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Décisions

CEDH, sect. 5, 24 juillet 2008

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

18603/03

PARTIES

Demandeur :

André e.a.

Défendeur :

France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Peer Lorenzen

Juges :

Rait Maruste, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Renate Jaeger, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre

CEDH

23 juillet 2008

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18603/03) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Marc André, ainsi qu’une société de droit français, la société civile professionnelle (SCP) André, André et Associés (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 juin 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Me F.-H. Briard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 28 février 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

A.  Les circonstances de l’espèce

4.  En leur qualité d’avocat et de société d’avocats, les requérants ont été mandatés par la société anonyme Clinique « Les Roches Claires » pour l’assister et la représenter au cours des opérations de vérification de comptabilité dont elle faisait l’objet au titre de la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 en vertu d’un avis de vérification du 10 juillet 2000.

5.  Le 12 juin 2001, l’administration fiscale, en application des dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF), demanda au président du tribunal de grande instance (TGI) de Marseille d’autoriser la mise en œuvre d’un droit de visite et de saisie dans le cadre de la vérification de la situation de la société Clinique « Les Roches Claires », afin d’obtenir des documents comptables, juridiques et sociaux justifiant de certaines déclarations, en raison d’une présomption d’agissements frauduleux (majoration de charges, et transactions sans factures ou fictives).

6.  Par une ordonnance du même jour, le président autorisa les fonctionnaires, assistés d’officiers de police judiciaire, à  procéder aux visites et saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements dans certains lieux où des documents et supports d’information relatifs à la fraude présumée étaient susceptibles de se trouver, et ce en particulier dans le domicile professionnel des requérants dès lors qu’ils possédaient un mandat d’assistance et de représentation de la SA Clinique « Les Roches Claires » et qu’à ce titre ils étaient présumés détenir des documents illustrant la fraude présumée de leur cliente.

7.  Le juge n’autorisa qu’une visite unique, fixant au 20 juin 2001 la date limite pour l’effectuer et au 30 juin 2001 le délai pour la remise du procès-verbal des opérations.

8.  Le 13 juin 2001, les visites domiciliaires eurent lieu simultanément dans les lieux indiqués par l’ordonnance du président du TGI de Marseille. Les opérations effectuées au domicile professionnel des requérants, par quatre agents des impôts, se déroulèrent de sept heures trente à treize heures dix, en présence du premier requérant, du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille et d’un officier de police judiciaire. Le premier requérant reçut à cette occasion une copie de l’ordonnance du 12 juin 2001.

9.  Un procès-verbal de visite de saisie et d’inventaire fut rédigé et signé par les personnes présentes. Soixante-six documents furent saisis. Parmi eux, des notes manuscrites et un document portant une mention manuscrite rédigés par le premier requérant, pour lesquels le bâtonnier fit expressément observer qu’il s’agissait de documents personnels de l’avocat, dès lors soumis au secret professionnel absolu et ne pouvant faire l’objet d’une saisie. Le premier requérant émit des réserves quant au déroulement de la visite et formula par ailleurs un certain nombre d’observations, qui furent consignées dans le procès-verbal. Il reçut une copie du procès-verbal, ainsi que des pièces saisies.

10.  Les requérants formèrent un pourvoi en cassation dans le délai légal de cinq jours. Dans le cadre de leur mémoire ampliatif, ils soulevèrent deux moyens, tirés de l’illégalité de la visite et des saisies. Ils indiquèrent notamment, invoquant le secret professionnel et les droits de la défense, que les pièces remises par un client à son avocat et leur correspondance ne peuvent être saisies quand la perquisition ne vise pas à établir la preuve de la participation de l’avocat en cause à l’infraction. Ils critiquèrent également l’absence, dans l’ordonnance d’autorisation prise par le président du TGI, de mention expresse quant à la présence obligatoire du bâtonnier ou de son délégué lors des opérations.

11.  Par un arrêt du 11 décembre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants. Quant à l’absence de mention relative à la présence du bâtonnier, elle indiqua que l’ordonnance d’autorisation n’avait pas à prescrire les mesures nécessaires au respect du secret professionnel, les atteintes éventuelles à ce secret relevant du contrôle de la régularité des opérations et non de celui de la légalité de l’autorisation. Quant à la saisie des pièces litigieuses, elle estima que le secret professionnel des avocats ne met pas obstacle à ce que soient autorisées la visite de leurs locaux et la saisie de documents détenus par eux, dès lors que le juge a trouvé, dans les informations fournies par l’administration requérante, les présomptions suffisantes mentionnées dans son ordonnance.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le livre des procédures fiscales

12.  Les dispositions pertinentes du livre des procédures fiscales, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit :

Article L16 B

« I. Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts, ayant au moins le grade d’inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des impôts, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus et procéder à leur saisie.

II. Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite.

L’ordonnance comporte :

Le cas échéant, mention de la délégation du président du tribunal de grande instance ;

L’adresse des lieux à visiter ;

Le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite.

Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent l’existence d’un coffre dans un établissement de crédit dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces et documents se rapportant aux agissements visés au I sont susceptibles de se trouver, ils peuvent, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ce coffre. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au IV.

La visite et la saisie de documents s’effectuent sous l’autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. A cette fin, il donne toutes instructions aux agents qui participent à ces opérations.

Il désigne un officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.

Il peut, s’il l’estime utile, se rendre dans les locaux pendant l’intervention.

A tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite.

L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite, à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au IV. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée, après la visite, par lettre recommandée avec avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis.

A défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance dans les conditions prévues par les articles 550 et suivants du code de procédure pénale.

Les délai et modalités de la voie de recours sont mentionnés sur les actes de notification et de signification.

L’ordonnance mentionnée au premier alinéa n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; ce pourvoi n’est pas suspensif. Les délais de pourvoi courent à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance.

III. La visite, qui ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures, est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant ; en cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l’administration des impôts.

Les agents de l’administration des impôts mentionnés au I peuvent être assistés d’autres agents des impôts habilités dans les mêmes conditions que les inspecteurs.

Les agents des impôts habilités, l’occupant des lieux ou son représentant et l’officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie.

L’officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale ; l’article 58 de ce code est applicable.

IV. Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l’opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur le champ par les agents de l’administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s’il y a lieu. Le procès-verbal et l’inventaire sont signés par les agents de l’administration des impôts et par l’officier de police judiciaire ainsi que par les personnes mentionnées au premier alinéa du III ; en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal.

Si l’inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés qui a lieu en présence de l’officier de police judiciaire ; l’inventaire est alors établi.

V. Les originaux du procès-verbal et de l’inventaire sont, dès qu’ils ont été établis, adressés au juge qui a autorisé la visite ; une copie de ces mêmes documents est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant.

Les pièces et documents saisis sont restitués à l’occupant des locaux dans les six mois de la visite ; toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées, leur restitution est autorisée par l’autorité judiciaire compétente.

VI. L’administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies qu’après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en oeuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 47. »

2. Le code de procédure pénale

13.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables au moment des faits, se lisent comme suit :

Article 56, alinéa 3

« Toutefois, [l’officier de police judiciaire] a l’obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense. »

Article 56-1

« Les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué. Ce magistrat et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de prendre connaissance des documents découverts lors de la perquisition préalablement à leur éventuelle saisie.

Le bâtonnier ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document à laquelle le magistrat a l’intention de procéder s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. Si d’autres documents ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l’avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.

S’il estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document ou à son contenu qui figurerait dans le dossier de la procédure.

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction. »

3. La loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques

14.  L’article 66-5 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 (modifié par la loi no 2004-130 du 11 février 2004) dispose :

 « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

4. La jurisprudence de la Cour de cassation

15.  La Cour de cassation a jugé que la saisie de correspondances entre une personne mise en examen et son avocat ne peut être ordonnée et maintenue que si les documents saisis sont de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat à une infraction (voir notamment Cass. crim. 12 mars 1992, Bull. crim. no 112 ; 20 janvier 1993, Bull. crim. no 29 ; Cass. com., 5 mai 1998, Bull. IV, no 147 ; Cass. crim. 5 oct. 1999, Bull. crim. no 206 ; 27 juin 2001, Bull. crim. no 163). Le contrôle du respect du principe de confidentialité des échanges entre un avocat et son client n’est pas limité aux saisies, mais s’étend aux autres mesures susceptibles de l’affecter (ainsi, s’agissant de la mise sur écoutes téléphoniques d’une ligne privée et/ou personnelle d’un avocat, une telle mesure doit être précédée d’un constat exprès de l’existence d’indices plausibles de participation de l’avocat à une infraction : Cass. crim. 15 janvier 1997, Bull. crim. no 14 ; 8 novembre 2000, Bull. crim. no 335 ; Cass. crim. 18 janv. 2006, pourvoi no 05-86.447).

