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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 12 octobre 2022, n° 20/11628

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

PMJC (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Guyonnet, Me Cousin, Me Lugosi, Me Fortunet

TJ. Paris, 3e ch. 2e sect., du 26 juin 2…

26 juin 2020

EXPOSÉ DU LITIGE

La société française PMJC, immatriculée le 1er septembre 2011, fait partie du groupe coréen HYUNGJI spécialisé dans le domaine de la mode. Elle a pour activité la conception, la distribution et la diffusion d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires.

M. [M] [X] se présente comme un créateur français emblématique reconnu en France et dans le monde entier pour ses créations et son travail polymorphe, bénéficiant d'une exceptionnelle notoriété et dont les oeuvres sont reconnaissables par leur univers artistique, leur gamme chromatique, la manière de dessiner et le style calligraphique particulier de leur auteur.

La société [M] [X], créée en 1978 et dirigée par M. [M] [X] jusqu'au 29 janvier 2004, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Paris du 3 mai 2011.

Dans ce cadre, la société PMJC - à l'époque détenue par la société SEOHA BRAND NETWORKS - a présenté une offre de reprise de ses actifs qui a été adoptée par jugement du 13 septembre 2011 et à la suite de cette décision, un acte de cession d'actifs corporels et incorporels a été conclu le 3 février 2012.

Cette cession portait notamment sur les deux marques verbales françaises suivantes :

- la marque « [M] [X] » n°3201616 (ci-après la marque 616) enregistrée le 26 décembre 2002 pour désigner des produits et services en classes 14, 21, 24, 25, 27, 38, 42 ;

- la marque « [M] [X] » n° 1640795 (ci-après la marque 795), enregistrée le 25 janvier 1991 pour désigner des produits et services en classes 3, 8, 9, 14, 18, < 20 >, 21, 24, 25, 33, 34.

Le 21 juillet 2011, M. [M] [X] a parallèlement signé un 'protocole de prestation de services' avec la société PMJC rappelant notamment « la nécessaire adéquation entre l'image des Marques et des articles commercialisés avec l'image de M. [M] [X] », le « style de M. [M] [X] (') la capacité de ce dernier à représenter les Marques auprès du public » justifiant que celui-ci se voit confier « la mission de Direction Artistique Globale des Activités et des Articles ».

Ce contrat est arrivé à son terme le 31 décembre 2015, donnant naissance à des difficultés entre les parties tenant notamment aux conditions dans lesquelles la société PMJC entendait poursuivre l'exploitation des marques et du travail de [M] [X] à l'issue de la période de collaboration, le créateur estimant que la société PMJC avait entrepris de développer un modèle économique consistant à imiter l'univers et les dessins de son ancien directeur artistique, notamment dans le cadre de partenariats conclus avec des entreprises tierces portant sur des adaptations non autorisées de ses oeuvres.

La société [X] CREATIVE, immatriculée le 8 septembre 2016 et fondée par M. [M] [X] qui en était l'associé majoritaire et le dirigeant, avait pour activité la création d'oeuvres artistiques, la prestation de conseils et de services de direction artistique, ainsi que la gestion et l'exploitation de droits de propriété intellectuelle.

Elle a fait l'objet d'une dissolution suivie d'une liquidation en date du 30 novembre 2021 et a été radiée du Registre du Commerce et des Sociétés de Paris le 11 février 2022.

Par ordonnance en date du 22 avril 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné M. [M] [X] en qualité de mandataire ad hoc de cette société afin de la représenter dans le cadre de la présente procédure.

M. [U] [X] est le fils de [M] [X] et se présente comme un designer et entrepreneur français. Il est titulaire du nom de domaine www.[05].com.

La société PMJC estime qu'en poursuivant ses activités professionnelles et artistiques par l'intermédiaire de la société [X] CREATIVE, M. [M] [X] se livre à une concurrence déloyale et porte atteinte aux droits dont elle est désormais titulaire sur les signes [X].

Dans ce contexte, de nombreuses actions judiciaires ont été engagées par l'une ou l'autre des parties, en référé ou au fond, notamment liées à l'exploitation de vêtements ou d'accessoires reprenant des éléments présentés comme directement issus de l'œuvre de [M] [X], ou relatives à la validité des marques.

L'EUIPO a parallèlement été saisi par M. [M] [X] de demandes visant à obtenir l'annulation de plusieurs des marques détenues par la société PMJC (marque semi-figurative n°14730931, marque semi-figurative n°14730907, marque verbale n° 14698278 « [M]/DC par [X] »), lesquelles ont été rejetées par décisions rendues le 11 décembre 2020, une marque semi-figurative de l'union européenne n° 014700371 déposée le < 20 > octobre 2015 ayant cependant été annulée. Ces décisions de rejet auraient été confirmées par décisions de la chambre des recours de l'EUIPO du 11 décembre 2020.

C'est dans ces circonstances que le 12 mars 2018, le conseil de la société PMJC a mis en demeure M. [M] [X] de cesser l'exploitation de la dénomination [X] pour exercer des activités identiques et/ou similaires à celles désignées par deux marques verbales dont elle est titulaire. Il lui a été répondu le 19 mars suivant que cette injonction apparaissait infondée dès lors que la dénomination litigieuse était constituée du nom patronymique du créateur.

Par acte d'huissier délivré le 21 juin 2018, la société PMJC a ensuite fait assigner MM. [M] [X] et [U] [X] et la société [X] CREATIVE en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale et parasitaire. A titre reconventionnel, M. [M] [X] a sollicité la déchéance ou, à défaut, la nullité des marques qui lui étaient opposées.

Par ordonnance du 19 avril 2019, le juge de la mise en état, saisi à l'initiative de M. [M] [X], a ordonné à la société PMJC de communiquer sous astreinte diverses pièces contractuelles, la demanderesse étant toutefois autorisée à occulter les conditions financières des contrats.

