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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 décembre 2022, n° 21/02807

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Profil Garde + (SARL)

Défendeur :

Société de Distribution Noeuxoise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Paccioni, Me Ohana

T. com. Lille, du 9 déc. 2020

9 décembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

 La Société de Distribution Noeuxoise « SDN », qui exerce son activité sous l'enseigne d'un hypermarché Leclerc, a fait appel aux services de la société Profil Garde + pour assurer la sécurité physique et vidéo de son magasin et de sa galerie marchande; c'est ainsi que la société Profil Garde +, spécialisée dans le gardiennage, la surveillance et la vente de matériels alarmes et vidéos, lui a adressé une première facture le 15 mai 2007.

Par la suite, les parties ont signé un contrat, daté du 1er janvier 2017, mettant à la charge de la société Profil Garde + la surveillance du magasin et de la galerie marchande par 2 agents de sécurité moyennant un forfait mensuel de 9 745,49 € HT ainsi que la surveillance vidéo par 1 agent de sécurité à mi-temps moyennant un forfait mensuel de 2 507,23 € HT.

Par lettre recommandée du 1er juin 2018, avec avis de réception, la Société de Distribution Noeuxoise a informé la société Profil Garde + de son intention de mettre fin au contrat de gardiennage les liant et a proposé d'appliquer un préavis de 6 mois pour lui permettre de prendre ses dispositions.

La société Profil Garde +, suivant lettre de son conseil du 6 septembre 2018, a demandé un préavis de 12 mois et le paiement sous huitaine de la somme de 17 345,98 € correspondant à des prestations effectuées jusqu'en juillet.

Par ordonnance de référé du 18 juin 2019, la Société de Distribution Noeuxoise a été condamnée à payer à la société Profil Garde +, à titre provisionnel, la somme de 33 093 € au titre de factures dues de mars 2018 à novembre 2018.

Suivant lettre de son conseil du 29 août 2019, constatant qu'un préavis de 12 mois n'avait pas été respecté, la société Profil Garde + a réclamé paiement sous quinzaine de la somme de 75 818,19 € au titre de la perte de marge brute subie.

En l'absence de réponse, la société Profil Garde + a, le 26 novembre 2019, fait assigner la Sociéte de Distribution Noeuxoise devant le tribunal de commerce de Lille aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de cette somme, outre celle de 270 € en réparation de son préjudice matériel.

Par jugement du 9 décembre 2020, le tribunal a :

- débouté la société Profil Garde + de ses demandes au titre de l'article

L 442-6-1 5° du code de commerce,

- condamné la Société de Distribution Noeuxoise à payer à la société Profil Garde + la somme de 225 € HT sans intérêts,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- dit que chacune d'elles conserverait à sa charge les dépens et ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Profil Garde + a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 11 février 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 20 octobre 2021, la société Profil Garde + demande à la cour, au visa des articles

L 442-6-1 5°, L 441-9-1 5° et D 441-5 du code de commerce ainsi que de l'article 1240 du code civil, de :

1) débouter la Société de Distribution Noeuxoise de toutes ses prétentions,

2) confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties à compter de mai 2017 jusqu'au 1er juin 2018,

3) infirmer le jugement pour le surplus et, par l'effet dévolutif de l'appel, statuant à nouveau :

- juger que la rupture de la relation commerciale établie avec préavis de 6 mois est brutale, ce préavis étant insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale,

- condamner la Société de Distribution Noeuxoise à lui payer :

la somme de 75 818,19 € en principal, en réparation de son préjudice lié à la rupture brutale de la relation commerciale établie depuis 11 ans, somme assortie de l'intérêt au taux légal à compter de la première mise en demeure, soit le 3 septembre 2018, ou à défaut le 29 août 2019,

la somme de 270 € en réparation de son préjudice matériel, somme assortie de l'intérêt au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage, à compter de la première mise en demeure, soit le 2 janvier 2019,

la somme de 40 € au titre de l'indemnité de recouvrement,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur l'ensemble des sommes auxquelles la Société de Distribution Noeuxoise sera condamnée au 1er janvier de chaque année, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner la Société de Distribution Noeuxoise à lui payer la somme de 3.000 € pour résistance abusive et celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 21 juillet 2021, la Société de Distribution Noeuxoise « SDN » demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement ,

