Cass. com., 27 janvier 2021, n° 18-16.784
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Lion
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 mars 2018), la société civile immobilière SCJP, qui a opté pour une imposition de ses bénéfices à l'impôt sur les sociétés et a eu alternativement recours, de 2000 à 2012, aux sociétés d'expertise-comptable Fiteco et Fiduciaire du Golfe pour l'établissement de ses comptes annuels et de sa déclaration fiscale de résultat, détenait, depuis le 23 décembre 2002, huit cent quinze parts de la SCI [...], lesquelles avaient été inscrites dans sa comptabilité au compte « titres de participation » pour leur valeur d'acquisition.
2. La société [...] ayant vendu son unique bien immobilier le 28 décembre 2006 et ayant été dissoute en 2007, la société SCJP, après avoir sorti ces titres de son actif pour une valeur nulle et enregistré, alors, une moins-value, a fait application du régime de report en arrière des déficits en imputant sur les bénéfices fiscaux de ses trois exercices précédents le montant du déficit provoqué par cette moins-value et en demandant, à due concurrence, un remboursement d'impôt sur les sociétés.
3. A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration, remettant en cause l'applicabilité du mécanisme de report en arrière des déficits, ainsi que le bien-fondé de déductions extra-comptables effectuées au titre de recettes passées, qu'elle a considérées non justifiées, a notifié à la société SCJP une proposition de rectification portant sur un rappel d'impôt sur les sociétés, augmenté des intérêts de retard.
4. Après rejet de son recours formé devant les juridictions administratives, la société SCJP, estimant que ce redressement fiscal était la conséquence d'erreurs commises par les sociétés Fiteco et Fiduciaire du Golfe, les a assignées en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
6. La société SCJP fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice lié au suivi du redressement fiscal, alors :
« 1°/ qu'en premier lieu, les personnes morales peuvent obtenir réparation de leur préjudice moral ; qu'en retenant, pour débouter la société de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice lié au suivi du redressement fiscal, qu'une SCI, qui est une personne morale, ne peut soutenir avoir subi un stress, laissant entendre qu'elle ne pouvait obtenir réparation de son préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'en deuxième lieu, en retenant, pour débouter la société SCJP de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice lié au suivi du redressement fiscal, qu'elle ne saurait imputer aux erreurs commises par son expert-comptable le contrôle fiscal qu'elle a subi, lequel n'est pas la conséquence des deux erreurs fiscales repérées par les agents en charge du contrôle, après avoir pourtant constaté que ces deux erreurs fiscales, à savoir l'utilisation erronée du mécanisme du report en arrière pour une moins-value afférente à des titres de participation et l'absence de justification par des documents appropriés de la demande de déductions extra-comptables des bénéfices passées, étaient le fait de l'expert-comptable, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, en énonçant exactement qu'une SCI, qui est une personne morale, ne peut soutenir avoir subi un stress, la cour d'appel n'a pas, contrairement à ce que postule le moyen, affirmé l'impossibilité, pour une personne morale, d'obtenir la réparation d'un préjudice moral.
8. D'autre part, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du lien de causalité, qui dépendait de la seule analyse d'éléments factuels, que la cour d'appel a retenu que le contrôle fiscal de la société SCJP, source du préjudice moral qu'elle alléguait avoir subi, n'était pas la conséquence des deux erreurs commises par son expert-comptable.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages-intérêts formée contre la société Fiduciaire du Golfe au titre des intérêts de retard
Enoncé du moyen
10. La société SCJP fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre des intérêts de retard formée contre la société Fiduciaire du Golfe, alors « qu'en estimant, pour débouter la société SCJP de sa prétention indemnitaire au titre des intérêts de retard, que la charge de ces intérêts ne pénalise pas le contribuable, lequel a pu disposer d'une trésorerie qui n'aurait pas dû lui échoir si elle avait en temps normal réglé l'impôt dû et que le versement des intérêts de retard n'est pas source de préjudice, sans rechercher si, en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société SCJP avait retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant du paiement des intérêts de retard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
11. Ayant retenu qu'aucune faute relative à la comptabilisation des titres de la société [...] détenus par la société SCJP en titres de participation plutôt qu'en titres de placement ne pouvait être imputée aux experts-comptables et que seule la société Fiteco pouvait se voir reprocher deux fautes, pour avoir demandé à l'administration fiscale une restitution d'impôt sur les sociétés qui n'était pas fondée et omis d'appeler l'attention de sa cliente sur la nécessité de justifier, par des documents appropriés, sa demande de déductions extra-comptables des bénéfices passés, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la recherche, inopérante à l'égard de la société Fiduciaire du Golfe, tenant à l'existence d'un avantage de trésorerie procuré par la conservation de l'impôt dû dans le patrimoine de la demanderesse.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages-intérêts formée contre la société Fiteco au titre des intérêts de retard
Enoncé du moyen
13. La société SCJP fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre des intérêts de retard formée contre la société Fiteco, alors « qu'en estimant, pour débouter la société SCJP de sa prétention indemnitaire au titre des intérêts de retard, que la charge de ces intérêts ne pénalise pas le contribuable, lequel a pu disposer d'une trésorerie qui n'aurait pas dû lui échoir si elle avait en temps normal réglé l'impôt dû et que le versement des intérêts de retard n'est pas source de préjudice, sans rechercher si, en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société SCJP avait retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant du paiement des intérêts de retard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
14. Il résulte de ce texte que les intérêts de retard mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale constituent un préjudice réparable dont l'évaluation commande de prendre en compte l'avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu'à son recouvrement par l'administration fiscale, du montant des droits dont il était redevable.
15. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée contre la société Fiteco au titre des intérêts de retard, l'arrêt, après avoir énoncé que ces intérêts, qui ne constituent pas une sanction mais l'accessoire de l'impôt normalement dû, ne font que compenser la privation pour l'Etat de l'impôt qui ne sera perçu que tardivement et que leur paiement ne pénalise pas le contribuable, qui a pu disposer d'une trésorerie dont il n'aurait pas bénéficié s'il avait réglé l'impôt dû en temps utile, retient que le paiement de ces intérêts n'est pas la conséquence directe de la faute de la société Fiteco.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société SCJP avait retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant du paiement des intérêts de retard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par la société SCJP contre la société Fiteco au titre des intérêts de retard, l'arrêt rendu le 6 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.