CA Paris, 1re ch. A, 17 juin 2008, n° 06/03926
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Moquet Borde et Associés (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Debû
Conseillers :
Mme Horbette, Mme Gueguen
Avoués :
SCP Lamarche-Bequet- Regnier-Aubert - Regnier - Moisan, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Me Farthouat, Me Darrois, Me Brochier
M. Patrice L. a été engagé le 1er Mai 1990 en qualité de collaborateur de la Scp Moquet Borde & Associés, ci-après la Scp : à compter du 1er Janvier 1999, il a été associé en industrie, à hauteur de 1600 parts, sans détenir de parts en capital.
Le 8 octobre 2002, il a notifié à la Scp sa décision de retrait : cette dernière, aux termes d'une délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 5 décembre 2002, en a pris acte, avec une prise d'effet à compter du 30 septembre 2002 et a voté l'annulation des parts d'industrie de M. Lefèvre-Péaron en application de l'article 13 alinéa 3 du décret du 20 juillet 1992.
Le 11 octobre 2002, M. Lefèvre-Péaron a signé un document intitulé Départ P. Lefèvre ,organisant les modalités du retrait : il a reçu paiement d'une somme de 81.320,57 € , correspondant au solde de sa quote-part du résultat de la société au titre de l'exercice 2002 et au remboursement de son compte courant.
Le 22 juillet 2004, il a engagé un recours d'arbitrage pour obtenir le remboursement de ses droits sociaux, par lui évalués à une somme de 1 million d'euros, et à défaut d'accord, pour voir désigner un expert au visa de l'article 1843-4 du code civil.
Une sentence arbitrale a été rendue le 30 janvier 2006 par M. Bernard Vatier, arbitre unique désigné par M. le bâtonnier du barreau de Paris, qui, déclarant recevable la demande de M. Lefèvre-Péaron, a dit que ce dernier a été rempli de ses droits d'associé de la Scp Moquet Borde, que le détournement de clientèle par M. Lefèvre- Péaron n'est pas établi, et en conséquence, a débouté les parties de toutes leurs demandes, condamnant M. Lefèvre-Péaron aux frais d'arbitrage liquidés à 8200 € HT.
CELA ETANT EXPOSE, la COUR :
Vu le compromis d'arbitrage en date du 12 décembre 2005, aux termes duquel l'arbitre a pour mission de statuer en droit, sans renonciation des parties aux voies de recours,
Vu l'appel interjeté le 28 février 2006 par M. Lefèvre-Péaron,
Vu les conclusions déposées le 2 avril 2008 par l'appelant qui demande à la cour, au visa des articles 1869, 1843-2, 1844-1 du code civil, 13 et 39 du décret No 92-680 du 20 juillet 1992, de confirmer la sentence en ce qu'elle a reconnu qu'un associé en industrie a droit à l'attribution d'une quote-part de l'actif net de la Scp lorsqu'il cesse d'être associé, de l'infirmer en ce qu'elle déclare que par le seul transfert de la capacité à exercer son activité professionnelle, M. Lefèvre-Péaron était intégralement rempli de ses droits sur ladite quote-part dûe en cas de retrait, de lui reconnaître le droit à 6,22% de l'actif net de la Scp évalué à la date du 30 septembre 2002 et diminué du montant du capital social, soit la somme de 851.066,24 € et de condamner la Scp à lui verser ladite somme, subsidiairement, dans l'hypothèse où la valeur de son droit sur l'actif net serait contestée, de lui donner acte qu'il saisira le président du tribunal de grande instance à fin de désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil, de condamner la Scp intimée à lui payer la somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les entiers dépens,
Vu les conclusions déposées le 5 mai 2008 par la Scp Moquet Borde, Scp d'avocats en liquidation amiable, représentée par son liquidateur, M. Dominique Borde, qui demande à la cour, au visa de l'accord signé le 11 Octobre 2002, des statuts et de la Charte associative, d'infirmer la sentence en ce qu'elle a admis la recevabilité de M. Lefèvre-Péaron en ses demandes et débouté la concluante de sa demande de dédommagement, de la confirmer pour le surplus, en conséquence de dire M. L. irrecevable en ses demandes, de lui donner acte qu'elle conteste la valeur de l'actif net de la Scp arrêtée par M. Lefèvre-Péaron, de condamner ce dernier à lui verser la somme de 312.000 € en réparation de son préjudice et à payer tous les dépens, en ce compris les frais d'arbitrage,
SUR QUOI :
Sur la recevabilité :
