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Décisions

TUE, 2e ch. élargie, 21 décembre 2022, n° T-260/21

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

E. Breuninger GmbH & Co.

Défendeur :

Commission européenne, République fédérale d’Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

V. Tomljenović

Juges :

F. Schalin, P. Škvařilová Pelzl, I. Nõmm (rapporteur), D. Kukovec

Avocats :

R. Velte, W. Meilicke

TUE n° T-260/21

20 décembre 2022

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, E. Breuninger GmbH & Co, demande l’annulation de la décision C(2020) 8318 final de la Commission, du 20 novembre 2020, relative à l’aide d’État SA.59289 (2020/N) – Allemagne COVID-19 – Soutien en faveur des coûts fixes non couverts (JO 2022, C 124, p. 1), telle que modifiée par la décision C(2021) 1066 final de la Commission, du 12 février 2021, relative à l’aide d’État SA.61744 (2021/N) – Notification collective de modification portant adaptation des régimes d’aides autorisés en vertu de l’encadrement temporaire, notamment à la suite de la cinquième modification de l’encadrement temporaire (JO 2021, C 77, p. 18) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2 La requérante est la société opérationnelle du groupe E. Breuninger, lequel est actif, notamment, dans le secteur de l’habillement ainsi que de la distribution de vêtements, de parfums, de produits cosmétiques et de produits de soin corporel, de meubles, d’articles ménagers et de décoration.

3 Le 19 mars 2020, la Commission européenne a adopté une communication intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1, ci-après l’« encadrement temporaire »), laquelle a été modifiée, une première fois, le 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), une deuxième fois, le 8 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3), une troisième fois, le 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3), et une quatrième fois, le 13 octobre 2020 (JO 2020, C 340 I, p. 1).

4 Les paragraphes 17 à 19 du point 2 de l’encadrement temporaire, intitulé « Applicabilité de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] », sont libellés de la manière suivante :

« 17. En vertu de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE], la Commission peut déclarer une aide compatible avec le marché intérieur si cette aide est destinée “à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre”. Dans ce contexte, les juridictions de l’Union ont établi que la perturbation doit affecter l’ensemble ou une partie importante de l’économie de l’État membre concerné, et pas seulement celle d’une de ses régions ou parties de territoire. Cette solution est d’ailleurs conforme à la nécessité d’interpréter strictement une disposition dérogatoire telle que l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] […] Cette interprétation a été appliquée de façon systématique par la Commission dans sa pratique décisionnelle […]

18. Étant donné que la flambée de COVID-19 touche l’ensemble des États membres et que les mesures de confinement prises par ceux-ci ont un impact sur les entreprises, la Commission considère que des aides d’État se justifient et peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE] pendant une période limitée, afin de remédier au manque de liquidité auquel sont confrontées les entreprises, et de faire en sorte que les perturbations causées par la flambée de COVID-19 ne compromettent pas leur viabilité, en particulier dans le cas des PME.

19. La Commission énonce dans la présente communication les conditions de compatibilité qu’elle appliquera en principe aux aides octroyées par les États membres sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE]. Les États membres sont donc tenus de démontrer que les mesures d’aide d’État notifiées à la Commission au titre de la présente communication sont nécessaires, appropriées et proportionnées pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné et que toutes les conditions énoncées dans la présente communication sont pleinement respectées. »

5 La communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire précise, dans son paragraphe 11 :

« [E]n raison de la pandémie de COVID-19, de nombreuses entreprises font face de manière temporaire à une demande plus faible qui ne leur permet pas de couvrir une partie de leurs coûts fixes. Dans de nombreux cas, la demande devrait reprendre au cours des mois à venir, tandis qu’il ne sera peut-être pas efficient pour ces entreprises de réduire la voilure si cela entraîne des coûts de restructuration importants. Soutenir ces entreprises en contribuant à une partie de leurs coûts fixes à titre temporaire peut être une manière efficiente d’assurer la continuité, permettant ainsi d’éviter la détérioration de leurs fonds propres, de maintenir leur activité commerciale et de leur offrir un tremplin solide pour se relancer. »

6 La communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire a introduit dans l’encadrement temporaire un point 3.12, intitulé « Aides sous forme de soutien aux coûts fixes non couverts », contenant les paragraphes 86 et 87, libellés de la manière suivante :

« 86. Les États membres peuvent envisager de contribuer aux coûts fixes non couverts des entreprises pour lesquelles la pandémie de COVID-19 a entraîné la suspension ou la réduction de leur activité commerciale.

