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Décisions

CE, 6e et 5e ch. réunies, 17 octobre 2022, n° 449114

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Stahl

Rapporteur :

Mme Noguellou

Rapporteur public :

M. Hoynck

Avocats :

SARL Delvolvé et Trichet, SCP Richard

CE n° 449114

16 octobre 2022

 
Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier 2021, 26 avril 2021 et 4 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n°11 du 25 novembre 2020 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers l'a condamnée au paiement d'une amende d'un montant d'un million d'euros et a ordonné la publication de cette décision sur son site internet pour une durée de cinq ans ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de publier sur son site internet pendant une durée d'au moins cinq ans la décision à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ramenant les sanctions prononcées à de plus justes proportions ;

4°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement délégué (UE) 2017/565 de la Commission du 25 avril 2016 ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société ... et à la SCP Richard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 septembre 2022, présentée par la société ...;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société ..., établissement de crédit agréé pour la fourniture de services d'investissement, assure une activité de tenue de compte-conservation d'instruments financiers pour le compte de tiers. Elle a fait l'objet d'un contrôle diligenté par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers le 11 décembre 2018 à la suite d'incidents survenus à l'occasion du traitement des instructions de vote de ses clients actionnaires au porteur lors d'assemblées générales. Le collège de l'Autorité des marchés financiers a, au terme de cette enquête, décidé d'engager une procédure de sanction à l'encontre de la société par une notification de griefs en date du 26 décembre 2019. Par une décision du 25 novembre 2020, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a estimé que la société ... avait manqué à ses obligations d'agir d'une manière professionnelle et au mieux de l'intérêt de ses clients s'agissant de l'exercice des droits de vote attachés aux titres financiers, à ses obligations d'utiliser des moyens humains et matériels adaptés et suffisants pour sauvegarder les informations relatives aux instructions de vote en assemblée générale de ses clients et à son obligation de disposer d'un système efficace de " reporting ". En conséquence, elle a prononcé à l'encontre de la société ... une sanction d'un montant de 1 000 000 euros et ordonné la publication de la décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers de manière non anonyme pendant 5 ans.

Sur la régularité de la décision attaquée :

En ce qui concerne la compétence de l'Autorité des marchés financiers :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " (...) II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes: / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 10° bis à 21° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les règlements européens, les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions des articles L. 612-39 et L. 612-40 (...) ". Aux termes de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier : " (...) II. - L'Autorité des marchés financiers veille également au respect des obligations professionnelles auxquelles sont astreintes, en vertu des dispositions législatives et réglementaires, les entités ou personnes suivantes ainsi que les personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte : (...) / Les personnes autorisées à exercer l'activité de conservation ou d'administration d'instruments financiers mentionnées à l'article L. 542-1 (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-9 du même code : " Le teneur de compte-conservateur sauvegarde les droits des titulaires des comptes sur les titres financiers qui y sont inscrits. Il ne peut utiliser ces titres pour son propre compte que dans les conditions prévues au 4° du II de l'article L. 533-10 ". Aux termes de l'article 322-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " L'activité de tenue de compte-conservation consiste : (...) / 3. A traiter les événements intervenant dans la vie des titres financiers conservés ". Aux termes de l'article 322-7 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " (...) Le teneur de compte-conservateur respecte en toutes circonstances les obligations suivantes : (...) / 2. Il apporte tous ses soins à la conservation des titres financiers et veille à ce titre à la stricte comptabilisation de ces derniers et de leurs mouvements dans le respect des procédures en vigueur ; il apporte également tous ses soins pour faciliter l'exercice des droits attachés à ces titres financiers, dans le respect de la réglementation applicable auxdits titres (...) ".