5. Le droit communautaire

a) Affaire AM & S Europe Limited c. Commission des Communautés européennes (155/79), arrêt du 18 mai 1982 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)

« 18. Le droit communautaire, issu d’une interpénétration non seulement économique, mais aussi juridique des Etats membres, doit tenir compte des principes et conceptions communs aux droits de ces Etats en ce qui concerne le respect de la confidentialité à l’égard, notamment, de certaines communications entre les avocats et leurs clients. Cette confidentialité répond en effet à l’exigence, dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des Etats membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin.

19. En ce qui concerne la protection de la correspondance entre les avocats et leurs clients, les ordres juridiques des Etats membres laissent apparaître que, si le principe de cette protection est généralement reconnu, sa portée et les critères de son application varient (...)

21. Au-delà de ces diversités, les droits internes des Etats membres révèlent cependant l’existence de critères communs en ce qu’ils protègent, dans des conditions similaires, la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients, pour autant, d’une part, qu’il s’agisse de correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client et, d’autre part, qu’elle émane d’avocats indépendants, c’est-à-dire d’avocats non liés au client par un rapport d’emploi. (...)

23. Quant à la première de ces deux conditions, le règlement (...) prend soin de sauvegarder le plein exercice des droits de la défense, dont la protection de la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients constitue un complément nécessaire.

24. Quant à la deuxième condition, il y a lieu de préciser que l’exigence relative à la position et à la qualité d’avocat indépendant, que doit revêtir le conseil dont émane la correspondance susceptible d’être protégée, procède d’une conception du rôle de l’avocat, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin. Cette protection a pour contrepartie la discipline professionnelle (...). Une telle conception répond aux traditions juridiques communes aux Etats membres et se retrouve également dans l’ordre juridique communautaire (...) »

b) Affaire Wouters (C-309-99), arrêt du 19 février 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) :

16.  Dans cette affaire, la CJCE a reconnu la spécificité de la profession d’avocat. Dans ses conclusions présentées le 10 juillet 2001, l’avocat général Philippe Léger estimait notamment ce qui suit :

« 182. Le secret professionnel est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. Il impose à l’avocat de ne divulguer aucune information qui lui a été communiquée par son client, et s’étend ratione temporis à la période postérieure à la fin de son mandat et ratione personae à l’ensemble des tiers. Le secret professionnel constitue également une « garantie essentielle de la liberté de l’individu et du bon fonctionnement de la justice », de sorte qu’il relève de l’ordre public dans la plupart des Etats membres. »

c) Directive 91/308/CEE sur la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux

17.  La directive 91/308/CEE prévoit l’obligation imposée aux avocats d’informer les autorités compétentes de tout fait qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux. La protection particulière dont les avocats doivent bénéficier et les exceptions possibles a notamment fait l’objet de discussions dans le cadre d’un contentieux devant la Cour de Justice de Communautés européennes (CJCE), relatif à la Directive 91/308/CEE et l’obligation d’information et de coopération pour les avocats à l’égard des autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

18.  Dans son arrêt du 26 juin 2007 (Ordre des barreaux francophones et germanophones, Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, Ordre des barreaux flamands, Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles contre Conseil des ministres, affaire C-305/05), la CJCE a jugé que les obligations d’information et de coopération avec les autorités qui pèsent sur les avocats ne violaient pas l’article 6 § 1 de la Convention pour les raisons suivantes :

– ces obligations « ne s’appliquent aux avocats que dans le cadre de la préparation ou de la réalisation de certaines transactions essentiellement d’ordre financier et immobilier », c’est-à-dire dans un contexte qui n’a pas de lien avec une procédure judiciaire ;

– en outre, même dans le cadre de ces transactions, dès le moment où l’avocat est sollicité pour l’exercice d’une mission de défense ou de représentation en justice, ou pour l’obtention de conseils sur la manière d’engager ou d’éviter une procédure judiciaire, ledit avocat est exonéré de l’obligation d’information et de coopération (et ce, quel que soit le moment auquel les informations ont été reçues).