87. Si ces mesures constituent des aides, la Commission considérera qu’elles sont compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, [sous b), TFUE], pour autant que les conditions suivantes soient remplies :

a) les aides sont octroyées au plus tard le 30 juin 2021 et couvrent les coûts fixes non couverts encourus au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2021, y compris les coûts encourus pendant une partie de cette période (ci-après dénommée “période éligible”) ;

b) les aides sont octroyées sur la base d’un régime soutenant les entreprises qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période éligible par rapport à la même période en 2019 […]

c) les coûts fixes non couverts sont les coûts fixes encourus par les entreprises au cours de la période éligible qui ne sont pas couverts par la contribution aux bénéfices (c’est-à-dire les recettes moins les coûts variables) au cours de la même période et qui ne sont pas couverts par d’autres sources, telles que les assurances, les mesures d’aide temporaires couvertes par la présente communication ou des aides provenant d’autres sources [ ; l]’intensité de l’aide n’excède pas 70 % des coûts fixes non couverts, sauf pour les micro- et petites entreprises (au sens de l’annexe I du règlement général d’exemption par catégorie), pour lesquelles l’intensité de l’aide n’excède pas 90 % des coûts fixes non couverts[ ; a]ux fins du présent point, les pertes enregistrées par les entreprises dans leurs comptes de résultat au cours de la période éligible […] sont considérées comme des coûts fixes non couverts[ ; l]es aides relevant de cette mesure peuvent être octroyées sur la base des pertes prévisionnelles, tandis que le montant final des aides est déterminé après la réalisation des pertes sur la base de comptes vérifiés ou après la présentation, par l’État membre, d’éléments justificatifs appropriés à la Commission (concernant par exemple les caractéristiques ou la taille d’un certain type d’entreprises) sur la base de bilans fiscaux[ ; t]out paiement dépassant le montant final de l’aide est récupéré ;

d) en tout état de cause, le total de l’aide n’excède pas 3 millions d’[euros] par entreprise[ ; l]es aides peuvent être octroyées sous la forme de subventions directes, de garanties et de prêts, à condition que la valeur nominale totale de ces mesures reste inférieure au plafond global de 3 millions d’[euros] par entreprise ; tous les chiffres utilisés sont des montants bruts, c’est-à-dire avant impôts ou autres prélèvements ;

e) les aides octroyées au titre de cette mesure ne sont pas cumulées avec d’autres aides pour les mêmes coûts admissibles ;

f) l’aide ne peut pas être octroyée à des entreprises qui étaient déjà en difficulté (au sens du règlement général d’exemption par catégorie […]) au 31 décembre 2019[ ; p]ar dérogation à ce qui précède, une aide peut être octroyée à des micro[s] ou petites entreprises (au sens de l’annexe I du règlement général d’exemption par catégorie) qui étaient déjà en difficulté au 31 décembre 2019, dès lors que celles-ci ne font pas l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité en vertu du droit national qui leur est applicable et n’ont pas bénéficié d’une aide au sauvetage […] ou d’une aide à la restructuration […] »

7 Le 17 novembre 2020, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, un régime d’aides visant à accorder un soutien aux coûts fixes non couverts dans le contexte de la pandémie de COVID-19 sur son territoire.

8 Le 20 novembre 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 8318 final.

9 Dans la décision C(2020) 8318 final, premièrement, la Commission a décrit les caractéristiques essentielles du régime d’aides notifié, dont il ressort, notamment, que des mesures individuelles d’aide ne peuvent être accordées qu’aux entreprises qui ont subi une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % (considérant 17). Deuxièmement, elle a souligné que le régime notifié relevait de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où il procurait un avantage sélectif à ses bénéficiaires et, de ce fait, entraînait une distorsion de concurrence (considérants 31 à 33). Troisièmement, elle a retenu que ledit régime d’aides était compatible avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE en se référant aux critères fixés au paragraphe 87 de son encadrement temporaire (considérants 35 à 41). Elle n’a, dès lors, pas soulevé d’objections à l’égard de ce régime d’aides.

10 Le régime d’aides autorisé par la décision C(2020) 8318 final concernait des aides dont le montant était plafonné à 3 millions d’euros par entreprise (considérant 20).

11 Le 28 janvier 2021, la Commission a effectué une cinquième modification à son encadrement temporaire (JO 2021, C 34, p. 6), laquelle a, notamment, modifié le paragraphe 87, sous d), de celui-ci en augmentant le plafond de l’aide à 10 millions d’euros par entreprise. Elle a également modifié le paragraphe 87, sous a), en étendant la période initialement comprise entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2021 jusqu’au 31 décembre 2021.

12 Le 2 février 2021, la République fédérale d’Allemagne a notifié à la Commission une modification à son régime d’aides, consistant en un relèvement du plafond des aides à 10 millions d’euros et en sa prolongation jusqu’au 31 décembre 2021.

13 Par la décision C(2021) 1066 final, la Commission a approuvé différentes modifications effectuées par l’Allemagne à des régimes d’aides notifiés, dont celui autorisé par la décision C(2020) 8318 final (ci-après le « régime d’aides litigieux »).

14 Dans la décision C(2021) 1066 final, la Commission a, notamment, d’une part, repris l’analyse figurant dans ses décisions antérieures, aux fins de souligner l’existence d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et leur compatibilité avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (considérants 15 et 17) et, d’autre part, considéré que l’extension de la durée du régime d’aides notifié et approuvé au titre de l’encadrement temporaire et le relèvement de son plafond étaient compatibles avec l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (considérant 18).

 Conclusions des parties

15 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

16 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme étant irrecevable et, à titre subsidiaire, non fondé ;

– condamner la requérante aux dépens.

17 Lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle renonçait à ses conclusions portant sur l’irrecevabilité du recours, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

18 La République fédérale d’Allemagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19 À l’appui du recours, la requérante avance deux moyens tirés de la violation, respectivement, de l’article 107 et de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 107 TFUE

20 La requérante estime, en substance, que c’est à tort que la Commission a considéré que le régime d’aides litigieux pouvait être déclaré compatible avec le marché intérieur, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Ce moyen est articulé en deux branches.