4. Il résulte de ces dernières dispositions que les teneurs de compte-conservateurs sont tenus d'agir de telle manière qu'outre la bonne conservation des titres financiers qui leur sont confiés, ils facilitent l'exercice des droits qui sont attachés à ces titres. Lorsqu'ils proposent un service de transmission des instructions de vote, et alors même qu'un tel service ne relève pas obligatoirement de leurs missions, ils doivent, dès lors que ce service participe de l'exercice d'un droit attaché aux titres financiers qu'ils conservent, respecter les obligations professionnelles qui s'imposent à eux et relèvent, pour cette mission, du contrôle de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

5. Ces dispositions du code monétaire et financier et du règlement général de l'AMF étaient applicables aux manquements reprochés en l'espèce à la société requérante. Ainsi, et en tout état de cause, la commission des sanctions n'a pas fait, par la décision attaquée, rétroactivement application de la directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires ou de son règlement d'exécution (UE) 2018/1212 du 3 septembre 2018.

6. C'est par suite à bon droit, et sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a retenu sa compétence pour infliger une sanction à la société ... à raison de manquements constatés dans l'activité de transmission des instructions de vote de ses clients.

En ce qui concerne la motivation de la décision :

7. Si l'obligation de motivation à laquelle sont assujetties les sanctions prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers implique que celles-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, elle n'impose pas qu'il soit répondu à l'intégralité des arguments invoqués devant la commission. Par ailleurs, aucun texte ni aucun principe ne requiert que la décision rendue par cette autorité administrative, qui n'est pas une juridiction au regard du droit interne, analyse expressément, dans ses visas ou dans ses motifs, l'ensemble des arguments présentés en défense. Il suit de là que contrairement à ce que soutient la société requérante, la décision de la commission des sanctions, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée.

Sur le bien-fondé de la sanction :

En ce qui concerne le grief relatif à l'absence de professionnalisme et de soins apportés par ... à son activité de traitement des instructions de vote :

8. Aux termes de l'article L. 533-1 du code monétaire et financier : " Les prestataires de services d'investissement agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, qui favorise l'intégrité du marché ". Aux termes de l'article L. 533-11 du code monétaire et financier : " Lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les prestataires de services d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients ". Aux termes de l'article 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " Le prestataire de services d'investissement agit d'une manière honnête, loyale et professionnelle, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, afin de servir au mieux l'intérêt des clients et de favoriser l'intégrité du marché (...) ". Enfin, l'article 322-7 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, cité au point 3, fait obligation aux teneurs de compte-conservateurs d'apporter tous leurs soins pour faciliter l'exercice des droits attachés aux titres financiers qui leur sont confiés.

9. Il résulte de l'instruction que, entre le 9 avril et le 24 mai 2018, 44 assemblées générales ont été affectées par des erreurs dans la transmission, par la société ..., des instructions de vote de ses clients, résultant soit d'instructions de vote en nombre supérieur aux positions éligibles à un droit de vote, soit, au contraire, d'instructions de vote en nombre inférieur aux positions éligibles. Ces nombreux incidents traduisent le fait que la société requérante ne disposait pas alors d'un dispositif fiable, de nature à garantir à ses clients le service le plus conforme à leurs intérêts et de favoriser l'intégrité du marché. Dans ces conditions, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a pu à bon droit retenir que la société ... avait méconnu l'obligation d'agir d'une manière professionnelle et au mieux des intérêts de ses clients, découlant des dispositions citées au point 8.

En ce qui concerne le grief relatif à l'insuffisance de moyens matériels et humains :

10. Le 1° de l'article 322-16 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, tant dans sa version en vigueur de 2013 au 2 janvier 2018 que dans sa version applicable à compter du 3 janvier 2018, fait obligation au teneur de compte-conservateur d'utiliser " en permanence des moyens, notamment matériels, financiers et humains adaptés et suffisants (...) ". Cette obligation est applicable aux teneurs de compte-conservateurs dans leur activité de transmission des consignes de vote.

11. Si une sanction administrative reposant sur plusieurs manquements doit être conforme au principe de proportionnalité, le principe dit de non bis in idem découlant du principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'une même poursuite conduisant à une même décision de sanction, plusieurs manquements distincts puissent résulter de mêmes faits. Ainsi, en retenant que l'absence de mise en œuvre de moyens suffisants caractérisait un manquement de la société ... à son obligation de mettre en œuvre des moyens suffisants, alors même que les erreurs en résultant constituaient également des manquements à d'autres dispositions du code monétaire et financier ou du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, la commission des sanctions n'a pas méconnu le principe non bis in idem.