Par jugement du 26 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré recevables les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques '[M] [X]' n° 3201616 et '[M] [X]' n° 1640795,

- rejeté les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques '[M] [X]' n° 616 et '[M] [X]' n° 795 comme étant mal fondées,

- rejeté les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la nullité des marques '[M] [X]' n°616 et '[M] [X]' n° 795,

- débouté la société PMJC de ses demandes au titre de la contrefaçon des marques françaises '[M] [X]' n° 3201616 et '[M] [X]' n° 1640795,

- débouté la société PMJC de ses demandes au titre des actes de concurrence déloyale,

- en conséquence :

- rejeté les demandes au titre des mesures réparatrices et indemnitaires subséquentes,

- rejeté les demandes de publication,

- condamné la société PMJC à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de :

-7 000 euros à [M] [X] ;

-3 000 euros à la société [X] CREATIVE et [B] [X] ensemble,

- condamné la société PMJC aux dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Le 4 août 2020, la société PMJC a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4 transmises le 13 juin 2022, la société PMJC demande à la cour :

- de déclarer la société PMJC recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes et y faisant droit :

- de débouter M. [X] de sa demande aux fins d'irrecevabilité des demandes formées par la société PMJC à son encontre au titre de la contrefaçon,

- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [X] de ses demandes reconventionnelles en déchéance des marques [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795,

- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- déclaré recevable M. [X] en ses demandes reconventionnelles en déchéance des marques [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795,

- débouté la société PMJC de ses demandes fondées sur la contrefaçon et la concurrence déloyale

- en conséquence, statuant à nouveau de ces chefs :

- de déclarer MM. [X] et la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] en qualité de mandataire ad hoc désigné par ordonnance du tribunal de commerce de Paris en date du 22 avril 2022, irrecevables en leurs demandes de déchéances des marques [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795,

- de juger que MM. [X] et la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] es qualités ont commis des actes de contrefaçon des marques françaises [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795 et des actes de concurrence déloyale,

- de juger que M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] ès qualités ont commis des actes de concurrence déloyale,

- d'ordonner à M. [M] [X] et à la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] ès qualités de mandataire ad hoc désigné par ordonnance du tribunal de commerce de Paris en date du 22 avril 2022 de cesser toute reproduction, usage et diffusion, de la dénomination « [X] » à des fins commerciales sous quelque forme et quelque support que ce soit, au plus tard dans un délai de quinze (15) jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 500 € par infraction constatée et par jour de retard,

- d'ordonner à M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] ès qualités de supprimer, sur les sites web qu'ils éditent respectivement, toute référence aux collaborations de la société PMJC avec PETIT BATEAU, EACH OTHER, dans un délai de quinze (15) jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard,

- d'ordonner à M. [M] [X] de supprimer les messages litigieux publiés sur le compte Instagram les 25 et 29 mai 2018 dans un délai de quinze (15) jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard,

- d'ordonner à la société [X] CREATIVE de procéder au changement de sa dénomination sociale et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner à M. [U] [X] de procéder à la radiation du nom de domaine castelbajaccreative.com et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- d'ordonner à M. [M] [X] de procéder à la radiation du nom de domaine jeancharlesdecastelbajac.com et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- de se réserver la liquidation des astreintes,

- d'autoriser la société PMJC à diffuser le dispositif de l'arrêt à intervenir, sur son site internet [07], et dans toute revue, journal ou site internet de son choix, aux frais avancés par M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE représentée par M. [M] [X] ès qualités, dans la limite de 10.000 euros,

- de condamner in solidum M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE, représentée par M. [M] [X] ès qualités, au paiement de la somme de < 20 >.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon subis par la société PMJC,

- de condamner in solidum M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE, représentée par M. [M] [X] ès qualités, au paiement de la somme de < 20 >.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale subis par la société PMJC,

- de condamner in solidum M. [M] [X] et la société [X] CREATIVE, représentée par M. [M] [X] ès qualités au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 4 transmises le 17 mai 2022, M. [M] [X], la société [X] CREATIVE et M. [U] [X] demandent à la cour :

- de déclarer irrecevables les demandes formées par la société PMJC à l'encontre de M. [M] [X] au titre de la contrefaçon, compte tenu du principe de non-cumul des responsabilités civile contractuelle et délictuelle,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795 comme étant mal fondées,

- statuant de nouveau de ce chef :

- de juger la société PMJC déchue de ses droits de propriété intellectuelle sur les marques françaises [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795, pour l'intégralité des produits visés, en raison de leur caractère déceptif intervenu du seul fait des manoeuvres dolosives de la société PMJC,

- de prononcer la déchéance des marques françaises [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795, pour l'intégralité des produits visés, à compter du jugement à intervenir,

- d'ordonner la radiation des marques françaises [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795, pour l'intégralité des produits visés,

- de juger que l'arrêt à intervenir pourra être transcrit auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle au Registre National des Marques à la demande de la partie qui y a le plus intérêt,

- en tout état de cause :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société PMJC de ses demandes au titre (i) de la contrefaçon des marques françaises [M] [X] n° 616 et [M] [X] n° 795 et (ii) des actes de concurrence déloyale,

- condamné la société PMJC à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de : 7.000 euros à [M] [X] et 3.000 euros à la société [X] CREATIVE et [U] [X] ensemble,

- de condamner la société PMJC à verser à M. [M] [X], à M. [U] [X] et à la société [X] CREATIVE la somme supplémentaire de 30.000 € en cause d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société PMJC aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Maryline LUGOSI, avocat constitué, sur ses affirmations de droit dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 21 juin 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le chef non critiqué du jugement

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [M] [X] tendant à voir prononcer la nullité des marques '[M] [X]' n°616 et '[M] [X]' n° 795.