6. Recommandation R (2000) 21 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat (adoptée le 25 octobre 2000)

19.  Les dispositions pertinentes de la Recommandation R (2000) 21 se lisent ainsi :

« (...) Désirant promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat afin de renforcer l’Etat de Droit, auquel participe l’avocat, notamment dans le rôle de défense des libertés individuelles ;

Conscient de la nécessité d’un système judiciaire équitable garantissant l’indépendance des avocats dans l’exercice de leur profession sans restriction injustifiée et sans être l’objet d’influences, d’incitations, de pressions, de menaces ou d’interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit ;

Principe I – Principes généraux concernant la liberté d’exercice de la profession d’avocat

1. Toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour respecter, protéger et promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat sans discrimination ni intervention injustifiée des autorités ou du public, notamment à la lumière des dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. (...)

6. Toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour veiller au respect du secret professionnel des relations entre avocats et clients. Des exceptions à ce principe devraient être permises seulement si elles sont compatibles avec l’Etat de Droit. »

7.  Organisation des Nations Unies

20.  Les dispositions pertinentes des « Principes de base relatifs au rôle du barreau » (adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane, du 27 août au 7 septembre 1990) prévoient :

« 16. Les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats a) puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue; b) puissent voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à l’étranger ; et c) ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie.

(...)

22. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que toutes les communications et les consultations entre les avocats et leurs clients, dans le cadre de leurs relations professionnelles, restent confidentielles. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 §§ 1 et 3 c), 8 et 13 DE LA CONVENTION

21.  Les requérants se plaignent de ce que la procédure de visite et de saisie de documents dans leurs locaux professionnels aurait porté atteinte au secret professionnel et au respect des droits de la défense. Ils dénoncent également, indépendamment de la nature du contrôle de cassation en France, l’absence d’effectivité du pourvoi en cassation comme moyen de se plaindre des atteintes à leur domicile. Ils invoquent les articles 6 §§ 1 et 3 c), 8 et 13 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 6 §§ 1 et 3 c)

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Thèses des parties

1.  Le Gouvernement

22.  Le Gouvernement estime que les griefs tirés de l’article 6 de la Convention doivent être rejetés pour incompatibilité ratione materiae, les litiges fiscaux ne rentrant pas dans le champ d’application de l’article 6 sous son volet civil (Ferrazzini c. France [GC], no 44759/98, CEDH 2001-VII) et le volet pénal étant étranger aux faits de la cause.

23.  Sur le fond, le Gouvernement rappelle que la procédure litigieuse faisait l’objet d’une autorisation par un juge qui, avec la Cour de cassation, en assurait également le contrôle. Il note d’ailleurs que le procès-verbal fait apparaître que le juge des libertés et de la détention a été contacté pendant la visite domiciliaire. Il indique également que l’arrêt de la Cour de cassation n’opère aucun « glissement » de jurisprudence, mais confirme au contraire une jurisprudence déjà établie et maintenue depuis lors. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a eu ni violation des droits de la défense ni méconnaissance du secret professionnel, l’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2002 ayant au contraire ménagé un juste équilibre entre le principe de la liberté individuelle et les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale. Il précise enfin que le juge avait relevé que les requérants possédaient un mandat d’assistance et de représentation de la Clinique « Les Roches Claires » et étaient intervenus à ce titre à plusieurs reprises au cours de la procédure fiscale visant leur cliente.

24.  Concernant l’article 8 de la Convention, le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes car, outre le pourvoi en cassation qu’ils ont exercé, ils disposaient de deux autres recours : le premier sur le fondement de l’article 9 du code civil qui garantit le droit au respect de la vie privée ; le second par une action en responsabilité contre l’Etat par laquelle ils auraient pu établir, par exemple, que les fonctionnaires avaient outrepassé leurs prérogatives et commis une faute.

25.  Sur le fond, il ne conteste pas l’existence d’une ingérence dans le droit au respect du domicile des requérants, mais précise qu’elle était prévue par la loi, à savoir l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, et qu’elle poursuivait des buts légitimes en visant la protection du bien-être économique du pays et la prévention des infractions pénales. Il considère enfin que l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique (Keslassy c. France (déc.), no 51578/99, CEDH 2002-I). L’ordonnance autorisant la visite domiciliaire satisferait pleinement aux exigences fixées par la législation interne et la jurisprudence européenne, avec des garanties spéciales de procédure.

