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Décisions

Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Graff-Daudret

Avocats :

Me Le Prado, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Metz, du 5 déc. 2019

5 décembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 5 décembre 2019), le 20 décembre 2012, la Caisse de crédit mutuel de Longwy-Bas (la banque) a consenti un prêt destiné à financer la reprise d'un fonds de commerce. L'acte stipule que le prêt est accordé à « l'Eurl Ileva, en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par Mme [O] [K] ». Le 21 mars 2013, la banque a consenti un prêt complémentaire à la société Ileva. Mme [O] et son époux se sont rendus cautions solidaires du remboursement de chacun de ces prêts.

2. Selon un avenant du 21 novembre 2013, signé par les cautions, la société Ileva a consenti à la banque un nantissement sur son fonds de commerce.

3. La société Ileva ayant été mise en liquidation judiciaire et Mme [O] en redressement judiciaire, la banque a assigné M. [O] en paiement des sommes restant dues au titre de ces deux prêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

4. M. [O] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit libéré des intérêts postérieurs au 30 septembre 2016 et de le condamner à payer à la banque la somme de 28 890,23 euros avec intérêts au taux conventionnel de 6,50 % l'an à compter du 30 septembre 2016 au titre de son engagement de caution du prêt contracté le 20 décembre 2012 par l'Eurl Ileva, et la somme de 4 129,16 euros avec intérêts au taux conventionnel de 6,50 % l'an à compter du 30 septembre 2016 au titre de son engagement de caution du prêt contracté le 21 mars 2013 par la même société, alors « que la déclaration de créance doit contenir les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, de sorte que la seule mention du taux d'intérêt est insuffisante ; qu'en condamnant la caution à payer les sommes déclarées auxquelles devaient s'ajouter les intérêts à échoir postérieurement à la déclaration, tout en constatant que celle-ci ne contenait que le taux de ces intérêts, à l'exclusion de toute modalité de calcul, la cour d'appel a violé l'article R. 622-23 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. Ayant relevé que la banque avait déclaré deux créances, respectivement de 28 775,88 euros et 4 109,73 euros, au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, assorties d'intérêts postérieurs au taux normal de 3,50 % et au taux de retard de 6,50 %, la cour d'appel en a exactement déduit que la déclaration de créance satisfaisait aux prescriptions de l'article R. 622-23 du code de commerce.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. M. [O] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait rejeté les demandes de la banque au titre de son engagement de caution souscrit en garantie du contrat de prêt du 20 décembre 2012, en raison de l'irrégularité de fond affectant ce dernier, et de le condamner à payer à celle-ci la somme de 28 890,23 euros avec intérêts au taux conventionnel de 6,50 % l'an à compter du 30 septembre 2016 au titre de cet engagement, alors :

« 1°/ que l'acte conclu par une société en cours d'immatriculation est nul de nullité absolue, insusceptible de confirmation ou ratification ; qu'en jugeant que l'acte de prêt conclu le 20 décembre 2012 était valable et avait été repris par la société Ilena, tout en constatant qu'il avait été conclu "par l'Eurl Ilena" en cours d'immatriculation, et non au nom de la société en formation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1842 et 1843 du code civil, et L. 210-6 du code de commerce ;

2°/ que l'avenant à un contrat, qui n'en modifie que certains éléments, ne peut faire obstacle à sa nullité absolue ; qu'en se fondant, pour écarter la nullité absolue du contrat de prêt du 20 décembre 2012, conclu par la société Ilena avant son immatriculation, sur l'existence d'un avenant signé après l'immatriculation, tout en constatant que cet avenant "n'emportait aucune novation au contrat initial dont toutes les conditions non expressément modifiées [?] demeuraient inchangées", de sorte qu'il ne constituait pas un nouveau contrat réalisant une réfection du contrat initial, la cour d'appel a violé les articles 1842 et 1843 du code civil, et L. 210-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1842, alinéa 1, du code civil :