Sur la demande reconventionnelle de M. [X] et de la société [X] CREATIVE en déchéance des droits de la société PMJC sur ses marques n° 616 et n° 795

Sur la recevabilité de la demande de déchéance

La société PMJC prétend que la demande en déchéance est irrecevable en raison de l'obligation de garantie d'éviction du cédant résultant de l'article 1628 du code civil dans son ancienne rédaction (« Quoi qu'il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeurera cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle »). Elle fait valoir que la marque n° 795, déposée par M. [X], a été cédée par ce dernier à la société [M] [X] qui l'a ensuite cédée à la société PMJC et qu'en tant que cédant, M. [X] était débiteur d'une garantie d'éviction envers la société [M] [X], garantie dont elle bénéficie aujourd'hui, en tant que sous-cessionnaire de la marque ; que si la marque n° 616 a été déposée par la société [M] [X] alors dirigée par M. [X], il ne fait aucun doute que ce dernier avait autorisé cette société à exploiter son nom, en faisant un signe distinctif intégré à la dénomination sociale de la société, et avait personnellement garanti la faculté d'exploiter la marque sans restriction ni réserve, ce dont elle peut se prévaloir en tant que sous-cessionnaire ; que M. [X] ne peut donc former une demande en déchéance de ces marques à l'encontre de la société PMJC, sous-cessionnaire, ce qui aurait pour effet de l'évincer ; que bien qu'ayant acquis les marques dans le cadre d'une procédure judiciaire, elle peut s'en prévaloir dès lors que c'est à l'encontre de M. [X], cédant d'origine et débiteur de la garantie attachée à la chose cédée, et que c'est par voie d'exception en défense à une demande en déchéance de ses droits sur les marques.

M. [X] et la société [X] CREATIVE demande la confirmation du jugement sur ce point. Ils font valoir que M. [X] n'a pas la qualité de vendeur de la marque française n° 616, cette marque ayant été déposée par la société [M] [X] ; que la garantie d'éviction n'est pas applicable aux ventes judiciaires ; que le manquement à la garantie d'éviction ne s'analyse pas comme une irrecevabilité à agir mais comme une éventuelle faute distincte susceptible d'engager la responsabilité du vendeur ; que comme l'a retenu le tribunal, la mise en oeuvre de la garantie supposant qu'elle soit sollicitée de bonne foi, elle ne peut faire obstacle à des demandes fondées, comme en l'espèce, sur un comportement dénoncé comme fautif du cessionnaire des marques.

Ceci étant exposé, c'est à juste raison que le tribunal a écarté la fin de non-recevoir soulevée par la société PMJC en retenant que le manquement à la garantie d'éviction ne constitue pas une irrecevabilité à agir mais une éventuelle faute distincte, susceptible, si elle est établie, d'engager la responsabilité du vendeur sur le fondement de l'article 1630 du code civil et que la garantie invoquée ne peut en tout état de cause être opposée pour rendre irrecevable une demande fondée, comme en l'espèce, sur le comportement prétendument fautif du cessionnaire des droits patrimoniaux litigieux.

Il sera seulement ajouté qu'il n'est nullement démontré que M. [X] a conenti à ce que l'usage de son nom patronymique soit cédé en même temps que les marques litigieuses. L'acte de cession du 3 février 2012 entre la société JEAN CHARLES [X] et la société PMJC ne l'indique pas (cf. article 1-1 énumérant les actifs incorporels cédés), pas plus que la convention de prestation de services conclue entre M. [X] et la société PMJC le 21 juillet 2011 qui prévoit que le créateur est autorisé à poursuivre pour son propre compte, parallèlement à la collaboration envisagée, des activités dites 'dérogatoires', dans le cadre desquelles, sans disposer du droit d'exploiter les marques 'notamment en apposant l'une d'entre elles sur un bien quelconque', il pourra néanmoins 'apposer le nom [M] [X] ou [M] [X] sur toute création (...)' (article 2.2 dernier paragraphe).

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur le bien-fondé de la demande de déchéance

M. [X] et la société [X] CREATIVE soutiennent que le tribunal, procédant à une interprétation erronée de l'arrêt [F] [R] de la CJUE (30 mars 2006) et s'écartant de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, a méconnu le fait qu'une marque composée d'un nom patronymique puisse encourir la déchéance en raison de sa déceptivité au regard de manoeuvres dolosives commises par son titulaire ; qu'en l'occurrence, la société PMJC exploite les marques de façon à laisser le public croire que M. [X] est l'auteur des créations sur lesquelles ces marques sont apposées ; que ces manoeuvres dolosives sont de nature à affecter les marques elles-mêmes et justifient la déchéance pour déceptivité ou usage trompeur des droits de la société PMJC sur les marques.

La société PMJC, rappelant que l'absence de caractère déceptif de ses marques a été confirmée par plusieurs juridictions (tribunal judiciaire de Paris, EUIPO, Chambre de recours de l'EUIPO), conteste tout usage dolosif des marques. Elle fait valoir qu'à l'appui de leur demande de déchéance, les intimés ne fournissent que des développements généraux sans préciser pour chacune des marques les actes d'exploitation qui les rendraient déceptives, ni les produits et services concernés par la demande de déchéance ; qu'en reprenant pour l'essentiel des arguments développés dans de précédents litiges, les intimés ne parviennent pas à démontrer que les deux marques en cause seraient devenues trompeuses en raison des conditions de leur exploitation et susceptibles d'encourir la déchéance pour ce motif ; que les manoeuvres dolosives invoquées supposent une intention de nuire et des actes fautifs qui ne peuvent résider dans le seul usage de marques composées du nom d'une personne qui n'a pas personnellement créé les produits sur lesquels elle est apposée ; que dans les affaires similaires à la présente espèce portées devant les juridictions françaises ou européennes, aucun demandeur à une action en déchéance n'est parvenu à faire juger qu'une marque composée de son patronyme était devenue déceptive en raison des conditions de son exploitation lorsque le porteur du nom n'exerce plus de fonction au sein de la société, comme en l'espèce. Elle indique que la cession des droits d'auteur de M. [X] à la société PMJC sur ses réalisations pendant le contrat de prestation de services a été affirmée à plusieurs reprises sans ambiguïté ; que les droits légitimes de la société PMJC sur la dénomination [X] ont été consacrés puisque plusieurs demandes en nullité à l'encontre de marques détenues par la société PMJC formées reconventionnellement ont été écartées tant par l'EUIPO que par le TGI de Paris lorsque M. [X] a tenté de faire juger que l'utilisation de la dénomination était trompeuse ; qu'à plusieurs reprises, les demandes de M. [X] fondées sur une atteinte au droit moral ont été déclarées irrecevables faute pour ce dernier de justifier de sa qualité d'auteur et de la datation des oeuvres revendiquées ; qu'on ne saurait donc reprocher à la société PMJC une utilisation fautive du nom de M. [X] à l'appui d'une demande en déchéance de marque. Elle ajoute que M. [X] est de mauvaise foi, multipliant les procédures au cours desquelles il se contredit (ainsi, les marques litigieuses sont visées dans une procédure pendante devant l'INPI dans laquelle il sollicite la déchéance pour défaut d'exploitation) et cherchant à la spolier d'actifs incorporels dont elle a fait l'acquisition, en particulier des marques, et en tout cas à l'empêcher d'utiliser ces marques pour en retrouver la libre disposition sur un plan commercial dans le cadre de l'exercice d'activités concurrentes.

