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Décisions

Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-11.196

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Petit

Avocat général :

Mme Petit

Avocats :

SCP Ortscheidt, SCP Piwnica et Molinié

T. com. Paris, du 19 juin 2007, n° 20060…

19 juin 2007

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société ABN Amro bank Nv que sur le pourvoi incident relevé par la société Lagardère SCA :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2008), que la société Lagardère SCA (la société Lagardère) a émis, au mois d'avril 1993, des obligations convertibles en actions puis, au mois d'avril 1994, des titres comportant des bons de souscription d'actions (BSA) qui en ont par la suite été détachés ; que la société MFK contrepartie, aux droits de laquelle se trouve la société ABN Amro bank Nv (la société ABN Amro) détenait des obligations qui ont été converties le 8 juillet 1996, ainsi que des BSA qui ont été exercés le 4 mars 1997 ; que la société ABN Amro, faisant valoir que la société Lagardère avait procédé, au titre des exercices 1993 et 1994, à des distributions de dividendes prélevés pour partie sur le compte primes d'apport sans que ces distributions aient donné lieu à un ajustement des modalités de conversion des obligations et des droits de souscription conférés par les BSA, a fait assigner cette dernière par acte du 31 mai 2006 ; que, déclarant agir sur le fondement de la gestion d'affaire pour le compte de la masse des titulaires d'obligations convertibles émises en 1993 et de la masse des titulaires de BSA émis en 1994, elle a demandé, avant dire droit, que la société Lagardère soit condamnée à convoquer une assemblée générale de chacune de ces deux masses afin que celles-ci statuent sur l'opportunité de reprendre la procédure à leur compte et, au fond, que la société Lagardère soit condamnée à délivrer une action et à payer 1 euro, sauf à parfaire, à chacune des deux masses ; qu'à titre subsidiaire, la société ABN Amro a demandé que la société Lagardère soit condamnée à lui délivrer un certain nombre d'actions et à lui payer des dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société ABN Amro fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables les demandes formées pour le compte des masses des titulaires de BSA et des titulaires d'actions convertibles, alors, selon le moyen :

1°/ qu'aux termes de l'article 64-II de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, "les valeurs mobilières donnant accès au capital ou droit à l'attribution de titres de créances, émises sur le fondement des régimes prévus par les sous-sections 2, 3 et 4 de la section 4 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce, sont régies, à compter de l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, par la sous-section 4 de la section 3 et par la section 6 du chapitre VIII du titre II du livre II du même code, sous réserve du maintien des droits des titulaires définis par le contrat d'émission, lorsque celui-ci est antérieur à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance" ; que pour déclarer irrecevable la demande de la société ABN Amro, fondée sur la gestion d'affaires pour le compte des masses des porteurs de BSA, la cour d'appel a retenu que ces dernières ne pouvaient bénéficier des dispositions de ladite ordonnance, datée de 2004, ni donner dès lors naissance à la masse de porteurs qu'elle prévoit, compte tenu du fait qu'elles devaient au plus tard être exercées antérieurement, à savoir le 1er juillet 1997 ; qu'en se déterminant ainsi, quand les dispositions transitoires de ladite ordonnance ont explicitement réservé l'hypothèse des BSA émis avant l'entrée en vigueur du texte, quelle que soit leur date d'émission, pour les soumettre aux dispositions de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article susvisé, ensemble l'article L. 228-103 du code de commerce, ensemble l'article 1372 du code civil ;

2°/ que, quand bien même la loi ne serait pas rétroactive, il n'en reste pas moins que les masses des porteurs existent en fait, de par la convergence des intérêts qui leur sont communs et qu'en tout cas, chaque porteur se trouve pourvu d'intérêts qu'un gérant peut préserver ; qu'en décidant l'inverse pour faire obstacle à la reconnaissance de la gestion d'affaires de ces intérêts communs, pris collectivement ou séparément, la cour d'appel a violé l'article 1372 du code civil ;

