CA Versailles, 14e ch., 20 octobre 2022, n° 22/00881
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Horizon Engineering Management (SAS)
Défendeur :
Caisse de Prévoyance des Agents de la Sécurité Sociale et Assimilés
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman
Avocats :
Me Dontot, Me Ricard, Me Boché-Robinet, Me Bernard, Me Sfez
EXPOSE DU LITIGE
Créée le 15 mars 2018, la société HA UN 18 est spécialisée dans l'activité de marchand de biens et/ou de promotion immobilière, via directement ou indirectement des prises de participations en France et à l'étranger. Elle est détenue à 100% par la société Horizon Engineering Management (la société HEM), qui en est la présidente et appartient au groupe Horizon.
La société HEM est une société de conseil en stratégie et organisation spécialisée dans 2 domaines principaux :
- l'accompagnement et le développement de sociétés et institutions financières, notamment l'étude, l'achat, le montage et toute mission d'assistance à la réalisation de programmes de construction et de réhabilitation,
- l'assistance en maîtrise d'ouvrage et d'oeuvre.
En 2018 et 2019, la société HA UN 18 a émis trois emprunts obligataires d'un montant de 27,5 millions d'euros aux fins d'investir dans 3 projets immobiliers en Allemagne opérés par des sociétés de droit allemand affiliées au groupe German Property Group GMBH (GPG), au sein duquel le groupe Horizon détient des participations.
Ces emprunts obligataires ont donné lieu à la constitution de 3 masses obligataires.
La Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (la CAPSSA) est un créancier obligataire de la « Masse 3 » relative au projet de la Pariserstrasse à Berlin, ayant souscrit le 27 novembre 2018 auprès de la société HA UN 18, 8 000 obligations ordinaires d'une valeur nominale de 1 000 euros.
Préalablement à cette souscription, la société HA UN 18 a remis le 12 novembre 2018 à la CAPSSA un document d'information, reprenant les caractéristiques de l'émission et rappelant notamment les facteurs de risques.
Compte tenu des difficultés financières des opérateurs allemands, qui n'ont pas été en mesure d'honorer leurs engagements envers HA UN 18, et par voie de conséquence de celles de la société HA UN 18 envers les souscripteurs des obligations, ces derniers, dont la CAPSSA, ont accepté une première fois un report d'échéance, mais ont refusé la deuxième demande de report le 29 octobre 2020.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 septembre 2021, la CAPSSA a mis en demeure la société HA UN 18 de lui rembourser l'intégralité de sa créance, sans succès.
Par jugement en date du 7 octobre 2021, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert à l'égard de la société HA UN 18 une procédure de sauvegarde accélérée.
Par acte d'huissier de justice délivré le 30 septembre 2021, la CAPSSA a fait assigner en référé la société HEM aux fins d'obtenir principalement la communication sous astreinte d'un certain nombre de documents et informations.
Par jugement en date du 20 janvier 2022, la société HA UN 18 a été placée en redressement judiciaire.
Par ordonnance contradictoire rendue le 31 janvier 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a :
- dit la CAPSSA recevable en ses demandes,
- fait injonction à la société Horizon Engineering Management de communiquer à la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociales et assimilés les informations suivantes, sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, 30 jours après le prononcé du « jugement » :
- tout élément qui permettrait de démontrer que la somme de 8 000 000 d'euros investie par la CAPSSA a bien servi au financement des projets immobiliers opérés par la société allemande Dolphin capital 270,
- l'ensemble des documents juridiques, comptables et financiers sur lesquels s'est fondée la société société Horizon Engineering Management pour établir les clauses de risque du document d'information du 12 novembre 2018 communiqué à la CAPSSA en vue de son investissement,
- la copie de l'ensemble des échanges entre les Opérateurs et la société Horizon Engineering Management concernant les difficultés économiques des Opérateurs et de la société GPG,
- l'ensemble des factures émises par la société Horizon Engineering Management aux fins d'obtenir le paiement par la société HA UN 18 des prestations fournies au titre des trois emprunts obligataires d'un montant total de 27,5 millions d'euros émis par cette dernière et l'ensemble des contrats et accords conclus avec la société HA UN 18 aux fins d'obtenir une rémunération liée à ces trois emprunts obligataires,
- constaté que la société Horizon Engineering Management n'est pas en possession de :
- l'ensemble des procès-verbaux des assemblées générales des Opérateurs depuis que la société HA UN 18 détenue a 100% par la société Horizon Engineering Management est actionnaire des Opérateurs pour l'année 2017, 2018 et 2019,
- les rapports des commissaires aux comptes des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017, 2018 et 2019,
- les rapports de gestion des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017, 2018 et 2019,
- les rapports du Conseil d'administration des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017, 2018 et 2019,
- les trois derniers bilans, comptes de résultats et annexes des Opérateurs et de la société GPG,
- dit n'y avoir lieu a référé sur la demande de communication des trois derniers comptes de résultat de la société Horizon Engineering Management,
- condamné la société Horizon Engineering management à payer à la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociales et assimilés 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Horizon Engineering management aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 40,66 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 11 février 2022, la société Horizon Engineering Management a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition portant injonction et condamnation.