8. Selon ce texte, les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.

9. Pour condamner M. [O] à payer à la banque une certaine somme au titre de son engagement de caution souscrit en garantie du prêt du 20 décembre 2012, l'arrêt, après avoir relevé qu'invoquant à son profit la nullité absolue du contrat de prêt, il faisait valoir que celui-ci avait été signé, non par une société en formation, mais par une personne morale inexistante, et qu'il n'avait, en tout état de cause, pas été repris par l'Eurl Ileva, retient que Mme [O] avait, à l'évidence, agi au nom et pour le compte de cette société en formation. Il relève également que l'Eurl Ileva, ainsi que les cautions, avaient, le 21 novembre 2013, signé un avenant au contrat initial stipulant que celui-ci « n'emportait aucune novation au contrat initial dont toutes les conditions non expressément modifiées, et notamment les garanties, demeuraient inchangées » et « lierait les deux parties lors de la signature de l'emprunteur et le cas échéant des cautions », ce dont il déduit que l'Eurl Ileva ayant, postérieurement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, signé un acte emportant reprise du contrat initial, le moyen de nullité de ce dernier invoqué par M. [O] devait être écarté.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le contrat de prêt du 20 décembre 2012 avait été conclu, non pas au nom et pour le compte d'une société en cours de formation mais par la société elle-même, avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ce dont il résultait qu'il était nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité juridique, et que l'avenant à ce contrat, qui, selon ses propres termes, n'emportait pas novation, n'était pas de nature à couvrir cette nullité absolue, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que la banque soit déchue du droit aux intérêts et de le condamner à payer à celle-ci la somme de 4 129,16 euros avec intérêts au taux conventionnel de 6,50 % l'an à compter du 30 septembre 2016 au titre de son engagement de caution du prêt du 21 mars 2013, alors « que le juge est tenu de rechercher, au besoin d'office, si une clause conclue entre un professionnel et un consommateur n'est pas abusive en ce qu'elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'en faisant application de la clause du contrat de cautionnement conclu entre la CCM de Longwy-Bas et M. [O], conjoint de la gérante de la société emprunteuse, selon laquelle "compte tenu du système de gestion automatisée de cette information mis au point par la banque, les parties conviennent que la production d'un listing informatique fera preuve de l'information entre elles", sans rechercher si cette clause, qui permettait à la banque de prouver l'exécution de son obligation par des moyens de preuve sommaires, émanant de ses propres services, n'avait pas pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du client consommateur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

12. La banque conteste la recevabilité du moyen, soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

13. Cependant, le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle invoquée par une partie dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

14. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :

15. Aux termes de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

16. Pour condamner M. [O] à payer une certaine somme à la banque en exécution de son engagement de caution souscrit en garantie du prêt du 21 mars 2013, l'arrêt énonce qu'aux termes des articles L. 313-22 du code monétaire et financier et L. 341-6 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique « au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, il rappelle la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information ». Il relève que la banque verse aux débats la copie des lettres simples datées des 24 février 2014, 20 février 2015 et 18 février 2016 et les relevés informatiques d'envoi de ces lettres. Il relève encore que les deux actes de prêt avec cautionnement paraphés et signés par M. [O] prévoient que « la banque s'engage à faire connaître chaque année à la caution le montant et le terme des engagements garantis. Compte tenu du système de gestion automatisée de cette information mis au point par la banque, les parties conviennent que la production d'un listing informatique fera preuve de l'information entre elles ». Il retient enfin que la banque justifie de l'accomplissement de son obligation d'information conformément aux termes des contrats signés par la débitrice principale et les cautions, ce dont il déduit qu'il n'y a pas lieu à déchéance de son droit aux intérêts contractuels.

17. En statuant ainsi, alors qu'il incombait à la cour d'appel de rechercher d'office le caractère abusif de la clause précitée, en ce qu'elle permettait à la banque de rapporter irréfragablement la preuve de l'exécution de son obligation d'information annuelle à l'égard de la caution par des documents qu'elle avait élaborés unilatéralement, et, le cas échéant, d'examiner, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, la valeur et la portée des éléments de preuve invoqués par la banque à titre de preuve de l'exécution de cette obligation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en qu'il déboute la Caisse de crédit mutuel de Longwy Bas de sa demande d'annulation du jugement, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.