12. Il résulte de l'instruction que les moyens humains déployés par la société ... étaient insuffisants pour éviter les dysfonctionnements constatés et permettre leur correction rapide. Si la société requérante fait valoir que des moyens matériels ont été mis en œuvre après la survenance des incidents pour y mettre fin, cette circonstance est, par elle-même, dépourvue d'incidence sur la caractérisation du manquement reproché.

En ce qui concerne le grief relatif au système de remontées hiérarchiques, au contrôle interne, à la conformité, à la gestion des risques et au dispositif d'audit interne :

13. En premier lieu, le 6° de l'article 322-16 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers impose au teneur de compte-conservateur d'établir et de maintenir " opérationnel " " un système efficace de remontées hiérarchiques et de communication des informations à tous les niveaux pertinents ".

14. Il résulte de l'instruction que la plupart des incidents ont été identifiés à la fin du mois d'avril 2018, et qu'à compter de cette date et jusqu'au 27 juin 2018, l'information n'a circulé qu'entre les membres de l'équipe en charge du traitement des instructions de vote. Ce n'est que le 27 juin 2018, soit deux mois après la première alerte, que les incidents ont été signalés au directeur général de société .... Une étude d'impact a été diligentée sur l'ensemble des assemblées générales en juillet 2018, puis un contrôle plus général a été conduit, donnant lieu à un rapport en date du 21 février 2019. Pour caractériser un défaut dans le processus de remontées hiérarchiques, la décision de la commission des sanctions retient que la transmission de l'information relative à cet incident a été effectuée sur une durée de près de dix mois, entre avril 2018 et février 2019. Il résulte cependant de ses propres constatations que la remontée hiérarchique est intervenue dans un délai qui n'est que de deux mois, suscitant des contrôles plus précis, lesquels se sont déployés jusqu'en février 2019. Si, comme le soutient la société requérante, le délai de dix mois ne peut effectivement pas être retenu, il n'en demeure pas moins qu'un délai de deux mois pour faire remonter des informations de cette nature révèle une méconnaissance des obligations découlant du 6° de l'article 322-16 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers.