Dans ses dernières conclusions déposées le 4 juillet 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société HEM demande à la cour, au visa des articles 145 et 700 du code de procédure civile et L. 228-54 du code de commerce, de :
À titre principal,
- constater que la CAPSSA est irrecevable en son action et ses demandes ;
Et en conséquence,
- infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle constate qu'elle n'est pas en possession de l'ensemble des procès-verbaux des assemblées générales, des rapports des commissaires aux comptes, des rapports de gestion, des rapports du conseil d'administration et des éléments comptables des Opérateurs et de la société GPG et sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de communication de ses trois derniers comptes de résultat ;
À titre subsidiaire,
- constater que les demandes et prétentions de la CAPSSA sont mal fondées ;
Et en conséquence,
- infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle constate qu'elle n'est pas en possession de l'ensemble des procès-verbaux des assemblées générales, des rapports des commissaires aux comptes, des rapports de gestion, des rapports du conseil d'administration et des éléments comptables des Opérateurs et de la société GPG et sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de communication de ses trois derniers comptes de résultat ;
En tout état de cause,
- condamner la CAPSSA au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la CAPSSA aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 5 septembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CAPSSA demande à la cour, au visa des articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile et L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, de :
- la déclarer recevable en son action et ses demandes ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Versailles la déclarant recevable en son action et ses demandes ;
- constater et confirmer que la société Horizon Engineering Management n'est pas en mesure de communiquer l'ensemble :
- des procès-verbaux des assemblées générales des Opérateurs depuis que la société HA UN 18 (détenue à 100% par la société Horizon Engineering Management) est actionnaire des Opérateurs ;
- les rapports des commissaires aux comptes des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017,2018,2019 ;
- les rapports de gestion des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017, 2018 et 2019 ;
- les rapports du Conseil d'administration des Opérateurs et de la société GPG pour les années 2017, 2018 et 2019 ;
- les 3 derniers bilans, comptes de résultats et annexes des Opérateurs et de la société GPG ;
- la déclarer bien fondée en ses demandes ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance du tribunal de commerce de Versailles en ce qu'il a ordonné à la société Horizon Engineering Management communiquer, sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, à compter du 30 -ème après le prononcé de l'ordonnance du 31 janvier 2022 :
- tout élément qui permettrait de démontrer que la somme de 8 000 000 d'euros investie par la CAPSSA a bien servi au financement des projets immobiliers opérés par la DOLPHIN CAPITAL 270 ;
- l'ensemble des documents juridiques, comptables et financiers sur lesquels s'est fondée la société Horizon Engineering Management pour établir les clauses de risque du document d'information du 12 novembre 2018 communiqué à la CAPSSA en vue de son investissement ;
- la copie de l'ensemble des échanges entre les Opérateurs et la société Horizon Engineering Management concernant les difficultés économiques des Opérateurs et de la société GPG ;
- l'ensemble des factures émises par la société Horizon Engineering Management aux fins d'obtenir le paiement par la société HA UN 18 des prestations fournies au titre des trois emprunts obligataires d'un montant total de 27,5 millions d'euros émis par cette dernière et l'ensemble des contrats et accords conclus avec la société HA UN 18 aux fins d'obtenir une rémunération liée à ces trois obligataires ; titre des trois emprunts obligataires émis par la société HA UN 18 d'un montant total de 27,5 millions d'euros ;
En tout état de cause,
- condamner la société Horizon Engineering Management à la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les irrecevabilités soulevées :
La société HEM demande à titre principal l'infirmation de l'ordonnance querellée qui l'a déboutée de ses moyens d'irrecevabilité.
Elle argue tout d'abord de l'irrecevabilité des demandes de la CAPSSA en raison du monopole du représentant de la masse des obligataires, comme cela est prévu au contrat de souscription et conformément aux dispositions de l'article L. 228-54 du code de commerce, dont il résulte l'instauration d'un monopole d'action du représentant de la masse, en l'espère de l'ARM, dès lors que les intérêts communs des obligataires sont en jeu.
Elle soutient que les fautes et préjudices allégués par la CAPSSA seraient nécessairement communs à l'ensemble des obligataires de la Masse 3 puisqu'elle lui reproche de lui avoir transmis « des informations ne lui permettant pas d'être justement alertée sur le risque encouru » et d'avoir fait preuve d'une « négligence fautive pour ne pas avoir anticipé les difficultés financières des Opérateurs et plus largement de la société GPG dans le cadre de l'établissement du document d'information dont elle est responsable », la plaçant donc dans une situation identiques aux autres créanciers de la Masse 3.