Considérant que la Scp fait valoir que M. Lefèvre-Péaron, professionnel du droit ayant signé le document du 11 octobre 2002 portant sur l'ensemble de ses droits à l'encontre de la concluante, aurait ainsi renoncé à prétendre à toute autre somme qui lui serait dûe en sa qualité d'associé, ce qui le rendrait irrecevable en ses demandes ;
Considérant que l'appelant conteste que ce document puisse emporter renonciation à ses droits d'associé, n'abordant pas la question désormais litigieuse de savoir si sa qualité d'associé en industrie lui donne d'autres droits que celui de recevoir une quote-part du bénéfice annuel ;
Considérant que la cour relève que l'accord, qui n'est pas intitulé solde de tout compte , se présente sous la forme d'une fiche récapitulative des divers points abordés pour régler le retrait, revêtue du paraphe de M. Lefèvre-Péaron, détaillant certaines modalités concrètes relatives à la voiture, à la carte de paiement, avec en annexe la liste des dossiers qui restaient au cabinet de la Scp, et précisant que l'associé retrayant est délié de son engagement de non retrait prévu par la charte associative ; que la renonciation à un droit ne se présumant pas, la seule circonstance que M. Lefèvre-Péaron n'ait formé son recours d'arbitrage que 18 mois après la signature de l'accord susvisé, n'est pas susceptible d'influer sur la nature et la portée juridique qui s'attachent au contenu de ce document, dont il ressort clairement qu'il n'a à aucun moment abordé la question de l'étendue des droits d'associé de M. Lefèvre-Péaron, tels qu'il entend les exercer, se fondant notamment sur l'article 1843-2 du Code Civil et sur le principe selon lequel tous les associés ont vocation à participer à la répartition de l'actif net sans distinguer selon qu'ils sont titulaires de parts sociales ou de parts d'industrie ;
Considérant en conséquence que la sentence arbitrale sera confirmée en ce qu'elle a admis la recevabilité de la demande ;
Sur le fond :
Considérant que l'article 1843-2 du code civil dispose que les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l'attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l'actif net, à charge de contribuer aux pertes.
Considérant que l'appelant, au visa de ce texte, rappelant qu'il a tous les droits d'un associé, conteste le refus qui lui a été opposé lorsqu'il a prétendu, à ce titre, être en droit de percevoir la quote-part d'actif net lui revenant, évaluée au jour de son retrait ; qu'il admet qu'il existe certes une différence entre l'apport en capital et l'apport en industrie, puisque pour les associés en industrie, les créanciers de la société ne peuvent saisir son activité professionnelle car le capital social ne comprend pas l'industrie des porteurs de parts d'industrie ; qu'il soutient toutefois que l'actif net qui doit constituer l'assiette de ses droits, est égal aux capitaux propres de la Scp ressortant de son bilan certifié par ses commissaires aux comptes au 31 décembre 2001, soit 7 237 179 € sous déduction du montant du capital auquel il reconnaît ne pas avoir droit comme associé en industrie, et augmenté de la valeur de la clientèle du cabinet qu'il estime à 6 500 000 € ;
Considérant qu'il ajoute que l'absence de mise en oeuvre dans son cas de l'article 39 du décret du 20 juillet 1992, puisqu'il ne s'est pas vu attribuer de parts en capital en vertu de ce texte, ne saurait faire obstacle au plein exercice du droit d'un associé en industrie sur l'actif net, l'article 39 précité n'ayant vocation qu'à améliorer la participation au bénéfice des associés en industrie sans que le principe posé par l'article 1843-2 du code civil ne soit en quelque manière subordonné à l'application dudit texte ;
Considérant que la Scp soutient que l'associé en industrie ne peut prétendre à l'attribution d'une quote-part de l'actif social, en raison du régime juridique des parts en industrie ; que dans le cas de M. Lefèvre-Péaron, qui n'a pas souhaité souscrire de parts en capital comme les statuts de la Scp le lui permettaient, et en l'absence de mise en oeuvre de l'article 39 sus rappelé, son apport en industrie, c'est à dire son activité et ses connaissances professionnelles, a pris fin au moment du retrait de l'associé ; que d'ailleurs l'article 13 du décret susvisé dispose en son alinéa 3 ;' les parts d'intérêt correspondant aux apports en industrie sont incessibles et doivent être annulées lorsque leur titulaire se retire de la société pour quelque cause que ce soit, y compris la dissolution de celle-ci.
