TUE, 2e ch. élargie, 21 décembre 2022, n° T-525/21
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
E. Breuninger GmbH & Co.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
V. Tomljenović
Juges :
F. Schalin, P. Škvařilová Pelzl, I. Nõmm (rapporteur) , D. Kukovec
Avocats :
R. Velte, W. Meilicke
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, E. Breuninger GmbH & Co, demande l’annulation de la décision C(2021) 3999 final de la Commission, du 28 mai 2021, relative à l’aide d’État SA.62784 (2021/N) – Allemagne COVID-19 – Régime fédéral d’indemnisation (JO 2021, C 223, p. 25, ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 La requérante est la société opérationnelle du groupe E. Breuninger, lequel est actif, notamment, dans le secteur de l’habillement ainsi que de la distribution de vêtements, de parfums, de produits cosmétiques et de produits de soin corporel, de meubles, d’articles ménagers et de décoration.
3 Le 21 mai 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une mesure concernant l’octroi d’une aide économique temporaire en faveur des entreprises dont les activités sont fermées en raison des mesures prises par l’État fédéral et les Länder pour faire face à la pandémie, sur son territoire, dans le contexte de la crise de la COVID-19 (ci-après le « régime fédéral d’indemnisation »).
4 Le 28 mai 2021, la Commission a adopté la décision attaquée.
5 Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a décrit les caractéristiques essentielles du régime fédéral d’indemnisation. Il en ressort que ledit régime :
– bénéfice à l’ensemble des entreprises, sous réserve de certaines exceptions (dont les institutions financières et les entreprises publiques) ;
– a pour objet de compenser les pertes de profit générées par les décisions de confinement adoptées en raison de la pandémie de COVID-19 (ci-après les « décisions de confinement ») ;
– dispose d’un budget provisionnel d’environ 10 milliards d’euros pour l’année 2021, concerne les pertes subies entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2021 et résultant des seules décisions de confinement, s’appliquera à l’ensemble de l’Allemagne et prend la forme de subventions directes qui peuvent être accordées par des autorités administratives tant au niveau fédéral, qu’au niveau régional et qu’au niveau local ;
– s’applique, selon son article 2, paragraphe 1, notamment, aux entreprises dont l’activité a été interdite par les décisions de confinement et aux entreprises dont au moins 80 % du chiffre d’affaires s’est effectué avec des entreprises dont l’activité avait été interdite par lesdites décisions ;
– prévoit, à son article 2, paragraphe 2, que les entreprises poursuivant des activités mixtes, dont certaines ne sont pas du tout concernées par le confinement, sont éligibles au régime fédéral d’indemnisation dès lors que les activités interdites représentent au moins 80 % de leur chiffre d’affaires ;
– prévoit, à son article 3, paragraphe 1, que les pertes éligibles sont exclusivement celles liées aux activités interdites ou à la partie détachable de l’activité des entreprises affectée par les décisions de confinement, et sont constituées par la différence entre les résultats d’exploitation pendant les périodes concernées par lesdites décisions et les périodes équivalentes en 2019 ;
– prévoit que les recettes dégagées par le déplacement de l’activité vers une autre activité économique connexe doivent être prises en compte aux fins d’éviter que les entreprises ne bénéficient d’un avantage en raison de la seule prise en compte des pertes subies dans les activités affectées par les décisions de confinement ;
– présente plusieurs caractéristiques destinées à limiter le montant des aides versées au minimum nécessaire ;
– prévoit que, si les aides ont vocation à être versées sur la base des pertes envisagées, la réalité desdites pertes sera vérifiée ex post et donnera lieu à remboursement en cas de surcompensation.
6 En deuxième lieu, la Commission a examiné la compatibilité du régime fédéral d’indemnisation avec l’article 107 TFUE.
7 Premièrement, la Commission a relevé que le régime fédéral d’indemnisation entrait dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
8 Deuxièmement, la Commission a retenu que le régime fédéral d’indemnisation était compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
9 Tout d’abord, il a été rappelé que la pandémie de COVID-19 constituait un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
10 Ensuite, il a été retenu que, au vu de la définition des pertes éligibles retenue par le régime fédéral d’indemnisation, il existait un lien de causalité entre la pandémie de COVID-19 et les pertes compensées, dès lors que seules étaient compensées les pertes occasionnées par des mesures empêchant en droit ou en fait les bénéficiaires de poursuivre leur activité.
11 Enfin, la Commission a examiné la proportionnalité du régime fédéral d’indemnisation et a constaté que cette condition était satisfaite, dès lors que les caractéristiques dudit régime permettaient de s’assurer que les aides versées étaient proportionnées aux pertes subies en raison de la pandémie de COVID-19.