Elle entend souligner que le monopole d'action du représentant de la masse s'applique également en cas d'action fondée sur un manquement intervenu au moment de l'émission des obligations.
Subsidiairement, la société HEM argue de son défaut de qualité à défendre, faisant valoir que c'est uniquement en qualité de représentant légal de la société HA UN 18 qu'elle a signé le document d'information et que seule la société HA UN 18 est l'émetteur de ce document.
Elle souligne qu'en application de la réglementation de l'AMF, et notamment de l'article 3.1.2 des règles Euronext Growth, le document d'information doit être établi sous la responsabilité de l'émetteur et qu'il incombe au dirigeant, représentant légal de l'émetteur, d'effectuer une « déclaration de responsabilité ».
La CAPSSA répond que l'article L. 228-54 du code de commerce ne prévoit pas que le représentant de la masse obligataire soit tenu de représenter un obligataire dans le cadre d'une action fondée sur un manquement qui lui est propre, et antérieur à sa qualité d'obligataire (défaut d'information pré contractuelle).
Elle ajoute qu'il est constant en droit qu'un obligataire, nonobstant le principe de monopole du représentant de la masse, peut évidemment engager une action en justice dès lors que sont en jeu ses droits particuliers.
Sur le prétendu défaut de qualité à défendre de la société HEM, la CAPSSA répond que son action en référé probatoire a pour but d'obtenir dans le cadre d'une action ultérieure au fond la condamnation personnelle de la société HEM, pour les fautes commises en sa qualité de responsable du document d'information du 12 novembre 2018.
Sur ce,
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé et l'article 32 suivant qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article L. 228-54 du code de commerce prévoit que :
« Les représentants de la masse, dûment autorisés par l'assemblée générale des obligataires, ont seules qualités pour engager, au nom de ceux-ci, les actions en nullité de la société ou des actes et délibérations postérieurs à sa constitution, ainsi que toutes actions ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires, et notamment requérir la mesure prévue à l'article L. 237-14.
Les actions en justice dirigées contre l'ensemble des obligataires d'une même masse ne peuvent être intentées que contre le représentant de cette masse.
Toute action intentée contrairement aux dispositions du présent article doit être déclarée d'office irrecevable. »
En application de ce texte, il est jugé que les représentants de la masse autorisés par l'assemblée générale des obligataires ont seules qualités pour engager, au nom de ceux-ci, toutes actions ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires, notamment lorsque que la faute invoquée à l'appui de l'action en responsabilité a été commise au moment de l'émission des obligations, et concerne donc l'ensemble des souscripteurs (Com., 15 juin 1999, pourvoi n° 96-20.84).
Au cas présent, la demande de la CAPSSA aux fins de communication forcée de pièces qui seraient détenues par la société HEM est fondée sur les articles 11 et 145 du code de procédure civile, la requérante invoquant l'existence d'un procès en germe contre la société HEM, notamment en sa qualité de « responsable du document d'information » communiqué avant son investissement, pour avoir commis une faute lorsqu'elle a déclaré que « l'information fournie dans le présent Document d'information est juste et que le Document d'information ne fait pas d'omission substantielle et comprend toute l'information pertinente », ainsi que pour avoir fait preuve, a minima, d'une négligence fautive pour ne pas avoir anticipé les difficultés financières des Opérateurs et plus largement de la société GPG dans le cadre de l'examen et de la validation du document d'information dont elle est responsable.
L'action in futurum qu'entend intenter l'intimée contre la prétendue responsable de la teneur du Document d'information est donc une action en responsabilité civile pour des manquements allégués à ses obligations de renseignement et d'information dans le cadre de l'émission d'emprunts obligataires par la société HA UN 18.
La faute ainsi alléguée procéderait d'un manquement commis dans le cadre de l'élaboration du Document d'information ayant servi de support aux contrats d'émission, de sorte qu'elle touche en définitive la communauté d'intérêts des obligataires, peu important que le préjudice qui en résulterait soit distinct d'une situation à l'autre, dès lors que la faute alléguée est commune.
En conséquence, par application des dispositions impératives ci-dessus rappelées de l'article L. 228-54 du code de commerce, le monopole institué au profit du représentant de la masse rend irrecevable l'action individuelle de la CAPSSA, la faute invoquée concernant l'ensemble des souscripteurs.
Par voie d'infirmation de l'ordonnance du 31 janvier 2022, l'action de la CAPSSA sera déclarée irrecevable.
Sur les demandes accessoires :
La société HEM étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la CAPSSA ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en revanche de débouter la société HEM de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire,
Infirme l'ordonnance du 31 janvier 2022,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable l'action de la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociales et assimilés,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,
Dit que la Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociales et assimilés supportera les dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.