3°/ que la gestion d'affaires est l'acte par lequel un gérant s'occupe volontairement des affaires d'un géré, et pour son utilité, quoi qu'il n'ai reçu ni mandat ni autorisation, par des actes de conservation, d'administration ou de disposition ; qu'en l'espèce, la société ABN Amro a soutenu être fondée, pour l'utilité des masses de porteurs de BSA et d'obligations convertibles, compte tenu de l'inaction ou de l'absence de désignation de leurs représentants, à agir à titre conservatoire, afin que fût ordonnée la convocation d'assemblées générales permettant de décider de la poursuite de la procédure en leur nom ; que pour déclarer cette demande irrecevable, la cour d'appel a retenu, lors même que la masse des porteurs aurait survécu à l'échéance, qu'elle se heurtait aux dispositions impératives de l'article L. 228-54 du code de commerce, lesquelles réservent aux seuls représentants de la masse, dûment mandatés par l'assemblée générale, d'engager toute action défensive de ses intérêts communs ; qu'en se déterminant ainsi, quand les dispositions visées ne sont relatives qu'au mandat et établissent un mécanisme d'autorisation auquel, par hypothèse, celui de la gestion d'affaires est étranger, de sorte qu'elles ne sauraient l'exclure, la cour d'appel a violé l'article L. 228-54 du code de commerce, ensemble l'article 1372 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant énoncé que la gestion d'affaires ne peut jouer au profit d'une personne dépourvue d'existence, et relevé qu'aux termes du contrat d'émission, les BSA litigieux devaient être exercés au plus tard le 1er juillet 1997 et que ceux qui ne l'auraient pas été à cette date n'étaient plus valides, ce dont elle a exactement déduit que les dispositions de l'ordonnance du 24 juin 2004 n'avaient pu avoir pour effet de faire naître une masse des porteurs de BSA, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les demandes formées pour le compte de ladite masse étaient irrecevables ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant exactement retenu que la société ABN Amro ne saurait, en invoquant les règles relatives à la gestion d'affaires, s'affranchir des dispositions impératives de l'article L. 228-54 du code de commerce selon lesquelles les représentants de la masse, dûment autorisés par l'assemblée générale des porteurs des valeurs mobilières concernées, ont seuls qualité pour engager, au nom de ceux-ci, toutes actions ayant pour objet la défense de leurs intérêts communs, la cour d'appel en a déduit à bon droit que même en admettant que la masse des porteurs d'obligations convertibles ait survécu à l'échéance de leurs dates limites d'amortissement et de conversion, les demandes formées pour le compte de ladite masse étaient irrecevables ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que la société Lagardère fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable comme non prescrite l'action en responsabilité civile engagée à son encontre par la société ABN Amro agissant pour son propre compte, alors, selon le moyen, que le point de départ d'un délai à l'expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date de l'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance ; qu'en l'espèce, l'obligation qui a donné naissance à l'action de la société ABN Amro était, selon les propres énonciations de l'arrêt attaqué, celle qui imposait à la société Lagardère de procéder, à la suite de la distribution de dividendes pour partie prélevés sur les primes liées au capital au titre des exercices 1993 et 1994, à l'ajustement des parités de conversion ou de souscription des obligations convertibles et des BSA émis en avril 1993 et en avril 1994 ; que cette obligation était exigible dès les distributions de dividendes concernées ; qu'en retenant néanmoins que le délai de prescription n'avait couru contre la société ABN Amro qu'à compter de la date de conversion des obligations et de celle de l'exercice des BSA, soit à des dates postérieures à celles de l'exigibilité de l'obligation donnant naissance à son action, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 110-4 du code de commerce ;

Mais attendu que la prescription de l'action en responsabilité civile exercée par la société ABN Amro, qui avait pour objet la réparation du préjudice consistant dans l'obtention, lors de l'exercice des droits de conversion et de souscription, d'un nombre d'actions inférieur à celui auquel elle pouvait prétendre en vertu du contrat d'émission, n'a pu courir qu'à compter de la manifestation de ce préjudice ; que dès lors, ayant relevé que les obligations avaient été converties le 8 juillet 1996 et que les BSA avaient été exercés le 4 mars 1997, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action en réparation exercée le 31 mai 2006 ne se heurtait pas à la prescription décennale de l'article L. 110-4 du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que le second moyen du pourvoi principal ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois, principal et incident.