Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-14.372
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 mars 2004), que la société Groupe Partouche, actionnaire de la Société fermière du casino municipal de Cannes (la SFCMC), a assigné celle-ci en annulation de quatre résolutions de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 10 novembre 1997 ayant pour objet la conversion de parts de fondateur en actions, une augmentation de capital par incorporation des réserves pour la conversion de ces parts, une modification des statuts imposée par celle-ci et une augmentation de capital en numéraire avec droit préférentiel de souscription des actionnaires, soutenant que ces décisions avaient été prises en violation des droits des actionnaires minoritaires ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Groupe Partouche fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen :
1 / que la société Groupe Partouche faisait valoir que l'information des actionnaires n'a pas été complète car les résolutions proposées ont fait l'objet d'un rapport faisant état de l'impossibilité pour les deux premiers experts nommés de s'entendre sur la parité d'échange, ce qui a imposé la désignation d'un tiers expert qui a conclu à une parité de cinq parts pour six actions sans que les éléments de la discussion intervenue entre les experts ne soient fournies pour appréciation des actionnaires ; qu'il ressort en effet que le troisième expert choisi par les deux précédents n'a pas établi un rapport, le seul rapport établi l'ayant été par les trois experts en violation de l'article 5 du décret 67-452 du 6 juin 1967 ;
2 / qu'il résulte de l'article 5 du décret 67-452 du 6 juin 1967 qu'à défaut d'accord entre les deux experts, ils doivent faire choix d'un troisième expert qui doit "remettre son rapport dans le délai d'un mois" ;
qu'en l'espèce le troisième expert n'a pas établi de rapport, seul un rapport commun aux trois experts ayant été établi ; que la société Groupe Partouche faisait valoir que l'information donnée aux actionnaires n'avait pas été complète dès lors que les éléments de la discussion intervenue entre les experts n'avaient pas été fournis ; qu'en décidant que le taux de conversion des parts de fondateurs en actions s'impose à l'ensemble des actionnaires, le contrôle du juge étant limité à la conformité aux textes de la procédure suivie qui prévoit notamment l'intervention des experts et, en cas de désaccord entre eux, la nomination d'un troisième dont la régularité n'est pas discutée, la cour d'appel qui décide que sous couvert de la défense de ses intérêts d'actionnaire minoritaire, la société Groupe Partouche a tenté par une stratégie maligne en abusant du droit d'appel d'entacher d'incertitude les décisions régulières et majoritaires de la société, sans préciser en quoi l'établissement d'un rapport commun par les trois experts au lieu de l'établissement d'un rapport par le seul troisième expert caractérisait une procédure régulière a violé le texte susvisé ;
3 / que la société Groupe Partouche faisait valoir "l'effet pervers qu'a représenté la présence majoritaire de l'actionnaire principal de la société parmi les porteurs de parts bénéficiaires" dans la mesure où cet associé majoritaire pouvait imposer sa décision dès lors qu'il pouvait être de son intérêt d'entériner une surévaluation des parts bénéficiaires puisqu'il en était également le principal porteur, la décision prise ayant porté atteinte au principe d'égalité entre les actionnaires; qu'en retenant qu'aucune disposition légale, réglementaire ou statutaire n'interdit à un actionnaire, même majoritaire et détenteur de parts de fondateur de prendre part à proportion de ses actions aux délibérations et au vote sur le principe et les modalités de la conversion des parts de fondateurs sans rechercher si dans les circonstances de l'espèce l'actionnaire majoritaire, principal bénéficiaire de l'opération, n'avait pas abusé de son droit, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel que la société Groupe Partouche ait soutenu devant les juges du fond l'irrégularité de l'intervention du troisième expert ; que le moyen, pris en ses première et deuxième branches, mélangé de fait et droit, est nouveau ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu qu'aucune disposition légale réglementaire ou statutaire n'interdit à un actionnaire, même majoritaire et détenteur de parts de fondateur, de prendre part à proportion de ses actions aux délibérations et au vote sur le principe et les modalités de la conversion des parts de fondateur et dès lors qu'il n'était pas soutenu que la décision de conversion était contraire à l'intérêt social et n'avait été prise qu'en vue de favoriser les actionnaires majoritaires au détriment des autres actionnaires, la cour d'appel n'a pas méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que le moyen, mal fondé en sa troisième branche, est irrecevable pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Groupe Partouche fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que l'assemblée générale extraordinaire est seule compétente pour décider sur le rapport du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, une augmentation de capital, l'assemblée générale pouvant fixer elle-même les modalités de chacune des émissions, déléguer au conseil d'administration ou au directoire, selon le cas, les pouvoirs nécessaires à l'effet de réaliser en une ou plusieurs fois l'émission d'une catégorie de valeurs mobilières, d'en fixer le ou les montants, d'en constater la réalisation et de procéder à la modification corrélative des statuts, l'articles L. 225-129 V précisant que dans les sociétés anonymes dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, peut déléguer au président les pouvoirs nécessaires à la réalisation de l'augmentation de capital ; que la société Groupe Partouche faisait valoir que l'assemblée générale a directement délégué au conseil d'administration tant la décision