15. En deuxième lieu, s'agissant du contrôle interne, de la conformité et de la gestion des risques et du dispositif d'audit interne, les dispositions du 5° de l'article 312-6, qui reprennent, à compter du 3 janvier 2018, les dispositions identiques du 5° de l'article 313-13, et le 4° de l'article 322-16 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers imposent aux prestataires de service d'investissement, d'une part, et aux teneurs de compte-conservateurs, d'autre part, de mettre en place et de maintenir opérationnels des mécanismes de contrôle interne adéquats. Aux termes de l'article 322-39 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " Les teneurs de compte-conservateurs s'assurent du respect des dispositions qui leur sont applicables ainsi que du respect par les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte des dispositions applicables aux teneurs de compte-conservateurs eux-mêmes et à ces personnes. / Ils désignent à cette fin un responsable du contrôle, qui, chez les teneurs de compte-conservateurs prestataires de services d'investissement, est un responsable de la conformité pour les services d'investissement. / Le responsable du contrôle dispose de l'autorité, des ressources et de l'expertise nécessaires et d'un accès à toutes les informations pertinentes. Il n'est pas impliqué dans l'exécution des opérations qu'il contrôle. / Il s'assure de la qualité des procédures spécifiques à l'activité de tenue de compte-conservation et de la fiabilité des outils de contrôle et de pilotage (...) ". Aux termes de l'article 322-40 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " Le responsable du contrôle organise le contrôle de l'activité de tenue de compte-conservation en distinguant : / 1. Les dispositifs qui assurent au quotidien le contrôle des opérations ; / 2. Les dispositifs qui, par des contrôles récurrents ou inopinés ainsi que par des audits détaillés des procédures opérationnelles, assurent la cohérence et l'efficacité du contrôle des opérations ". Enfin, le règlement délégué (UE) 2017/565 de la Commission du 25 avril 2016 complétant la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d'exercice applicables aux entreprises d'investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive, applicable à compter du 3 janvier 2018, prévoit au a) du point 2 de son article 22 que : " (...) Les entreprises d'investissement établissent et gardent opérationnelle en permanence une fonction de vérification de la conformité efficace qui fonctionne de manière indépendante et est investie des missions suivantes:/ contrôler, en permanence, et évaluer, à intervalles réguliers, l'adéquation et l'efficacité des mesures, politiques et procédures mises en place en application du paragraphe 1, premier alinéa, ainsi que des actions entreprises pour remédier à d'éventuels manquements de l'entreprise à ses obligations (...) ". Il prévoit, au point 1 de son article 23, que : " Les entreprises d'investissement prennent les mesures suivantes relatives à la gestion des risques : / a) elles établissent, mettent en œuvre et gardent opérationnelles des politiques et des procédures efficaces de gestion des risques permettant de repérer les risques liés aux activités, aux processus et aux systèmes de l'entreprise, et, le cas échéant, de déterminer le niveau de risque toléré par l'entreprise ; / b) elles adoptent des dispositifs, des processus et des mécanismes permettant de gérer efficacement les risques liés aux activités, aux processus et aux systèmes de l'entreprise eu égard à son niveau de tolérance au risque ; / c) elles contrôlent : / i) l'adéquation et l'efficacité de leurs politiques et procédures de gestion des risques ; / ii) le degré avec lequel l'entreprise d'investissement et les personnes concernées se conforment aux dispositifs, aux processus et aux mécanismes adoptés en application du point b) ; et / iii) l'adéquation et l'efficacité des mesures prises pour remédier à toute déficience au niveau de ces dispositifs et procédures, y compris toute défaillance des personnes concernées dans le respect de ces dispositifs ou l'application de ces procédures ". Il prévoit, à son article 24, que : " Les entreprises d'investissement, lorsque cela est approprié et proportionné eu égard à la nature, à l'échelle et à la complexité de leur activité, ainsi qu'à la nature et à l'éventail des services et des activités d'investissement composant leur activité, établissent et gardent opérationnelle une fonction d'audit interne distincte et indépendante des autres fonctions et activités de l'entreprise d'investissement et dont les responsabilités sont les suivantes : / a) établir, mettre en œuvre et garder opérationnel un programme d'audit visant à examiner et à évaluer l'adéquation et l'efficacité des systèmes, des mécanismes de contrôle interne et des dispositifs de l'entreprise d'investissement (...) ".

16. Ces dispositions imposent aux teneurs de compte-conservateurs de mettre en place des dispositifs de contrôle permanents et efficaces permettant, à tous les niveaux, d'assurer la fiabilité des opérations. Dans le cadre du traitement par ... des instructions de vote, la fréquence et la récurrence des dysfonctionnements constatés sur les assemblées générales d'avril à mai 2018 établissent, comme l'a retenu à bon droit la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, que le premier niveau de contrôle mis en place, dit contrôle " opérationnel ", n'a pas été en mesure d'assurer un contrôle efficace. Le deuxième niveau de contrôle, chargé du contrôle des risques, était organisé de telle manière qu'il n'opérait qu'un contrôle annuel des opérations et l'audit interne, assuré par l'inspection générale de ..., n'avait pas intégré à son programme le contrôle des procédures de traitement des instructions de vote en assemblées générales. Si la société requérante fait valoir qu'un contrôle plus fréquent n'aurait pas permis d'éviter les incidents de vote, qui se sont concentrés sur la période où ont lieu la plupart des assemblées générales, il n'en demeure pas moins que les textes imposent un contrôle permanent et efficace. Dès lors, c'est à bon droit que la commission des sanctions a retenu que les dispositifs de contrôle interne, de gestion des risques et d'audit interne ne répondaient pas aux obligations imposées par les dispositions visées au point 15.