12 La Commission a, partant, décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard du régime fédéral d’indemnisation.
Conclusions des parties
13 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
14 La Commission et la République fédérale d’Allemagne concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
15 Par le présent recours, la requérante demande l’annulation de la décision attaquée au motif qu’elle a approuvé le régime fédéral d’indemnisation, lequel, dans son article 2, paragraphe 2, exclut l’éligibilité des entreprises actives dans différents secteurs d’activité si les secteurs affectés par les décisions de confinement adoptées au titre de la pandémie de COVID-19 représentent moins de 80 % de leur chiffre d’affaires.
16 À l’appui du recours, la requérante avance deux moyens. Par le premier moyen, elle estime, en substance, que, en avalisant la condition d’éligibilité impliquant que les secteurs d’activité affectés représentent au moins de 80 % du chiffre d’affaires des entreprises concernées, la Commission a méconnu le principe de proportionnalité. Par le second moyen, elle considère que la Commission a également violé l’article 108, paragraphe 2, TFUE en n’ouvrant pas la procédure formelle d’examen, en dépit de l’existence de difficultés sérieuses.
17 Les conditions de recevabilité d’un recours relevant des fins de non-recevoir d’ordre public, il appartient au Tribunal de vérifier d’office si la partie requérante a un intérêt à obtenir l’annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance du 7 décembre 2017, Troszczynski/Parlement, T 148/17, non publiée, EU:T:2017:921, point 40 et jurisprudence citée).
18 Le Tribunal estime nécessaire d’examiner de manière liminaire la recevabilité du recours sous l’angle de l’existence d’un intérêt de la requérante à agir en annulation de la décision attaquée.
19 À cette fin, la requérante a été invitée à se prononcer, au titre d’une mesure d’organisation de la procédure adoptée sur le fondement des articles 89 et 90 du règlement de procédure du Tribunal, sur l’existence, dans son chef, d’un intérêt à agir en annulation de la décision attaquée et, partant, sur la recevabilité du recours, dans l’éventualité où la condition figurant à l’article 2, paragraphe 2, du régime fédéral d’indemnisation ne lui serait pas applicable.
20 En application d’une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C 33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée).
21 En premier lieu, force est de constater que le recours de la requérante repose sur un postulat erroné, à savoir qu’elle ne serait pas éligible au régime fédéral d’indemnisation, en raison de la condition énoncée dans son article 2, paragraphe 2.
22 Selon l’article 2, paragraphe 1, sous b), du régime fédéral d’indemnisation, résumé par la Commission au considérant 20, sous a), de la décision attaquée, « les organismes octroyant des aides peuvent accorder des aides à des entreprises privées […] si […] leur activité économique est affectée par le confinement lié au Coronavirus de la manière suivante : […] leur activité commerciale ou économique a dû être suspendue en vertu d’une décision de fermeture prise sur la base d’un arrêté de confinement ».
23 Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 21 et à la note en bas de page no 21 de la décision attaquée, l’article 2, paragraphe 2, du régime fédéral d’indemnisation prévoit que, « dans le cas d’entreprises opérant dans plusieurs secteurs d’activité économique, leur chiffre d’affaires cumulé doit pouvoir être clairement attribué, à hauteur d’au moins 80 %, à des activités économiques directement touchées par le confinement ».
24 Enfin, l’article 3, paragraphe 4, du régime fédéral d’indemnisation, dont la substance est rappelée au considérant 23 de la décision attaquée, énonce ce qui suit :
« [Lorsque] l’effet d’une mesure de confinement concerne une certaine activité économique et que l’activité économique est de ce fait déplacée vers une autre activité économique connexe ou vers une autre source de recettes, les recettes de cette autre activité apparentée ou connexe sont alors également prises en compte sous forme d’imputation. Par conséquent, aucun avantage ne peut être tiré du fait que seules peuvent être prises en compte les activités économiques affectées par le confinement au cas où d’autres activités économiques sont de ce fait devenues plus rentables. Une surcompensation du dommage causé est ainsi exclue. »
25 La requérante soutient que l’article 2, paragraphe 2, du régime fédéral d’indemnisation a pour effet de l’exclure du bénéfice de ce régime. D’une part, elle souligne être active à la fois dans le commerce physique de détail et dans le commerce en ligne, lesquels constitueraient des secteurs d’activité économique différents au sens de ladite disposition. D’autre part, elle précise que la portion de son chiffre d’affaires représentée par le commerce en ligne, non affecté par les décisions de confinement ordonnées lors de la pandémie de COVID-19, a pour conséquence qu’elle n’atteint pas le seuil des 80 % requis par cette disposition. Dans ses écritures, elle met en exergue que son exclusion du bénéfice dudit régime se reflétait dans l’impossibilité de demander l’octroi d’une assistance financière au titre de l’Überbrückungshilfe III, à savoir le programme fédéral d’aides adopté par les autorités allemandes en application de ce régime (ci-après le « programme fédéral d’aides »).