Ceci étant exposé, aux termes de l'article L.714-6 du code de la propriété intellectuelle,' Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d'une marque devenue de son fait : (...)

b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service'.

Contrairement à ce que plaide la société PMJC, M. [X] et la société [X] CREATIVE ne lui reproche pas l'usage de marques composées du patronyme du créateur au motif que ce dernier n'exerce plus les fonctions de directeur artistique au sein de la société PMJC. Ils font très expressément grief à la société PMJC de l'usage des marques qui leur sont opposées « [M] [X] » n° 616 et « [M] [X] » n° 795, ainsi que des signes [X] et [X] PARIS, dans des conditions telles qu'elles seraient de nature à persuader le consommateur que les produits qu'il acquiert sous ces marques ou signes ont été conçus sous la direction artistique de M. [X] alors que cela n'est pas le cas.

Dans un arrêt [F] [W] [R] (CJCE, 30 mars 2006, C-259/04), la Cour de justice des communautés européenne, a dit pour droit, comme les premiers juges l'ont relevé, que « Le titulaire d'une marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque ne peut, en raison de cette seule particularité

1: Mise en gras ajouté par la cour.

, être déchu de ses droits au motif que ladite marque induirait le public en erreur, au sens de l'article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 89/104 ».

Cette décision, qui n'exclut donc nullement, ainsi que le soulignent les intimés, la possibilité du prononcé d'une déchéance de marque dans l'hypothèse où son titulaire en ferait un usage trompeur, laisse la possibilité à M. [X] et à la société [X] CREATIVE, auxquels la société PMJC oppose ses marques « [M] [X] » n° 616 et « [M] [X] » n° 795, de tenter de démontrer que l'exploitation qui est faite de ces marques par leur titulaire est dolosive.

En l'occurrence, il est établi qu'à la fin de l'année 2017, soit postérieurement à la collaboration organisée par le protocole de prestation de services du 21 juillet 2011, la société PMJC, en collaboration avec la société GUANXI exerçant sous la dénomination DAGOBEAR, a proposé à la vente une collection Dagobear X [X] composée de 14 articles (caleçons, sweat-shirts, tee-shirts...) dont les motifs reprenaient des formes (soleil, moulin, coeur, oiseau, nuage, phylactères...), des couleurs (jaune, rouge, bleu), des jeux de mots ou rébus, tous éléments emblématiques de l'univers de M. [X], outre des mentions manuscrites identiques à l'écriture du créateur. Cette collection a donné lieu à des commentaires sur plusieurs sites internet (www.modeintextile.fr, www.mensup.fr, www.welcometothejungle.co) associant sa création à la personne de M. [X] et donnant à penser que les motifs apposés sur les articles concernés étaient des oeuvres de l'artiste réalisées dans le cadre d'un partenariat ('Un caleçon comme Papa ' Oui mais pas tout à fait. Ceux de Dagobear, désignés par [M] [X] sont à colorier' ; 'Pour Noël 2017, [X] Paris et Dagobear nous font découvrir une collection croisière exclusive...' ; 'Parmi les produits marquants de ce salon, nous retenons la collaboration entre le styliste de renom [M] [X] et la marque de sous-vêtements pour hommes Dagobear... Le styliste s'est plié au thème de la Provence qu inspire la saison, pour exprimer sa créativité et apposer son trait iconique sur des shorts de bain, t-shirts, caleçons et chaussettes...'). De même, en décembre 2017, la société PMJC, en collaboration avec la société LOUIS QUATORZE, a proposé une collection Shopper LQ X [X] composée d'articles de bagagerie (sacs, trousses) recouverts de motifs et de couleurs associés à l'univers de M. [X], dont le lancement a donné lieu à des articles promotionnels sur les sites Linkedin https://fr.linkedin.com/pulse/présentation-de-la-collection-capsule-louis-quatorze-roux-fouillet,

http:/fashioncvmag.[06] et sur le site www.[08].fr, l'attribuant expressément à une collaboration avec le créateur.

Après une lettre de mise en demeure du conseil de M. [X], la société LOUIS QUATORZE a indiqué cesser la commercialisation des produits litigieux. Si les articles sur internet ayant accompagné le lancement de ces deux collections ne peuvent pas être directement imputés à la société PMJC, ils ont cependant été écrits, s'agissant d'articles de présentation de produits, à partir d'informations communiquées à la presse, et en tout état de cause, force est de constater que, dans un contexte conflictuel, la société PMJC n'a rien fait pour mettre fin à leur publication et éviter ainsi la confusion qui en résulte. Le signe JEAN CHARLES [X] constituant la marque litigieuse n° 795 et le signe [X] constituant une forme légèrement modifiée des deux marques invoquées, ont été utilisés à ces occasions.

Il est par ailleurs constant qu'en janvier 2018, la société PMJC a lancé une campagne promotionnelle célébrant le cinquantenaire du travail de M. [X]. A cette occasion, elle a mis en ligne une vidéo et des posters sur son compte Instagram et son compte Facebook présentant des dessins inspirés de l'univers du créateur (vêtements, défilé, Tour Eiffel, animaux, éléments d'architecture), faisant état du fait que « [X] Paris fête en 2018 ses 50 ans et vous donne 50 rendez-vous pour 50 surprises tout au long de l'année », ainsi que des photographies d'archive de créations de M. [X] avec la mention « pour son 50e anniversaire [X] Paris revient en image sur les pièces iconiques de la Maison ». Les intimés indiquent sans être contredits que l'affaire a fait l'objet d'une transaction, au terme de laquelle la société PMJC et sa maison mère HYUNGJI ont cessé les actes reprochés, M. [X] obtenant en outre la publication d'un erratum sur leur site Internet indiquant que 'La campagne célébrant le cinquantenaire de la Maison CAST'ELBAJAC PARIS (...) est une erreur. La société PMJC n'a pas 50 ans d'existence et n'entend pas effectuer et/ou participer à cet événement qui sera célébré par M. [X]'.

