Cass. com., 19 février 2008, n° 06-18.762
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Ghestin, SCP Tiffreau
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 15 juin 2006), que M. X... a souscrit, entre 1987 et 1994, à trois émissions d'unités de la société Eurotunnel (l'émetteur), déposant les titres sur son compte ouvert à la société BNP Paribas (la banque) ; qu'il a assigné celle-ci en responsabilité à la suite de la perte de valeur de ce portefeuille, lui reprochant d'avoir manqué à ses obligations d'information et de conseil lors de la cession des participations qu'elle-même avait antérieurement acquises en sa qualité de membre du pool bancaire lors d'une restructuration financière de l'émetteur ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que le banquier dépositaire de titres mobiliers est tenu d'une obligation de bonne garde non seulement matérielle mais encore juridique qui lui impose d'informer son client de tout événement de nature à en affecter la valeur, lorsque ces événements sont constitués par des opérations financières ou boursières qu'il réalise lui-même dans un contexte à haut risque ; qu'en jugeant au contraire, que la banque n'était pas tenue vis-à-vis de sa clientèle lui ayant confié en dépôt des actions Eurotunnel, d'une obligation accessoire d'information relativement à la cession massive de ses titres Eurotunnel qui lui avaient été attribués quelques mois auparavant, dans le cadre de la restructuration de la dette d'Eurotunnel, la cour d'appel a violé les articles 1915, 1927 et 1928 du code civil, ensemble l'article 1135 du même code ;
2°/ que le dépositaire a la charge de prouver qu'il est étranger à la détérioration de la chose qu'il a reçue en dépôt, soit en établissant qu'il a donné à cette chose les mêmes soins qu'à la garde des choses lui appartenant, soit en démontrant la survenance de force majeure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que la banque était dépositaire des titres Eurotunnel de M. X..., que la banque siégeait au conseil d'administration d'Eurotunnel, que la banque avait procédé à une vente massive de ses propres actions Eurotunnel plus encore la baisse continue du cours des actions Eurotunnel, la cour d'appel devait rechercher si la banque avait établi avoir donné aux titres Eurotunnel inscrits en compte dans ses livres pour M. X..., les mêmes soins qu'aux titres Eurotunnel dont elle était elle-même propriétaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1915, 1927 et 1928 du code civil, ensemble l'article 1135 du même code ;
3°/ que le banquier qui a inscrit en compte les droits de son client sur des valeurs mobilières est tenu en sa qualité de professionnel, d'une obligation accessoire d'information et de conseil lorsque ces événements sont constitués par des opérations financières ou boursières qu'il réalise lui-même ; qu'après avoir constaté que la banque avait inscrit en compte les droits de M. X... sur des actions Eurotunnel, en jugeant du contraire relativement à la cession massive des propres participations de la banque dans le capital de cette société, la cour d'appel a violé les articles 1993 et 1135 du code civil ;
4°/ que le devoir de loyauté s'impose dans l'exécution de tout contrat ; qu'après avoir constaté d'une part que la banque était l'une des banques représentant les établissements ayant consenti du crédit à Eurotunnel, que le conseil d'administration d'Eurotunnel avait décidé en juillet 1997 la conversion en actions d'une partie de sa dette bancaire que la banque avait vendu en avril 1998, les 22 307 693 actions Eurotunnel reçues dans le cadre de cette restructuration et établi la baisse continue du cours des actions Eurotunnel, la cour d'appel devait rechercher si la banque avait manqué à l'obligation de loyauté qui s'impose à une banque tout à la fois banquier intermédiaire habilité et gestionnaire de ses propres actifs en procédant, dans son intérêt exclusif, à un désengagement massif qui n'a pu que participer à la poursuite de la baisse du cours de bourse d'Eurotunnel; qu'en rejetant l'action en responsabilité sans procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 "et suivants" du code civil, ensemble l'article 1147 du même code ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'à défaut de conclusion d'un mandat de gestion et en l'absence d'opérations à caractère spéculatif, la banque, simple dépositaire des titres, n'est pas tenue à une obligation particulière d'information ni de mise en garde envers son client sur les événements affectant la vie de la société émettrice, hormis les obligations accessoires au contrat de dépôt inhérentes à la détention de ces titres, aux droits qui y sont attachés et à leur restitution ; qu'ayant retenu que M. X... avait seulement chargé la banque d'acquérir pour son compte des titres de l'émetteur et avait reçu, alors, la note d'information et d'analyse financière destinée au public, l'arrêt en déduit à bon droit que la banque n'était débitrice à son égard d'aucun devoir de conseil, M. X... devant suivre personnellement ses placements ;
Attendu, en deuxième lieu, que dès lors que la banque, simple dépositaire des titres, est seulement tenue de les recevoir, de les conserver et de les restituer tels qu'ils se trouvent, l'arrêt, en statuant comme il fait, n'encourt pas le grief de la deuxième branche ;
Et attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que M. X... ne démontre pas en quoi la banque aurait disposé d'éléments d'appréciation cachés au public, que la déconfiture des sociétés était notoire et que la revente de ses participations par la banque s'est nécessairement faite au cours du marché ; qu'il relève encore que M. X... a décidé de conserver ses titres en dépit de l'avertissement de la Commission des opérations de bourse apposé sur la notice de proposition de restructuration financière, qui détaillait minutieusement les divers risques encourus par les actionnaires dans tous les cas de figure envisagés c'est-à-dire tant en cas de non réalisation de la restructuration de la dette qu'en cas de réalisation de cette restructuration, eu égard aux données du marché, de l'évolution prévisible du contexte commercial, économique et réglementaire ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que si un établissement de crédit qui inscrit en compte les droits de son client sur ses actions d'une société cotée en bourse est libre de gérer au mieux de ses intérêts ses propres titres, cette banque ne peut, sans abuser de ses droits vis-à-vis desdits clients, prendre le risque de susciter une baisse de l'action en vendant massivement ses propres titres lorsque la société cotée en bourse est une entreprise en difficultés, lorsque les titres qu'elle possède résultent d'une conversion en capital du crédit qu'elle avait consenti à la société cotée et lorsqu'elle siège au conseil d'administration de celle-ci ; qu'après avoir constaté que la banque était une des quatre banques représentants les établissements dispensateurs de crédit à Eurotunnel, que le conseil d'administration d'Eurotunnel avait décidé en juillet 1997 la conversion en actions d'une partie de sa dette bancaire, qu'à la suite de cette restructuration financière la banque avait reçu 22 307 693 actions Eurotunnel, que la banque avait vendu en avril 1998 l'ensemble de ces 22 307 693 titres et la baisse continue du cours des actions Eurotunnel, la cour d'appel devait rechercher si la banque avait abusé de ses droits dans la gestion de ses propres actifs, en procédant à une vente massive et brutale de ses titres ayant contribué à la baisse des titres Eurotunnel de M. X... ; qu'en rejetant l'action en responsabilité quasi délictuelle, sans procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que les établissements de crédit, sous réserve des dispositions légales afférentes à leur exposition aux risques de crédit, sont libres de gérer leurs actifs sans en rendre compte à leur clientèle et que le projet de restructuration financière visée par la Commission des opérations de bourse ne prévoyait aucune obligation de conservation des titres émis ou de consultation préalable des autres actionnaires avant une éventuelle cession ; qu'en l'état de ces appréciations et constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.