26 Cependant, il convient de souligner que c’est à juste titre que la République fédérale d’Allemagne fait valoir que cette interprétation de l’article 2, paragraphe 2, du régime fédéral d’indemnisation est contraire à celle qu’elle a publiée. Il ressort, en effet, de ladite publication que le commerce physique de détail et le commerce en ligne ne sont pas considérés comme des « secteurs d’activité économique » différents, au sens de ladite disposition. Au contraire, le commerce en ligne est envisagé comme une « activité économique connexe » au commerce physique de détail au sens de l’article 3, paragraphe 4, dudit régime.
27 Partant, l’importance du chiffre d’affaires réalisé par la requérante au titre du commerce en ligne n’a pas, en application du régime fédéral d’indemnisation, vocation à la rendre inéligible à une aide d’État au titre de l’article 2, paragraphe 2, dudit régime. Elle implique seulement que, en application de l’article 3, paragraphe 4, de ce régime, le surcroît de recettes réalisé par la requérante dans ledit commerce en ligne en raison des décisions de confinement doit être prise en compte aux fins d’éviter une surcompensation du préjudice qu’elle aurait subi du fait desdites décisions.
28 En deuxième lieu, il est ressorti des débats dans la présente procédure que l’impossibilité pour la requérante d’obtenir une assistance financière au titre du programme fédéral d’aides tenait à l’ajout, par les autorités allemandes, de manière unilatérale et autonome par rapport au régime fédéral d’indemnisation qui avait été notifié à la Commission, d’une condition d’éligibilité impliquant qu’au moins 30 % du chiffre d’affaires global du demandeur ait été affecté par les décisions de confinement, ce que la République fédérale d’Allemagne a confirmé dans sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure qui lui a été adressée.
29 Dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure, la requérante a essayé de rattacher au régime fédéral d’indemnisation, tel qu’il a été a été déclaré compatible avec l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE dans la décision attaquée, la condition d’éligibilité impliquant qu’au moins 30 % du chiffre d’affaires ait été affecté par les décisions de confinement. Il suffit, à cet égard, de souligner qu’une telle condition ne figure ni explicitement ni implicitement, en raison d’un renvoi qui serait opéré aux conditions figurant dans d’autres régimes d’aides notifiés, dans le régime fédéral d’indemnisation.
30 En troisième lieu, il convient de relever que l’ajout par la République fédérale d’Allemagne d’une condition d’éligibilité supplémentaire, à savoir une affectation d’au moins 30 % du chiffre d’affaires pour pouvoir bénéficier de son programme fédéral d’aides, est dénué de pertinence pour l’examen du présent recours, lequel concerne exclusivement la légalité de la décision attaquée, par laquelle la Commission a déclaré le régime fédéral d’indemnisation compatible avec l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
31 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la mise en œuvre du système de contrôle des aides étatiques, tel qu’il résulte des articles 107 et 108 TFUE, incombe, d’une part, à la Commission et, d’autre part, aux juridictions nationales, leurs rôles respectifs étant complémentaires, mais distincts. Alors que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, c’est aux juridictions nationales qu’il appartient de veiller à la sauvegarde, jusqu’à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l’interdiction visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados, C 590/14 P, EU:C:2016:797, points 95 à 97 et jurisprudence citée).
32 Dans ce contexte, il est loisible à la requérante de saisir les juridictions allemandes, lesquelles seront amenées à examiner, le cas échéant après avoir saisi la Cour d’une question préjudicielle en interprétation sur le fondement de l’article 267 TFUE, si l’ajout d’une condition d’éligibilité supplémentaire par le droit national s’apparente à la modification d’une aide existante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2004, L 140, p. 1), et, partant, à une aide nouvelle au sens de l’article 1er, sous c), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), soumise à l’obligation de notification en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
33 Il découle de l’ensemble des appréciations qui précèdent que, au regard de l’article 2, paragraphe 2, du régime fédéral d’indemnisation tel qu’il a été déclaré compatible avec l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE dans la décision attaquée, la requérante aurait été éligible à une aide au titre dudit régime. Il en résulte que l’annulation de la décision attaquée ne procurerait aucun bénéfice à la requérante au sens de la jurisprudence citée au point 20 ci-dessus, de sorte que son recours doit être rejeté comme étant irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Sur les dépens
34 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
35 La requérante ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
36 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) E. Breuninger GmbH & Co supportera ses propres dépens et ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.