26.  Enfin, s’agissant du grief tiré de l’article 13 de la Convention, le Gouvernement renvoie à ses développements sur celui tiré de l’article 8 et à ses rappels sur le droit interne pour en conclure que ce grief est manifestement mal fondé, ce d’autant que la Convention n’impose pas un double degré de juridiction, l’existence d’un seul pourvoi en cassation étant conforme aux dispositions de l’article 13. Il rappelle également que la Cour a jugé que le pourvoi en cassation est un recours à épuiser (Civet c. France [GC], no 29340/95, CEDH 1999-VI) : les requérants ont donc utilisé la voie de recours qui leur était ouverte et qui leur permettait de se prévaloir des erreurs de droit susceptibles d’affecter l’autorisation de la visite domiciliaire ainsi que les insuffisances qui pourraient l’entacher.

2.  Les requérants

27.  Les requérants considèrent que les exceptions du Gouvernement n’appellent pas de remarques de leur part, et ils maintiennent les termes de leur requête initiale.

28.  Sur le fond, ils estiment que la Cour de cassation a opéré un glissement par rapport à sa jurisprudence antérieure, puisqu’elle évoque des « présomptions suffisantes de fraude fiscale » sans préciser sur qui pèsent ces présomptions, alors que la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle exigeait la participation de l’avocat à la fraude. Ils considèrent qu’une telle position porte atteinte à la protection des droits de la défense et à ce qui en est le corollaire, le secret professionnel des avocats, qui devrait trouver application en toute matière relevant de la Convention.

29.  Les requérants critiquent la possibilité d’effectuer des perquisitions ou des visites domiciliaires chez un avocat en l’absence de toute présomption de participation de celui-ci à une fraude. Le premier requérant indique en outre qu’il était simplement l’avocat de sa cliente, de surcroît pour des missions purement contentieuses et non de conseil, ce qui implique qu’un certain nombre de documents couverts par le secret professionnel et nécessaires à la défense de la société se trouvaient dans son cabinet.

30.  Les requérants se plaignent également de l’absence de recours effectif, considérant que le pourvoi en cassation, seule voie de recours contre les ordonnances rendues sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ne constitue pas une voie de recours effective en raison du contenu et de la portée du contrôle exercé par la Cour de cassation.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Sur la recevabilité

31.  S’agissant tant de l’exception d’irrecevabilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement que de l’argument de non-épuisement des voies de recours internes avancé par lui, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à l’applicabilité de l’article 6 § 1 et au rejet de ces exceptions d’irrecevabilité dans une affaire similaire (Ravon c. France, no 18497/03, §§ 24 26, et 35, 21 février 2008). Il convient donc de rejeter les exceptions dans la présente affaire également.

32.  Estimant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour déclare la requête recevable.

2.  Sur le fond

a) Sur le grief tiré des articles 6 et 13 de la Convention, en raison de l’absence de contrôle juridictionnel effectif

33.  Lorsque, comme en l’espèce, l’article 6 § 1 s’applique, il constitue une lex specialis par rapport à l’article 13 : ses exigences, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (voir, par exemple, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 41, et Kudła c. Pologne [GC], du 26 octobre 2000, no 30210/96, CEDH 2000-XI, § 146). Il y a lieu en conséquence d’examiner le présent grief sur le terrain de l’article 6 § 1 uniquement, et donc de vérifier si les requérants avaient accès à un « tribunal » pour obtenir, à l’issue d’une procédure répondant aux exigences de cette disposition, une décision sur leur « contestation ».

34.  Sur ce point, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que la procédure prévue et organisée par l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne répond pas aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (Ravon, précité, §§ 28-35). Elle ne voit aucune raison de s’écarter de ce constat en l’espèce.

35.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

b) Sur le grief tiré de la violation du secret professionnel

36.  La Cour rappelle en premier lieu que le terme de « domicile » figurant à l’article 8 peut englober, par exemple, le bureau d’un membre d’une profession libérale, notamment d’un avocat (Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251-B, p. 34, § 30, et Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 64, CEDH 2003-IV).

37.  Dès lors, elle considère que la visite opérée au cabinet des requérants et les saisies effectuées s’analysent en une ingérence dans l’exercice de leurs droits découlant du paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention.