En ce qui concerne le grief supplémentaire tiré de l'absence de conservation d'un enregistrement du service de traitement des instructions de vote en assemblées générales faisant l'objet du recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers :

17. Le président de l'Autorité des marchés financiers conteste la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle n'a pas retenu le grief relatif à l'absence de conservation par la société ... d'un enregistrement du service de traitement des instructions de vote en assemblées générales pour les assemblées générales ayant eu lieu en 2016 et 2017.

18. Aux termes du 5° de l'article L. 533-10 du code monétaire et financier dans sa version alors applicable : " Les prestataires de services d'investissement doivent : (...) / 5. Conserver un enregistrement de tout service qu'ils fournissent et de toute transaction qu'ils effectuent, permettant à l'Autorité des marchés financiers de contrôler le respect des obligations du prestataire de services d'investissement et, en particulier, de toutes ses obligations à l'égard des clients, notamment des clients potentiels (...) ".

19. Une telle obligation s'impose, comme l'a rappelé la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, pour tout service relevant du contrôle de cette autorité. Elle vaut ainsi pour les services de transmission des instructions de vote. Toutefois, si le président de l'Autorité des marchés financiers soutient que la société ... n'a pas apporté la preuve de la conservation des instructions de vote, il résulte de l'instruction, notamment des éléments fournis devant la commission des sanctions et complétant les échantillons des extractions produits en réponse à la notification des griefs, que les outils informatiques mis en place par la société requérante permettaient une conservation de l'historique des instructions de vote pour les années 2016 et 2017, comportant les données essentielles comme le nom de l'émetteur concerné, son code ISIN ou encore le nombre de droits de vote. C'est par suite à bon droit que la commission des sanctions a écarté le grief tiré de la méconnaissance de l'obligation de conservation des données relatives au service de traitement des instructions de vote en assemblées générales.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

20. En premier lieu, aux termes du III ter de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées au III et III bis, il est tenu compte notamment : / - de la gravité et de la durée du manquement ; / - de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ; / - de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / - de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / - des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ; / - du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ; / - des manquements commis précédemment par la personne en cause ; / - de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ".

21. Il résulte de l'instruction que les dysfonctionnements ayant affecté les transmissions de vote opérées par ... constituent des manquements graves aux obligations s'imposant à un teneur de comptes-conservateurs pour garantir les intérêts de ses clients et l'intégrité des décisions prises en assemblées générales. Alors que ces manquements ont affecté un nombre important d'assemblées générales, la société ... n'a pas réagi avec la diligence nécessaire. Il apparaît toutefois qu'elle a, avec le retard et dans les limites relevées par la présente décision, pris des mesures pour analyser les dysfonctionnements qui ont été à l'origine des erreurs commises, et y mettre fin. Au regard de l'ensemble de ces éléments, en infligeant à la société ... une sanction pécuniaire d'un montant de 1 000 000 euros, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n'a pas prononcé une sanction disproportionnée à la gravité des manquements commis et à la situation financière de la société requérante.

22. En second lieu, en application du V de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, la décision de la commission des sanctions est rendue publique sauf lorsque celle-ci " risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause ". Eu égard au comportement de la société ..., qui n'a jamais cherché à dissimuler les incidents ayant donné lieu à la sanction, et aux mesures qu'elle a prises pour remédier aux dysfonctionnements, la publication de la décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers pour une durée de cinq ans est susceptible de lui porter un préjudice disproportionné. Il y a donc lieu de réduire cette durée de publication à deux ans.

Sur les frais de l'instance :

23. Il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, ni de faire droit aux conclusions de la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ni à celles présentées par l'Autorité des marchés financiers au même titre.

D E C I D E :
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Article 1er : La durée de publication de la sanction infligée à la société ... sur le site de l'Autorité des marchés financiers est ramenée à deux ans.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions du recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers sont rejetées.
Article 4 : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, dans les mêmes conditions que la décision de la commission des sanctions.
Article 6 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société ... et à l'Autorité des marchés financiers.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.