- débouter la société Profil Garde + de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Profil Garde + à lui payer la somme de 3 000 € + 600 € de TVA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

 MOTIVATION

Sur la demande de la société Profil pour rupture brutale de la relation commerciale établie :

L'appelante expose que l'existence d'une relation commerciale établie d'une durée de 11 ans est justifiée et non contestée; elle prétend que le préavis de 6 mois qui lui a été accordé était insuffisant et qu'il aurait dû être de 12 mois pour lui permettre de se réorganiser; elle fait valoir en ce sens, qu'outre la durée de la relation commerciale, il convient de prendre en considération :

- les investissements importants en matériels et personnels qu'elle a engagés pour satisfaire son partenaire, 5 employés et son gérant étant mobilisés pour la prestation, soit la moitié de ses effectifs,

- le chiffre d'affaires moyen qu'elle a réalisé avec la société SDN au cours des quatre dernières années de 2015 à 2018, qui correspondait à 62,63 % de son chiffre d'affaires global,

-la chute exponentielle de son chiffre d'affaires en 2019, faisant suite à la rupture intervenue le 30 novembre 2018, qui l'a contrainte à procéder à des licenciements économiques,

-le fait que son domaine d'activité est très concurrentiel, ce qui ne permet pas une réorganisation rapide.

L'appelante souligne :

- que dans sa déclaration d'appel et dans ses conclusions, elle-même n'a jamais contesté la motivation du jugement relative à l'absence de toute faute ayant justifié la rupture de la relation,

- que la société SDN, qui n'a pas formé appel incident, ne peut obtenir de manière détournée une réformation du jugement qui a dit que la rupture n'était pas intervenue à raison de l'inexécution par la société Profil de ses obligations,

- que l'intimée est irrecevable à prétendre que la demande d'augmentation du préavis serait d'autant plus injustifiée au regard des fautes commises.

La société SDN soutient de son côté :

- que la rupture des relations commerciales en juin 2008 était fondée sur les nombreuses fautes commises par la société Profil,

- qu'en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article L 442-6, elle aurait pu se dispenser d'accorder un préavis,

- que le tribunal a relevé l'absence de griefs énoncés dans la lettre de rupture, mais que la loi n'impose pas que les griefs soient contenus dans cette lettre, la seule condition à l'absence de préavis étant l'existence de fautes caractérisant l'inexécution du contrat,

- qu'en l'espèce de telles fautes sont établies, que la rupture est liée à ces fautes et que la demande d'augmentation du préavis est d'autant plus injustifiée.

Réponse de la Cour,

L'article L 442-6-1 5° du code de commerce, qui instaure la responsabilité de tout producteur commercial, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers qui romprait brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis suffisant, prévoit en son dernier alinéa que cette disposition ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Même si la lettre de rupture du 1er juin 2018 ne renferme aucun grief, la société SDN reste recevable, en défense à la demande formée à son encontre, à reprocher à la société Profil des fautes d'une gravité suffisante pour justifier une rupture sans préavis.

La société SDN invoque de graves dysfonctionnement et des failles répétées dans l'exécution des prestations incombant à la société Profil; cette dernière ne conteste en aucune façon les pièces produites par la société SDN et la matérialité des faits qui y sont relatés; il en ressort, notamment :

- que par lettre recommandée avec AR du 27 février 2018, la société SDN a reproché au dirigeant de la société Profil, M. [L], de ne plus être détenteur de carte professionnelle depuis 2014 et, néanmoins, de continuer à exercer au poste de télésurveillance et d'intervenir de nuit lors de déclenchement d'alarme,

- que le 9 septembre 2009, la préfecture du Pas de Calais avait délivré à M. [L] une carte professionnelle dont la validité expirait le 8 septembre 2014, l'autorisant à exercer l'activité de surveillance humaine ou par des systèmes électroniques de sécurité ou gardiennage,