21 Par la première branche de ce moyen, la requérante soutient que la décision attaquée méconnait le principe de proportionnalité, dans la mesure où elle approuve un régime d’aides fondé sur un critère d’éligibilité basé sur le chiffre d’affaires de l’entreprise (ci-après le « critère d’éligibilité en cause »). Par la seconde branche, elle fait valoir que la Commission a manqué à son obligation de procéder à un examen individuel du régime d’aides notifié et à son obligation de motivation.

22 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conclut au rejet du présent moyen.

23 Aux termes de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, « [p]euvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur [...] les aides destinées […] à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ».

24 Selon la jurisprudence, il résulte de l’économie générale du traité que la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Dès lors, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission. De même, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole les principes généraux du droit de l’Union ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51, et du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C 594/18 P, EU:C:2020:742, point 44).

25 Il convient de rappeler que la Commission bénéficie, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordres économique et social (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C 654/17 P, EU:C:2019:634, point 80 et jurisprudence citée), de sorte que le contrôle juridictionnel doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’à celle de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 78 et jurisprudence citée).

 Sur la première branche, tirée d’une violation du principe de proportionnalité

26 La requérante estime, en substance, que le critère d’éligibilité en cause revêt un caractère disproportionné et qu’il est à l’origine d’une inégalité de traitement au détriment des entreprises disposant de plusieurs activités dont seules certaines ont été affectées par la pandémie de COVID-19. Ainsi, en ce que ce critère aboutirait à les exclure ou à réduire le bénéfice du régime d’aides litigieux, il les obligerait à recourir au financement croisé de leurs activités affectées, contrairement à leurs concurrentes exclusivement actives dans le commerce physique de détail, lesquelles auraient pu pleinement bénéficier dudit régime.

27 La Commission et la République fédérale d’Allemagne soutiennent que la présente branche du présent moyen est non fondée. La Commission soutient, également, de manière liminaire, que la présente branche du présent moyen encourt d’emblée le rejet, au motif qu’aucune exception d’illégalité au sens de l’article 277 TFUE n’a été présentée par la requérante à l’encontre de l’encadrement temporaire dont la décision attaquée constitue une application.

–  Sur la fin de non-recevoir présentée par la Commission, tirée de l’absence d’exception d’illégalité introduite à l’encontre de l’encadrement temporaire

28 La Commission, premièrement, souligne que la décision attaquée a procédé à une application correcte du critère d’éligibilité en cause, lequel figure au paragraphe 87 de l’encadrement temporaire, deuxièmement, soutient que la requérante n’a pas soulevé d’exception d’illégalité à l’égard dudit encadrement et, troisièmement, en déduit que la validité de celui-ci doit être présumée et ne peut être remise en cause à l’occasion de la contestation du bien-fondé de la décision attaquée.

29 Une telle argumentation ne peut être suivie.

30 En premier lieu, s’il est exact que la requête ne contient aucune référence explicite à une exception d’illégalité ou à l’article 277 TFUE, il convient de rappeler qu’il n’existe pas d’exigence en droit de l’Union d’une invocation formelle d’une exception d’illégalité. En effet, la jurisprudence permet de considérer qu’une exception d’illégalité a été soulevée implicitement, dans la mesure où il ressort relativement clairement de la requête que la requérante formule en fait un tel grief (voir, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés/Parlement, T 829/16, EU:T:2018:840, point 66 et jurisprudence citée).

31 Tel est le cas en l’espèce.

32 Premièrement, certains passages de la requête mettent directement en cause la validité du paragraphe 87 de l’encadrement temporaire. Il est, ainsi, souligné que le « critère fixé au [paragraphe] 87, sous b), de l’encadrement temporaire dans la version de sa quatrième modification […] n’est pas un critère approprié pour réduire ou supprimer les distorsions de concurrence ». De même, il y est soutenu que le paragraphe 87, sous c), de l’encadrement temporaire est à l’origine d’une « différence de traitement injustifiée ».

33 Deuxièmement, au vu des circonstances de l’espèce, l’existence d’une contestation incidente de la validité de l’encadrement temporaire par la requérante découle également et nécessairement de l’ensemble de son argumentation au titre de cette branche du présent moyen. En effet, tant le régime d’aides litigieux que la décision attaquée qui l’approuve ont repris un critère d’éligibilité trouvant son origine dans le paragraphe 87 de l’encadrement temporaire. Partant, la Commission ne pouvait manquer de comprendre que l’argumentation de la requérante, tirée de l’illégalité de ladite décision en raison du caractère disproportionné de ce critère, impliquait également une remise en cause de la validité dudit paragraphe.

34 En second lieu, et en toute hypothèse, dans la mesure où la Commission soutient que, en l’absence d’exception d’illégalité présentée à l’encontre du critère trouvant son origine dans le paragraphe 87 de l’encadrement temporaire, le bien-fondé dudit critère ne pourrait être remis en cause par la requérante, elle se méprend sur la portée juridique des actes, tel ledit encadrement, qu’elle adopte à des fins de limitation de son pouvoir d’appréciation.