Considérant que la Scp soutient que l'indemnisation de l'apporteur en industrie retrayant n'est pas prévue lorsqu'il part exercer dans un autre cabinet et s'en va avant la retraite puisqu'il n'a pas contribué à la valorisation du patrimoine de la Scp qui justifierait d'un quelconque droit sur l'actif social de cette dernière ; que c'est seulement en cas de départ à la retraite que l'article 17.3 alinéa 2 des statuts prévoit qu'il se voit racheter ses parts en capital et en industrie ;
Considérant que la sentence arbitrale, par des motifs pertinents que la cour adopte, a rappelé que dans le principe, et sans qu'il n'existe de motif légitime de raisonner par référence et par subordination à une application de l'article 39 du décret du 20 juillet 1992, disposition qui organise l'augmentation du capital et améliore la participation aux bénéfices des associés en industrie, ce dernier a droit à une attribution d'une quote-part de l'actif net, même lorsqu'il cesse d'être associé ; que toutefois, en l'absence de toute disposition contractuelle fixant les modalités d'indemnisation de l'associé retrayant, il n'a droit qu'à un partage des bénéfices non distribués, autrement dit des réserves ou bien encore, lors de la liquidation, du boni ;
Considérant que c'est à juste titre que la Scp rappelle que dans le cas d'une société civile professionnelle d'avocats, soumise au régime des bénéfices non commerciaux, il n'existe pas de notion de capitaux propres résultant d'un bilan puisque c'est une comptabilité d'encaissement, selon les règles recettes-dépenses, et non une comptabilité commerciale d'engagements, selon les règles créances-dettes :qu'il en résulte qu'il n'y a pas de réserves, ni de bénéfices non distribués et que la totalité des résultats est attribuée aux associés à titre de dividendes ;
Considérant qu'elle fait justement valoir qu'en l'espèce, M. L. a eu ses droits au titre des bénéfices de l'exercice clos le 31 décembre 2001, qu'il ne peut prétendre à une quote-part de l'exercice suivant, puisqu'il n'était plus associé à la date de distribution et qu'il ne peut davantage prétendre, ce qu'il a expressément admis, avoir un droit sur le capital social ; qu'il ne s'agit pas en effet d'une liquidation partielle qui résulterait de l'annulation de ses parts d'industrie ni d'une dissolution de société avec partage de l'actif entre les associés ;
Considérant d'autre part que l'appelant prétend à une quote-part de la plus-value d'actif liée à la clientèle ; qu'il omet toutefois, lorsqu'il appuie son raisonnement sur la jurisprudence, de bien distinguer le cas de l'apporteur en capital de l'apporteur en industrie ou l'hypothèse d'une cession de clientèle ou encore le retrait pour cause de retraite ; qu'en outre, comme la sentence le rappelle encore pertinemment, du fait qu'il a poursuivi son activité dans un autre cabinet, il n'a pas permis à la Scp qu'il quittait de conserver une plus-value d'actif liée à sa propre industrie ; qu'en l'espèce, en partant, il s'est saisi de la valeur de son industrie, se l'est attribuée de fait et ne saurait donc prétendre à une quote-part de clientèle ;
Considérant que la sentence arbitrale sera confirmée en ce qu'elle a constaté que M. Lefèvre-Péaron a reçu la quote- part d'actif net à laquelle il peut prétendre et a été rempli de ses droits d'associé ;
Sur la demande reconventionnelle :
Considérant que la Scp fait valoir que M. Lefèvre-Péaron a apporté sa clientèle au cabinet de Pardieu & Brocas lors de son départ et emmené M. Olivier Roux, collaborateur du département fiscal, ne respectant pas les clauses de l'accord du 11 octobre 2002, ce qui lui a causé préjudice pour détournement de clientèle ;
Considérant que M. Lefévre-Péaron soutient qu'il n'a pas détourné de clientèle car il avait l'autorisation de la Scp pour maintenir son concours à certains dossiers après avoir exercé son retrait ; qu'il verse aux débats en pièces 12, 13 et 14, des attestations de clients importants qui confirment ses dires ;
Considérant que seuls quelques dossiers sont évoqués , au surplus succintement dans les écritures de la Scp, comme ayant été emportés par M. Lefèvre-Péaron pour les apporter au nouveau cabinet d'avocat l'accueillant comme associé ; que le nombre total de dossiers conservé par elle étant, sans qu'elle ne le conteste, de l'ordre de 165, ces affirmations ne suffisent pas à rapporter la preuve, qui doit être précise et circonstanciée, d'un détournement de clientèle ; que ce chef de demande sera rejeté ;
Considérant en conséquence que la sentence entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS :
- Confirme la sentence querellée en toutes ses dispositions,
- Condamne M. Lefèvre-Péaron aux dépens d'appel, comprenant les frais d'arbitrage, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.