38.  Elle estime que pareille ingérence était « prévue par la loi ». En effet, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales définit les modalités à respecter en cas de visite domiciliaire, et l’application conjuguée des dispositions des articles 56 et 56-1 du code de procédure pénale vise expressément le respect du secret professionnel et du domicile professionnel ou privé d’un avocat. Les requérants ne se plaignent d’ailleurs pas d’un défaut de base légale, mais de l’absence de proportionnalité et de nécessité des mesures litigieuses dans les circonstances de l’espèce.

39.  Elle juge par ailleurs que l’ingérence poursuivait un « but légitime », à savoir celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales.

40.  Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » (Crémieux c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-B, p. 62, § 38, et Roemen et Schmit, précité, § 68).

41.  La Cour estime que des perquisitions et des saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. D’ailleurs, la protection du secret professionnel est notamment le corollaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’« accusé » (J.B. c. Suisse, arrêt du 3 mai 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-III, § 64 ; voir également, parmi d’autres, Funke c. France, arrêt du 25 février 1993, série A no 256-A, § 44).

42.  Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction (paragraphe 15 ci-dessus), ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques (paragraphes 17-18 ci-dessus). Reste qu’il est alors impératif d’encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l’administration de la justice et leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d’auxiliaires de justice.

43. En l’espèce, la Cour note que la visite domiciliaire s’est accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle fut exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats dont relevaient les requérants. En outre, la présence du bâtonnier et les observations concernant la sauvegarde du secret professionnel que celui-ci estima devoir faire à propos des documents à saisir furent mentionnées dans le procès-verbal des opérations.

44.  En revanche, outre l’absence du juge qui avait autorisé la visite domiciliaire, la présence du bâtonnier et les contestations expresses de celui-ci n’ont pas été de nature à empêcher la consultation effective de tous les documents du cabinet, ainsi que leur saisie. S’agissant notamment de la saisie de notes manuscrites du premier requérant, la Cour relève qu’il n’est pas contesté qu’il s’agissait de documents personnels de l’avocat, soumis au secret professionnel, comme le soutenait le bâtonnier.

45.  Par ailleurs, la Cour relève que l’autorisation de la visite domiciliaire était rédigée en termes larges, la décision se contentant d’ordonner de procéder aux visites et aux saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements dans certains lieux où des documents et supports d’information relatifs à la fraude présumée étaient susceptibles de se trouver, et ce en particulier au domicile professionnel des requérants. Dès lors, les fonctionnaires et officiers de police judiciaire se voyaient reconnaître des pouvoirs étendus.

46.  Ensuite, et surtout, la Cour constate que la visite domiciliaire litigieuse avait pour but la découverte chez les requérants, en leur seule qualité d’avocats de la société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles d’établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle. A aucun moment les requérants n’ont été accusés ou soupçonnés d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur cliente.

47.  La Cour note donc qu’en l’espèce, dans le cadre d’un contrôle fiscal d’une société cliente des requérants, l’administration visait ces derniers pour la seule raison qu’elle avait des difficultés, d’une part, à effectuer ledit contrôle fiscal et, d’autre part, à trouver des « documents comptables, juridiques et sociaux » de nature à confirmer les soupçons de fraude qui pesaient sur la société cliente.

48.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge que la visite domiciliaire et les saisies effectuées au domicile des requérants étaient, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but visé.

49.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

51.  Les requérants sollicitent le versement d’une somme de 30 000 euros (EUR) au titre de leur préjudice moral.

52.  Le Gouvernement estime que le seul constat de violation constituerait une réparation adéquate du préjudice moral éventuellement subi par les requérants, une réparation monétaire ne pouvant être, le cas échéant, que symbolique.

53.  La Cour partage le point de vue du Gouvernement s’agissant de la société requérante. Toutefois, elle estime que le constat de violation ne suffit pas à remédier au préjudice moral subi par M. André. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue 5 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

54.  Les requérants sollicitent le remboursement des dépenses qu’ils ont engagées pour faire assurer la défense de leurs intérêts. Ils produisent une facture d’honoraires d’un montant de 14 352 EUR (soit 12 000 EUR d’honoraires, plus 2 352 EUR de TVA) établie par leur représentant pour les procédures devant la Cour de cassation et la Cour.

55.  Le Gouvernement considère que le montant éventuellement accordé ne devrait pas excéder 2 000 EUR.

56.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour, statuant en équité, comme le veut l’article 41, leur alloue conjointement 10 000 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

57.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral à M. André, ainsi que 10 000 EUR (dix mille euros) aux requérants conjointement pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.