Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-22.084
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tric
Avocats :
Me Bouthors, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 2008), que la société Alliance développement capital (la société AD capital), société foncière cotée en bourse, a décidé l'émission et l'attribution gratuite à ses actionnaires de bons de souscription d'actions ; que le prospectus relatif à cette opération visé par la Commission des opérations de bourse mentionnait, au titre des objectifs poursuivis, outre le renforcement à terme des fonds propres de la société pour assurer son développement futur et la possibilité, en portant son capital à 15 000 000 euros, d'opter en faveur du nouveau régime fiscal des sociétés d'investissements immobiliers cotées, l'augmentation à moyen terme du "flottant" du titre ; que le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) ayant ouvert une enquête sur l'information financière et le marché du titre de la société AD capital, divers griefs ont été notifiés à cette société et à son président, M. X... ; que la commission des sanctions de l'AMF a retenu que la société AD capital et M. X... avaient communiqué des informations inexactes, imprécises ou trompeuses à propos de l'objectif d'augmentation du "flottant" du titre et prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société AD capital et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir validé la procédure conduite devant la commission des sanctions de l'AMF alors, selon le moyen :
1°/ que la dénomination d'un organe juridictionnel peut être de nature à créer un doute objectif sur son objet sous le rapport des exigences relatives au procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ; que l'appellation "commission des sanctions", qui donne à penser que l'appréciation de la "culpabilité" est déjà réglée et que seul le choix d'une sanction demeure en débat, n'est pas conforme aux exigences sus-rappelées et heurte la présomption d'innocence ; qu'en décidant le contraire, motif inopérant pris des conditions dans lesquelles ladite commission exerce ses pouvoirs, la cour d'appel a méconnu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ qu'aux termes de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier, le rapporteur désigné par le président de la commission des sanctions après l'ouverture d'une procédure de sanction décidée par le collège de l'AMF, n'est pas lui-même une autorité de poursuite et ne peut étendre l'objet de sa saisine ; qu'après avoir procédé à toutes diligences utiles, il doit consigner par écrit le résultat de ces opérations dans un rapport communiqué à la personne mise en cause, laquelle dispose d'un délai de quinze jours francs pour faire connaître par écrit ses observations sur le rapport à partir de sa convocation devant la commission des sanctions ; que ni les principes du droit processuel commandant un juste équilibre entre l'accusation et la défense ni les termes de l'article R. 621-39 précité ne permettent au rapporteur de prendre directement partie sur la culpabilité du mis en cause ni recommander une sanction déterminée ; que ce faisant, le rapporteur se comporte comme un véritable organe d'accusation dans des conditions gravement déséquilibrées au préjudice de la personne mise en cause, en violation du texte précité, ensemble de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;
3°/ qu'en l'absence de corps séparé des rapporteurs, lesquels sont directement désignés parmi les membres de la commission des sanctions, il importe peu que le rapporteur désigné dans une affaire déterminée ne participe pas ensuite au délibéré sur le fond ; que cette circonstance, dès lors surtout que le rapporteur a joué comme en l'espèce une fonction d'accusateur, n'est pas de nature à faire disparaître le déséquilibre du procès ainsi que l'absence de l'impartialité objective de la commission des sanctions ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef méconnu les exigences de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;
Mais attendu, en premier lieu, que la seule dénomination de "commission des sanctions", qui n'implique pas que cette commission soit investie du seul pouvoir de sanctionner des manquements préalablement établis, n'est pas de nature à faire naître un doute légitime quant à la conformité de cet organe aux exigences du procès équitable ;
Et attendu, en second lieu, que le fait que, conformément à sa mission, le rapporteur prenne parti dans son rapport sur la réalité des manquements susceptibles d'être retenus et sur les sanctions que ces manquements lui semblent appeler n'est pas davantage de nature, dès lors que le rapporteur ne participe pas au délibéré, à mettre en cause l'impartialité de la procédure conduite devant la commission des sanctions ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que la société AD capital et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir refusé d'annuler la décision de la commission des sanctions de l'AMF alors, selon le moyen :
1°/ que l'article L. 621-4 du code monétaire et financier définit objectivement les risques de conflit d'intérêts de nature à interdire à un membre de l'AMF de la commission des sanctions de délibérer dans une affaire déterminée ; qu'en l'état d'un contentieux personnel entre un membre de la commission et la personne poursuivie révélant l'existence avérée d'une cause de partialité subjective, essentiellement distincte d'un risque objectif d'un conflit d'intérêts, les dispositions de l'article R. 621-1 du code monétaire et financier réputant présent au titre du quorum les seuls membres de la commission n'ayant pas pris part à la délibération en application de l'article L. 621-4, ne pouvaient recevoir application ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article susvisé, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ que les exceptions aux règles définissant le quorum requis pour délibérer sont d'interprétation stricte ; que si l'article R. 621-1 du code monétaire et financier, de nature réglementaire, répute présent au titre du quorum un membre de la commission qui s'est déporté en vertu de l'article L. 621-4, pareille fiction ne saurait en aucun cas recevoir application quand la cause du déport du membre concerné n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 621-4 et procède comme en l'espèce d'un contentieux avéré ayant existé entre les parties ; qu'il appartient à la commission des sanctions d'établir elle-même le motif du déport et d'en justifier ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ;
Mais attendu que l'article L. 621-4 du code monétaire et financier ne se borne pas à définir les hypothèses dans lesquelles les membres de l'AMF ne peuvent délibérer en raison des liens les unissant directement ou indirectement à l'affaire ou aux parties en cause mais se réfère plus généralement aux modalités de prévention des conflits d'intérêts ; que dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la circonstance que l'un des membres de la commission des sanctions s'était déporté en raison d'un conflit d'intérêt personnel l'ayant opposé dans le passé à M. X... n'était pas exclusive de l'application, en l'espèce, des dispositions de l'article R. 621-7 du même code, réputant ce membre présent au titre du quorum ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les autres griefs ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.