35 En application d’une jurisprudence constante, les actes juridiques de l’Union disposent d’une présomption de légalité et produisent, dès lors, des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité ou qu’ils n’ont pas fait l’objet de sursis à l’exécution ou d’autres mesures provisoires du juge de l’Union en application des articles 278 et 279 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, CIVAD, C 533/10, EU:C:2012:347, point 39 et jurisprudence citée, et du 2 avril 2020, Commission/Pologne, Hongrie et République tchèque (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale), C-715/17, C-718/17 et C-719/17, EU:C:2020:257, point 140]. Le respect de cette présomption de légalité peut empêcher que soit examiné le bien-fondé d’une décision qui constitue la simple application d’un acte de portée générale dont la validité n’est pas contestée (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2021, P. Krücken Organic/Commission, C 586/20 P, non publié, EU:C:2021:1046, point 69, et du 2 février 2012, Grèce/Commission, T 469/09, non publié, EU:T:2012:50, point 57). Ne bénéficient ainsi de ladite présomption que les actes des institutions, organes et organismes de l’Union définitifs et produisant des effets juridiques à l’égard des tiers qui sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation. Tel n’est pas le cas d’un acte par lequel la Commission adopte des règles de conduite aux fins de limiter l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

36 Certes, l’autolimitation par la Commission de l’exercice de son pouvoir d’appréciation implique qu’elle ne peut, en principe, se départir des règles qu’elle s’est fixées sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C 654/17 P, EU:C:2019:634, point 82 et jurisprudence citée). Pour autant, l’adoption de telles règles ne dispense pas la Commission de procéder à un examen individuel des circonstances de l’espèce, lequel peut la conduire à ne pas faire application desdites règles, si les spécificités du cas d’espèce l’exigent (voir, en ce sens arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C 526/14, EU:C:2016:570, point 41). Il en découle que, contrairement aux actes juridiques visés au point 35 ci-dessus, les actes par lesquels la Commission adopte uniquement une règle de conduite ne produisent pas, en eux-mêmes, d’effets juridiques obligatoires.

37 Cette absence d’effets juridiques obligatoires intrinsèques est particulièrement importante au regard de la nature des pouvoirs conférés à la Commission dans le domaine du contrôle des aides d’État. Admettre que l’encadrement temporaire produirait en lui-même des effets juridiques obligatoires et dispose d’une présomption de légalité équivaudrait, ainsi, à lui reconnaître une nature juridique identique à celle d’un règlement, acte que la Commission n’est pas compétente pour adopter au titre la section du traité FUE portant sur « les aides accordées par les États », en dehors des hypothèses envisagées à l’article 108, paragraphe 4, TFUE.

38 Il en découle que, nonobstant la circonstance que le critère d’éligibilité appliqué par la Commission trouve son origine au paragraphe 87 de l’encadrement temporaire et en l’absence même d’exception d’illégalité soulevée à l’encontre dudit paragraphe, la requérante demeurerait en droit de contester la manière dont la Commission a fait usage, dans la décision attaquée, du pouvoir d’appréciation qu’elle tire de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, en déclarant compatible le régime d’aides litigieux et, dans ce cadre, le bien-fondé du critère d’éligibilité dont elle a fait application.

–  Sur la portée de l’argumentation de la requérante

39 Par la première branche du présent moyen, la requérante soutient que le critère d’éligibilité figurant au paragraphe 87, sous b) et c), de l’encadrement temporaire, appliqué dans le régime d’aides litigieux et avalisé par la Commission dans la décision attaquée, revêt un caractère disproportionné. Elle invoque à cet égard plusieurs griefs et se réfère également à une méconnaissance du principe d’égalité de traitement.

40 Plus précisément, la requérante conteste l’utilisation, au paragraphe 87, sous b) et c), de l’encadrement temporaire, comme critère d’éligibilité de l’aide aux coûts fixes non couverts, de la perte du chiffre d’affaires appréciée au niveau de l’entreprise, plutôt qu’au niveau des seules activités affectées par la pandémie de COVID-19.

41 À cet égard, il convient de relever que la prise en compte de la perte du chiffre d’affaires au niveau de l’entreprise découle du paragraphe 87, sous b), de l’encadrement temporaire, lequel précise que les aides sont octroyées sur la base d’un régime soutenant « les entreprises qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires d’au moins 30 % au cours de la période [comprise entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2021] ». Elle découle également du paragraphe 87, sous c), dudit encadrement en ce qu’il exclut de la définition des « coûts fixes non couverts » les coûts couverts par la contribution aux bénéfices ou par d’autres sources.

42 En premier lieu, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, rappelé à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C 611/17, EU:C:2019:332, point 55].

43 Le respect du principe de proportionnalité par une mesure inclut, ainsi, trois composantes. La première composante porte sur son caractère approprié, à savoir son aptitude à réaliser l’objectif légitime poursuivi. La deuxième composante concerne sa nécessité et implique que ledit objectif légitime ne puisse être atteint par des moyens moins contraignants, mais tout aussi appropriés (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Dansk Jurist- og Økonomforbund, C 546/11, EU:C:2013:603, point 69). Enfin, la troisième composante, parfois qualifiée de « proportionnalité au sens strict », porte sur son caractère proportionné, à savoir l’absence d’inconvénients démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2013, Pologne/Commission, T 370/11, EU:T:2013:113, point 89, et du 26 septembre 2014, Romonta/Commission, T 614/13, EU:T:2014:835, point 74).