- qu'à la date du 26 février 2018, M. [L] n'était pas titulaire de cette carte,

- que par lettre recommandée avec AR du 28 février 2018, la société SDN a encore reproché à la société Profil, ce jour, de n'avoir pas pourvu le poste au PC sécurité, d'avoir transmis au responsable de la sécurité du magasin un dossier de candidature d'un vigile non conforme aux prescriptions demandées et d'avoir avoué ne plus être en mesure d'assurer

sa mission dans le respect des dispositions réglementaires et aux conditions attendues d'une véritable société de sécurité,

- que par lettre recommandée avec AR du 9 mars 2018, la société SDN a de nouveau dénoncé à la société Profil d'autres manquements professionnels, en particulier le fait que l'un de ses agents avait menacé le responsable de la sécurité du magasin et le fait de diriger son personnel au mépris de la réglementation du code du travail (travail sans interruption ni pause de M. [H] de 9 h à 20 h les 26 février, 27 février et 8 mars 2018),

- que par lettre recommandée avec AR du 13 mars 2018, la société SDN a reproché à la société Profil d'avoir, le 10 mars 2018, fait appel à un vigile pour compléter l'effectif en place, sans l'avertir que ce nouvel arrivant était un auto-entrepreneur.

L'ensemble de ces éléments démontre que la société Profil a manqué à ses obligations contractuelles les plus élémentaires de façon répétée, en dépit des avertissements réitérées de la société SDN.

Les fautes commises par la société Profil présentaient un degré de gravité suffisant pour justifier une rupture de la relation commerciale sans préavis ; néanmoins, la société SDN lui a consenti un préavis de 6 mois avant de rompre leurs relations.

En tout hypothèse, nonobstant la durée des relations, le préavis de 6 mois qui a été accordé était suffisant pour permettre à la société Profil de réorganiser son activité en trouvant d'autres clients dans le domaine de la surveillance et du gardiennage, secteur en pleine croissance et ne nécessitant pas d'investissements particuliers autres que le recrutement de personnels.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Profil de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale.

Sur la demande de la société Profil pour préjudice matériel :

La société Profil expose qu'à a suite de la rupture, la société SDN n'a restitué que 4 des 5 émetteurs radio confiés, qu'elle a vainement sollicité la restitution de l'émetteur manquant par courriel du 13 décembre 2018 et mise en demeure de le restituer du 2 janvier 2019, qu'elle a été contrainte de facturer le matériel manquant pour un montant de 270 € et que c'est à tort que le tribunal ne lui a accordé que la somme de 225 € HT alors qu'elle a dû reverser la TVA aux services fiscaux; outre la somme de 270 €, elle réclame l'indemnité légale de 40 €, les intérêts à compter du 2 janvier 2019 et leur capitalisation.

La société SDN ne formule aucune observation ni contestation sur ces prétentions.

Réponse de la Cour,

Le matériel n'ayant pas été restitué à la société Profil, cette dernière était bien fondée à le facturer à la société SDN le 29 avril 2019 pour le montant de 270 € TTC à échéance à cette date; l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 € est due par application des articles L 441-9 et D 441-5 du code de commerce; les intérêts sont dus à compter du 29 avril 2019 au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage; la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Sur les autres demandes :

La société SDN n'ayant pas fait preuve de résistance abusive en s'opposant à la demande relative à la brutalité de la rupture, la société Profil sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts.

La société Profil, qui succombe sur l'essentiel du litige, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 3 000 € à la société SDN pour ses frais exposés en appel et de rejeter la demande de la société Profil à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement seulement en ce qu'il a :

- condamné la Société de Distribution Noeuxoise (SDN) à payer à la société Profil Garde + la somme de 225 € HT sans intérêt,

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens,

Statuant à nouveau,

- condamne la Société de Distribution Noeuxoise (SDN) à payer à la société Profil Garde +, en réparation de son préjudice matériel, les sommes de 270 € TTC et de 40 € avec intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage, à compter du 29 avril 2019, date d'échéance de la facture,

- ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

Confirme le jugement en ses autres dispositions,

Condamne la société Profil Garde + à payer la somme de 3 000€ à la Société de Distribution Noeuxoise au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Profil Garde + aux dépens de première instance et d'appel.