Livv
Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 23 janvier 2014, n° 12/06918

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Brochard (és qual.), Mme Brochard (és qual.), Saint Eloi (SAS)

Défendeur :

Roquette Frères (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Valay-Briere, Mme Barbot

Avocats :

Me Deleforge, Me Willemetz, Me Laurent, Me Lorthiois

T. com. Arras, du 5 oct. 2012

5 octobre 2012

Vu le jugement contradictoire du 5 octobre 2012 du tribunal de commerce d'Arras, auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits, qui a notamment débouté la SAS SAINT ELOI de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SA SAGER, aux droits de laquelle se trouve la SA ROQUETTE FRERES, avant de se déclarer incompétent pour examiner la demande de la SAS SAINT ELOI quant au bien-fondé du versement de l'impôt par retenue à la source et de condamner la SAS SAINT ELOI à payer à la SA ROQUETTE FRERES la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 7 novembre 2012 par la SAS SAINT ELOI, Monsieur Aymeric BROCHARD et Madame Noémie ROQUETTE épouse BROCHARD ;

Vu les conclusions déposées le 27 mai 2013 pour ces derniers ;

Vu les conclusions déposées le 18 juillet 2013 pour la SA ROQUETTE FRERES SA, venant aux droits de la SA SAGER ;

Vu l'ordonnance de clôture du 30 octobre 2013 ;

La SAS SAINT ELOI, Monsieur Aymeric BROCHARD et Madame Noémie ROQUETTE épouse BROCHARD ont interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris. Ils demandent à la cour :

1- Sur la date du transfert de l'usufruit :

* à titre principal, de constater que la société SAINT ELOI est devenue titulaire de l'usufruit de 199.800 actions de la société SAGER, devenue ROQUETTE FRERES, à effet du 1er janvier 2007,

* à titre subsidiaire, de dire que la société SAINT ELOI est devenue titulaire de l'usufruit de 199.800 actions de la société SAGER, devenue ROQUETTE FRERES, à effet du 25 janvier 2007 ;

2- Sur la date de mise en paiement :

* à titre principal, de constater que la distribution d'un acompte sur dividende décidée le 10 janvier 2007 par le conseil d'administration de la société SAGER a donné lieu à mise en paiement seulement le 20 mars 2007, date où la société SAINT ELOI est devenue titulaire des droits à dividendes,

* à titre subsidiaire, de constater que la connaissance de la mise en paiement par les époux BROCHARD n'est intervenue que le 20 mars 2007 et en déduire que la somme n'est devenue disponible au bénéfice des époux BROCHARD qu'à compter de cette date, ce dont il résulte que les époux BROCHARD ont pu valablement transférer les usufruits d'actions avec les dividendes intégralement attachés à la date soit du 1er janvier 2007, soit au plus tard du 25 janvier 2007 ;

3- En toutes hypothèses,

* condamner la SA ROQUETTE FRERES, venant aux droits de la SA SAGER, à payer à la société SAINT ELOI la somme de 2.217.280 € avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure en date du 14 février 2007,

* ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de droit,

* condamner la SA ROQUETTE FRERES à payer à la société SAINT ELOI la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner la SA ROQUETTE FRERES aux dépens ;

4- Sur l'appel incident :

* débouter la SA ROQUETTE FRERES de ses demandes incidentes,

* dire que la garantie de Monsieur et Madame BROCHARD ne pourra trouver à s'appliquer que dans la limite des sommes qu'ils ont effectivement reçues à savoir 2.277.728 €,

* dire que les intérêts ne pourront courir sur cette somme qu'à compter de la demande en répétition présentée par la SA SAGER à savoir le 16 juillet 2009,

* condamner la SA ROQUETTE FRERES à verser à Monsieur et Madame BROCHARD la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils soutiennent qu'en application des articles L228-1 du code de commerce et 205 bis du décret du 23 mars 1967, modifié le 11 décembre 2006, le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur et que cette inscription en compte est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice ; que la société SAINT ELOI est devenue propriétaire de l'usufruit des titres à la date du 1er janvier 2007 et qu'elle est donc fondée à obtenir le versement de l'acompte sur dividende décidé le 10 janvier 2007 ; que dans l'hypothèse où la cour retiendrait que le transfert est intervenu à la date de notification à la SA SAGER de la mutation, soit le 25 janvier 2007, elle devrait accueillir la prétention dès lors que la mise en paiement n'a pas été faite le 11 janvier 2007 mais le 20 mars 2007 ; que si la mise en paiement est intervenue le 11 janvier 2007, elle n'a pas été portée à la connaissance des époux BROCHARD ; que c'est la disposition des fonds qui constitue le fait générateur de l'impôt ; que faute pour les époux BROCHARD d'avoir eu la disponibilité des fonds, la société SAINT ELOI doit recevoir la totalité de la somme de 2.717.280 €, soit 199.800 x 13,60 €, sans qu'une retenue à la source ne soit due ; qu'en droit fiscal, la date du transfert de propriété coïncide avec celle résultant du droit des sociétés à savoir la date de l'accord des parties ; que la clause de rétroactivité figurant au traité d'apport a été conclue en 2006 soit antérieurement à tout fait générateur d'une prétendue retenue à la source en 2007 ; que dans le cadre de son appel en garantie la SA ROQUETTE FRERES ne peut pas demander aux époux BROCHARD de lui restituer une somme supérieure à celle qu'elle leur a effectivement versée ; que si la SA ROQUETTE FRERES a payé au Trésor Public des sommes indues, il lui appartient de supporter les conséquences de sa faute ; enfin, que les intérêts ne courent qu'à compter de la demande de restitution.