44 En second lieu, la requérante semble également avancer un grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement. En effet, elle soutient que le critère d’éligibilité en cause a été à l’origine d’une inégalité de traitement, au détriment des entreprises dont certaines activités n’ont pas été affectées par la pandémie de COVID-19, en les obligeant à recourir à un financement croisé de leurs activités affectées du fait qu’elles ne pouvaient bénéficier, ou seulement dans une moindre mesure, du régime d’aides litigieux, avalisé par la Commission.

45 En application d’une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C 677/16, EU:C:2018:393, point 49).

46 Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C 127/07, EU:C:2008:728, point 26).

47 Force est de constater qu’une telle argumentation présentée à l’encontre d’une décision faisant application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, se confond avec les griefs de la requérante tirés d’une violation du principe de proportionnalité dans ses différentes composantes.

48 En effet, l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE permet une dérogation au principe général d’incompatibilité avec le marché intérieur des aides d’État énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il en découle, d’une part, qu’il a pour objectif de permettre de déclarer compatibles des aides d’État, lesquelles, par leur définition même, impliquent l’octroi d’un avantage sélectif à certaines entreprises, susceptible d’être qualifié de discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C 20/15 P et C 21/15 P, EU:C:2016:981, points 54 et 55) et, d’autre part, qu’il est d’interprétation stricte (voir arrêt du 9 avril 2014, Grèce/Commission, T 150/12, non publié, EU:T:2014:191, point 146 et jurisprudence citée).

49 Partant, la circonstance que le critère d’éligibilité en cause aboutisse à une différence de traitement entre les entreprises selon que l’ensemble ou seulement une partie de leurs activités a été affecté par la pandémie de COVID-19 n’implique pas, en elle-même, son illégalité. En revanche, il y a lieu de vérifier si cette différence de traitement est justifiée au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, ce qui suppose que ledit critère soit nécessaire, approprié et proportionné pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné.

–  Sur le grief contestant le caractère approprié du critère d’éligibilité en cause

50 La requérante soutient, en substance, que le critère d’éligibilité en cause n’est pas apte à atteindre l’objectif de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, en ce qu’il fausse la concurrence sans atténuer les effets de la pandémie de COVID-19 et est contraire au paragraphe 11 de la communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire, lequel se réfère à la nécessité d’éviter la détérioration des fonds propres des entreprises. À cet égard, elle fait valoir que les effets de ladite pandémie sur le commerce physique de détail ont été tels qu’il ne peut être exclu que des entreprises, ne bénéficiant pas du régime d’aides litigieux en raison de l’exercice d’autres activités, s’en retirent.

51 Une telle argumentation ne peut être suivie.

52 Premièrement, il n’est pas contesté que la pandémie de COVID-19 a entraîné une perturbation grave de l’économie allemande. Elle relève donc du champ d’application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

53 Deuxièmement, il ressort du paragraphe 18 de l’encadrement temporaire, retranscrit au point 4 ci-dessus, que celui-ci a pour objet de rendre compatible avec le marché intérieur des aides, et notamment celles sous forme de soutien aux coûts fixes non couverts, qui visent à remédier au manque de liquidité auquel sont confrontées les entreprises en raison de la pandémie de COVID-19, et de faire en sorte que les perturbations causées par celles-ci ne compromettent pas leur viabilité.

54 De même, il ressort du paragraphe 11 de la communication apportant une quatrième modification à l’encadrement temporaire, retranscrit au point 5 ci-dessus, que le soutien aux entreprises incapables de couvrir temporairement une partie de leurs coûts fixes vise à assurer leur continuité, en évitant la détérioration de leurs fonds propres, permettant de maintenir leur activité commerciale en leur offrant un tremplin solide pour se relancer.

55 Troisièmement, il convient de relever qu’un tel objectif, impliquant la prise en compte de la difficulté que peut éprouver une entreprise à couvrir ses coûts fixes en raison de la pandémie de COVID-19, est conforme à l’objectif de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et s’inscrit dans la mise en œuvre du large pouvoir d’appréciation que la Commission tire de cette disposition, rappelé au point 25 ci-dessus.

56 Quatrièmement, il y a lieu de constater qu’un critère aboutissant à permettre aux entreprises dont le chiffre d’affaires a été réduit au-delà d’un pourcentage de 30 % en raison de la pandémie de COVID-19 d’obtenir une assistance financière s’inscrit pleinement dans la mise en œuvre de la finalité, rappelée aux points 53 et 54 ci-dessus, d’assurer la viabilité et la continuité des entreprises au cours de ladite pandémie.

57 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation de la requérante tirée de ce que certaines entreprises ne bénéficiant pas du régime d’aides litigieux, ou dans une moindre mesure, en raison de l’exercice d’activités non affectées par la pandémie de COVID-19, tel le commerce en ligne, pourraient être amenées à se retirer du secteur du commerce physique de détail.

