Cass. com., 15 juillet 1992, n° 90-16.835
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hatoux
Rapporteur :
M. Leclercq
Avocat général :
M. Curti
Avocats :
Me Copper-Royer, SCP Vier et Barthélemy, Me Choucroy, SCP Boré et Xavier, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Sur le moyen unique du pourvoi n° 90-15.588, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 novembre 1989), que, par délibération du 6 juin 1986, l'assemblée générale extraordinaire de la société Moët-Henessy a autorisé son conseil d'administration à émettre des obligations à bons de souscription d'actions (OBSA) pour un montant maximum de 800 000 000 francs, représentant le quart du capital social ; que les actionnaires ont renoncé à leur droit préférentiel de souscription, mais se sont réservés un délai de priorité de 2 semaines si l'émission était réalisée en France ; qu'il était prévu, si l'émission était réalisée hors de France, qu'elle devrait avoir lieu " directement au moyen d'un placement public " ; que, le 5 mars 1987, le conseil d'administration de la société Moët-Henessy a décidé d'émettre, hors de France, les OBSA litigieuses ; que, le 13 mars 1987, la société a conclu, avec un syndicat regroupant autour de la banque Lazard, chef de file, neuf banques françaises et neuf banques étrangères, un contrat de garantie et de placement, aux termes duquel ces banques s'engageaient à placer les OBSA et, au cas d'impossibilité de trouver des souscripteurs, de souscrire elles-mêmes les titres ; que, le 9 avril 1987, les OBSA de Moët-Henessy, libellées en eurofrancs, étaient cotées à la Bourse de Luxembourg ; qu'à la suite de la fusion-absorption réalisée en septembre 1987 entre la société Moët-Henessy et la société Louis Vuitton, avec effet rétroactif au 1er janvier 1987, la nouvelle société a pris la dénomination de LVMH, et chaque bon attaché aux OBSA Moët-Henessy s'est trouvé ouvrir droit à une action LVMH ; que, soutenant que les OBSA avaient été directement placées auprès d'un nombre restreint d'investisseurs français, donc sans appel public à l'épargne, et que le détournement de procédure avait été commis à leur préjudice puisqu'ils avaient été privés du délai de priorité pour souscrire, l'Association nationale des actionnaires de France (l'ANAF) et soixante-dix-huit actionnaires minoritaires de LVMH ont assigné cette dernière société et les sociétés du groupe Arnault (Jacques Rober, Christian Dior, Financière Agache), qui avaient acquis 93,9 % du total des bons (correspondant à 1 623 208 actions potentielles, soit 11,4 % du capital de la société LVMH), pour voir prononcer la nullité de l'émission, en mars 1987, des bons de souscription attachés aux obligations, déclarer cette nullité opposable aux sociétés du groupe Arnault, prononcer la nullité des actions LVMH résultant de l'exercice des bons de souscription émis en 1987 et détenus par lesdites sociétés ou par toute autre société du groupe Arnault, subsidiairement, de les indemniser du préjudice subi ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir débouté les actionnaires minoritaires de leur action en nullité des bons de souscription litigieux, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aucune des parties intimées n'ayant soutenu que l'indivisibilité des émissions des obligations et des bons devrait emporter qu'une demande en nullité portant sur les seuls bons, serait irrecevable faute de porter également sur les obligations, la cour d'appel ne pouvait relever d'office ce moyen, sans provoquer les observations préalables des parties ; qu'en s'abstenant de respecter le principe de la contradiction, elle a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'annulation de la délibération du conseil d'administration du 5 mars 1987 n'avait pas à être demandée, dès lors que cette délibération, prévoyant une émission hors de France, respectait l'autorisation donnée par l'assemblée générale, et que l'irrégularité a affecté l'émission telle qu'elle a été ensuite réalisée à des conditions différentes ; que la cour d'appel ne pouvait donc tirer un motif du défaut de demande en nullité de cette délibération pour écarter la nullité de l'émission elle-même, sans violer les articles 194-1 et suivants de la loi du 24 juillet 1996 ; alors, de plus, que, même si elles sont groupées et participent à une opération d'ensemble, l'émission des obligations et l'émission des bons de souscription, qui doivent d'ailleurs être autorisées distinctement par les deux sociétés dans le cas particulier où les bons concernent une filiale de la société émettant les obligations, sont juridiquement distinctes ; que les titres émis sont aussitôt séparables et négociables de façon indépendante (article 194-1, dernier alinéa) ; que l'irrégularité tenant à la violation du droit de priorité que s'étaient réservé les actionnaires affecte de nullité la seule émission des bons de souscription ; qu'en refusant de sanctionner l'irrégularité de cette émission, la cour d'appel a violé les articles 194-1 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ; et alors, enfin, qu'en toute occurrence, la nullité de la procédure d'émission dans son ensemble ne rendait pas irrecevable la demande en annulation portant sur les seuls bons de souscription ; que celui qui se prévaut de l'irrégularité d'un acte peut limiter les conséquences qu'il entend en tirer en demandant l'annulation de la seule partie qui lui fait grief, sauf le droit pour l'autre partie de demander que l'annulation soit totale en raison de l'indivisibilité de l'acte ; qu'en refusant de prononcer l'annulation de l'émission des bons de souscription, qui était l'une des conséquences de l'irrégularité de la procédure d'émission, dont elle constate pourtant expressément qu'elle était viciée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 1304 du Code civil, 194-8 et 360 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu, en premier lieu, que le Tribunal avait écarté la possibilité de prononcer une nullité ne couvrant pas l'ensemble de l'OBSA, qu'il considérait comme un titre unique et indivisible, et avait retenu que la divisibilité du titre, qui n'existe qu'après sa création, ne pouvait servir de fondement à la demande formulée par les consorts X... ; que, devant la cour d'appel, les sociétés Financière Agache, Jacques Rober et Christian Dior ont demandé la confirmation du jugement ; que la banque Lazard a soutenu, pour faire échec à la demande en nullité, que les appelants ne pouvaient limiter la nullité éventuelle de l'émission des OBSA aux seuls bons de souscription acquis et détenus par le groupe Arnault, cette catégorie de titres constituant un produit unique et indivisible ; que le moyen tiré du caractère indivisible de l'OBSA était donc dans le débat ;
Attendu, en second lieu, qu'en retenant qu'une demande d'annulation en matière d'OBSA ne pouvait viser que la totalité des droits que le titre unique réunit au moment de son émission, peu important que, postérieurement à l'émission, les bons de souscription d'actions attachés aux OBSA puissent être cédés ou négociés indépendamment des obligations elles-mêmes, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche du moyen ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents formés à titre éventuel par la société Lazard frères et compagnie et par la société Louis Vuitton Moët-Henessy :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° 90-16.835 ;
REJETTE le pourvoi.