La SA ROQUETTE FRERES SA, venant aux droits de la SA SAGER, sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et le rejet des prétentions adverses, subsidiairement, sur son appel incident, la condamnation Monsieur et Madame BROCHARD à la garantir de toutes condamnations qui seraient mises à sa charge et à lui payer la somme de 2.717.280 € avec intérêts à compter du 14 février 2007, outre pénalités de retenue à la source, au besoin à titre de complément de dommages et intérêts, la condamnation de ces derniers et de la SAS SAINT ELOI à lui payer 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle expose que le paiement de l'acompte est intervenu le 11 janvier 2007 par virement en compte courant des associés ; que le démembrement de propriété des titres, objet de l'apport, résultant de l'assemblée générale extraordinaire de la société SAINT ELOI, lui a été notifié le 25 janvier 2007 par la remise d'un courrier daté de la veille ; qu'en suite de la demande de Monsieur BROCHARD de voir les acomptes sur dividendes revenir à la SAS SAINT ELOI, elle a considéré, d'une part, que seul l'associé inscrit dans ses registres à la date de la décision de distribution pouvait percevoir le dividende et, d'autre part, que le versement du dividende à Monsieur et Madame BROCHARD, résidants britanniques, entraînait le versement d'une retenue à la source en application de l'article 119 bis2 du code général des impôts, règlement opéré le 12 mars 2007 ; qu'en effet, c'est l'inscription en compte qui investit l'actionnaire dans le droit de propriété et non plus l'échange des consentements ; que selon la doctrine, il n'est pas possible de fixer la date de transfert de propriété antérieurement à celle de la notification de la mutation à la société émettrice ; que par conséquent, à la date de la distribution, le 10 janvier 2007, elle ne pouvait pas distribuer d'acompte sur dividendes à la SAS SAINT ELOI, sa qualité d'associé ne lui étant pas opposable ; que la clause de rétroactivité ne produit aucun effet vis-à-vis de l'administration fiscale et des tiers ; qu'au demeurant, seule la date de décision de distribution doit être prise en compte pour déterminer le bénéficiaire de l'acompte sur dividendes ; qu'elle ne craint pas que ses comptes soient examinés le cas échéant dans le cadre d'une expertise ; que sa demande de restitution de la retenue à la source, fondée sur les arguments de la SAS SAINT ELOI, a été rejetée par le Trésor Public puis par jugement du tribunal administratif de Boulogne sur Mer du 16 mars 2012 ; que cette décision s'impose aux parties ainsi qu'à la juridiction commerciale laquelle n'est pas compétente s'agissant de la fiscalité des dividendes ; que l'article 158.3ème du code général des impôts prévoit que l'inscription en compte courant entraîne l'exigibilité de l'impôt ; que les époux BROCHARD avaient la totale disposition des sommes portées à leur compte courant le 11 janvier 2007 comme cela est démontré par la lettre leur demandant leurs instructions concernant l'affectation de cette somme.

A titre subsidiaire, elle fait observer que si la SAS SAINT ELOI était fondée à obtenir le paiement de l'acompte sur dividende c'est que celui-ci n'aurait pas été versé régulièrement aux époux BROCHARD et qu'elle se trouverait alors en droit d'en demander la restitution en totalité en ce compris la retenue à la source au regard de la faute commise par ces derniers.

SUR CE

Aux termes de l'article L228-1 dernier alinéa du code de commerce, 'Dans les autres cas, le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat'.

L'article R228-10 du même code précise 'Pour l'application de la dernière phrase du neuvième alinéa de l'article L228-1, l'inscription au compte de l'acheteur est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice'.

Il se déduit de ces dispositions que le transfert de propriété des titres, ou le démembrement de propriété comme en l'espèce, ne résulte plus du seul échange des consentements mais de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur. Si les parties ont désormais le pouvoir de déterminer la date d'inscription en compte, donc de la date de transfert de propriété, elles ne peuvent toutefois pas fixer la date de l'inscription avant celle de la notification à la société émettrice. En décider autrement aboutirait, en effet, à des problèmes d'articulation avec certains événements de la vie sociale ou les règles présidant à la tenue des assemblées générales.