58 À cet égard, il convient de relever que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE n’exige pas que le régime d’aides en cause soit susceptible, à lui seul, de remédier à la perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné. En effet, une fois que la Commission constate la réalité d’une perturbation grave de l’économie d’un État membre, ce dernier pourrait être autorisé, si les autres conditions prévues par cet article sont par ailleurs satisfaites, à octroyer des aides d’État, sous la forme de régimes d’aides ou d’aides individuelles, qui contribuent à remédier à ladite perturbation grave. Il pourrait ainsi s’agir de plusieurs régimes d’aide qui, chacun pour leur part, contribuent à cette fin. Dès lors, il ne saurait être exigé qu’un régime d’aides, pour qu’il soit valablement fondé sur ladite disposition, remédie en lui-même à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

59 En outre, la Commission pouvait, sans méconnaître les limites du large pouvoir d’appréciation dont elle bénéficie en application de la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, estimer qu’il y avait lieu d’assurer la viabilité des entreprises dont une partie substantielle de l’activité avait été affectée par la pandémie de COVID-19, plutôt que de toute activité impactée par ladite pandémie, indépendamment de la situation globale de l’entreprise.

60 Il convient, partant, de rejeter le présent grief.

–  Sur le grief contestant le caractère nécessaire du critère d’éligibilité en cause

61 La requérante soutient que l’application d’un critère alternatif prenant en compte les pertes réalisées dans les domaines d’activités touchés par la pandémie de COVID-19, sans prise en compte de la situation de l’entreprise dans sa globalité, aurait été plus à même de réaliser l’objectif de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, dès lors qu’il n’aurait pas eu l’effet restrictif de concurrence découlant du critère d’éligibilité en cause. Elle souligne que ce critère alternatif a été pris en compte par la Commission dans d’autres décisions.

62 La Commission répond, notamment, qu’elle n’était pas tenue de se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées en lieu et place du régime d’aides litigieux. Elle ajoute que la comparaison effectuée par la requérante avec certaines décisions qu’elle a adoptées en raison de la pandémie de COVID-19 est dépourvue de pertinence, dès lors que ces décisions ne disposent pas de la même base juridique.

63 Il est exact que, en principe, la Commission n’a pas à se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées, puisque, si l’État membre concerné doit exposer de façon circonstanciée les raisons ayant présidé à l’adoption du régime d’aides en cause, en particulier quant aux critères d’éligibilité retenus, il n’est pas tenu de démontrer, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne pourrait permettre d’assurer l’objectif poursuivi de meilleure manière. Si ledit État membre n’est pas soumis à une telle obligation, un requérant ne saurait être fondé à demander au Tribunal d’imposer à la Commission de se substituer aux autorités nationales dans cette tâche de prospection normative afin d’examiner toute mesure alternative envisageable (voir arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T 135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 94 et jurisprudence citée).

64 Force est cependant de constater qu’une telle jurisprudence n’est pas pertinente dans les circonstances de l’espèce. En effet, elle repose sur le double postulat que, d’une part, les critères d’éligibilité d’un régime d’aides sont élaborés par l’État membre concerné et, d’autre part, la Commission est seulement tenue d’examiner leur caractère nécessaire sur la base des explications fournies par ledit État. Or, en l’espèce, il est constant que, d’une part, le critère d’éligibilité figurant dans le régime d’aides litigieux trouve, en réalité, son origine dans l’encadrement temporaire de la Commission et, d’autre part, le critère alternatif envisagé par la requérante a été appliqué par la Commission dans d’autres décisions, aux fins de déclarer compatibles certains régimes d’aides qui ont été adoptés en raison de la pandémie de COVID-19.

65 Il n’en demeure pas moins que le présent grief ne saurait prospérer.

66 Premièrement, ainsi que cela a été souligné aux points 25, 55 et 58 ci-dessus, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation à l’occasion de la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Ce n’est donc que dans l’éventualité où le critère alternatif mis en exergue par la requérante démontrerait de manière manifeste l’absence de nécessité du critère d’éligibilité en cause qu’il pourrait être fait droit au présent grief.

67 Deuxièmement, il y a lieu d’observer que le critère alternatif mis en exergue par la requérante diffère du critère d’éligibilité en cause au regard de l’ampleur de son incidence budgétaire pour l’État membre concerné. En effet, il aurait pour conséquence l’octroi de ressources publiques à toute entreprise ayant subi des pertes en raison de la pandémie, indépendamment de sa situation financière globale. Au contraire, le critère d’éligibilité en cause limite les incidences budgétaires de telles aides en excluant ou en limitant le bénéfice du régime d’aides litigieux à l’égard d’entreprises qui en, raison d’autres sources de revenus, ont vu leur situation financière globale être affectée dans une moindre mesure par la pandémie de COVID-19.

68 Troisièmement et par voie de conséquence, c’est à tort que la requérante soutient, en substance, que le critère alternatif qu’elle avance constitue une mesure « tout aussi appropriée », au sens de la jurisprudence citée aux points 42 et 43 ci-dessus, de nature à démontrer que le critère d’éligibilité en cause ne revêtait pas un caractère nécessaire.

