidation judiciaire de la société, pour tous les obligataires de cette masse, le montant en principal des obligations restant en circulation augmenté pour mémoire des coupons d'intérêts échus et non payés, dont le décompte est établi par le mandataire judiciaire. Ils ne sont pas tenus de fournir les titres de leurs mandants, à l'appui de cette déclaration.’ » et l'article L.228-85 du code de commerce ajoute que «'A défaut de déclaration par les représentants de la masse, une décision de justice désigne à la demande du mandataire judiciaire, un mandataire chargé d'assurer la représentation de la masse dans les opérations de redressement ou de liquidation judiciaires et d'en déclarer la créance.’ »

Par ailleurs, l'article 228-50 du code de commerce précise que «'En cas d'urgence, les représentants de la masse peuvent être désignés par décision de justice à la demande de tout intéressé.’ »

Il s'ensuit que tout intéressé, en ce compris les obligataires (et donc les créanciers titulaires de titres associatifs, qui obéissent au même régime juridique), avaient la faculté de saisir le juge compétent afin qu'un représentant de la masse soit désigné à l'effet de déclarer les créances, sans être contraints d'attendre que le mandataire judiciaire prenne cette initiative, l'urgence provenant de la prescription des intérêts, puisque, en application de l'article L.622-25-1 du code de commerce, la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure.

Si, en application de l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, tel n'était pas le cas en l'espèce, les obligataires étant dans la possibilité de solliciter la désignation d'un représentant de la masse aux fins de déclarer leur créance et ceux-ci ne justifiant pas de l'existence d'une force majeure.

Il s'ensuit que la déclaration de créance ayant été effectuée le 5 février 2020, les intérêts antérieurs au 5 février 2015 sont prescrits et il convient donc, infirmant l'ordonnance d'admettre la créance de la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M], à hauteur de 1.185.046,36€ se décomposant en 1.129.647,09€ à échoir et à titre chirographaire de dernier rang conformément aux stipulations des contrats d'émission et en 55.399,27€ échus et à titre chirographaire au titre des intérêts et de la rejeter pour le surplus,

Il convient de condamner la SELARL JSA, agissant en qualité de mandataire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA aux dépens

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance,

Statuant à nouveau,

Admet la créance de la masse des titulaires de titres associatifs représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître [P] [M], agissant en qualité de mandataire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA, à hauteur de 1.185.046,36€ se décomposant en 1.129.647,09€ à échoir, à titre chirographaire de dernier rang conformément aux stipulations des contrats d'émission et à 55.399,27€, à titre chirographaire au titre des intérêts et la rejette pour le surplus,

Condamne la SELARL JSA, agissant en qualité de mandataire désigné pour déclarer la créance de la masse des obligataires, porteurs de titres associatifs souscrits au profit de la FONDATION INFA, aux dépens,

Rejette la demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.