CE, 3e et 8e ch. réunies, 19 juillet 2017, n° 408227
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Lombard
Rapporteur public :
Mme Cortot-Boucher
Avocat :
SCP Lesourd
Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
La SAS Ingram Micro a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie, d'une part, au titre des années 2005 et 2006 et, d'autre part, au titre des années 2007 et 2008. Par deux jugements, n° 1009892 du 15 mars 2012 et n° 1206436 du 5 mai 2014, le tribunal a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n°s 12VE01779, 14VE01972 du 14 avril 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les appels formés par la SAS Ingram Micro contre ces jugements.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois autres mémoires, enregistrés les 22 juin et 22 septembre 2015 et les 11 janvier, 16 juin et 29 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Ingram Micro a demandé au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la Société Ingram Micro ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2017, présentée pour la SAS Ingram Micro ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 833-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision d'une cour administrative d'appel ou du Conseil d'État est entachée d'une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification ".
2. Par sa décision du 13 janvier 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé que la société Ingram Micro ne pouvait utilement soutenir que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 14 avril 2015 était insuffisamment motivé en ce qu'il n'explicitait pas en quoi l'objectif poursuivi par le législateur aurait été méconnu par les opérations regardées comme constitutives d'un abus de droit dès lors qu'un tel moyen n'était pas soulevé devant la cour. Ainsi qu'il est soutenu par la société requérante, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour qu'elle avait soulevé ce moyen dans son mémoire enregistré le 4 juillet 2014. Dès lors, le Conseil d'Etat a, sans porter sur ce point d'appréciation juridique, entaché sa décision d'une erreur matérielle, au sens des dispositions précitées de l'article R. 833-1 du code de justice administrative. Par suite, le recours en rectification d'erreur matérielle de la société est recevable. Il y a lieu, dès lors, d'examiner à nouveau le moyen de la société Ingram Micro écarté par le Conseil d'Etat dans la décision dont la rectification est demandée.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que les deux opérations concomitantes qui étaient à l'origine, selon l'administration, d'un abus de droit ne se sont traduites par aucun flux financier et qu'elles n'ont pas modifié la structure du bilan de la société, dès lors que la distribution de réserves à son unique actionnaire américain a été compensée, à due concurrence, par l'émission d'obligations remboursables en actions (ORA), qui sont classées parmi les " autres fonds propres " et qui ont été souscrites par l'actionnaire américain. Par suite, si la déduction des intérêts dus par la société requérante au titre de ces ORA à son actionnaire, qui n'était pas soumis à l'impôt de ce chef, était conforme à la lettre de l'article 39 du code général des impôts dont elle recherchait le bénéfice, elle était nécessairement contraire, eu égard aux caractéristiques du montage en cause exposées ci-dessus, aux objectifs poursuivis par ses auteurs. Dès lors, la cour, qui a rappelé la condition de recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et qui a explicité le caractère artificiel du montage litigieux, a suffisamment motivé son arrêt, alors même qu'elle a regardé la condition comme remplie de façon implicite. Le moyen d'insuffisance de motivation soulevé sur ce point par la société doit donc être écarté.
4. Il suit de là qu'il y a seulement lieu de rectifier la décision du Conseil d'Etat du 13 janvier 2017 en remplaçant par les motifs exposés au point 3 ci-dessus, ceux par lesquels le Conseil d'Etat a estimé ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus, que la société Ingram Micro ne pouvait utilement soutenir que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 14 avril 2015 était insuffisamment motivé.
5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par la société Ingram Micro.
D E C I D E :
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Article 1er : Les motifs de la décision n° 391196 du 13 janvier 2017 du Conseil d'Etat statuant au contentieux sont modifiés comme suit :
Au considérant 3, les mots : " la société requérante ne peut utilement soutenir que l'arrêt est insuffisamment motivé en ce qu'il n'explicite pas en quoi l'objectif poursuivi par le législateur aurait été méconnu par les opérations regardées comme constitutives d'un abus de droit dès lors qu'un tel moyen n'a pas été soulevé devant le juge du fond " sont remplacés par les mots : " Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que les deux opérations concomitantes qui étaient à l'origine, selon l'administration, d'un abus de droit ne se sont traduites par aucun flux financier et qu'elles n'ont pas modifié la situation comptable de la société, dès lors que la distribution de réserves à son unique actionnaire américain a été compensée, à due concurrence, par l'émission d'obligations remboursables en actions (ORA), qui sont classées parmi les " autres fonds propres " et qui ont été souscrites par l'actionnaire américain. Il s'en déduit que si la déduction des intérêts dus par la société requérante au titre de ces ORA à son actionnaire, qui n'était pas soumis à l'impôt de ce chef, était conforme à la lettre de l'article 39 du code général des impôts dont elle recherchait le bénéfice, elle était nécessairement contraire, eu égard aux caractéristiques du montage en cause exposées ci-dessus, aux objectifs poursuivis par ses auteurs. Dès lors, la cour, qui a rappelé la condition de recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et qui a explicité le caractère artificiel du montage litigieux, a suffisamment motivé son arrêt, alors même qu'elle a regardé la condition comme remplie de façon implicite. Le moyen d'insuffisance de motivation soulevé sur ce point par la société doit donc être écarté ".
Article 2 : Le surplus des conclusions de la SAS Ingram Micro est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SAS Ingram Micro et au ministre de l'action et des comptes publics.