En outre, par jugement du 6 juin 2019, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la société PMJC pour contrefaçon des droits d'auteur de M. [X] pour avoir, dans le cadre d'une collaboration avec la société LES GOURMANDISES DES FRANCAIS, lancé en 2018 une opération commerciale portant sur des tablettes de chocolats signées [X] PARIS et LE CHOCOLAT DES FRANÇAIS, recouvertes d'illustrations (visage féminin, phylactères, messages manuscrits...) reprenant des dessins originaux du créateur. Cette condamnation a été confirmée par un arrêt de cette cour du 7 septembre 2021 (qui fait l'objet d'un pourvoi en cassation), la cour retenant en outre à l'encontre de la société PMJC des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire en ces termes : 'si [M] [X] n'est pas fondé à reprocher à la société PMJC d'associer en tant que tel le nom [X] à divers projets, puisque les actifs de la société éponyme lui ont été cédés dans le contexte de procédure collective déjà mentionné, (...) cette cession n'autorise pas pour autant l'appelante à publier des dessins faussement attribués à [M] [X] et à commercialiser des produits avec ces annonces « si le coffret est une invitation à la gourmandise, il l'est aussi avec les délicates et poétiques illustrations de [M] [X]' ou ' l'on retrouve le coup de crayon de [M] [X] (...) Ainsi, le fait de faire croire que [M] [X] serait le créateur des dessins en cause et qu'il aurait accepté de s'associer au lancement de la vente de ces chocolats, alors que lui-même, dans le cadre de ses activités personnelles, a développé des partenariats avec des marques, crée un risque de confusion dans l'esprit du public et de ses partenaires qui seront portés à croire que la collaboration annoncée reflète la vérité. Par ailleurs, le fait que la société PMJC présente les dessins figurant sur les produits qu'elle commercialise comme étant de la main de [M] [X] constitue également des actes parasitaires, la société PMJC tentant ainsi de renouveler l'oeuvre de [M] [X], au-delà des droits patrimoniaux qu'elle a régulièrement acquis, sans tirer les conséquences de droits résultant de la fin de leur relation contractuelle (...)'.

Il est encore justifié que par ordonnance de référé du 17 juillet 2018, la société PMJC a été sanctionnée en raison du lancement, annoncé sur son site Instagram en mai 2018, d'une nouvelle collection comprenant notamment des tee-shirts et 'tote bags' reprenant en guise de motifs deux oeuvres antérieures de M. [X] intitulées Secret et My Radiant Bird, initialement apposées sur une robe et une pochette. En dessous de ces reproductions était apposé le signe [X] PARIS. Sur l'appel de la société PMJC, cette cour, par un arrêt du 1er mars 2019, a confirmé l'ordonnance, précisant que le préjudice devait être réparé en tenant compte 'de l'importance des dénaturations constatées en juin 2018, plus de 4 ans après la création et la divulgation des dessins pour une collection spécifique, sur des supports de moindre valeur, et alors que M. [X] n'est plus le directeur artistique de la société PMJC depuis plus de 2 ans'.

Par jugement du tribunal judiciaire de Paris du 10 janvier 2020, la société PMJC a été condamnée au fond pour des actes de contrefaçon de droit d'auteur sur les œuvres de M. [X] intitulées My Radiant Bird, Secret et Roi des Etoiles et pour des actes distincts de concurrence déloyale par parasitisme et par risque de confusion. Au titre de ces actes distincts, le tribunal a retenu que les motifs litigieux apposés sur les produits cosmétiques 'reprennent les éléments caractéristiques distinctifs utilisés par [M] [X] et peuvent conduire à lui attribuer ces nouveaux dessins (')' et que 'dans le cadre de sa communication commerciale sur les réseaux sociaux, la société PMJC a présenté les nouveaux motifs qu'elle commercialise comme étant de la main de [M] [X], et laissé supposer que celui-ci exerçait toujours la fonction de directeur artistique (...) Ces agissements caractérisent également des faits de parasitisme en ce qu'ils consistent pour la société PMJC, au-delà des droits patrimoniaux régulièrement acquis, à continuer à « renouveler » l'oeuvre de [M] [X] sans tirer les conséquences de droit résultant de la fin de leur relation contractuelle'.

Par jugement du tribunal judiciaire de Paris du 18 novembre 2021, la société PMJC a encore été sanctionnée pour avoir, à l'automne 2018, avec notamment la société L'OCCITANE INTERNATIONAL, commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur en commercialisant et en assurant la promotion de produits cosmétiques revêtus d'adaptations de plusieurs oeuvres antérieures de M. [X], outre des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire. A ce dernier titre, le tribunal a retenu notamment que 'Si M. [X] n'est pas fondé à reprocher à la société PMJC d'associer le nom '[X]' à divers projets, puisque les actifs de la société éponyme lui ont été cédés dans le cadre de la procédure collective rappelée plus haut, il doit être précisé que cette cession n'autorise pas pour autant la société PMJC à reproduire en les adaptant les oeuvres, actuelles comme passées, de son ancien partenaire et à divulguer ces adaptations en faisant croire au plublic, par l'usage des marques, que le demandeur en est l'auteur. A cet égard, le fait de suggérer que M. [X] serait le créateur des dessins en cause et qu'il aurait accepté de s'associer au lancement de la vente de ces produits de soin, ce qui n'est pas le cas et alors que lui-même, dans le cadre de ses activités personnelles, a développé des partenariats avec des marques, crée un risque de confusion dans l'esprit du public et de ses partenaires. De la même manière, le fait que la société PMJC présente les dessins figurant sur les produits qu'elle commercialise comme étant de la main de [M] [X] constitue également des actes parasitaires, la société PMJC s'abstenant de tirer les conséquences de droit résultant de la fin de leur relation contractuelle (...)'. Des coffrets de produits cosmétiques litigieux étaient en l'espèce recouverts du signe [X] PARIS.