69 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation de la requérante tirée de ce que la Commission a accepté qu’il soit fait application d’un critère fondé sur les domaines d’activités touchés par la pandémie de COVID-19 dans deux décisions déclarant compatibles des régimes d’aides sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

70 À cet égard, il suffit de souligner que la circonstance que la Commission ait pu, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, qui concerne les aides compatibles de plein droit destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires, autoriser des régimes d’aides impliquant une compensation des pertes subies du fait des injonctions de fermeture liées à la pandémie de COVID-19 sans prise en compte de la situation financière globale des bénéficiaires, n’implique pas qu’elle était tenue de suivre une approche équivalente lors de la mise en œuvre du large pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, aux fins de déclarer compatibles des aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

–  Sur le grief contestant le caractère proportionné du critère d’éligibilité en cause

71 La requérante soutient, en substance, que le critère d’éligibilité en cause est disproportionné au regard des effets restrictifs de concurrence qu’il a occasionnés pour les entreprises dont seules certaines activités ont été affectées par la pandémie de COVID-19. Elle observe avoir été dans l’obligation de soutenir ces activités, plutôt que de procéder à de nouveaux investissements, contrairement à ses concurrentes qui ont bénéficié du régime d’aides litigieux. Elle souligne, en substance, que la Commission ne pouvait ignorer l’ampleur des effets restrictifs de concurrence résultant du critère d’éligibilité en cause depuis le relèvement du plafond à 10 millions d’euros par la communication apportant une cinquième modification de l’encadrement temporaire.

72 Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le point de savoir si la Commission était tenue de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques d’un régime d’aides litigieux avec ses effets négatifs sur le maintien d’une concurrence non faussée à l’occasion de la mise en œuvre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, il suffit de constater que le critère d’éligibilité en cause n’est, en toute hypothèse, pas à l’origine d’effets restrictifs de concurrence revêtant un caractère manifestement démesuré par rapport à l’objectif, poursuivi par le régime d’aides litigieux, d’assurer la viabilité des entreprises affectées par la pandémie de COVID-19.

73 En effet, il ne peut être retenu que la circonstance que la requérante ait été amenée à consacrer certaines de ses ressources provenant d’activités non affectées par la pandémie de COVID-19 au financement des activités affectées par cette dernière, plutôt que de procéder à de nouveaux investissements, affecte sa position concurrentielle de manière telle que la dérogation envisagée à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE ne pourrait trouver à s’appliquer. À cet égard, il convient de relever que les concurrents de la requérante bénéficiant pleinement du régime d’aides litigieux sont également amenés à supporter une partie des pertes occasionnées en raison de ladite pandémie, la décision attaquée prévoyant, en application du paragraphe 87, sous c), de l’encadrement temporaire, que l’intensité de l’aide ne peut excéder 70 % des coûts fixes non couverts, sauf pour les micro- et petites entreprises pour lesquelles ce seuil est de 90 % desdits coûts.

74 En outre, il convient de relever que le raisonnement de la requérante semble reposer sur le postulat selon lequel le régime d’aides permettrait à ses bénéficiaires d’investir dans le développement de leurs activités existantes, ou dans de nouvelles activités, en leur procurant ainsi un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises dont le modèle économique implique qu’elles n’en bénéficient pas, ou seulement dans une moindre mesure. Or, un tel postulat manque en fait, dès lors que ledit régime permet seulement à des entreprises qui, contrairement aux entreprises dont une partie substantielle de leurs activités n’a pas été affectée par la pandémie de COVID-19, ont été fortement fragilisées par ladite pandémie d’assurer leur survie. Il ne saurait donc raisonnablement être retenu que ledit régime leur permettra de développer leurs activités au détriment de celles de leurs concurrents.

75 Au vu de ce qui précède, le présent grief doit être rejeté et, dès lors, la première branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche, tirée de l’absence d’examen individuel du régime d’aides litigieux et d’un défaut de motivation

76 La requérante, d’une part, rappelle que l’adoption par la Commission de l’encadrement temporaire ne dispensait pas cette dernière de procéder à un examen individuel du régime d’aides litigieux et, d’autre part, reproche à cette institution de ne pas avoir procédé à un tel examen en l’espèce. Elle se réfère, à cet égard, à la circonstance que la décision attaquée est exclusivement motivée par référence audit encadrement et qu’elle a été rendue dans un délai de seulement trois jours à la suite de la notification dudit régime d’aides. Elle ajoute que ladite décision est entachée d’un défaut de motivation, dès lors que, dans celle-ci, la Commission s’est limitée à renvoyer à cet encadrement.

77 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, fait valoir qu’elle a procédé à un examen du régime d’aides litigieux, dont il a résulté qu’il n’y avait pas de raison de s’écarter de l’encadrement temporaire. En outre, elle réfute tout défaut de motivation de la décision attaquée.

78 Pour les raisons déjà exposées aux points 36 et 37 ci-dessus, il convient de relever que c’est, certes, à juste titre que la requérante soutient que l’adoption de l’encadrement temporaire par la Commission ne la dispensait pas de procéder à un examen individuel du régime d’aides en cause.

79 Toutefois, il ne saurait être retenu, en l’espèce, que la Commission a méconnu son obligation d’examen individuel du régime d’aides litigieux.

80 Premièrement, il ressort des points 9 et 14 ci-dessus que la Commission, tant dans la décision C(2020) 8318 final que dans la décision C(2021) 1066 final, a explicité les caractéristiques du régime d’aides litigieux.

