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CC, 11 mars 2022, n° 2021-979 QPC

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD et François PILLET.

CC n° 2021-979 QPC

10 mars 2022

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 décembre 2021 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 910 du 15 décembre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Prologue par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-979 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Au vu des textes suivants :

•            la Constitution ;

•            l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

•            le code monétaire et financier ;

•            la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière ;

•            le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

•            les observations présentées pour la société requérante par la SCP Melka-Prigent-Drusch, enregistrées le 5 janvier 2022 ;

•            les observations présentées pour l'Autorité des marchés financiers, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 7 janvier 2022 ;

•            les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;

•            les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Melka-Prigent-Drusch, enregistrées le 20 janvier 2022 ;

•            les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Marie-Paule Melka, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Frank Martin-Laprade, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Claude Ohl, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Autorité des marchés financiers, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 février 2022 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le troisième alinéa de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« Les décisions prononcées par la commission des sanctions peuvent faire l'objet d'un recours par les personnes sanctionnées et par le président de l'Autorité des marchés financiers, après accord du collège. En cas de recours d'une personne sanctionnée, le président de l'autorité peut, dans les mêmes conditions, former un recours ».

2. La société requérante reproche à ces dispositions de prévoir que, dans le cas où la personne sanctionnée forme un recours contre la décision de sanction, le président de l'Autorité des marchés financiers peut former un recours incident, sans ouvrir la même possibilité pour la personne sanctionnée lorsque ce dernier forme un recours contre la décision de sanction. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la justice, du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense. Ces dispositions seraient également entachées, pour les mêmes motifs, d'incompétence négative dans des conditions affectant ces exigences constitutionnelles.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.

5. En application de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, les décisions prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers à l'encontre de personnes autres que celles soumises à sa régulation peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire. Ce recours principal peut être formé par la personne sanctionnée et par le président de l'Autorité des marchés financiers.

6. Les dispositions contestées prévoient que, lorsque la personne sanctionnée a formé un recours contre la décision de sanction, le président de l'Autorité des marchés financiers peut former un recours incident.

7. D'une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, par dérogation au principe général du droit selon lequel la situation de la personne sanctionnée ne peut être aggravée sur son seul recours, permettre à l'autorité de poursuite de solliciter l'aggravation de la sanction dans le cas où la personne sanctionnée forme un recours contre cette sanction. Dans ces conditions, ces dispositions ne procèdent pas à une distinction procédurale injustifiée.

8. D'autre part, les dispositions contestées n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de priver une personne sanctionnée, en cas de recours principal du président de l'Autorité des marchés financiers contre une décision de la commission des sanctions, de la possibilité de présenter des demandes reconventionnelles tendant à l'annulation ou à la réformation de la sanction prononcée.

9. Au demeurant, il appartient aux juridictions d'apprécier la recevabilité de telles demandes en garantissant le caractère juste et équitable de la procédure ainsi que l'équilibre des droits des parties.

10. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent ni les droits de la défense, ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.