Au vu de ces éléments, la société PMJC ne peut affirmer (page 22 de ses conclusions) que depuis que le contrat de prestations de services avec M. [X] est arrivé à son terme, le 31 décembre 2015, elle n'a plus fait référence au créateur ni laissé à penser qu'il exercerait toujours des fonctions de directeur artistique pour son compte.

Si, comme elle l'indique, la cession des droits d'auteur de M. [X] à son profit sur les créations réalisées pendant le contrat de prestation de services a été affirmée à plusieurs reprises par les juridictions saisies des litiges entre les parties, celles-ci ont également retenu à son encontre des faits illicites, précisément invoqués dans la présente affaire, consistant à associer les marques en cause à des opérations commerciales à l'occasion desquelles sont attribués au créateur des dessins ou illustrations qui ne sont en réalité pas de sa main.

Les éléments qui viennent d'être exposés, qui ne sont pas utilement critiqués par la société appelante, caractérisent l'usage trompeur que la société PMJC a fait, à plusieurs reprises, au moins au cours de l'année 2018, des marques '[M] [X]' n° 616 et '[M] [X]' n° 795, en associant ces marques, ou les signes similaires [X] et [X] PARIS qui en constituent des formes légèrement modifiées, à des agissements visant à faire croire au consommateur que certains produits qu'il acquiert, revêtus de ces marques ou signes, ont été conçus par ou sous la direction artistique de M. [X] alors que cette conception ne s'inscrit plus dans le cadre de la collaboration qui a uni, de juillet 2011 à la fin de l'année 2015, la société et le créateur.

La marque devant demeurer un instrument loyal d'information du consommateur des produits et services visés à son enregistrement, cet usage trompeur des marques '[M] [X]' n° 616 et '[M] [X]' n° 795, justifie, en application de l'article L. 714-6 b) précité, le prononcé de la déchéance des droits de la société PMJC sur lesdites marques, non pour l'intégralité des produits visés à l'enregistrement des marques comme il est demandé, mais uniquement pour les produits et services qu'elles couvrent en rapport avec les faits litigieux, soit les 'vêtements (habillement) pour femmes, hommes et enfants' et les 'services de dessinateurs de mode ; stylisme (vestimentaire)' pour la marque n° 616, et les 'produits cosmétiques et de beauté' et les 'vêtements' pour la marque n° 795, et ce à compter du présent arrêt.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques '[M] [X]' n° 616 et '[M] [X]' n° 795 comme étant mal fondées.

Sur les demandes de la société PMJC en contrefaçon de ses marques n° 616 et 795

Sur la recevabilité des demandes

M. [X] et la société [X] CREATIVE soutiennent que l'action en contrefaçon de marques de la société PMJC est irrecevable dès lors que l'appelante invoque à l'appui de cette action les termes du protocole de prestation de services du 21 juillet 2011 et, ce faisant, méconnaît le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle en vertu duquel la responsabilité délictuelle doit être écartée au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que les parties sont liées par un contrat et que le dommage allégué par l'une des parties résulte de l'inexécution ou de la mauvaise exécution de l'une des obligations mises à la charge de l'autre partie.

La société PMJC répond qu'elle reproche à M. [X], non pas une violation de ses obligations au titre du contrat de prestations de services arrivé à son terme le 31 décembre 2015, mais des agissements distincts commis postérieurement. Elle ajoute que cette fin de non-recevoir aurait en tout état de cause relevé de la compétence du conseiller de la mise en état qui n'en a pas été saisi.

La fin de non-recevoir sera écartée dès lors que la société PMJC fonde sa demande en contrefaçon de marques, non sur la violation par les intimés des obligations nées du protocole de prestation de services, auquel au demeurant la société [X] CREATIVE n'est pas partie, mais sur des faits de contrefaçon commis postérieurement au terme de cet accord survenu le 31 décembre 2015.

Sur le bien-fondé des demandes

La société PMJC reproche les actes de contrefaçon suivants :

- à la société [X] CREATIVE :

- l'adoption et l'usage de la dénomination sociale [X] CREATIVE portant atteinte à sa marque « [M] [X] » n° 616 : elle argue que les activités exercées par la société [X] CREATIVE, à savoir la création et l'exploitation de modèles, sont identiques aux produits et services désignés par la marque qui désigne, notamment, les « vêtements » en classe 25 et les services de dessinateurs de mode et de stylisme en classe 42 ; que les signes en présence, dont l'élément dominant est [X], sont similaires, la mention CREATIVE étant purement descriptive ; que la dénomination sociale litigieuse [X] CREATIVE est donc manifestement similaire à la marque « [M] [X] », ce qui est de nature à créer un risque de confusion,

- l'édition, depuis le nom de domaine castelbajaccreative.com, d'un site internet sur lequel elle présente ses activités et offre ses services, en particulier dans le domaine de la mode, ce nom de domaine ayant été réservé par M. [U] [X] qui en est le titulaire même si le site est manifestement édité par la société [X] CREATIVE ; que ce nom de domaine, utilisé pour un site qui propose des services similaires aux produits et services offerts sous la marque « [M] [X] » dont il reprend l'élément distinctif dominant [X], en constitue l'imitation,

- l'édition d'une page Facebook dénommée [X] CREATIVE STUDIO qui reproduit le terme [X] pour présenter des services en lien avec la mode ; qu'il s'agit d'une imitation de la marque « [M] [X] » utilisée pour désigner des produits et services identiques et similaires à ceux désignés par cette marque,

- à M. [M] [X] :

- l'édition, depuis le nom de domaine jeancharlesdecastelbajac.com, d'un site internet qui décrit des prestations et services dans le domaine de la mode et du design, ce qui constitue une contrefaçon de la marque « [M] [X] » n° 795 qui désigne notamment des 'vêtements' dans la classe 25 ; qu'il s'agit bien d'un usage dans la vie des affaires ; que la marque est reproduite à l'identique au sein du nom de domaine jeancharlesdecastelbajac.com et sur le site web accessible depuis le nom de domaine, en relation avec des produits (vêtements) identiques à ceux désignés par la marque contrefaite,

- l'utilisation de la dénomination [X] pour la promotion de vêtements et d'accessoires (pour le design de gants avec la société AGNELLE, pour le design d'articles de décoration intérieure avec la société PANSU, pour la réalisation de collection de vêtements).