81 Deuxièmement, dans ses écritures, la requérante ne démontre pas l’existence de circonstances exceptionnelles propres au régime d’aides litigieux qui auraient justifié que la Commission ne fasse pas application du paragraphe 87 de l’encadrement temporaire. En effet, il ressort de l’examen de la première branche du présent moyen que les différentes critiques avancées concernent le bien-fondé du critère d’éligibilité en cause tel qu’il figure audit paragraphe et qu’il a été appliqué dans la décision attaquée, mais qu’elles ne sont pas propres à ce régime d’aides.

82 À cet égard, il convient de relever que l’existence d’entreprises disposant d’un modèle économique impliquant qu’elles exercent, à la fois, des activités affectées par la pandémie de COVID-19 et d’autres préservées de celle-ci n’est pas une considération propre au régime d’aides litigieux que la Commission aurait dû prendre en considération dans la décision attaquée. Il en va de même de la circonstance que la communication apportant une cinquième modification de l’encadrement temporaire ait relevé le plafond maximum de l’aide versé à 10 millions d’euros par entreprise.

83 Troisièmement et par voie de conséquence, dans la mesure où la requérante ne démontre aucune circonstance exceptionnelle de nature à impliquer que la Commission s’écarte des règles qu’elle s’était fixée dans l’encadrement temporaire, le fait qu’elle ait été en mesure d’adopter une décision dans les trois jours de la notification du régime d’aides ne saurait être considéré comme un indice révélateur d’une absence d’examen individuel du régime d’aides litigieux.

84 Quatrièmement, en l’absence de circonstances propres au régime d’aides litigieux, la Commission n’a pas méconnu son obligation de motivation en renvoyant, dans la décision attaquée, aux motifs figurant dans l’encadrement temporaire, aux fins d’expliciter les raisons pour lesquelles elle avait décidé de déclarer compatible le régime d’aides litigieux avec le marché intérieur en application de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

85 Par ailleurs, il ressort de l’ensemble des appréciations qui précèdent que, d’une part, la requérante a été en mesure de comprendre le raisonnement figurant dans la décision attaquée et, d’autre part, le Tribunal a été en mesure de contrôler son bien-fondé, de sorte qu’il y a lieu de constater que cette décision a été motivée à suffisance de droit.

86 Au vu de ce qui précède, la présente branche doit être rejetée et, dès lors, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE

87 La requérante fait valoir que, dans la mesure où la question de la compatibilité du régime d’aides litigieux avec le marché intérieur soulevait des difficultés sérieuses, la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen et que, partant, la décision attaquée a violé les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Elle estime, en substance, qu’il ressort du premier moyen que la Commission ne s’est pas penchée sur les incidences d’une approche fondée sur l’appréciation des effets de la pandémie de COVID-19 au niveau des entreprises s’agissant de celles qui sont actives dans plusieurs domaines d’activités. À la suite de la cinquième modification de l’encadrement temporaire, la Commission se serait rendu compte de l’importance qu’il y avait à apporter une aide aux grandes entreprises, mais elle n’en aurait pas tiré de conséquences à l’occasion de l’examen de la modification du régime d’aides initial. Cela serait révélateur d’un examen insuffisant et incomplet et, partant, de l’existence de difficultés sérieuses de nature à faire naître des doutes quant à la compatibilité du régime litigieux avec le marché intérieur. La requérante considère enfin que le présent moyen dispose d’un contenu autonome par rapport au premier.

88 La Commission soutient que le présent moyen, par rapport au premier, ne dispose pas d’un contenu autonome, de sorte que le rejet du premier moyen emporte automatiquement le rejet du présent moyen.

89 Force est de constater que le présent moyen, relatif à la sauvegarde des droits procéduraux de la requérante du fait de l’absence d’ouverture d’une procédure formelle d’examen par la Commission en dépit de l’existence alléguée de doutes sérieux, présente, en réalité, un caractère subsidiaire, pour le cas où le Tribunal n’aurait pas examiné le bien-fondé de l’appréciation de l’aide en tant que tel. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un tel moyen vise à permettre à une partie intéressée d’être jugée recevable, en cette qualité, à introduire un recours au titre de l’article 263 TFUE, ce qui lui serait autrement refusé (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C 83/09 P, EU:C:2011:341, point 48, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C 47/10 P, EU:C:2011:698, point 44). Or, dans la mesure où ce moyen, se rapportant au bien-fondé de l’appréciation de l’aide en tant que tel, a été examiné, il est privé de sa finalité affichée.

90 Au surplus, force est de constater que le présent moyen est dépourvu de contenu autonome. En effet, la partie requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C 333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C 319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C 83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), comme le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire ou l’existence de plaintes provenant de parties tierces. Or, il convient de relever que ce moyen reprend de façon condensée les arguments soulevés dans le cadre du premier moyen sans mettre en évidence d’éléments spécifiques relatifs à d’éventuelles difficultés sérieuses.

91 Partant, dans la mesure où le premier moyen a été examiné au fond, il n’y a pas lieu d’examiner le présent moyen.

92 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le présent recours.

 Sur les dépens

93 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

94 La requérante ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

95 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) E. Breuninger GmbH & Co supportera ses propres dépens et ceux exposés par la Commission européenne.

3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.