Il est constant qu'aux termes d'un traité signé le 7 décembre 2006 par les époux

BROCHARD, ces derniers ont apporté à la société SAINT ELOI l'usufruit de 199.800 actions de la société SAGER sous la condition suspensive de son approbation par l'assemblée générale extraordinaire de la société SAINT ELOI ; que, par un avenant en date du 30 décembre 2006, les effets de l'apport ont été décalés au 1er janvier 2007 ; que le 10 janvier 2007, le conseil d'administration de la société SAGER a décidé la distribution d'un acompte sur dividende au titre de l'exercice 2006 à hauteur de 13,60 € par action, la date de paiement étant fixée au 11 janvier 2007 ; que, lors de son assemblée générale du 24 janvier 2007, la société SAINT ELOI a ratifié l'apport en nature avec augmentation de capital à effet du 1er janvier 2007 ; que les ordres de virement, mentionnant une date de jouissance au 1er janvier 2007, ont été signés par les époux BROCHARD, le 24 janvier 2007 ; enfin, que la modification du capital de la SA SAGER a été notifiée à celle-ci le 25 janvier 2007.

S'il est acquis que la SA SAGER avait été informée dès le 7 mars 2006, par une lettre du cabinet ERNST & YOUNG, de ce que les époux BROCHART envisageaient de transférer leurs droits à dividendes à une société à constituer, il ressort, néanmoins, d'une télécopie adressée le 9 janvier 2007 par Monsieur Aymeric BROCHARD à la SA SAGER, aux fins d'obtention 'd'une attestation d'inscription en compte pour les actions détenues par mon épouse et par moi-même dans SAGER', qu'à cette date, les actions étaient toujours inscrites en pleine propriété sur les comptes des époux BROCHART dès lors que l'apport partiel de titres était, aux termes mêmes de ce document, toujours en préparation.

Il est établi, en outre, par la production des extraits du grand livre de la SA SAGER, corroborés par les lettres du 11 janvier 2007 par lesquelles la SA SAGER a informé chacun des époux BROCHART du versement de l'acompte sur leur compte courant tout en sollicitant leurs instructions pour l'affectation de ces fonds, ainsi que par la copie du chèque émis le 11 janvier 2007 à l'ordre de Monsieur Bernard YON, actionnaire, que l'acompte sur dividendes a effectivement été versé le 11 janvier 2007 sur le compte courant d'associé des époux BROCHART, conformément à la décision prise la veille par le conseil d'administration de la SA SAGER.

La réalité de ce paiement est confirmée, au surplus, par les décomptes d'intérêts versés aux débats, non contestés, qui témoignent de ce que Monsieur et Madame BROCHART ont perçu des intérêts sur leur compte courant d'associés comprenant l'acompte sur dividende à compter du 11 janvier 2007.

Contrairement à ce qui est soutenu par les appelantes, les sommes versées étaient donc à la disposition des époux BROCHART au jour de l'information qui leur a été donnée de la mise en paiement par lettre du 11 janvier 2007 et non à compter du 20 mars 2007.

A la date de ce paiement, soit le 11 janvier 2007, la SA SAGER n'avait pas été informée de l'existence de l'apport, lequel n'a été réalisé que le 24 janvier 2007 par l'effet de l'acceptation de la SAS SAINT ELOI puis porté à sa connaissance le 25 janvier 2007, lui rendant l'apport opposable.

Il ne peut être tiré argument des trois attestations d'inscription en compte de titres nominatifs datées du 20 mars 2007, adressées par la SA SAGER à ses associés, dès lors que celles-ci indiquent uniquement le nombre de titres inscrits sur chacun des comptes sans précision quant à leur date de mutation, ceci s'expliquant par les discussions existant alors entre les parties sur ce point.

Si la preuve de la date à laquelle les formalités d'inscription en compte des titres apportés à la SAS SAINT ELOI ont été réalisées n'est pas apportée par l'intimée, il est néanmoins certain que celles-ci n'ont pu intervenir avant que la SA SAGER en ait reçu notification le 25 janvier 2007.

Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a retenu, d'une part, qu'à la date de la distribution de l'acompte seuls Monsieur et Madame BROCHART avaient droit aux dividendes et, d'autre part, que la question de la retenue de l'impôt à la source ne relevait pas de sa compétence.

Il convient, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'appel incident, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Les appelants qui succombent seront condamnés aux dépens d'appel et déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SA ROQUETTE FRERES les frais exposés par elle en cause d'appel et non compris dans les dépens ; il lui sera alloué la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'indemnité allouée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats publics, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne la SAS SAINT ELOI, Monsieur Aymeric BROCHARD et Madame Noémie ROQUETTE épouse BROCHARD à payer à la SA ROQUETTE FRERES la somme de 8.000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SAS SAINT ELOI, Monsieur Aymeric BROCHARD et Madame

Noémie ROQUETTE épouse BROCHARD aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Marie-Hélène LAURENT, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.