M. [X] et la société [X] CREATIVE contestent la contrefaçon alléguée, faisant valoir que le protocole de prestation de services est expiré depuis le 31 décembre 2015, ne laissant aucune obligation post-contractuelle, notamment de non concurrence, à la charge de M. [X] ; que le nom [M] [X] n'est pas apposé sur les articles mais associé à leur commercialisation en ce que ces articles sont présentés comme revêtus de dessins de la main de l'artiste qui revendique ainsi la paternité de son oeuvre ; que l'usage reproché n'est donc pas fait à titre de marque ; que la solution dégagée par les premiers juges est parfaitement conforme à l'article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle, M. [X] utilisant son nom de parfaite bonne foi ; que de même, n'est pas rapportée la preuve de l'usage par la société [X] CREATIVE de sa dénomination sociale à titre de marque, pour désigner des produits ou services visés à l'enregistrement de la marque « [M] [X] » n° 616 ; que la société [X] CREATIVE, contrairement à la société PMJC, que ce soit sur son site internet ou sa page facebook, n'exerce pas une activité de vente dans le secteur de la mode mais propose des prestations de conseils et de direction artistique auprès de grandes marques dans différents secteurs d'activité.

Il sera indiqué à titre liminaire que la déchéance partielle des droits de la société PMJC sur les deux marques en cause ne dispense pas la cour d'examiner les faits de contrefaçon allégués dès lors que ces faits sont antérieurs à la date de la déchéance prononcée.

Aux termes de l'article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, 'Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque'.

L'article L. 713-3-1 du même code prévoit que 'Sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :

1° L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;

2° L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ; (...)

4° L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;

5° L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité (...)'.

Selon l'article le paragraphe 1 de l'article L. 713-6, 'Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce :

1° De son nom de famille ou de son adresse lorsque ce tiers est une personne physique (...)'.

Comme il a été dit, il ne ressort ni de l'acte de cession des marques par la société [M] [X] ni de la convention de prestation de services conclue entre la société PMJC et M. [X] que ce dernier a cédé ou limité l'usage de son nom patronymique, que ce soit pour la période correspondant à l'exécution du contrat ou pour celle s'ouvrant à l'expiration de ce contrat. Il est rappelé que la convention de prestation de services prévoit à son article 2.2 dernier paragraphe que 'l'exercice par Monsieur [M] [X] des Activités Dérogatoires ne lui confère pas le droit d'exploiter les Marques notamment en apposant l'une d'entre elles sur un bien quelconque, étant néanmoins précisé qu'il pourra apposer le nom '[M] [X]' ou '[M] [X]' sur toute création réalisée au titre des Activités Dérogatoires'. M. [X] a donc conservé l'usage de son patronyme pour ses 'activités dérogatoires' pendant la collaboration avec la société PMJC, sous réserve de ne pas utiliser les marques précédemment cédées en les apposant sur des produits (ou services) susceptibles de résulter de ces activités dérogatoires, et a fortiori pour ses activités postérieures au terme du contrat de prestation de services.

Il est relevé qu'aucun accord de non-concurrence n'a été conclu entre les parties.

Dans ces conditions, l'exploitation par M. [X], depuis un nom de domaine jeancharlesdecastelbajac.com qui n'est que la reproduction de ses prénoms et nom, d'un site internet sur lequel apparaissent, en haut des pages, les signes stylisés [M] [X] + (des étoiles étant utilisées en guise de points au-dessus des lettres J) pour présenter ses réalisations de créateur et ses prestations de service de consultant et directeur artistique dans le domaine de la mode et du design, sans que ces signes soient apposés sur les produits ou services concernés eux-mêmes, se distingue de l'indication d'origine de ces produits et services, et traduit seulement la liberté du créateur de présenter ses activités sous son nom et avec sa signature, ce qui ne peut être en soi contraire aux usages loyaux du commerce.

De même, si la société [X] CREATIVE, créée en 2016, intervient, au vu de ses statuts, notamment dans les secteurs de la création de mode, du design, du conseil et de la prestation de services de direction artistique, et propose donc des services similaires à ceux de 'décoration intérieure ; services de dessinateurs de mode ; stylisme (vestimentaire)' couverts par la marque n° 616 de la société PMJC, M. [X], son fondateur, a pu valablement utiliser son patronyme, dont il a conservé l'entier usage, à titre de dénomination sociale. Cette dénomination est du reste suffisamment distincte de la marque antérieure opposée « [M] [X] » n° 616 par sa longueur (15 lettres pour la marque antérieure / 19 pour la dénomination contestée), sa structure (3 éléments verbaux / 2 éléments verbaux), sa prononciation et l'évocation générée (initiales de prénom et patronyme d'une personne physique / entreprise de création de [X]) pour ne pas rendre évident le risque de confusion allégué, d'autant qu'il n'est pas démontré ni prétendu que le signe [X] CREATIVE serait apposé sur des produits et services à titre de marque, comme indication de leur origine. Le nom de domaine, le site internet et la page Facebook qui reproduisent la dénomination de la société [X] CREATIVE ne sont pas plus reprochables.

La contrefaçon alléguée ne se trouve donc pas caractérisée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes en concurrence déloyale

La société PMJC reproche à M. [X] des actes de dénigrement ayant pris la forme (i) de prises de contacts avec certains de ses partenaires afin de les menacer de poursuites judiciaires et d'empêcher les partenariats (groupe CASINO, société GUANXI, société CREATION 14), (ii) de messages diffusés sur Instagram qualifiant de 'fake' des dessins qu'elle utilise. Elle fait également grief à la société à [X] CREATIVE d'avoir tenté de détourner sa clientèle en s'attribuant indûment des partenariats (avec PETIT BATEAU, ROSSIGNOL, EACH OTHER) qui sont en réalité les siens et en reprenant des visuels qu'elle-même a utilisés dans le cadre desdits partenariats.

