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Décisions

Cass. crim., 21 juin 2022, n° 20-86.857

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Leblanc

Avocat général :

M. Lesclous

Avocat :

SCP Célice, Texidor, Périer

Paris, du 24 nov. 2020

24 novembre 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [B] [E], salarié de la société [2], exploitant un site d'industrie textile, a subi un accident du travail sur une machine « ouvreuse-broyeuse » destinée à produire de la ouate.

3. La société [1] ([1]), holding de la société [2], cette dernière, ainsi que M. [V] [X], directeur du site, ont été poursuivis des chefs de blessures involontaires suivies d'une incapacité totale de travail supérieure à trois mois et de non-respect des mesures relatives à l'hygiène, la sécurité ou les conditions de travail.

4. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables pour l'ensemble de ces chefs.

5. Les sociétés [2] et [1], M. [X] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens

7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les sociétés [2] et [1] coupables des faits de blessures involontaires par personne morale, avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail subies par M. [E], condamné la société [1] à une peine d'amende de 40 000 euros, condamné la société [2] à une peine d'amende de 20 000 euros en répression des blessures involontaires par personne morale avec incapacité supérieure à trois mois subies par M. [E] dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ que la responsabilité pénale d'une personne morale ne peut être engagée qu'à la condition que soit précisément identifié l'organe ou le représentant de la personne morale ayant commis l'infraction pour le compte de celle-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « l'absence de guide a [...] multiplié les occasions de bourrage » et qu' « aucune procédure particulière en cas de bourrage de la machine n'avait été pensée et mise en application au sein de l'atelier » ; que l'organe s'entend de la personne exerçant en droit ou en fait la direction de la personne morale, le représentant étant toute personne disposant du pouvoir d'engager la personne morale à l'égard des tiers ; qu'après avoir jugé que M. [X], dont elle a retenu qu'il ne disposait d'aucune délégation de pouvoirs, n'avait pas commis de faute qualifiée au sens de l'article 121-3 du code pénal, la cour d'appel a retenu que les négligences de ce salarié étaient « révélatrices de la faute des responsables de la sécurité dans l'usine qui sont les personnes morales employeurs pour le compte desquelles le travail était accompli. Elles engagent la responsabilité de la société [2] qui l'a commise pour le compte de la société [1], qui est sa représentante légale et était donc l'organe de [2] au sens de l'article 121-2 du code pénal » ; que la cour d'appel a ajouté que la responsabilité des sociétés [2] et [1] était engagée par les fautes de leur préposé, directeur sans délégation de pouvoir valide ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que M. [X] ne disposait pas d'une délégation de pouvoirs de son employeur et qu'en particulier, il n'avait pas le pouvoir ni les moyens d'exercer des prérogatives de direction en matière d'hygiène ou de sécurité, de sorte que ce salarié, dont elle n'a pas constaté qu'il avait le pouvoir d'engager la société à l'égard des tiers, ne pouvait avoir la qualité de représentant de la société [2], ne pouvait être son représentant, la cour d'appel a violé l'article 121-2 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les juges répressifs doivent identifier l'organe ou le représentant de la personne morale ayant commis l'infraction pour le compte de celle-ci ; que pour déclarer la société de droit espagnol [1], qui est le président de la société [2], coupables des faits de blessures involontaires par personne morale, avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail subies par M. [E], la cour d'appel a retenu que les négligences commises par M. [X] étaient « révélatrices de la faute des responsables de la sécurité dans l'usine qui sont les personnes morales employeurs pour le compte desquelles le travail était accompli. Elles engagent la responsabilité de la société [2] qui l'a commise pour le compte de la société [1], qui est sa représentante légale et était donc l'organe de [2] au sens de l'article 121-2 du code pénal » ; que la cour d'appel a ajouté que la responsabilité des sociétés [2] et [1] était engagée par les fautes de leur préposé, directeur sans délégation de pouvoir valide ; qu'en statuant de la sorte, quand il ressortait de ses constatations que M. [X] n'était pas la salarié de la société [1] mais celui de la société [2], et que cette dernière n'était pas l'organe ou le représentant de la société [1], la cour d'appel a derechef méconnu l'article 121-2 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des faits d'infraction à la réglementation relative à l'hygiène, la sécurité ou les conditions de travail, en ne posant pas, en infraction à l'article R. 4324-1 du code du travail, un carter de protection, alors « que la responsabilité pénale d'une personne morale ne peut être engagée qu'à la condition que soit précisément identifié l'organe ou le représentant de la personne morale ayant commis l'infraction pour le compte de celle-ci ; que pour déclarer la société [2] coupable des faits d'infraction à la réglementation relative à l'hygiène, la sécurité ou les conditions de travail, la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de toute délégation valable donnée à son directeur d'usine Monsieur [X], le chef d'entreprise avait conservé seul la responsabilité pénale au regard de la réglementation relative à l'hygiène et la sécurité ; qu'en statuant de la sorte, sans identifier l'organe ou le représentant de la société [2] par le biais duquel aurait été commise l'infraction pour la compte de cette société, la cour d'appel a violé l'article 121-2 du code pénal, ensemble l'article R. 4324-1 du code du travail.»

Réponse de la Cour

9. Les moyens sont réunis.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche et sur le troisième moyen

10. Pour déclarer la société [2] coupable de blessures involontaires et d'infractions à la réglementation sur l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, qu'il appartenait à l'employeur de prévoir la présence sur le site d'un délégataire ou bien d'exercer lui-même la surveillance indispensable à l'application effective de la réglementation relative à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, d'autre part, qu'en l'absence de toute délégation valable donnée à son directeur d'usine, le chef d'entreprise conservait seul la responsabilité pénale en cette matière.

11. Les juges ajoutent, par ailleurs, que la société [1], présidente de la société [2], est sa représentante légale et son organe au sens de l'article 121-2 du code pénal.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucune des dispositions visées aux moyens.

13. En effet, l'organe de la société [2], pour le compte de laquelle l'infraction a été commise, a été identifié comme étant la société [1], personne morale assurant sa présidence.

14. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour déclarer la société [1] coupable de blessures involontaires, l'arrêt attaqué retient qu'aucune délégation valable n'ayant été consentie à M. [X], salarié de la société [2], non pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens suffisants, la société [1] qui est la représentante légale et la société mère de cette dernière, aurait dû s'assurer de l'application effective de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité sur le site.

17. Les juges ajoutent que le simple fait de se reposer sur une délégation imparfaite signe une faute d'organisation managériale ayant une répercussion directe sur la sécurité dans l'entreprise restée à la charge des responsables espagnols.

18. Ils retiennent enfin que l'infraction commise par la société [2] a été faite au nom et pour le compte de la société [1], présidente de la société [2].

19. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que la société [1] était la représentante légale de la société [2], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité de la société [1], à la peine prononcée contre celle-ci et à la condamnation civile la concernant, toutes autres dispositions de l'arrêt étant expressément maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 novembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la culpabilité de la société [1], à la peine prononcée à son encontre et à la condamnation civile la concernant, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

ET pourqu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.