d'augmentation de capital que son contenu intégral en méconnaissance des dispositions de l'article L. 225-129 du code de commerce ; qu'il résulte de la deuxième résolution que l'assemblée générale extraordinaire "délègue au conseil d'administration les pouvoirs nécessaires à l'effet d'augmenter le capital" et "confère tout pouvoir au conseil d'administration, avec faculté de subdélégation à son président" ; qu'en retenant que les deuxième et quatrième résolutions soumises aux actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire portent l'intitulé "augmentation de capital" et l'indication des délégations subséquentes à consentir au conseil d'administration de sorte qu'au contraire de ce que prétend la société Groupe Partouche la décision même d'augmentation de capital a été prise par l'assemblée compétente qui en a régulièrement délégué les modalités, la cour d'appel qui ne constate aucune décision de l'assemblée générale extraordinaire d'augmenter le capital a dénaturé les deuxième et quatrième résolutions et a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'en retenant que les deuxième et quatrième résolutions soumises aux actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire portaient l'intitulé "augmentation de capital" et l'indication des délégations subséquentes à consentir au conseil d'administration, la cour d'appel en a déduit, sans dénaturation de ces résolutions, que la décision d'augmentation de capital avait été prise par l'assemblée compétente qui en avait régulièrement délégué les modalités ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Groupe Partouche fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 / que la prime d'émission est décidée par l'assemblée générale extraordinaire qui fixe son montant ou détermine dans quelle condition il sera établi par le conseil d'administration ou le directoire ; que la SA Groupe Partouche faisait savoir que l'assemblée n'a pas arrêté le montant de la prime d'émission devant être payée par les souscripteurs à l'augmentation de capital en même temps que le nominal des actions nouvelles, qu'il a été demandé à l'assemblée générale de déléguer le pouvoir de mise en oeuvre de l'augmentation de capital sans que soit donnée aux actionnaires connaissance du prix d'émission des actions ou même d'une fourchette dans laquelle ce prix sera inscrit, la seule indication directe fournie portant sur le nombre maximum d'actions pouvant être créé, soit 85 000 actions, puisque la délibération limitait l'augmentation de capital à 6 375 000 francs, le nominal étant de 75 francs, ce qui n'était pas de nature à permettre à l'assemblée générale de prendre une décision éclairée sur l'augmentation de capital; qu'en décidant que ce grief était inopérant, le conseil d'administration étant en conséquence de la quatrième résolution et des dispositions de l'article L. 225-129 investi du pouvoir de déterminer ce prix cependant qu'il appartenait à l'assemblée générale de décider de cette prime en déterminant dans quelles conditions son prix sera établi par le conseil d'administration, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 / qu'en décidant que le moyen manque en fait, la question de la détermination du prix étant sans objet dans le contexte de la deuxième résolution subséquente à la première qui précisait le ratio d'échange des titres et l'indication prétendument absente ayant par surcroît été donnée dans le contexte de la quatrième résolution par la déclaration préalable du président du conseil d'administration ainsi qu'il résulte du procès verbal de séance qui la consigne, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants dès lors qu'ils ne permettent pas de constater que l'assemblée générale extraordinaire a déterminé les conditions dans lesquelles le prix serait établi par le conseil d'administration et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 225-19 du code de commerce ;
Mais attendu que l'article L. 225-129 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, n'exige pas que le montant de la prime d'émission soit fixé par l'assemblée générale extraordinaire dès lors que celle-ci a délégué au conseil d'administration les pouvoirs nécessaires à l'effet de procéder aux émissions de valeurs mobilières conduisant à l'augmentation de capital qu'elle a décidée ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Groupe Partouche fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer certaines sommes à titre d'abus de procédure et par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile alors, selon le moyen :
1 / qu'en affirmant qu'il résulte de ce qui précède que sous couvert de la défense de ses intérêts d'actionnaire minoritaire, la société Groupe Partouche, qui exerce une activité commerciale concurrente de celle de la SFCMC, a tenté par une stratégie maligne en abusant du droit d'appel d'entacher d'incertitude les décisions régulières et majoritaire de cette société sans préciser en quoi la société Groupe Partouche, actionnaire minoritaire, ait une activité commerciale concurrente de celle de la SFCMC était de nature à caractériser une stratégie maligne en abusant du droit d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2 / qu'en affirmant que l'action de la société Groupe Partouche a causé un trouble à l'intérêt social, que cet abus sera réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts sans nullement préciser en quoi avait consisté l'atteinte à l'intérêt social dans le fait pour un minoritaire de défendre ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que, sous couvert de la défense de ses intérêts d'actionnaire minoritaire, la société Groupe Partouche, qui exerce une activité commerciale concurrente de celle de la SFCMC, a tenté par une stratégie maligne, en abusant du droit d'appel, d'entacher d'incertitude les décisions régulières et majoritaires de cette société, provoquant ainsi délibérément un trouble à l'intérêt social, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.