Les intimés répondent en substance que les actes de dénigrement dénoncés sont précisément liés aux faits de tromperie reprochés à la société PMJC et qu'aucun détournement de clientèle n'est démontré.

La cour rappelle que les actes de concurrence déloyale sont sanctionnés au titre de la responsabilité de droit commun prévue à l'article 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, lorsqu'ils excèdent les limites admises dans l'exercice des activités économiques, au nom du principe de la liberté du commerce. Ils peuvent revêtir la forme d'actes de dénigrement consistant, au-delà d'une forme de critique admissible, parce qu'objective et mesurée, à divulguer une information de nature à jeter le discrédit sur l'activité d'un concurrent et à en tirer profit.

Sur les faits reprochés à M. [X]

Pas plus qu'en première instance, la société PMJC ne produit le courrier du < 20 avril 2017 par lequel M. [X] aurait mis en demeure le groupe CASINO de suspendre et cesser la commercialisation d'une ligne de linge de maison marqué '[M] [X]' en invoquant une atteinte à l'image de marque attachée à sa personne. S'il est fait référence à ce courrier dans la réponse adressée au conseil de M. [X] par celui de la société PMJC le 5 mai 2017, déplorant le fait que 'son client se soit cru autoriser à prendre l'attache du groupe Casino dans le cadre d'un courrier que l'on peut qualifier d'intimidation', la cour, pas plus que le tribunal, n'est en mesure de vérifier les termes du courrier litigieux.

Sont en revanche versés aux débats les courriers de mise en demeure adressés les 12 décembre et 13 décembre 2017 par le conseil de M. [X] respectivement à la société GUANXI (DAGOBEAR) et à la société CREATION 14, pour demander à la première la cessation de l'exploitation de la collection capsule précitée Dagobear x [X] de sous-vêtements pour hommes et à la seconde l'arrêt de la collection capsule précitée Shopper LQ X [X]. Mais eu égard aux développements précédents concernant la déchéance des marques, ces demandes n'étaient nullement illégitimes dès lors que M. [X] entendait mettre fin aux agissements de ces deux partenaires de la société PMJC, dont la présentation des produits, reprenant des éléments emblématiques de son univers de créateur, donnait à penser qu'ils étaient le fruit d'une collaboration avec lui, alors qu'il n'en était rien. Contrairement à ce que soutient la société PMJC, il ne ressort pas de ces courriers que M. [X] entendait conserver un droit de regard sur l'exploitation des marques cédées ou contester la cession des actifs incorporels de la société JEAN CHARLES [X] ou celle des droits d'auteur de M. [X] pour les créations réalisées pendant l'exécution de la convention de prestation de services, le conseil du créateur dénonçant les 'reproductions' de l'oeuvre de son client, la reprise de formes, calligraphies et couleurs associées à ce dernier et l'usage de son oeuvre et de son nom patronymique 'en qualité de créateur'. Ces courriers ne peuvent donc être considérés comme fautifs.

Les deux messages postés sur le compte Instagram de [M] [X] montrant des dessins accompagnés de mentions 'Ceci n'est pas un dessin original de #jeancharlesdecastelbajac+#fake+#attention aux imitations' ou 'INFOMATION IMPORTANTE : #jeancharlesdecastelbajac N'EST PAS L'AUTEUR DE CES DESSINS vendus par @castelbajacofficiel ' ne peuvent être davantage retenus comme fautifs à l'encontre du créateur, légitime à défendre ses oeuvres alors que la société PMJC, comme il a été dit, a été condamnée à plusieurs reprises, notamment pour contrefaçon de ses droits d'auteur à raison de la reproduction de ses dessins.

Le dénigrement dénoncé n'est donc pas caractérisé.

Sur les faits reprochés à la société [X] CREATIVE

Comme l'a retenu le tribunal, les conditions dans lesquelles la société [X] CREATIVE, qui présente notamment sur son site les activités du créateur, fait état d'une collaboration avec les marques ROSSIGNOL, PETIT BATEAU ou EACH OTHER, avec lesquelles la société PMJC avait auparavant conclu des partenariats, montrent que ces collaborations sont présentées comme étant en relation, non pas avec la société [X] CREATIVE, laquelle, comme l'admet d'ailleurs la société appelante, n'était pas constituée en 2015 au moment du partenariat PMJC/PETIT BATEAU, mais avec la personne de [M] [X] en tant que 'créateur' ('le créateur [M] [X] pose son empreinte colorée et fantasque sur les iconiques de Petit Bateau et ça bouge !').

Le détournement de clientèle n'est pas démontré.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société PMJC de ses demandes au titre des actes de concurrence déloyale.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société PMJC, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me LUGOSI, avocate, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société PMJC au titre des frais non compris dans les dépens exposés par MM. [X] peut être équitablement fixée globalement à 10 000 €, cette somme complétant celles allouées en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [M] [X] tendant à voir prononcer la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques '[M] [X]' n° 616 et '[M] [X]' n° 795 comme étant mal fondées,

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit que la société PMJC est déchue de ses droits sur la marque '[M] [X] » n°3201616 pour désigner les 'vêtements (habillement) pour femmes, hommes et enfants' et les 'services de dessinateurs de mode ; stylisme (vestimentaire)' et sur la marque «[M] [X] » n° 1640795 pour les 'produits cosmétiques et de beauté' et les 'vêtements', et ce à compter du présent arrêt,

Ordonne la transcription de cet arrêt auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle au Registre National des Marques à la demande de la partie qui y a le plus intérêt,

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir de MM. [X] et de la société [X] CREATIVE et dit que les demandes de la société PMJC en contrefaçon des marques n° 616 et 795 sont recevables,

Condamne la société PMJC aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me LUGOSI, avocate, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à MM. [X] de la somme globale de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel,

Déboute toute demande plus ample ou contraire.